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1910 : Paris Inondé

27 decembre 2013 Paru dans le N°367 à la page 113 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

À Paris, la Seine a connu 10 crues de plus de 7 mètres d'eau en 400 ans, 13 crues de 6,50 m en 250 ans, 12 crues de 5,85 m en 130 ans. À partir de 3,30 m, l'eau commence à envahir les voies sur berges. La célèbre crue de 1910 a duré du 20 janvier au 15 mars et atteint 8,62 m à Austerlitz. Par endroits, elle s'est étalée jusqu'à près de 2 kilomètres du lit de la Seine, empruntant souvent les égouts et les rares lignes du métro déjà construites à l'époque. Par cette voie, la cour de Rome fut inondée devant la gare Saint-Lazare. Retour sur les inondations de 1910, les plus terribles du 20ème siècle.

1910 est une date gravée dans la mémoire des Parisiens. La Seine connaît cette année-là la plus forte crue du 20ᵉ siècle et déborde largement dans les rues de la capitale. Durant 9 jours, du 20 au 28 janvier 1910, Paris connaît une crue d'une ampleur exceptionnelle. Les conditions météo à l’origine de cette crue sont en place dès l'automne 1909 : fin d’année humide, suivie par un événement pluvieux très important durant une vingtaine de jours en janvier 1910. Mais la crue n’est pas seulement due à des précipitations exceptionnelles qui tombent sur des sols précédemment saturés d’eau. Comme toutes les grandes inondations, elle est due à l'addition de plusieurs facteurs qui se sont produits en même temps. D’importantes pluies qui avaient eu lieu du 28 novembre au 9 décembre et du 15 au 31 décembre 1909 ont occasionné de premières crues. Puis une nouvelle période de pluies et neige commença le 9 janvier 1910 et les torrents d'eau qui tombèrent du 18 au 21 provoquèrent une crue de l’Yonne, du Loing et du Grand Morin. Le tout arriva en même temps à Paris et détermina une crue extraordinaire de la haute Seine et de la Marne qui, ne pouvant s'écouler, envahit Paris et sa banlieue.

« C'est la faute à la comète ! » s’exclament les Parisiens. La comète de Johannesburg traversait le ciel à ce moment-là et on l'accusa de ce désastre... Pour les spécialistes, l’explication est toute différente. Après de fortes chutes de neige sur le plateau de Langres où la Seine prend sa source, la température a monté soudain de plusieurs degrés. La neige fond en même temps que tombent des pluies torrentielles. Si bien que la Seine, qui charrie normalement 150 000 litres d'eau à la seconde, en roule 10 fois plus !

[Photo : PARIS INONDE (Janvier 1910). - Gare Saint-Lazare (rue de Rome).]

La Seine aux pieds de la gare Saint-Lazare

Entre le 20 et le 28 janvier, le niveau de la Seine ne cesse de monter ; le fleuve mesure 8,32 mètres de profondeur contre 2,20 mètres d’ordinaire ! Son lit ne peut contenir toute cette eau. La Seine déborde et vient battre les marches de

[Photo : INONDATIONS DE PARIS (Janvier 1910). Avenue Duquesne.]
[Photo : INONDATIONS DE PARIS (Janvier 1910). Boulevard Saint-Germain.]
[Photo : PARIS INONDE (Janvier 1910). Passerelle de l’Esplanade des Invalides.]
[Photo : CRUE DE LA SEINE. Paris – Pont d’Orsay : Ligne d’Orléans.]

La gare Saint-Lazare, à 2 kilomètres de ses rives ! Les eaux submergent Paris et les communes en bord de Seine. Le 28 janvier, après douze jours de montée continue, le niveau de la Seine atteint 8,62 m au pont d’Austerlitz, soit six mètres au-dessus de la cote d’alerte. Pour la première fois en soixante ans d’existence, le zouave du pont de l’Alma (cote de 8,62 m, à comparer à la cote maximum de 8,40 m mesurée au pont de la Tournelle en 1740) disparaît presque complètement. Le spectacle, qui attire les curieux dans un premier temps, tourne vite à la catastrophe comme en témoignent la longue liste des sinistrés et les nombreux bulletins de déclaration de chômage. Les Parisiens se déplacent en barque ou empruntent des passerelles improvisées pour traverser les rues… L’eau paralyse la ville : la majorité des grandes usines sont arrêtées, le métro et les liaisons ferroviaires sont coupées. Le 24 janvier 1910, la rue de Lille héberge la Seine. On peut imaginer l’importance de la crue de 1910 lorsque l’on considère que cette rue est située à plus de 220 m de la Seine en son point le plus proche.

