Les réserves d'eau sont dégradées durablement par des pollutions diverses : nitrates et engrais, phytosanitaires, résidus de médicaments, produits chimiques divers. Certains captages sont menacés à plus ou moins brève échéance. Au-delà de la protection légale des captages, l'action doit porter sur les aires d'alimentation et passera par la prise en compte des réalités hydrogéologiques, la réduction de la dissémination des polluants, la modification des comportements. Vaste programme !
Un travail de fourmi sur le terrain, sa réalité hydrogéologique, mais avec une vision globale et concertée des actions. Telle pourrait être résumée la stratégie de reconquête de la qualité de la ressource en eau potable. Facile à dire, plus ardu à réaliser. Lors de la journée conjointe ASTEE-GRAIE qui s’est tenue à Bourgoin le 20 octobre dernier sur le thème des outils et pratiques pour la protection des aires d’alimentation contre les pollutions diffuses, Alain Cottalorda, maire de Bourgoin-Jallieu et Président de la Capi (Communauté d’agglomération Porte de l’Isère) posait bien le problème : « Il existe sûrement des réponses techniques à toutes les questions, mais à quel coût ? Répondre seulement à la question de l'eau potable n’est pas suffisant, car les effets induits ne sont pas indépendants du cadre global dans lequel nous vivons. On peut traiter l’atrazine pour régler le problème de potabilité. De même, le traitement des eaux pluviales sur les zones industrielles fait appel à des solutions techniques simples, peu coûteuses. Mais les bassins de décantation sont une catastrophe pour la petite faune et les zones humides. Construire une réponse technique n'est plus suffisant ni pertinent dans un monde complexe. Il n'existe pas de solution simple mais des réponses complexes et transversales qui tiennent compte de l'ensemble des impacts, sinon on ne fait que la moitié du
Eaux de surface : amélioration/dégradation
Dans un rapport de juin 2009, le Commissariat général au développement durable publiait une synthèse sur la qualité de l'eau des rivières. L'action sur les rejets industriels et urbains porte ses fruits puisque les pollutions organiques, phosphorées et ammonium baissent depuis une dizaine d’années alors que celle en nitrates reste autour de la même valeur. Depuis 1998, la DBO a baissé de 30 %, les orthophosphates diminuent de 40 %. C’est donc une réelle amélioration globale. La stabilité en nitrates, malgré une légère baisse d'utilisation d’engrais azotés depuis 2001, s'explique par les conditions climatiques : le déficit en eau en 2003 et 2005 a différé le lessivage des sols. Mais la stabilité est la somme de hausses sur une grande partie est de la France (bassin du Rhône, de la Seine, une partie du Massif central) et d'une baisse sur l’ouest, Bretagne en tête. Les bassins agricoles sont à une teneur moyenne en nitrates de 24,7 mg/l (26,3 en 1998) et les bassins mixtes à 11,3 mg/l (en hausse, 10,8 en 1998). L'apport d’engrais s’accroît en Champagne-Ardenne.
« Travail ». Nicolas Chantepy, de l’Agence de l'eau Rhône-Méditerranée et Corse, dont le SDAGE (RM) vient d’être voté, rappelait la priorité des mesures de prévention sur le curatif.
Prévenir plutôt que guérir
Vis-à-vis de la potabilité, la question est dans les mains des collectivités locales également confrontées aux problèmes d’aménagement de leur territoire par les exploitations agricoles, industrielles et résidentielles. Les points de captages n’étant pas au cœur d'un territoire, il faut s’entendre avec ses voisins pour définir des périmètres. L’aspect potabilité relève de la santé, mais les aspects pollutions relèvent du ministère de l’écologie, au minimum. La protection des captages (réponse à des pollutions accidentelles et locales) et celle des aires d’alimentation (réponse aux pollutions diffuses et très étendues) exigent de mettre autour de la table beaucoup d’acteurs ! Chacun ayant ses propres contraintes géographiques et temporelles. Le temps de l’agriculteur n’est pas celui d’un aménageur privé, encore moins celui des milieux naturels. Si l'on arrêtait aujourd’hui tous les épandages, les eaux des nappes et des sources mettraient « un certain temps » à redevenir « pures » du fait de l’imprégnation et de la lenteur de la migration des polluants en souterrain. Exemple de la nappe d’Alsace et des problèmes de salinité suite à l’exploitation du sel entre 1913 et 2003 : les études du BRGM montrent que la nappe phréatique en surface sera débarrassée des chlorures d’ici 2015 mais qu'il faudra encore une vingtaine d’années pour retrouver un niveau correct. La déclaration récente du préfet des Côtes-d’Armor à propos des algues vertes peut déplaire aux agriculteurs, mais le problème des nitrates ne sera pas réglé en quelques années : les sols ont mis des décennies à s’imprégner, l’auto-épuration se déroulera sur la même échelle de temps.
