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Bioréacteur à Membranes en boucle externe : un outil pour produire moins de boues

28 février 2003 Paru dans le N°259 à la page 39 ( mots)
Rédigé par : Emmanuel TROUVÉ, Jan CERNOCH, Vincent CHAMBOLLE et 1 autres personnes

Le traitement biologique des eaux résiduaires industrielles conduit à la production de boues en excès dont la destination ultime pose souvent plus de problèmes qu'en traitement des eaux usées domestiques : composition des boues incompatible avec l'épandage en agriculture ou le compostage, volume et/ou caractéristiques physico-chimiques des boues rendant obligatoire un transport et/ou un traitement sur un site spécialisé souvent éloigné. Mettre en ?uvre le bon outil de traitement biologique des eaux et choisir les bons paramètres de fonctionnement permet de réduire à la source la production de boues en excès d'un facteur 3 à 10, comme en témoigne le retour d'expérience des Bioréacteurs à Membranes en fonctionnement depuis plusieurs années en Europe.

La problématique des boues, principal sous-produit de l’épuration des eaux usées, n'est pas nouvelle : il ne s'agit pas ici de revisiter de façon exhaustive tous ses enjeux (scientifiques, techniques, économiques, ...), mais plutôt de réfléchir aux premiers retours d'expériences réussies de réduction à la source de la production de boues biologiques en excès lors du traitement d'eaux résiduaires industrielles par Bioréacteur à Membranes. À une simple description d'installations, nous avons préféré passer en revue l'emploi des principaux leviers utilisés pour maîtriser la production de boues en excès, même si l'ensemble de nos observations (plusieurs sites, différents effluents) ne constitue pas un socle de données structurées pour quantifier séparément l'impact de chaque facteur sur la réduction de la production de boues.

Rappel des enjeux “boues” pour un industriel

Pour un industriel, la gestion de l'eau sur son (ses) sites comprend des actions en amont (économies d'eau, recyclages & réutilisations) et un traitement des eaux finalement rejetées : ce dernier conduit obligatoirement à la production de sous-produits de l'épuration dont le principal est constitué des boues en excès, en particulier dans les procédés de traitement biologiques.

Les principales questions qui se posent alors à lui sont :

  • * Quelle sera la destination ultime pérenne pour mes boues ?
  • * Quels stockages intermédiaires sont nécessaires ?
  • * Quels sont tous les coûts associés aux boues (stockage, enlèvement, traitement, prise en charge ultime) ? Comment ces coûts vont-ils évoluer dans la prochaine décennie ?
  • * Quelles sont les exigences réglementaires actuelles ? Comment vont-elles évoluer à court / moyen terme ? Leur application va-t-elle se durcir dans la prochaine décennie ?
  • * Quel impact pour mon image ? (bon en cas de prise en compte maîtrisée, mauvais en cas de problème “boues”).

Devant une telle problématique, une des approches les plus prudentes et pragma

tiques consiste à tout mettre en œuvre pourlimiter autant que faire se peut la productionde boues.

Nous présentons ci-après les premiers fruits d'une expérience de mise en œuvre de solutions pour réduire la production de boues biologiques en excès lors du traitement biologique d’eaux résiduaires industrielles (ERI) : il s'agit seulement d’apporter une modeste pierre à l’édifice en partageant des retours d’expérience sur des leviers utilisés à l’échelle industrielle pour réduire la production de boues biologiques en excès.

Les leviers pour réduirela production de bouesà la source

Leviers du 20ᵉ siècle

  • * Moins dépolluer l’eau

De façon simplifiée, dépolluer des eaux usées, c’est chercher à en retirer les substances, les particules et objets divers qui ont été mélangés à l'eau lors de son usage ; pour ne prendre que l’exemple du carbone, en traitement aérobie, il n’y a que trois destinations possibles pour les substances carbonées dissoutes ou de petite taille : l’oxydation en gaz carbonique, la production de nouveaux matériaux cellulaires (les boues) ou rester dans l'eau traitée. Pour produire moins de boues biologiques en excès, tout en limitant fortement les dépenses liées à l’oxygénation, il suffit donc de maximiser la pollution restant dans l'eau traitée. Ce levier offre un potentiel limité à environ 20 % de réduction de la production de boues, mais il présente des limites évidentes, et son usage semble donc en voie de diminution.

