Une synthèse du fonctionnement de la première unité d'Oxydation par Voie Humide (OVH) en France pour le traitement de boues d'épuration municipales est proposée dans cet article. L?intérêt technique de l'OVH associant minéralisation et réduction maximale des boues, innocuité des gaz rejetés, et valorisation des technosables a été confirmé. L?exploitation industrielle durant ces 3 dernières années a permis de confirmer les performances, la disponibilité de l'unité, la technologie, ainsi que les coûts de fonctionnement et les besoins de personnel.
Face à la problématique boues et aux difficultés actuelles des filières traditionnelles d’évacuation des boues, la voie thermique pour l’élimination des boues peut s'avérer intéressante, voire incontournable dans certains cas. Les voies d’élimination des boues de station d’épuration peuvent faire appel aux techniques d’incinération, de pyrolyse ou d’oxydation par voie humide (OVH).
L’objet de cet article a pour but d’apporter, après trois années d’exploitation industrielle, une synthèse du fonctionnement de la première unité OVH en France basée sur
Tableau 1 : Conditions de fonctionnement Athos de Toulouse
Conditions de service | |
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Température de service : | 235 °C |
Pression de service : | 44 bars |
Temps de séjour : | 1 h |
Capacité de traitement | |
Débit volumique horaire : | 3 m³/h |
Capacité : | 1 000 t MS/an |
Capacité équivalente : | 5 000 EQH |
Caractéristiques boues | |
Type de boues : | Biologiques/Mixtes |
Concentration matières sèches : | 45 g/l |
Fraction volatile : | 80 % |
DCO : | 60 g/l |
NTK : | 2,5 g/l |
PCI : | 6 000 kcal/kg MS |
Disponibilité unité | |
Disponibilité unitaire annuelle : | > 90 % |
Disponibilité maximale unitaire : | 88 % sur 8 semaines |
Le procédé Athos proposé par OTV pour le traitement de boues d’épuration municipales.
Cette unité, basée à Toulouse sur le site de Ginestous, traite environ 1/10ᵉ des boues de la station. Elle a été mise en route en 1998, avec comme objectifs de servir de plateforme de démonstration, de base de développement industriel pour vérifier les performances précédemment obtenues à échelle réduite.
Description du procédé
Principe OVH
Le procédé Athos se base sur des réactions chimiques d’oxydation en phase liquide [1], qui au même titre que l’incinération est une technique de destruction de la matière organique mais avec des schémas réactionnels fondamentalement opposés dans leur principe [2].
L’OVH consiste en une oxydation à l’air ou à l’oxygène, en une réaction en phase aqueuse à températures et pression élevées (de 150 à 330 °C et 20 à 210 bar) entre la matière organique dispersée dans de l’eau et l’oxygène dissous. Les procédés de type OVH sont relativement anciens et ont été développés à l’échelle industrielle pour différentes catégories d’effluents liquides [3-4].
Procédé Athos
Issu de travaux de recherches commencés il y a plus de 12 ans [5-6], le procédé Athos (figure 1) se base sur les particularités suivantes :
- Minéralisation poussée : plus de 80 % de la matière organique est détruite avec production de technosables à une teneur de COT < 5 %.
- Conditions de service « douces » : l’utilisation d’un catalyseur à base de cuivre abaisse les conditions sévères de température et de pression généralement nécessaires à ce type de réaction.
- Sécurité d’exploitation accrue : conception du point d’injection de l’oxygène dans les boues et une hydrodynamique associée à un réacteur complètement agité assure une exploitation en toute sécurité.
- Production d’un effluent liquide biodégradable : le niveau de biodégradation aérobie est de l’ordre de 90 à 95 %.
- Une conception d’échangeurs de chaleur permettant une plus faible fréquence de nettoyage.
- Une dissociation du temps de séjour hydraulique et du temps de séjour des solides.
Fonctionnement de l’unité
Historique de l’unité
Cette première unité en France dans le domaine de l’OVH appliquée au traitement des boues urbaines a été mise en route en 1998. Après trois années de développement industriel 5 j/7 à la recherche d’une fiabilité des équipements, cette unité fonctionne depuis janvier 2002 en marche industrielle 7 j/7 avec un total de 3 personnes organisées en équipe pour assurer à la fois l’exploitation, la maintenance et la gestion de cette unité. Sur le plan de l’exploitation uniquement, l’unité est conduite avec une personne en journée et une astreinte organisée de nuit et de week-end.
Conditions de fonctionnement
Les conditions de fonctionnement propres à l’unité Athos de Toulouse sont résumées dans le tableau 1.
Performances
Bilans matières
Les bilans matières entrée/sortie de l’unité sont présentés de manière détaillée dans la figure 2.
