Suite du premier article du même auteur, paru dans L'EAU ET L'INDUSTRIE - N° 33 - Mars 1979 - pages 36 et suivantes.
Il s'agit ici d'une seule espèce, Prymnesium parvum (Chrysophycées) ; elle a été surtout étudiée en Israël (17) (18) (19) (20), où les hécatombes de poissons qu'elle a provoquées ont eu d'importantes répercussions économiques.
Cette algue élabore en fait 3 toxines : l'ichtyotoxine proprement dite, appelée prymnésine (injectée à des souris ou des grenouilles, elle leur provoque des symptômes analogues à ceux de la saxitoxine des Gonyaulax), et aussi une hémolysine et une cytotoxine.
Grâce à des phénomènes d'adsorption sur les vases du fond des étangs saumâtres, la concentration en ichtyotoxine décroît dans les couches d'eau profondes : il peut alors suffire d'un simple brassage mécanique pour appliquer cette propriété à toute la masse d'eau et diminuer ainsi la toxicité globale d'un étang (18). D'autre part, sans changement de concentration en toxine, on peut faire jouer des co-facteurs pour en diminuer les effets, par exemple : (Ca²⁺), (Mg²⁺), streptomycine, spermine, etc.
Les développements de Prymnesium parvum dans les étangs piscicoles d'Israël ont été combattus par divers algicides, parmi lesquels on a cité l'ammoniaque et le sulfate d'ammonium.
a) les Cyanophycées
Dans ce cas, nous aurons affaire presque exclusivement à des Cyanophycées, comme nous l'avons précisé au début : certaines de ces algues élaborent des métabolites qui sont toxiques pour les animaux et le seraient également pour l'homme s'il les ingérait. Le premier cas d’empoisonnement d'animaux domestiques par les algues bleues a été cité il y a un siècle, par FRANCIS (21) : il s'agissait alors d'une fleur d’eau à Nodularia spumigena, dans le lac Alexandria en Australie.
Depuis, on a rapporté de nombreux exemples d’intoxications mortelles d’animaux sauvages ou domestiques : poissons et grenouilles vivant dans des eaux riches en Cyanophycées ou animaux terrestres ayant avalé des fleurs d'eau de ces algues avec leur eau de boisson ; en particulier, des fermiers ont perdu ainsi des vaches, des chevaux, des moutons, des canards, des poules, des dindes, etc.
Les espèces en cause sont parmi les plus courantes des algues bleues : Microcystis (M. aeruginosa et sa sous-espèce toxica) (voir fig. 7), Anabaena (A. flos-aquae) (voir fig. 8), Aphanizomenon (A. flos-aquae) (voir fig. 9), Gloeotrichia (G. echinulata), Coelosphaerium (C. kützingeanum) (voir fig. 10), Lyngbya (L. birgei) (voir fig. 12), Nostoc (N. rivulare), Oscillatoria (voir fig. 11), Nodularia, etc. Il faut ajouter que le problème est compliqué par le fait que la même espèce peut comporter des souches toxiques et d’autres non toxiques (22).
Par des tests de toxicité effectués sur la souris, on a pu distinguer au moins trois types de toxines différentes (4) :
- – un facteur de mort rapide (thermostable) : c’est une endotoxine, qui n’est donc dangereuse que si l’on ingère l’algue elle-même ; elle a été détectée sur Microcystis aeruginosa ;
- – un facteur de mort lente, peut-être même plusieurs, produits par des bactéries associées à Microcystis ;
- – un facteur de mort très rapide (thermolabile) : cette fois, il s’agit d’une toxine qui peut être diffusée dans le milieu ; elle a été trouvée dans des cultures d’Anabaena flos-aquae et pouvait tuer les souris en une à deux minutes quand on atteignait la dose létale (22).
Les symptômes observés sur les souris, après injection ou administration orale d’extraits de Nostoc (23) ou de Microcystis (4)(24)(25), comportent succes-
agitation ; augmentation des rythmes respiratoire et cardiaque ; troubles rénaux, intestinaux et sanguins ; nécrose de la paroi abdominale ; paralysie du train arrière ; convulsions ; mort. L’examen histopathologique montre ensuite une dégénérescence du foie, qui est engorgé de sang ; les poumons, les reins et le cœur sont parfois touchés également.
Il faut préciser que l’eau interstitielle n’est en général pas toxique (sauf dans le cas d’Anabaena), et que la dose létale par voie orale est environ 50 fois plus forte que la dose létale par injection. Dans la plupart des cas, la toxine responsable serait un polypeptide cyclique, de poids moléculaire 1 200 à 2 600 suivant les cas : le fait a été établi avec certitude (25) pour le facteur de mort rapide de Microcystis. Par contre, le facteur de mort très rapide détecté chez Anabaena pourrait être un alcaloïde dont le poids moléculaire serait du même ordre de grandeur que les polypeptides précédents. En outre, on a signalé la présence de saxitoxine chez Aphanizomenon flos-aquae, mais le fait mériterait d’être confirmé.
