Grâce à des analyseurs simplifiés et sécurisés, collectivités et industriels mènent de plus en plus leurs propres analyses pour contrôler leurs ressources ou leurs rejets. À la clé, une plus grande réactivité, des réductions de coûts et moins d'analyses externalisées. Néanmoins, même si les technologies qu'ils utilisent sont souvent les mêmes que celles des laboratoires agréés, cela ne les affranchit pas des analyses réglementaires.
En France, le contrôle sanitaire des eaux distribuées et de loisirs, celui des eaux usées et des rejets industriels est assuré par des laboratoires agréés sous le contrôle des Agences régionales de santé (ARS) qui précisent les paramètres à mesurer selon les usages. Outre les laboratoires départementaux et régionaux qui subsistent et des laboratoires spécialisés tels que Ianesco, Wessling, Cereco ou ALControl, bon nombre des 130 laboratoires accrédités par le Cofrac (Comité français d’accréditation) et agréés par le ministère chargé de la Santé sont désormais regroupés dans deux grosses plateformes d’analyse que sont Eurofins et Carso. Ces laboratoires agréés restent indispensables. De fait, évoquant les traiteurs d’eaux,
Jérôme Porquez de Macherey-Nagel, fabricant de solutions analytiques, rappelle qu’ils ne peuvent pas être juges et parties. « Même si la qualité des analyses qu’ils produisent est comparable à celle des laboratoires agréés puisque les appareils sont souvent les mêmes, ces derniers assurent une métrologie qui garantit la sécurité d’analyse ». Néanmoins, parallèlement à ces prestations réglementaires incontournables, les traiteurs d'eau mènent bon nombre d’analyses dans leurs propres laboratoires. Cela leur permet de développer une autosurveillance pour vérifier leur conformité au quotidien et initier les traitements nécessaires rapidement au lieu d’attendre souvent une semaine les résultats d’un laboratoire. Les paramètres les plus fréquemment mesurés sont DCO, nitrates, nitrites, ammonium, phosphore, pH, pesticides, micropolluants ou molécules dites émergentes (hormones, médicaments...). « Face à cette demande, nous avons simplifié nos tests en termes de manipulation afin de les rendre accessibles à tous, garantissant ainsi des résultats plus fiables et précis, explique Jérôme Porquez. L’analyse n'est plus réservée aux techniciens spécialisés. Nous diminuons aussi les temps de manipulation et de traitement : nos analyses de DCO prennent désormais 30 minutes (au lieu de 2 heures) comme celles en phosphore total ou azote total. Évidemment, pour répondre aux besoins croissants de la plupart des utilisateurs, tous nos systèmes d’analyse offrent une traçabilité conforme aux Bonnes Pratiques de Laboratoire ».
Malgré tout, les coûts d’analyse liés à l’exploitation d’un laboratoire restent raisonnables et ne sont plus l’apanage de grosses structures à l'instar des plus gros laboratoires d’agglomérations chargés du contrôle des eaux (potables et/ou usées), et accrédités pour de nombreuses analyses. D'autre part, si la conscience environnementale croissante et la sensibilité accrue des matériels multiplie les besoins d'analyses, certaines comme la chromatographie (analyse de micropolluants organiques tels que les pesticides ou les résidus médicamenteux), restent complexes. Les laboratoires agréés auront donc toujours de quoi faire !
Des solutions rapides et automatisées
Les exploitants mènent la plupart de leurs analyses de façon continue, et de plus en plus souvent de façon séquentielle. De nombreux fabricants comme Thermo Fisher Scientific, Hach-Lange, Shimadzu, Macherey Nagel, Secomam, S::Can, Anael, VWR, AMS Alliance, Hanna Instruments, Heito, Bürkert, Mesureo, Aqualyse, WTW, Metrohm... proposent des analyseurs.
