L?évolution des normes sur les rejets de stations d'épuration, l'exigence de moins consommer d'énergie lors des processus épuratoires impliquent un fonctionnement optimal des installations. L?aération, étape clé d'une step à boues activées n?est réellement optimisée qu'en suivant au plus près les paramètres représentatifs des réactions biologiques : ammonium et nitrates. L?arrivée de sondes fiables change la donne aujourd'hui, y compris pour les petites stations d'épuration.
Dans un article récent (EIN n° 324 p 67), il était rappelé que plus de la moitié des stations d’épuration françaises (sur un échantillon de 1 251 installations) dimensionnées sur la charge polluante maximale, reçoivent, en moyenne, moins de la moitié de la charge polluante nominale pour laquelle elles sont dimensionnées.
Laure Graveleau, ingénieur à la Direction technique de Degrémont, précise que « dans une journée, le rejet doit être maintenu conforme 24 heures sur 24, alors que la charge varie d’un facteur 1 à 3, voire 4 et les paramètres de fonctionnement sont réglés pour la charge maximale ».
Or, la quasi-totalité des stations étudiées ne disposent que de peu de flexibilité pour adapter leur fonction-
Avec pour conséquence, une surconsommation d’énergie et de réactifs, voire dans certains cas des fluctuations sur la qualité des rejets. Entre des bases de dimensionnement restrictives (point de fonctionnement unique) et le manque de moyens pour moduler et optimiser le fonctionnement des installations, les performances énergétiques ont des marges de progrès conséquentes.
La situation devrait s’améliorer dans les années à venir, plus rapidement que le rythme de construction des stations d’épuration et toucher toutes les tailles d’unités jusqu’à des stations de 10 000 équivalent-habitant. Cette amélioration relève d'une part de la meilleure compréhension des mécanismes d’épuration dans le cadre d'un procédé à boues activées et d’autre part de l'utilisation de sondes fiables, les électrodes ioniques spécifiques ISE, pour la mesure en continu des ions ammonium et nitrates. Amélioration motivée par le souci des exploitants de réduire les consommations énergétiques et de réactifs et par l’exigence réglementaire d’améliorer la qualité des rejets des stations d’épuration.
À l'heure actuelle, dans une station d'épuration à boues activées, environ 60 % de l’énergie est utilisée pour l’aération des bassins, le reste est affecté au traitement des boues et à la désodorisation. « L’aération est nécessaire pour trois fonctions : l’élimination de la pollution carbonée, la respiration des boues, l’élimination de l’azote par les mécanismes de nitrification/dénitrification. La première source d’économie dans une step, quelle que soit sa taille,
« La bonne gestion du taux de boues dans les bassins. Pas la peine de se lancer dans une régulation pointue si la gestion des boues n’est pas bonne » affirme Fabrice Nauleau, Directeur de la Recherche et du Développement de la Saur.
Plusieurs configurations de station existent, avec des bassins dédiés aux phases aérée, anaérobie et anoxique ou un seul bassin avec alternance de phases aérée et anoxie, c’est-à-dire injection ou pas d’air dans le bassin (ou mise en route/arrêt de dispositifs d’apport d’air). Cette alternance est encore largement assurée par des dispositifs à horloge (aération d’une certaine durée plusieurs fois par jour) plus récemment par la mesure de l’oxygène dissous résiduel dans le bassin, et celle du potentiel redox. Si la mesure de l’oxygène reflète bien la situation (aérée ou non), celle du potentiel redox est plus délicate à interpréter : la valeur obtenue est la résultante de tous les couples oxydo-réducteurs présents, entre autres celui de l’azote. La mesure vis-à-vis des espèces azotées est donc indirecte. De plus, les sondes redox sont sujettes à dérive. La régulation dans ces conditions est difficile à caler pour le personnel d’exploitation et peu adaptable aux variations de charge.