Peut-on craindre un risque d’intoxication pour le consommateur d’une eau riche en algues bleues avant traitement ? Il est indéniable que les Cyanophycées ont pu être accusées de provoquer des dermatoses, de la conjonctivite, des allergies, de la fièvre ou des rhumes des foins, lorsqu’un baigneur avait séjourné dans une eau eutrophisée ; on leur a aussi attribué l’origine de certaines gastro-entérites, cette fois par le canal de l’eau de consommation (26) (27). Mais l’extrapolation des tests de toxicité évoqués plus haut conduit à admettre qu’il faudrait ingurgiter 3 à 5 litres d’algues concentrées pour atteindre une dose létale, ce qui rend impossible toute intoxication aiguë. D’autre part, les tests de toxicité sur souris n’ont jamais donné de résultats positifs, ni sur les eaux brutes, ni à plus forte raison sur les eaux traitées (24) (28).
Toutefois, il subsiste un léger doute sur l’innocuité complète des eaux distribuées, lorsque l’eau brute initiale contenait beaucoup de Cyanophycées. En effet, on a constaté :
- — que les toxines de Cyanophycées pouvaient produire des dommages irréversibles sur le foie à des doses nettement inférieures au seuil létal : Tustin et al., 1973 (29) ;
- — que des réactions pyrogéniques présentées par des malades traités dans un centre d’hémodialyse s’étaient produites en même temps qu’un fort accroissement de la teneur en Cyanophycées dans l’eau brute d’origine : Hindman et al., 1975 (30).
Or, il faut reconnaître que l’on ne peut pas garantir l’absence de métabolites de Cyanophycées à l’état de traces dans les eaux potables issues des eaux de surface, pour deux raisons :
- — même s’il s’agit d’endotoxines, en principe éliminées en même temps que les algues proprement dites, l’eau brute peut contenir de faibles quantités de ces substances, libérées post-mortem par lyse cellulaire et non encore dégradées par les bactéries ;
- — ces traces, si elles existent, risqueraient de ne pas être éliminées par une chaîne classique de préchloration-floculation-décantation-filtration sur sable : Hoffmann, 1976 (28), l’a démontré en expérimentant sur des solutions de 10 mg/l de toxine tirée de Microcystis aeruginosa ; la toxicité des divers échantillons était estimée par la mortalité de souris après injection dans le péritoine.
S’il n’existe pas de problème de toxicité aiguë avec ces algues, on ignore par contre si leurs métabolites peuvent présenter un effet cumulatif et/ou de toxicité à long terme. Par ailleurs, la toxine de Microcystis est éliminée par une filtration sur charbon actif en grains ou par le charbon actif en poudre (dans ce dernier cas, à raison de 10 à 100 mg de charbon par milligramme de toxine) (28).
Une dernière remarque avant de conclure sur ce chapitre : dans les eaux riches en Cyanophycées, il se présente souvent des problèmes de goûts et d’odeurs, dus soit aux algues elles-mêmes, soit aux Actinomycètes ; c’est également le charbon actif qui, dans l’état actuel de nos techniques, est le plus sûr moyen de rendre l’eau à nouveau agréable à la consommation (2).
Il faut noter que dans ces deux types de nuisances, il ne s’agit pas des mêmes substances : les métabolites sapides et odorants sont en général des terpénoïdes (géosmine, 2-méthyl-isobornéol, etc.), extracellulaires (sécrétés par les organismes dans l’eau interstitielle), de poids moléculaire assez faible ; les métabolites toxiques, au contraire, sont surtout des polypeptides cycliques, intracellulaires et de poids moléculaire plus élevé. Il n’est toutefois pas impossible que les premiers présentent une légère toxicité, mais cela n’a encore jamais été mis en évidence. En tout cas, ces deux catégories de substances risquent d’être présentes simultanément.
On aboutit donc à la conclusion logique de l’opportunité d’un traitement au charbon actif (en poudre au stade de la floculation-décantation ou, mieux, en grains sous forme d’une filtration de finition) dans toutes les installations de traitement d’eau potable qui sont alimentées à partir d’un milieu où les Cyanophycées sont abondantes (saisonnierement ou en permanence) ou risquent de l’être un jour du fait d’une eutrophisation en cours d’évolution. On aurait ainsi des chances de supprimer simultanément les goûts et les odeurs, les risques de gastro-entérites, l’impossibilité d’obtenir des eaux apyrogènes, ainsi que tout risque de toxicité à long terme.