Les bilans matières montrent, comme attendu, que la réaction chimique de minéralisation mise en jeu n’est pas complète. En effet, les retours liquides contiennent une matière organique biodégradable (acide acétique) et de l’oxygène en excès dans les gaz, introduit stœchiométriquement par rapport à la DCO entrante. L’azote organique est partiellement oxydé en azote moléculaire et transformé en ammoniac soluble, produit par des réactions d’hydrolyse. Enfin, plus de 75 % du phosphore total entrant précipite durant la réaction et se retrouve ainsi dans les technosables.
technosables est inférieure à 5 % sur sec, mettant ainsi OVH au même niveau que l'incinération vis-à-vis de la qualité du résidu. La réduction de boues au cours du processus est pratiquement maximale puisque le taux de réduction de boues par rapport à l'entrée est supérieur à 97 %.
Minéralisation
L’évolution des demandes chimiques en oxygène à l’entrée et à la sortie du procédé Athos sur une période de deux ans est présentée (figure 3).
L’efficacité d’élimination de la DCO reste pratiquement supérieure à 80 %. Si la DCO entrante présente des variations importantes entre 35 et 85 g/l avec une moyenne située vers 50 g/l, la DCO de sortie reste stable vers 8 g/l de moyenne.
Il apparaît ainsi que le procédé OVH Athos supporte sans difficultés les possibles variations de charge à l’entrée sans dégradation du rendement de minéralisation.
Échangeurs
La conception particulière des échangeurs Athos transférant la chaleur entre la boue et l'eau surchauffée permet d’atténuer les inconvénients connus d’encrassement et des arrêts de production pour nettoyage chimique. Ceci est rendu possible d'une part par l'exposition d'un seul côté seulement de l’échangeur à un fluide sale circulant à forte vitesse, et d’autre part, par un jeu de vannes automatiques permettant une bascule process des deux échangeurs. C’est-à-dire que le réchauffeur peut ainsi jouer le rôle de refroidisseur et inversement pour le refroidisseur. Cette bascule process permet aux tubes du réchauffeur de boues d’être partiellement nettoyés par le fluide traité contenant des particules minérales et abrasives.
Cet “auto-curage” des échangeurs permet de prolonger la durée d’exploitation en conditions autothermiques par au moins un facteur trois.
Les avantages des échangeurs sont présentés à la figure 4.
Effluents Athos Toulouse
Retours en tête
Le tableau 2 décrit les principales caractéristiques des flux de retours en tête de station.
Les fractions carbonées et azotées non biodégradables sont également présentées.
Les retours liquides en tête de station sont composés des flux de surverse décanteur et filtrats de déshydratation. La DCO résiduelle aisément biodégradable contient majoritairement de l’acide acétique. Ce composé, à faible chaîne moléculaire, reconnu réfractaire à une oxydation ultime dans ces conditions, présente toutefois une source carbonée idéale pour tout procédé biologique. La charge azotée peut être traitée sur la file eau ou in situ sur l'unité Athos par stripping suivi d'un traitement catalytique. Cette dernière solution est en cours d’études de réalisation sur l'un des projets Athos. Le stripping de l’azote peut permettre d’abaisser la charge d’azote des retours de 70 à 75 %.
Tableau 2 : Caractéristiques des retours Athos en tête de station (sans stripping de NH3)
Température, °C | 40 (min) – 45 (moyen) – 60 (maxi) |
DCO, g/l | 4 – 8 – 11 |
DCO dure, g/l | 0,6 – 0,8 – 1,1 |
Acide acétique, g/l | 3 – 4,2 – 5 |
NNH4+, g/l | 0,8 – 1,2 – 1,6 |
Phosphates, mg/l | 345 – 483 – 572 |
MES, mg/l | 40 – 200 – 400 |
Gaz de réaction
Les gaz de réaction extraits du réacteur subissent une première étape de refroidissement par condensation partielle dans une colonne à jet. Les gaz ainsi refroidis, contenant la vapeur d'eau résiduelle et les incondensables, subissent un traitement thermique par catalyse à 550 °C avant rejet à l’atmosphère (figure 5).
Les gaz ainsi rejetés à l'atmosphère sont des
Gaz propres sans dioxines et autres polluants organiques ou minéraux. Le CO₂ rejeté à l’atmosphère est pratiquement sept fois plus faible que celui qui serait rejeté par l’incinération de la même quantité de MS. Ceci s’explique par les réactions de minéralisation en phase liquide de l’OVH où le CO₂ produit est en équilibre avec des carbonates et bicarbonates partiellement précipités.
Tableau 4 : Synthèse des résultats obtenus (mg/kg MS ; L/S = 10)
As |
Ba |
Cd |
Cr total |
Cu |
Hg |
Mo |
Ni |
Pb |
Sb |
Se |
Zn |
Chlorures |
Fluorures |
Sulfates |
COT sur éluat |
Fraction soluble |
ND : non détecté
Résidus
Au cours de l’année 2003, un programme de caractérisation poussé des résidus de l’OVH issus de l’unité Athos de Toulouse a été réalisé en collaboration avec le CReed afin d’identifier les voies d’élimination à envisager pour ce type de résidus.