« Environ un tiers des besoins d’aération en station sert à l’élimination de l’azote (ammonium et nitrate). La seule mesure représentative de la pollution azotée à traiter est celle de l’ammonium en entrée de station. L’activité réelle des boues pour la nitrification/dénitrification est évaluée par la mesure effective de l’ammonium et du nitrate » explique Samuel Martin, responsable recherche développement Assainissement et environnement au Cirsee (Suez Environnement). Laure Graveleau souligne : « la mesure de ces paramètres a deux objectifs : le suivi de la qualité du traitement d’épuration, et l’utilisation de cette information pour moduler l’aération. L’arrivée de sondes fiables, moins chères, simples et avec très peu de maintenance pour la mesure de l’ammonium et du nitrate marque une rupture dans l’exploitation des steps y compris de faible capacité ». Philippe Ribouat, directeur commercial de WTW, fabricant d’analyseurs, confirme : « Depuis un an, on constate un basculement des mentalités : la mesure de l’ammonium et du nitrate est la bonne voie pour moduler l’aération y compris pour des petites capacités de l’ordre de 10000 EH ».
Des outils fiables et bon marché
Cette optimisation et régulation de l’aération par la mesure directe en continu et in-situ de l’ammonium et du nitrate a fait son apparition en France il y a quelques années. Degrémont lance son système Greenbass™ (pour Biological Aeration Sequenced System) basé sur un algorithme breveté utilisant la mesure en continu ammonium et nitrate pour optimiser les apports d’air (débit d’air fixe ou variable). Dijon en 2010 (400000 EH), Tournus (10500 EH) en 2012 bénéficieront de cette régulation. Veolia Eau propose l’outil d’optimisation de l’exploitation AMONIT™ (exemples à Prades – 66 – station de 15000 EH, St Quentin 150000 EH). Ce système permet à l’opérateur de choisir la qualité d’eau de sortie souhaitée sur les nitrates et l’ammonium et de réduire la consommation d’énergie d’aération. Saur n’est pas en reste avec un développement sur une step de 10000 EH et un autre en cours sur Nîmes où deux files de traitement en parallèle seront comparées l’une avec régulation sur l’ammonium, l’autre classiquement en redox. Ce développement en collaboration avec le Cemagref étudiera finement le mécanisme de dénitrification : « il existe
un risque de former du N2O, protoxyde d’azote ou oxyde nitreux, gaz à fort potentiel d’effet de serre. Il ne faudrait pas que la réduction souhaitable de la consommation d’énergie conduise à l’émission de gaz à effet de serre » explique Fabrice Nauleau. Laure Graveleau précise que lors du développement de Greenbass™, les trois paramètres déter- minants d’évaluation pour une même qualité d'eau traitée étaient la quantité d’énergie d’aé- ration, le protoxyde d’azote et l’indice de boue ; en effet, les boues doivent conser- ver une bonne structure pour ne pas per- dre leurs propriétés à la déshydratation. « Greenbass™ a été développé en ayant en tête la fiabilité globale du système d’épu- ration, la qualité de l’eau et celle de la boue sur une step avec une vision d’exploitant (facilité d'emploi des sondes), et pas de recherche » insiste Laure Graveleau.
Cette nouvelle manière de conduire les
Installations vaut le coût : au moins 15 % d’économie d’énergie sur l’aération par rapport à une conduite par redox ! Donc un amortissement rapide, de l’ordre d'une année, voire moins pour de grosses capacités.
La conduite de l’aération en épuration biologique par l’ammonium et le nitrate devient donc une évidence, encore fallait-il disposer d'outils fiables et bon marché pour réaliser cette mesure. Plusieurs constructeurs les proposent : WTW, Hach-Lange, Endress+Hauser, YSI représenté par Anhydre.
Les trois grands opérateurs de l'eau que sont Veolia, Degrémont et Saur Stereau ont testé sur plusieurs années les produits de ces trois fabricants et développé leurs algorithmes. Plusieurs générations d’électrodes se sont succédées et améliorées. On trouve des sondes ammonium, nitrate séparées et aussi des dispositifs où les deux sont disposés sur une platine unique puisque certains algorithmes utilisent les deux mesures : la baisse de l'ammonium par nitrification conduit à l’augmentation des nitrates, qui baisseront en phase de dénitrification.