Les méthodes sont progressivement simplifiées et automatisées à l'instar des kits
Les systèmes d’analyse spectrophotométrique de Macherey Nagel permettent de mesurer DCO, matières azotées ou phosphorées pour tout type d’utilisateurs. Le dernier né, le Nanocolor UV/VIS II, présenté au salon Pollutec 2014, offre une nouvelle facilité d'utilisation grâce à une interface comparable aux smartphones et tablettes tactiles. L'intégration de la mesure de la couleur, de la turbidité ainsi que de tous les tests Nanocolor ouvre la voie à de nombreuses applications en analyse de l'eau. Jérôme Porquez rappelle que ces kits (méthodes normalisées ISO dites alternatives aux méthodes normalisées Afnor) sont désormais reconnues en France.
Chez Thermo Fisher Scientific, les analyseurs séquentiels photométriques et électrochimiques Gallery et Gallery Plus sont adaptés à l'autosurveillance des eaux usées, de consommation, de surface ou naturelles. L'analyseur Gallery Plus peut évaluer 54 échantillons et 42 réactifs simultanément, soit jusqu'à 350 tests par heure. Le système photométrique du Gallery exploite une technologie basée sur des cellules unitaires permettant de réduire la durée des analyses. Les applications sont basées sur des mesures photométriques, la plage de longueurs d’ondes couverte par les différents filtres s'étend de 275 nm à 880 nm.
Le Robotic Titrosampler 855 de Metrohm permet, quant à lui, de mesurer pH, chlorures, fluorure, conductivité, turbidité avec une préparation automatique des échantillons, un nettoyage et un conditionnement automatique du capteur et un fonctionnement autonome grâce à l'unité de commande Touch Control 900 ou au logiciel de titrage tiamo.
LAP 3900 d’Hach-Lange est un robot de laboratoire pour l’analyse de l'eau, préparation des échantillons incluse. La version de base mesure DCO, phosphore total, azote total, ammonium, nitrate et nitrite. Cet équipement exécute le traitement des paramètres critiques DCO, le phosphore total et l’azote total simultanément à l'aide de tests en cuve préprogrammés. Le logiciel de contrôle garantit la séquence optimale pour traiter tous les échantillons, afin de minimiser le délai total d’obtention des résultats en gérant la préparation des échantillons, la digestion des échantillons complexes, les temps d'attente et les mesures. Il est possible d’ajouter des échantillons au fur et à mesure, même lorsque la séquence est en cours d’exécution. L’état actuel de l’analyse est accessible à tout moment d’un simple clic de souris. Rapide et simple d'utilisation, ce système permet aux utilisateurs non avertis de saisir toutes les informations nécessaires grâce à son logiciel convivial.
Autre innovation visible à Pollutec 2014 : l'analyseur modulaire miniaturisé de Bürkert permettant de surveiller un réseau d’eau potable ou une sortie de station. « Nos différents modules de mesure miniatures (8905) peuvent être plugés comme un jeu de Lego pour contrôler jusqu’à cinq paramètres (pH, conductivité, redox, turbidité, chlore), explique Olivier Bertrand. Grâce à cinq années de développement en matière de microsystèmes et microfluidique, nos capteurs ont la taille d’une carte SIM et chaque kit d’analyse consomme 3 à 6 litres d'eau par heure, environ cinq fois moins que les sondes conventionnelles ». Ce système 8905 est porteur de deux avancées : la compacité liée à la miniaturisation de la technologie et la communication multi-hybride. Il rend possible l’analyse des paramètres importants sur une plate-forme unique permettant de mesurer simultanément le chlore, le pH, l'ORP (Oxidation-Reduction Potential), la conductivité et la turbidité. L’utilisateur peut contrôler les valeurs clés du process de traitement de l’eau sur un seul écran. Les connexions WLAN et GPRS autorisent une bonne accessibilité des données de mesure et un paramétrage simple.
La modularité est apportée par les microsystèmes issus des nanotechnologies conçues en salle blanche. La technologie multi-hybride permet de faire communiquer une carte électronique standard intégrant les puces MEMS et les pièces mécaniques. La technologie MEMS permet d'effectuer des mesures en temps réel et en continu. Ces analyseurs sont testés sur une dizaine de sites européens. Ils nécessitent peu de maintenance et leur fonctionnement numérique permet de faire facilement des diagnostics. Seule précaution : l’eau doit être peu chargée.