  • * Ne pas confiner les boues dans le système d’épuration des eaux

Toujours de façon simplifiée, le traitement biologique des eaux usées utilisant des microorganismes pour catalyser les réactions de transformation de la pollution dissoute ou colloïdale, une étape de séparation entre eau traitée et microorganismes est indispensable, une fraction des boues ainsi isolées et concentrées étant extraite définitivement du système (ce sont les boues biologiques en excès) pour maintenir une masse de microorganismes “dépollueurs” proportionnée au flux de pollution à traiter. Pour extraire moins de boues biologiques en excès, tout en limitant fortement les dépenses liées à l’oxygénation, il suffit donc de réaliser une rétention imparfaite des microorganismes pour en laisser filer une partie dans l'eau traitée, soit sous forme de petite fuite régulière, soit sous forme de fuite massive à l'occasion d’événements favorables (orages…). Ce levier nécessite l'absence de membranes comme outil de séparation ; il offre un potentiel de 10 % à 70 % de réduction apparente de la production de boues, mais il présente des limites évidentes, et son usage semble donc en voie de diminution.

[Photo : Le bon réglage des paramètres biologiques offre un très fort potentiel pouvant atteindre une réduction de la production de boues biologiques d'un facteur 3 à 10, mais il requiert impérativement de disposer du bon outil correctement dimensionné et exploité]

Leviers du 21ᵉ siècle

  • * Augmenter le temps de séjour de la biomasse et diminuer la charge massique

Régler les paramètres clés de l’outil de traitement biologique des eaux hors de la phase de croissance exponentielle des microorganismes est indispensable pour assurer une très faible production de boues biologiques en excès lors de la biodégradation des matières polluantes (Bouillot, 1988 ; Chaize, 1991) :

  • - la fourniture d’O₂ doit être non limitante : l'énergie économisée sur l’oxygénation peut se payer en boues ;
  • - le temps de séjour de la biomasse (TSB) doit être très élevé, soit plus de 50 à 60 jours ;
  • - la charge massique (Cm) doit être faible, soit moins de 0,15 kg DCO par kg BIOMASSE (MVS).

Seul l’outil Bioréacteur à Membranes permet, grâce au découplage total entre temps de séjour hydraulique et temps de séjour biomasse d’une part, et grâce au confinement absolu des microorganismes dans le système d’autre part, d’obtenir et de maîtriser de façon fiable de tels réglages des paramètres biologiques dans de faibles volumes. Dans le cas de la station MBR de Hutchinson en Tchéquie, le TSB est de 80 jours et la Cm de 0,12 kg DCO par kg BIOMASSE (MVS), cette combinaison conduisant à une production de boues biologiques de 0,04 kg MES par kg DCO éliminée depuis l'atteinte de l'état pseudo stationnaire (2 TSB à pleine charge, concentration en biomasse fluctuant peu autour de sa valeur pivot de 14 kg/m³).

Parmi les autres outils disponibles pour la mise en œuvre de ces réglages des paramètres biologiques, citons les cultures fixées et les lits à macrophytes, mais le confinement des microorganismes — donc le TSB — n'est pas totalement maîtrisé, et les volumes ou espaces requis pour leur implantation restent importants voire très élevés.

Ce levier — le bon réglage des paramètres biologiques — offre donc un très fort potentiel pouvant atteindre une réduction de la production de boues biologiques d'un fac-

Le traitement des boues de Bioréacteur à Membrane

[Encart : texte : L’emploi combiné des leviers de réduction de la production de boues en Bioréacteur à Membrane conduit à une extraction de boues beaucoup plus faible en volume, et dont les caractéristiques physico-chimiques sont inédites, en particulier une forte minéralisation (environ 50 % de MVS sur les MES). Le traitement des boues a été adapté pour mener à bien leur déshydratation : sur Hutchinson, la séquence mise au point assure une siccité de 25 % en sortie du filtre-presse.]
[Photo : opérateur utilisant un filtre-presse]

teur 3 à 10, mais il requiert impérativement de disposer du bon outil correctement dimensionné et exploité ; son usage est en pleine expansion, non sans difficulté tant il remet en question les référentiels de dimensionnement et les pratiques en exploitation.

Agir sur les facteurs du milieu

Il est démontré depuis longtemps (PIRT, 1965) qu’il est possible d’orienter le métabolisme des microorganismes épurateurs vers l’utilisation des substrats (les pollutions carbonées, azotées, …) pour des réactions de résistance à des conditions défavorables de leur milieu de culture, et ceci au détriment de la fabrication de nouveaux matériaux cellulaires pour leur multiplication (la production de boues biologiques). Parmi les différents « stress » déjà mis en œuvre à l’échelle industrielle, on peut citer :

– la température : des bioréacteurs fonctionnant à environ 40 °C ou plus (justement appelés digesteurs) sont couramment employés, mais la séparation biomasse/eau traitée n’est pas simple à maîtriser, ce qui a conduit au développement de bioréacteurs à membranes thermophiles, y compris en digestion aérobie ; sur trois sites en exploitation pour le traitement d’ERI, les bioréacteurs à membranes fonctionnent à 40 °C (Pays-Bas), 42 °C (Tchéquie) ou 55 °C (Royaume-Uni). Un effet secondaire appréciable en bioréacteur à membranes équipés de membranes supportant les températures élevées est l’amélioration des flux de perméat, ce qui permet de minimiser encore l’investissement et le renouvellement membranes.