L’arrivée du plug and play
La mesure en continu des ions ammonium et nitrate s’effectue par électrode spécifique. La spécificité est apportée par une membrane, perméable sélectivement aux ions recherchés ; ensuite la mesure est de type potentiométrique. « Les échecs d’il y a quelques années sur ces électrodes venaient du fait que l'on transposait une électrode de laboratoire sur le terrain avec des eaux très chargées, d’où des problèmes d’encrassement » expliquait Philippe Ribouat.
Les essais de terrain entre constructeurs de sondes et exploitants ont conduit aux générations actuelles qui sont quasiment « plug and play » (reconnaissance de l’électrode, préétalonnage). Le développement ne s’arrête pas à la sonde ; il concerne aussi sa connectique et la transmission d'information exploitable par les automates de régulation.
(transmetteurs). C'est finalement ce qui intéresse le personnel d'exploitation : disposer d'un point de mesure opérationnel. « Chez WTW, ces ensembles se nomment VarionPlus 700 IQ pour la sonde combinée et AmmoLyt Plus pour l'ammonium et NitraLytPlus pour le nitrate ; ils disposent d'une compensation vis-à-vis des ions interférents et de la température. Un kit (sonde, câble, transmetteur) pour un ion coûte environ 5 800 €, pour deux ions sur la même platine 6 200 € ; un seul point de mesure suffit pour un bassin » indique Philippe Ribouat qui revendique aussi une certaine avance de sa société sur ce type de capteur. La maintenance est très limitée, uniquement un changement de membrane tous les six mois voire plus. Hach-Lange est dans le même ordre de grandeur de prix pour les versions combinées mais moins cher pour une mesure (ammonium ou nitrate) environ 4 500 € (sonde plus transmetteur) précise Jean-Pierre Molinier qui rappelle qu’un analyseur ammonium type AMTAX (prélèvement, addition de soude et perméation gazeuse) coûte environ 10 000 €.
Endress+Hauser propose aussi des électrodes spécifiques nitrate et ammonium. Matthieu Bauer remarque que si les membranes sélectives conviennent pour les effluents urbains, elles peuvent être altérées par certains produits chimiques, il faut donc être vigilant sur les stations industrielles et mixtes. Dans ce cas, la mesure optique du nitrate par spectrométrie UV à 214 nm (VioMax CAS 51 D) est préférable selon Matthieu Bauer : « il s’agit d'une mesure en continu – 2 flash UV par seconde – sans interférence ionique, mais avec une compensation vis-à-vis de la turbidité du milieu. Ce capteur est aussi plus cher d’environ 40 % qu’une électrode spécifique ». Ce capteur est en technologie Memosens numérique. Hach-Lange et Tethys Instruments proposent aussi cette mesure par UV, à deux longueurs d’onde pour compenser la turbidité.
Les ISE de Endress+Hauser passeront en 2011 à la technologie Memosens (communication digitale), ce qui simplifiera sur le terrain la communication des différents capteurs.
La précision de la mesure par ISE est de l'ordre de 5 % sur la valeur mesurée, ce qui est suffisant pour la conduite de l'aération. Hach-Lange a été un précurseur dans le développement de ces ISE en Allemagne, pays en avance sur la conduite de procédés par l’ammonium et le nitrate. La société propose les sondes NH₄ D sc (lancée en 2007) NO₃ D sc, pour les nitrates et la sonde combinée ammonium et nitrate AN-ISE se
Les méthodes traditionnelles : un capital d’expériences
Les électrodes ISE arrivent en concurrence avec les méthodes existantes pour lesquelles les exploitants ont beaucoup d’expérience, comme le souligne Samuel Martin, Suez environnement (Cirsee). L'introduction de nouvelles méthodes se heurte aux habitudes. Elles entreront d’autant mieux dans la pratique qu’il y a moins d’habitudes. Leur coût moindre les favorise, notamment par rapport aux analyseurs qui utilisent des réactifs et nécessitent une maintenance relativement importante (bien que tous les constructeurs améliorent les analyseurs) et un personnel plus qualifié. Ces analyseurs en ligne sont proposés par ABB, Seres Environnement, Endress+Hauser, Mesureo, Environnement SA, Macherey Nagel, Anael ou Proanatec utilisent le plus souvent la photométrie après une réaction spécifique produisant un composé coloré dont la concentration est corrélée à celle de l’espèce analysée. Datalink Instruments propose un analyseur combiné compact, l’Ammonit 200, qui mesure à la fois les nitrates et l'ammonium par spectrométrie UV et éventuellement les sulfures sans interférence due aux ions K+ ou Cl-. La mesure de l’ammonium et des sulfures est insensible à l'encrassement même en eaux industrielles.