Ces analyseurs devraient notamment intéresser les exploitants soucieux d’instrumenter leurs réseaux : « ils permettront de piloter le réseau, déclencher des pompes, fermer des vannes en fonction du suivi en continu 24 h/24 de la station de pompage aux nœuds de distribution », précise Olivier Bertrand. Bürkert développera d’autres kits d’analyses. L’analyseur 8905 pourrait aussi être appliqué aux eaux de process.
Toujours à Pollutec 2014, le SmartChem 600 d’AMS Alliance, fabricant historique d’analyseurs flux continus et séquentiels, est dédié à l’analyse séquentielle pour de gros laboratoires, pour des volumes conséquents d’analyses (600 tests/h) et des seuils de détection très faibles de nitrates, nitrites, ammoniaque, phénols, phosphates, cyanures, détergents, chrome VI… Un rack de chargement de 200 échantillons permet de multiplier les analyses et de lancer de grandes cadences à l’avance. De nouveaux tubes équipés d’un bouchon spécial permettent de préserver l’intégrité des échantillons et des contrôles. Un lecteur de codes-barres simplifie et automatise la gestion des échantillons et réactifs. Avec un trajet optique de 6 à 10 mm, il est possible d'obtenir de meilleures limites de quantification, donc des résultats plus précis. L’appareil est compact et trouve sa place facilement dans tous les labos. AMS Alliance développe aussi depuis une dizaine d’années deux appareils (SmartChem 140 et 200) dédiés aux exploitants, avec des capacités moindres, pour qu'ils puissent mener leurs analyses de façon autonome et économique et gagner en réactivité. « Les technologies sont les mêmes, affirme Laurent Clousier, des appareils très simples d’utilisation, ne nécessitant aucune formation. Il suffit de prendre les échantillons, »
de les poser dans l'appareil, mettre les réactifs fournis et prêts à l'emploi, puis préciser les paramètres à analyser. Le même appareil peut être utilisé pour des eaux plus ou moins chargées (potables, de process, usées). En pratique, 50 à 70 échantillons peuvent être analysés à l'heure. Le coût d'analyse est très faible (5 à 10 centimes d'euros par test), 5 à 10 fois moins qu'une analyse en laboratoire externe ». L'exploitant peut ainsi multiplier les analyses sans surcoût et avec des résultats rapides au fil des besoins. En 10 mn, un profil de 5 à 6 paramètres peut être obtenu sur un appareil étalonné. « Ces méthodes sont en cours de normalisation, poursuit-il : cela évitera aux exploitants qui souhaitent une accréditation Cofrac de monter un dossier maison ». Comme les méthodes manuelles ou en flux continu, les méthodes séquentielles gagnent ainsi en légitimité. « Ces normes existent déjà pour les eaux propres et eaux usées pour les nitrates, nitrites ou ammoniaque, ajoute Laurent Clousier. Même sans accréditation, elles apportent aux exploitants une certaine sécurité, simplement par le fait d'utiliser la même méthode qu'un laboratoire accrédité ».
Shimadzu propose de son côté une approche globale des problématiques rencontrées par les laboratoires de contrôle de l'eau. En effet, la large gamme d'instruments que propose Shimadzu (TOC labo, TOC en ligne, analyse élémentaire, spectrométrie de masse, spectroscopie...) permet de répondre à la plupart des besoins. Shimadzu met au service de ses clients son équipe « Support Applications » composée d'une dizaine d’ingénieurs venus d'horizons divers pour les aider à définir leurs besoins et à concevoir le système analytique qui répondra parfaitement à leurs exigences. L'entreprise peut aussi les assister pour tout ou partie de leurs développements de méthodes et leur fournir des solutions clé en main allant de la préparation de l'échantillon jusqu'au traitement des données.
