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Améliorer la gouvernance des services publics de l'eau : un enjeu mondial

30 avril 2005 Paru dans le N°281 à la page 63 ( mots)
Rédigé par : Jean-luc REDAUD

En 2001, l'ISO/TC 224 a été chargé d'élaborer un nouveau type de normes applicables aux activités de service liées à l'alimentation en eau potable et à l'assainissement. Au mois de mars 2005, trois projets de normes ont été mis à l'enquête pour examen au prochain Comité Technique programmé à Berlin en octobre prochain. Élargissant le champ de la réflexion sur la mise en place de nouveaux outils de ?responsabilité sociale?, les normes ISO/TC 224 pourraient être un premier modèle de lignes directrices pour les services publics, par analogie avec les concepts déjà traités dans les normes en préparation sur la responsabilité sociétale des entreprises privées.

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L'accès à l'eau potable, à l'assainissement et la gestion intégrée des ressources en eau sont des enjeux mondiaux.

En 2002, les Nations Unies ont reconnu que l'accès à l'eau potable est un droit humain essentiel. Au Sommet de Johannesburg, les participants sont convenus d'un plan pour atteindre les Objectifs du Millénaire concernant l'eau potable et l'assainissement. À la suite du troisième Forum Mondial de l'Eau à Kyoto en mars 2003, la communauté internationale s'est engagée à améliorer la gouvernance des services publics de l'eau et de l'assainissement. À cet effet, elle a fait du développement des capacités des autorités publiques locales une priorité. Le Secrétaire général des Nations Unies pour la treizième session de la Commission pour le Développement Durable des Nations Unies (CDD13) a indiqué, dans son rapport de décembre 2004, que « un effort concerté et accru

[Photo : Assainissement dans les plus grandes villes du monde : pourcentage moyen de chaque typologie employée, par régions. Source : OMS, 2000]

« est requis, depuis le niveau international jusqu'au niveau local... » pour atteindre les objectifs du millénaire. La réunion du 11 au 22 avril 2005 de la CSD13 des Nations Unies sera l'occasion de faire un premier bilan des mesures prises pour atteindre les objectifs du Sommet de Johannesbourg dans le secteur de l'eau : il en ressort que les progrès réalisés restent bien lents et que les principaux problèmes à résoudre - manque de financement, faiblesse de l'organisation des services, manque de capacités locales - restent toujours d'actualité. Il apparaît donc que l’amélioration de la gouvernance des services est l'une des toutes premières priorités. Le secteur de l’eau souffre d’un manque de cadre légal, et le développement de partenariats public-privé devrait impliquer un meilleur encadrement par les gouvernements pour garantir la transparence de l'information, une clarification des responsabilités et une fourniture de services dans des conditions équitables et efficientes. De nombreuses propositions ont été élaborées dans ce sens, provenant d’organisations telles que TIWA, OMS ou d’organismes régionaux. La France, à travers l'Afnor, a proposé en 2001 à ISO de créer un comité technique chargé d’élaborer des normes internationales donnant des lignes directrices pour les activités de service liées à l’alimentation en eau potable et à l'assainissement. Quarante pays se sont associés à cette proposition. Ces normes ISO sont conçues pour aider les autorités publiques et les organismes légalement responsables pour la fourniture de ces services, ainsi que leurs opérateurs, à atteindre des niveaux de qualité de service qui satisfassent mieux les attentes des usagers et les principes du développement durable.

Améliorer la gouvernance, la qualité et l’efficience des services d’eau

L'ISO/TC 224 a été chargé d’élaborer un nouveau type de normes, applicables aux services, comme des normes classiques sont applicables aux produits. Ces normes ont pour but de faciliter le dialogue entre les parties intéressées et de développer une compréhension mutuelle des fonctions et des tâches à remplir. Elles doivent fournir des méthodes et des outils pour définir, au niveau local, des objectifs et des spécifications. Elles doivent permettre d’évaluer et de contrôler les performances des services publics de l’eau et éventuellement, de les comparer entre eux. Elles sont destinées à être appliquées, sur une base volontaire, dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, dans les grandes cités comme dans des petites villes, et ceci indépendamment du statut de l'opérateur, public ou privé. Dans les pays en développement, ces normes aideront à renforcer la capacité des autorités locales à évaluer l’efficience de la fourniture des services.

Assurer un équilibre Nord–Sud

Afnor, membre de l’ISO pour la France, assure le secrétariat du comité technique ISO/TC 224, qui inclut ce jour 25 pays participants et 18 pays observateurs. Parmi les pays en développement, on note la présence de l’Argentine, la Malaisie, le Maroc ou le Nigéria. Y participent également des parties qui ne sont pas habituellement classées parmi les acteurs professionnels de la normalisation : des représentants des administrations nationales, des élus des autorités locales, des organisations de consommateurs, ONG, etc.