D'où l’absolue nécessité de raisonner préventivement en impliquant au plus tôt tous les acteurs, comme le soulignait Jean-Marc Fragnoud, vice-président du comité de bassin Rhône-Méditerranée et membre de la Chambre régionale d’agriculture de Rhône-Alpes. Les différents acteurs ont insisté sur la nécessité de co-construire les programmes d'action de préservation des ressources, la seule manière de travailler de manière cohérente sur le long terme dans un souci de visibilité et de pérennité des actions.
Un éventail de mesures
Protéger la ressource c’est d’abord ne pas la polluer. De nombreuses municipalités ont réduit ou supprimé les phytosanitai-
c’est aussi l’objectif affiché du Grenelle 1 de réduire de moitié d'ici dix ans les quantités de produits utilisées. La réduction des pollutions passe aussi par un bon usage des produits : mise en œuvre de stations de remplissage et nettoyage des pulvérisateurs, respect des conditions de pulvérisation, etc. Les pratiques culturales ont un impact direct sur la pollution. Le Cemagref mène depuis de nombreuses années des études sur les bandes enherbées en bordure de rivière et le devenir des pesticides infiltrés dans ces zones pour vérifier l'efficacité (Villié-Morgon pour le vignoble, Pays de Caux pour les grandes cultures, Loire-Atlantique pour le fourrage et les céréales). Une solution connue depuis de nombreuses années, lente à se généraliser comme le regrettent les agriculteurs précurseurs.
L'excès de nitrates est partiellement absorbé par les CIPAN (cultures intermédiaires pièges à nitrates) sur certaines parcelles, une action lancée dans le cadre des CTE, contrat territorial d’exploitation, en 1999 (arrêté en 2002 et remplacé par les CAD). D'autres pratiques agricoles sont efficaces : désherbage mécanique, rotation des cultures, etc. La contrainte fait aussi partie des mesures. Les redevances pour pollutions diffuses (produits phytosanitaires), pour pollution des élevages avec leurs UGB (unité de gros bétail) et clés de répartition sont des dispositifs plus répressifs que progressistes. La protection de la ressource relève de comportements plus que de taxes.
La complexité de ces dispositifs poussent certains vers l’agriculture biologique, ou des opérations « Agrimieux » d’usage raisonné. L'agence RM&C a lancé un appel à projet début 2009 sur l’agriculture biologique et a reçu plus de 200 manifestations d'intérêt. Dans les Pays de la Loire, la Fédération régionale des Civam a fait la promotion de systèmes herbagés pour l’élevage, économes en intrants (engrais) qui réduisent pollution diffuse (action primée en …).
Captages, périmètres, aires d’alimentation
Vis-à-vis de la ressource en eau, les questions de vocabulaire sont importantes. L'eau potable est issue d’un captage (un ou plusieurs forages ou prises d'eau) qui doit être protégé vis-à-vis des pollutions ponctuelles et accidentelles. Ces zones de protection sont obligatoires et font l'objet d’une DUP, déclaration d'utilité publique ; seulement 52 % des captages en ont une. La protection du captage se décline en trois périmètres imbriqués dont la définition s’appuie sur un critère de temps de transit de l'eau entre le point pollué et le captage : périmètre immédiat (quelques heures), rapproché (jours), éloigné (semaines). Sur ces périmètres, certaines activités industrielles et agricoles sont interdites ou limitées. Ces périmètres relèvent du code de la santé publique.
À la différence des aires d’alimentation des captages (appelées aussi bassin d'alimentation) qui relèvent de la loi sur l'eau et du code rural. Elles ne sont pas liées au temps : on y constate (ou pas) une pollution chronique. Les substances concernées sont essentiellement les nitrates et les produits phytosanitaires liés à l'exploitation agricole, aux épandages des collectivités locales, des infrastructures routières et ferroviaires et des particuliers. Sur certains bassins, des activités industrielles ou minières ont induit des polluants sur de grandes surfaces (chlorures de la plaine d’Alsace, solvants chlorés à proximité de sites industriels).
À ces notions de pollution s'ajoute une notion quantitative : les risques de pénurie en période de sécheresse, en raison de pompages surcapacitaires (Bordeaux par exemple) ou des surplus lors de crues de surface ou de remontée de nappes.