Gagner en réactivité
Parmi les analyseurs assurant un gain certain en réactivité, le QuickCODLAB d'Anael permet une mesure en ligne de la DCO dans les eaux pures, de process ou de rejets. L'analyse est faite par oxydation thermique à 1 200 °C sans catalyseur, en 4 mn contre plus de 2 h avec les méthodes normalisées.
De plus, elle n'utilise aucun réactif, ce qui supprime la gestion des déchets dangereux dans les rejets. Anael propose aussi une méthode pour analyser les hydrocarbures.
Dans l’eau, par fluorescence UV, le FluoroCheck II est adapté aux eaux de surface, eau potable, de rejets ou en entrée ou sortie de traitement.
En revanche, les analyses de polluants émergents, pour la plupart encore non réglementées, ou d’éléments à l'état de traces (métaux lourds, arsenic, mercure...) doivent être menées avec des appareils sophistiqués (chromatographes, spectromètres, plasma) capables de séparer les molécules d’un mélange. Ces appareils sont proposés par Thermo Fisher Scientific (ICE 300 Series AA, iCAP 7000 Series ICP-OES, iCAP Q ICP-MS), Metrohm (930 Compact IC Flex), Shimadzu (ICPE-9800 PA-7000) ou Macherey Nagel (Nucleoshell). Ils sont pour l'instant réservés à des laboratoires d’une certaine taille. « Dans 20 ans, ils seront peut-être utilisables en autocontrôle, avance Jérôme Porquez de Macherey Nagel. Qui sait ? »
En attendant, d’autres méthodes, assez simples à mettre en œuvre, se développent pour surveiller les micropolluants ou une molécule spécifique (pesticides, hormones, médicaments, cyanotoxines, résidus chimiques...) lorsqu’un risque a été identifié.
En ce qui concerne les micropolluants et les perturbateurs endocriniens, la société WatchFrog propose une solution éprouvée par les agences de l'eau, les collectivités et les industriels. Des larves sentinelles de l'environnement s’allument en fluorescence quand une eau contient des micropolluants. Les analyses WatchFrog permettent d’évaluer le fonctionnement des stations d’épuration et l'efficacité des traitements en fonction des conditions environnementales. Les résultats livrés peuvent être utilisés pour adapter les traitements mis en œuvre et ainsi contribuer à la maîtrise des coûts d’exploitation.
Commercialisés en France par Novakits, PME nantaise créée en 2008, les kits Elisa utilisent les technologies de partenaires, notamment d’Abraxis. Pour chaque contaminant, cette société américaine développe les anticorps correspondants et conçoit le test immunologique permettant de reconnaître la molécule cible. « Nous proposons des tests aux laboratoires pour une trentaine de molécules en environnement désormais, explique Sylvain Enguehard, fondateur de Novakits. Les opérateurs portent de plus en plus d’attention à ces contaminants qui préoccupent l’opinion publique et pour lesquels il n’y avait pas jusque-là de solution analytique simple. Nos kits Elisa permettent de mener beaucoup d’analyses à moindre coût. »
Un prélèvement de 50 à 100 µl d’eau de surface, du robinet ou distribuée, filtrée si besoin, est déposé dans les puits d’une microplaque avec l’anticorps cible. Un format en tube avec anticorps fixés sur des particules magnétiques est de mise en œuvre plus aisée sur site. Après 30 minutes ou une heure d’incubation et un lavage au moyen d’une pissette, le substrat réagit avec l’enzyme lors de la réaction et génère une coloration en fonction de la concentration en contaminant, mesurée via un lecteur de densité optique.
Ces kits permettent de détecter des pesticides (glyphosate, triazines, métolachlore...), des résidus chimiques (bisphénol A, triclosan, carbamazépine), des hormones ou encore des toxines d’algues (cyanotoxines qui font l'objet d'une vigilance accrue comme la microcystine, la cylindrospermopsine ou l’anatoxine-a).
Le test pour cette dernière molécule est disponible depuis 2014, fruit d’un brevet du CNRS sur lequel Abraxis a pris une licence. D’autres suivront assurément.