Pour répondre à une autre des questions posées au début, on peut penser qu'avec le développement des centrales nucléaires, le réchauffement des eaux de rivière peut effectivement favoriser un accroissement des populations de Cyanophycées (31) ; mais il faut alors que tous les facteurs favorables soient réunis par ailleurs, principes nutritifs en particulier : j'ai, par exemple, constaté, dans une rivière chaude d'Afrique Australe comprenant plusieurs barrages en série, que les Cyanophycées ne s'étaient mises à proliférer que dans le dernier réservoir, qui recevait les effluents secondaires de la capitale proche (il s'agissait du lac Mc Ilwaine, sur la rivière Hunyani, à côté de la ville de Salisbury en Rhodésie). La généralisation des traitements tertiaires constituera donc la première mesure à prendre pour lutter contre la prolifération des Cyanophycées, dont le développement des centrales nucléaires pourrait nous menacer (en se souvenant en outre que c'est surtout le phosphore qu'il faut supprimer à ces algues, qui sont capables de fixer l'azote atmosphérique grâce à leurs hétérocystes).
Si néanmoins ces algues arrivaient à abonder dans certains de nos lacs, barrages ou rivières, il sera toujours possible, techniquement, de produire une eau potable présentant toutes les garanties de qualité. Mais le prix de revient de l'eau s'en trouvera affecté, pour deux raisons :
- — le taux de traitement en coagulant sera plus élevé, pour éliminer les algues elles-mêmes dans les stades de décantation et de filtration (le microtamisage présentant des pourcentages d’élimination insuffisants vis-à-vis de la plupart des Cyanophycées), et ceci d'autant plus que la proportion de Cyanophycées dans le phytoplancton sera plus importante : l’exemple reproduit sur la figure n° 13 montre que l'élimination des Cyanophycées n'est satisfaisante que lorsque la dose de coagulant se rapproche de celle qui annule le potentiel Zeta, bien après la dose qui pouvait être considérée comme suffisante pour l’élimination de la turbidité et des autres algues ;
- — le traitement complémentaire au charbon actif, en poudre ou en grains devra être appliqué systématiquement pour éliminer les métabolites des Cyanophycées (et, éventuellement, ceux des autres algues et des Actinomycètes).
Ces réflexions ne doivent du reste pas être considérées comme reflétant une prise de position, dans un sens ou dans l'autre, vis-à-vis du problème complexe des centrales nucléaires en général ; il ne s'agit ici que d’essayer d’estimer les conséquences d'une évolution éventuelle.
Quant aux algues comestibles, si leur industrie se développe un jour, il est certain que toutes les précautions seront prises pour s’assurer au préalable de leur inocuité ; la Cyanophycée Spirulina, en particulier, est consommée depuis longtemps comme condiment par les riverains du lac Tchad sans trouble apparent.
b) Autres algues d’eau douce
Pour terminer, il faut citer quelques cas de toxicité, bénins, signalés à propos d'autres algues d'eau douce. Vis-à-vis de l'homme, il s'agit de dermatoses et d’affections des voies respiratoires dues à des Chlorophycées (32).
Les animaux domestiques ont aussi quelquefois à souffrir de certaines atteintes dues aux algues, par exemple :
- — une mastite bovine provoquée par une algue verte, Prototheca (Chlorococcales) (33) ;
- — une infection de la cornée du lapin causée par des Rhodophycées (34) ;
- — une maladie canine due à la Chlorococcale Prototheca (35).
CONCLUSIONS
Qu'il existe des algues toxiques et qu'elles présentent un réel danger pour l'homme et les animaux sauvages ou domestiques, cela ne fait aucun doute. Mais contrairement à ce qui a été constaté pour les animaux, il semble qu’à part quelques affections bénignes, il n'existe pas de cas d'empoisonnement grave.
par contact direct entre l'homme et les algues. La toxicité aiguë se manifeste essentiellement d'une façon indirecte, par l'ingestion de mollusques ou de poissons qui ont été contaminés par certains dinoflagellés marins ; nous avons évoqué les mesures de prévention, de prévision, de contrôle, de publicité ou de traitement que l'on pouvait envisager de prendre à leur égard ; la recherche continue très activement dans ce domaine.
Bien qu'il n'ait jamais été mis en évidence, un certain risque de toxicité à long terme serait, par contre, susceptible d'exister du fait des cyanophycées d'eau douce, lorsqu'elles sont présentes en abondance dans les eaux brutes qui seront, après traitement, destinées à la consommation : pour éliminer ce risque hypothétique, un traitement complémentaire au charbon actif devrait être systématiquement appliqué aux eaux riches en « algues bleues », lesquelles peuvent, en outre, provoquer la mort des animaux qui les ingèrent (de nombreuses pertes de bétail ont déjà été déplorées) ou gêner l'usage récréatif des plans d'eau ; ces considérations constituent une raison supplémentaire d'intensifier la lutte contre l'eutrophisation des eaux superficielles.
P. MOUCHET.
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