Pour élaborer des normes pertinentes à l’échelon mondial, le comité a établi des liens avec plusieurs organisations internationales telles que l’Association interaméricaine d'ingénierie sanitaire et environnementale, l'Association Africaine de l'Eau, Consumers International, l'Union européenne des associations nationales de services d'eau et d'assainissement (Eureau), ou encore l'IWA, l'OMS ou la Banque Mondiale. Pour que ces normes qui puissent être utilisées et mises en œuvre aussi largement que possible, il faut prendre en compte les spécificités des pays du Sud et des zones rurales. Enfin, pour assurer la diffusion d’information la plus vaste possible et des échanges larges sur les travaux du comité, trois forums régionaux ont été organisés, en République de Corée en avril 2004, à Porto Rico en août 2004 et au Maroc en septembre 2004. Ils ont débouché en septembre 2004 sur la création au sein du Comité d’un Groupe “Pays en Développement” animé par le Maroc dont la principale mission consista à s'assurer que les projets de normes prennent bien en compte les spécificités des pays en développement.

Les travaux du comité ISO/TC 224 ont débouché sur trois projets de normes bien avancés.

Trois projets de normes

Le premier groupe de travail, “Terminologie”, a convenu d'un ensemble de 44 termes et définitions associées, à utiliser dans les

[Encart : Le comité ISO/TC 224 / : qui fait quoi? Le comité ISO/TC 224 est présidé par Jean-Luc Redaud, (France). Le secrétariat est assuré par Laurence Thomas (Afnor). Ce comité supervise quatre groupes de travail et un groupe ad hoc : - GT 1 “Terminologie”, Dominique Olivier (France) ; - GT 2 “Service aux usagers” (ISO 25410), Enrique Cabrera (Espagne); - GT 3 “Eau potable” (ISO 25412), Duncan Ellison (Canada) et M.S. Pillay (Malaisie); - GT 4 "Assainissement” (ISO 25414), Karl Rohrhofer (Autriche) et Heekyung Park (République de Corée); - Groupe ad hoc “Pays en développement”, Mounir Zouggati (Maroc).]

trois projets de normes, par exemple : couverture, opérateur, point de livraison, point d'usage, organisme responsable, autorités publiques compétentes, services publics de l'eau, usager, ...

Le second groupe de travail, “Service aux usagers”, a préparé un projet de norme orientée service (ISO 24510), intitulé “Activités de service liées à l'eau potable et à l’assainissement - lignes directrices pour le service aux usagers”. Ce projet comprend un inventaire des besoins et attentes des usagers. Il fournit pour chacun d’eux un indicateur de performance possible et/ou une recommandation de mise en œuvre pour les satisfaire. Les aspects considérés concernent l’accès aux services de l'eau potable et de l’assainissement, la qualité du service (prix, continuité, ...), l’établissement de contrats et la facturation (réponses aux plaintes liées à la facturation, ...), les relations avec les usagers (visites à domicile, participation des usagers, ...), la protection de l'environnement (efficience dans l'utilisation des ressources, impact environnemental, ...), les mesures liées à la sûreté, à la sécurité et aux situations d’urgence, la qualité de l'eau, ...etc.

Le troisième groupe de travail, “Eau potable”, a préparé une norme orientée “management” (ISO 24512) intitulée “Activités de service liées à l'eau potable et à l'assainissement - lignes directrices pour l’évaluation du service rendu pour l’eau potable et pour la gestion des services publics correspondants”. Ce projet traite de tous les aspects liés à l’alimentation en eau potable, depuis le prélèvement jusqu’à la fourniture à l'usager final par branchement chez l’usager ou par d'autres moyens tels que citernes mobiles, bouteilles, ...

[Encart : Objectifs du millénaire : où en sommes nous ? Selon le rapport du Programme conjoint pour l’alimentation en eau et l’assainissement, au cours des 12 années précédant 2002, 1,1 milliard d’habitants supplémentaires ont pu avoir accès à une eau potable améliorée avec un accroissement du taux mondial de couverture de 77 à 83 %. Alors que l’Asie du Sud montre la plus forte progression, passant de 71 à 84 %, l’Asie représente encore deux tiers (675 millions d’habitants) de la population mondiale ne disposant pas d’un accès satisfaisant à l’eau potable. On note une augmentation des populations sans accès dans des zones urbaines de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, résultat d’une urbanisation rapide. L’Afrique subsaharienne a vu son taux de couverture passer de 49 à 58 %, laissant encore 280 millions d’habitants sans accès à l’eau. Cependant, au niveau mondial, le plus grand nombre d’habitants sans accès à une eau sans dangers se trouve dans les zones rurales. Même s’il n’y a pas de données officielles pour mesurer le progrès vers cette cible, des enquêtes suggèrent que la mise en œuvre des plans de gestion intégrée des ressources en eau est inégale.]