Caractérisation minéralogique et structurale
L’analyse granulométrique, couplée avec un examen au microscope optique montre que la particule moyenne d50 est de l’ordre de 17 μm. Des micro-agglomérats de micro-grains, observés au microscope électronique à balayage, présentent une micro-porosité élevée. L’analyse minéralogique qualitative par diffraction des rayons X met en évidence les phases cristallisées suivantes, par ordre d’importance : quartz, calcite, hydrocalumite (Ca₂Al₂O₆Cl₂·10H₂O/3CaO·Al₂O₃), phosphate de calcium et de magnésium, whitlockite (Ca₃(PO₄)₂) et autres minéraux phosphatés, hématite (Fe₂O₃).
Lixiviation et tests d’écotoxicité
Une batterie de tests d’écotoxicité a été réalisée pour évaluer la dangerosité du résidu vis-à-vis de l’environnement. Les essais retenus sont ceux actuellement considérés dans les discussions en cours au niveau du Ministère de l’Écologie et du Développement durable concernant les critères et méthodes d’évaluation de l’écotoxicité des déchets. Les éluats sont obtenus suivant le protocole de lixiviation pr EN 12457-2. Des seuils provisoires d’acceptabilité pour le classement des déchets d’après leur dangerosité ont été émis par le Ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement en janvier 1998 (Critères et méthodes d’évaluation de l’écotoxicité des déchets – MATE – 1998). Sur la base de ces résultats, l’application de la méthodologie à suivre pour le classement d’un déchet relevant d’« entrées miroirs » proposée par la circulaire n° 264 du 3 octobre 2002 mettant en œuvre le décret n° 2002-540 du 18 avril 2002 relatif à la classification des déchets permet de classer le résidu OVH provenant de l’unité de Toulouse de boues étudié en déchets non dangereux.
Valorisation des résidus minéraux
La définition des filières de valorisation possibles nécessite avant tout de caractériser les technosables au niveau de leur structure physique et de leur composition chimique. Compte tenu de la nature des résultats de caractérisation décrits précédemment, plusieurs voies de valorisation peuvent être envisagées (Figure 6).
Mais il apparaît que la valorisation en génie des matériaux de préfabrication est la voie la plus propice à la valorisation des technosables Athos, soit en tant que filière pour optimiser la compacité des matériaux, soit en valorisant sa structure argileuse par incorporation dans la fabrication de briques ou de granulats.
Cette dernière voie a fait l’objet de tests réalisés au Centre Technique des Tuiles et Briques (CTTB) sur des échantillons de technosables provenant de l’unité de Toulouse. Ces tests ont montré la faisabilité technique et environnementale de taux d’incorporation de l’ordre de 10 % dans la matrice argileuse.
doivent maintenant être validés à l’échelle industrielle avec les différents technosables qui seront prochainement produits par les usines en cours de construction.
Coûts de fonctionnement
La figure 7 présente la répartition des coûts de fonctionnement de l’unité Athos de Ginestous, qui s’élève à 488 €/TMS. La part due aux charges variables (réactifs et électricité) est la plus importante avec le poste personnel (32 %). Ce dernier poste devrait être considérablement réduit si l’exploitation est intégrée dans la structure d’exploitation de la STEP. Les coûts de maintenance hors amortissements représentent près de 17 % du coût total. Le poste divers, à hauteur de 16 %, représente les coûts fixes de location de quelques équipements, frais analytiques, contrôles réglementaires et d’assurance ainsi que les coûts de gestion et d’administration.
Industrialisation
L'industrialisation du procédé Athos depuis le début des années 2000 a conduit à quatre nouvelles unités en cours de réalisation. Ces unités Athos installées à Bruxelles (Belgique) [7], Trucazzano (Italie), Épernay (France), Seine-Aval (France) doivent être mises en route entre 2005 et 2007.
Conclusion
L’expérience d'exploitation industrielle de la première unité OVH (Athos) pour le traitement thermique de boues municipales a permis d'atteindre les objectifs attendus pour l'industrialisation du procédé. Parmi les points techniques essentiels obtenus : les retours présentent une grande biodégradabilité et sans nuisances particulières, une disponibilité et une fiabilité satisfaisantes, les gaz de réaction présentent l’avantage de réduire les quantités de gaz à effets de serre émis à l’atmosphère par rapport à l’incinération.
La technique de l’oxydation par voie humide apparaît d’ores et déjà comme une solution prometteuse pour une alternative à l'incinération pour le traitement des boues d’épuration.