– la pression : des bioréacteurs sous pression, de 2 à 4 bar sont en opération, mais sur de faibles débits à traiter, car mettre en œuvre des bassins ou cuves sous pression n’est pas viable économiquement et en maintenance pour de grands volumes.

– une composition chimique défavorable : ce facteur n’est pas encore utilisé de façon volontaire et maîtrisée, mais il arrive que l’on subisse des salinités élevées, la présence de toxiques sous les seuils létaux mais à un niveau élevé. Dans ces conditions, l’outil Bioréacteur à Membranes a démontré sur plusieurs sites son efficacité pour maintenir une biomasse vivante et active ; sur le site d’Hutchinson, la teneur en Zn à environ 12 mg/l dans le bioréacteur n’empêche pas une biodégradation de 96 % de la DCO (3 500 à 5 500 mg/l en entrée), mais il est clair que ce zinc est extrait avec la purge de boues en continu, ce qui restreint les destinations possibles pour ces boues ; sur des sites de traitement des lixiviats de CET de classe 1 ou 2, une teneur en chlorures de 2 000 à 21 000 mg/l dans le bioréacteur ne perturbe pas la biodégradation de 57 à 82 % de la DCO, le reste étant fortement retenu par la membrane.

Augmenter la proportion de biomasse active

En termes d’activité biologique, il existe une nette différence entre biomasse floculée et biomasse dispersée. Schématiquement, la figure suivante montre qu’une majorité de microorganismes ne sont pas impliqués dans la biodégradation lorsqu’ils font partie de larges flocs (100 à 200 µm en boue activée conventionnelle et en bioréacteur à membranes immergées) du fait des limitations des transferts d’O₂ et de substrat (matière organique, …). Au contraire, dans le cas des biomasses dispersées obtenues seulement avec les bioréacteurs à membranes non immergées (structures de 10 à 18 µm conduisant à un ratio surface/volume des flocs plus de 10 fois meilleur), les transferts d’O₂ et de substrat sont très nettement améliorés.

[Photo : schéma comparatif biomasse floculée/biomasse dispersée]

Ainsi l’utilisation du levier « faible Cm » pour diminuer la production de boues biologiques est littéralement démultipliée dans les bioréacteurs à membranes en boucle externe (membranes non immergées) : tout en préservant la compacité, il est possible d’appliquer des Cm extrêmement faibles puisqu’il faut 3 à 10 fois moins de MES ou de MVS pour dégrader un kilogramme de DCO. Ceci est vérifié sur plusieurs sites en exploitation, ainsi que l’absence d’impact négatif du cisaillement appliqué pour obtenir la dispersion sur l’activité des microorganismes épurateurs.

Cette observation a un fort impact sur la charge massique Cm dont nous avons souligné l’importance plus haut pour la réduction de la production de boues. Cm est habituellement calculée par le ratio entre un estimateur de la charge quotidienne en substrat (kg DBO ou kg DCO par jour) et un estimateur de la masse de microorganismes (kg MES ou kg MVS dans le système biologique). Si l’on prend en compte la seule part de microorganismes dans les deux types de biomasse (floculée, dispersée), on a la relation suivante pour une même Cm apparente :

Cm.réelle = Flux DCO par jour / Biomasse floculée active  
Cm.réelle = Flux DCO par jour / Biomasse dispersée active  

Conclusion

L’utilisation systématique et raisonnée de plusieurs leviers de réduction de la production de boues biologiques en excès a conduit à réduire celle-ci sur quatre sites d’un facteur 3 à 10 selon les réglages effectués. Le Bioréacteur à membranes, dans sa version en boucle externe correctement dimensionnée et exploitée, s’est révélé être un outil simple et très efficace pour agir sur la production de boues spécifique.

Références bibliographiques

Bouillot, P. (1988), Bioréacteurs à recyclage des cellules par procédés membranaires : application à la dépollution des eaux en aérobiose, thèse de doctorat, INSA, Toulouse, France.

Chaize, S. et Huyard, A. (1991), Membrane bioreactor on domestic wastewater: sludge production and modeling approach, Water Science and Technology, 23(7-9), 1591-1600.

Pirt, S. J. (1965), The maintenance energy of bacteria in growing cultures, Proceedings of the Royal Society of London, 163, 224-231.

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