Enfin, le quatrième groupe de travail, “Assainissement”, a préparé une norme également orientée “management” (ISO 24511) intitulée “Activités de service liées à l'eau potable et à l’assainissement - lignes directrices pour l’évaluation du service rendu pour l’assainissement et pour la gestion des services publics correspondants”. Ce projet concerne aussi bien les eaux usées domestiques et industrielles autorisées à se déverser dans des réseaux publics, que les résidus sanitaires sous forme non diluée, les eaux usées en réseaux unitaires ou les eaux pluviales en réseau séparé.

Des projets de normes qui reflètent une grande variété de situations

Les normes ISO 24511 et 24512 donneront des orientations pour une meilleure transparence des informations et des responsabilités dans un schéma incluant les autorités publiques compétentes, les organismes responsables, les opérateurs et les usagers. Le choix de ces termes généraux reflète la grande diversité de situations rencontrées à travers le monde pour les services de l'eau : l’organisme responsable est celui qui a la responsabilité légale de l'organisation générale du service public de l'eau et de l’assainissement dans une zone donnée. C’est habituellement une autorité publique locale, mais ce peut être une société publique nationale dans un pays en développement, ou une ONG dans un village en zone rurale, ou une compagnie privée ayant reçu une licence d'un régulateur national.

Ces lignes directrices ne spécifieront pas les rôles respectifs des diverses parties, de même qu’elles ne définiront pas des objectifs précis ou des exigences obligatoires. Elles s’appliqueront aux opérateurs tant publics que privés, et seront neutres vis-à-vis du choix par les organismes responsables concernant l’organisation générale et la gestion.

[Photo : Les lignes directrices proposées par l’ISO TC 224 sont destinées à être appliquées, sur une base volontaire, dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, dans les grandes cités comme dans des petites villes, indépendamment du statut de l’opérateur, public ou privé. Dans les pays en développement, elles aideront les autorités locales à évaluer l’efficience de la fourniture des services.]

tion des services publics de l'eau et de l'as­ sainissement, en particulier vis-à-vis du choix d’avoir recours ou non à des contrats avec des opérateurs privés.

Les projets de normes ISO 24511 et ISO 24512 visent une grande variété de situations concernant les systèmes d’alimentation en eau et d’assainissement, quel que soit leur stade de développement : réseaux collectifs ou semi-collectifs, systèmes autonomes, ins­ tallations de traitement diverses, …

Ces projets commencent par une descrip­ tion rapide des composantes physiques des installations et du système de management des services. Sont ensuite établis des objec­ tifs généraux pour ces services, pertinents à l'échelle mondiale, par exemple : protection de la santé publique, fourniture du service, viabilité de l'organisme assurant le service, protection de l'environnement. Suivent des lignes directrices pour la gestion de ces organismes. Les objectifs sont associés à des exemples d'actions possibles pour les satisfaire. Chaque objectif peut être caracté­ risé par des critères d’évaluation du service correspondant. Finalement, pour chacun de ces critères, il existe une variété d’indica­ teurs de performance qu'il est possible de leur associer pour évaluer la performance du service.

La mise en œuvre de ces normes ISO ne suppose pas l’application des normes ISO de la série 9000 ou 14000. Mais ces lignes direc­ trices sont cohérentes et complémentaires avec ces normes de management de sys­ tèmes.

Les normes ISO 9000 et 14001 traitent essen­ tiellement de processus de management de la qualité et de l'environnement alors que les lignes directrices élaborées par ISO/TC 224 sont plus orientées vers la satisfaction de principes d'organisation et de performances impliquant de multiples acteurs. La mise en œuvre de systèmes de management conformes à ISO 9001 ou ISO 14001 peut faciliter l’application de ces lignes direc­ trices. Réciproquement, celles-ci peuvent aider à définir le contenu technique de tels systèmes de management pour les orga­ nismes qui auraient choisi de les mettre en œuvre.

Les trois projets de normes (ISO 24510, 24511 et 24512) ont été diffusés pour com­ mentaires en mars 2005. Ceux-ci seront exa­ minés lors de la prochaine réunion plénière du comité ISO/TC 224, programmée à Berlin en octobre 2005. ■

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