Des dégâts très importants

La capitale sera totalement paralysée pendant plus de trente jours. Les dégâts engendrés seront très importants et estimés à environ 30 milliards de francs de l’époque. Deux stations de métro (Odéon et Châtelet) sont totalement noyées. Les gares et la centrale électrique d’Ivry sont également sous les eaux. La place de la Concorde, les Champs-Élysées et les Tuileries sont métamorphosés en lacs, les rues en rivières, tandis que les rats courent partout. L’armée intervient dès le 25 janvier, secondant les pompiers et les services municipaux. Les demandes de bateaux sont incessantes pour secourir, déménager, installer des passerelles, évacuer, car des maisons menacent de s’écrouler. Si la décrue s’amorce à partir du 30 janvier, les rues ne seront définitivement dégagées que dans la seconde moitié de février.

Les dégâts humains sont considérables.

Les habitants sont ravitaillés tant bien que mal par bateaux. L’eau, l’électricité et le gaz sont coupés ; les habitants sont forcés de s’éclairer à la lampe à pétrole. Toute la vie de la capitale est bouleversée : tramways et attelages roulent dans l’eau, les chaussées s’effondrent, des voies ferrées sont déplacées par les eaux, le métro inondé cesse en partie son trafic, les lignes téléphoniques sont endommagées. Cent cinquante rues, passages, avenues, boulevards et jardins se retrouvèrent sous les eaux. Le gel s’étant mêlé à la crue, le désastre est patent.

La brutale arrivée de quatre milliards de mètres cubes d’eau laisse sur le pavé près de 150 000 sinistrés. La Seine regagnera le cours normal de son lit quinze jours après l’amorce de la décrue, à savoir le 20 février 1910. Après les crues de 1910, un rapport d’enquête pose les enjeux

[Photo : Crue de la Seine, 29 janvier 1910 – diverses vues de Paris inondé]

futurs : comment atténuer les effets d'une telle crue ?

Ce n'est que quinze ans plus tard, après une nouvelle inondation de Paris en 1924, qu'une commission propose de créer des lacs artificiels afin de réguler le débit des cours d'eau du Bassin parisien. L'objectif est de contrôler les crues de la Seine et de ses affluents mais aussi les périodes de sécheresse comme celle que la Seine a connue en 1949. L'Institution interdépartementale des barrages réservoirs du Bassin de Seine (Grands Lacs de Seine) est chargée de cette action.

Paris en harmonie avec son fleuve ?

Aujourd'hui quatre grands lacs-réservoirs sont en place en amont de Paris sur la Seine et sur ses affluents à 100 km de la capitale : le barrage-réservoir de Pannecières sur l'Yonne ; le lac Der-Chantecoq sur la Marne ; les lacs du Temple et d'Amance sur l'Aube et le lac d'Orient sur la Seine. Comment fonctionnent ces lacs-réservoirs ? En saison pluvieuse (décembre-mai), le débit de la Seine et de ses affluents devient souvent trop important et l’inondation menace. Un canal détourne alors une partie de l'eau pour la conduire dans un lac de retenue où elle est stockée.

En revanche, à partir du 1ᵉʳ juin, période propice aux sécheresses, le niveau des rivières baisse et cette retenue d'eau est libérée par un canal de restitution de façon à conserver à la Seine un débit suffisant.

Grâce à cette délicate régulation, Paris peut enfin vivre en harmonie avec son fleuve. Mais on sait aujourd'hui que ces barrages ne retiendraient seulement qu'un quart des eaux de la crue de 1910, ce qui revient à conclure que le risque zéro n'existe pas. Et si une crue équivalente survenait de nos jours ? Malgré six barrages-réservoirs, la catastrophe serait probablement plus considérable qu'en 1910 car Paris, avec son sous-sol troué comme un gruyère, ses transports en commun, ses lignes à haute tension, ses parkings enterrés, est bien plus fragile qu’au début du siècle.

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