C’est notamment le cas pour le phosphate et même la seule méthode utilisable (pas d’électrode spécifique pour l’instant). De plus, il existe plusieurs formes de phosphates : orthophosphate et phosphore sous d’autres formes. On trouve du phosphate libre en solution (orthophosphate) dosable directement sur l’eau filtrée, et du phosphate lié à la matière organique déterminé après minéralisation de l’échantillon ; on détermine alors le phosphore total. D'où deux méthodes, la jaune (vanadate-molybdate, coloration mesurée à 380 nm) et la bleue pour le phosphore total (bleu de molybdène mesuré à 880 nm). Pour la détermination du phosphore total, il ne faut pas filtrer puisqu’une partie du phosphore est localisée en partie dans les particules.
WTW propose le TresCon® OP 210 pour la méthode jaune et le TresCon® 510 pour la méthode bleue avec unité préalable de minéralisation. Les plages de mesure vont de 0,05 mg/L à 25 mg/L avec une précision de 2 %.
Hach-Lange propose le Phosphax. « Cet appareil de dernière génération consomme très peu de réactifs qui sont très stables. En faisant une mesure toutes les 5 min l’autonomie est de 4 mois et passe à un an pour une mesure par quart d’heure. Un an sans entretien (les pompes péristaltiques ont disparu) si ce n’est la vérification régulière de la partie prélèvement » insiste JP Molinier.
Datalink Instruments propose un analyseur d’orthophosphates pour eaux usées : le PHOS200. Le concept à large tube évite l’inconvénient des bouchages fréquents observés sur les circuits d’analyse à volumes réduits. Chez Endress+Hauser l'analyseur de phosphate est le Stamolys CA 71 PH, celui d’ammonium est le CA71AM. Chez Anael, l’analyseur de phosphate ou d’ammonium est la série Sentinel.
Au niveau des stations d’épuration, la mesure la plus fréquente est celle des orthophosphates. C’est une mesure qui revient en vogue soulignent plusieurs interlocuteurs : « ceci pour la France car ailleurs en Europe cette mesure est très pratiquée, nous vendons plusieurs centaines d’appareils en Europe et seulement une dizaine par an en France » indique JP Molinier. Il y a certes des restrictions réglementaires vis-à-vis des rejets (2 mg/L voire moins en zones sensibles) pour éviter l’eutrophisation, mais les exploitants veulent d’abord réduire la consommation des réactifs. En effet, s’il est possible de réduire les quantités de phosphate par la biologie (et sans réactif), la voie la plus simple est la précipitation à l’aide de sels ferriques. Pour être sûr que le phosphate est bien éliminé, les exploitants ont tendance à surdoser le réactif avec pour inconvénient la surconsommation (coûts de réactifs et de transport). Des essais menés sur la station d’Evry (250 000 EH) par la Lyonnaise des Eaux en mesurant le phosphate à l’entrée de la step, ont conduit à une baisse de 30 % de la consommation de réactif ; ce qui représente 210 t/an en moins !
Reste qu’on peut améliorer l’élimination du phosphore notamment pour les stations de 2 000 à 20 000 EH comme le mentionne Fabrice Nauleau. « Nous avons développé une offre que nous proposerons courant 2011. Ce sera une offre “à tiroirs” qui s’adaptera en fonction de la taille des stations. Même les stations modestes pourront faire de la déphosphoration ».