L'aire d’alimentation des captages est la projection en surface du sol sur laquelle l'eau arrive et s'écoule vers le captage. Dans certaines zones, cette aire peut ne pas être unique (mélanges de nappes). La circulation souterraine des eaux est complexe : rien de commun entre des terrains homogènes sédimentaires et des zones karstiques avec des failles et des réseaux de galeries parfois très longs. De plus, sur une même aire de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, toutes les zones ne contribuent pas de la même manière à l'alimentation de la nappe ni à sa dégradation. Il ne faut pas négliger les échanges entre l'eau des rivières et leur nappe d’accompagnement. On voit là toute la complexité hydrogéologique du problème et la nécessité de prioriser les actions sur certaines zones pour ne pas pénaliser inutilement des territoires.
Pour avoir une vue synthétique de la problématique des eaux souterraines, le BRGM vient d’éditer un ouvrage de 56 pages intitulé « Les eaux souterraines en France ». Très illustré de schémas et cartes, il donne une bonne vue des ressources, des enjeux et des acteurs. Le BRGM a développé une solide expertise des masses d'eaux souterraines par la connaissance qu’il a du sous-sol et s’implique largement sur ces problèmes (cf. accord signé en octobre 2008 avec l'Agence Seine-Normandie pour la mise en œuvre de la DCE).
2007 par l’Agence Loire-Bretagne). Toutes ces pratiques sont globalement désignées sous le terme de MAE (Mesures agro-environnementales, avec parfois un T pour territorialisées). Des mesures contraignantes pour un exploitant agricole, qui font l'objet de compensations et d’aides ; actions qui meurent souvent avec l'arrêt des subventions ! La rentabilité est un facteur déterminant pour l’agriculture.
Parfois, les dispositifs législatifs se télescopent. Sur la communauté de communes du pays de Romans (Drôme) de gros efforts sont menés depuis 2003 entre les zones urbaines, la chambre d’agriculture et les jardiniers amateurs. Le diagnostic des intrants (engrais, phytos) a été fait à la parcelle sur 1 800 ha pour élaborer des pratiques agricoles peu impactantes sur la fragile nappe alluviale. « Un gros travail de concertation et d'action » souligne Jean David Abel, vice-président de la communauté de communes, « mais l’arrivée des MAET change les règles et déstabilise ce qui a été fait ». Ce qui déclenche l’incompréhension des agriculteurs locaux pourtant satisfaits d’avoir été associés depuis des années et non montrés du doigt. Ils veulent un cadre clair, lisible et pouvoir apprécier les résultats. Mais on sait que la mesure réelle et sérieuse de l’impact des actions sur l'état des nappes prendra une dizaine d’années.
Maîtrise foncière et gestion d’activités
Tout le monde voit bien que la protection des ressources passe par la maîtrise foncière. Les SAFER ont un rôle à jouer. Certaines passent des accords comme c’est le cas sur le bassin Rhône-Méditerranée avec les Sociétés d’Aménagement Foncier et d'Établissement Rural, SAFER Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon. Les agences de l’eau mènent toutes des actions dans ce sens. Ces accords viennent en aide aux collectivités gestionnaires de captages prioritaires par de l'information (ventes de parcelles), la capacité de préemption et la mise à disposition d'outils comme le bail environnemental. Les collectivités achètent des terrains pour protéger leurs captages, mais cela demande ensuite leur exploitation contrainte : qui paye quoi, est-ce une aide à l’agriculture ? Restaurer les eaux souterraines aura un coût. Sur la nappe de l'Artois, une analyse coûts-avantages en 2006 a montré que les coûts de restauration risquent d'être supérieurs aux avantages attendus. Méfiance toutefois sur des
Estimations économiques.
Avec l’annonce de 507 captages prioritaires début août 2009, le gouvernement a voulu créer une dynamique de protection sur tout le territoire (en fait près de 1 800 devraient être traités de manière urgente). L’outil privilégié passe par les préfets avec les Zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) : un dispositif prévu dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (article 21, passé dans le code de l’environnement L211/3-5, puis décret du 14/5/2007 et circulaire du 30/5/2008). Il s'agit de définir les zones de protection des aires d’alimentation des captages (arrêté préfectoral), définir un programme d’action volontaire sur trois ans destiné aux agriculteurs (2ᵉ arrêté préfectoral) et, si sa mise en œuvre n'est pas suffisante, de passer à des obligations. La protection effective des captages d'ici 2012 est exigée ! En fait, il s’agit de la contractualisation effective de MAE d’ici mai 2012. Un calendrier très serré puisque les arrêtés de délimitation des zones de protection des aires d'alimentation doivent être pris d'ici fin 2010 en s’appuyant sur une étude hydrogéologique et un diagnostic territorial des pressions agricoles !
Pour mettre en œuvre les mesures, il faut un maître d’ouvrage : syndicat des eaux, communauté de communes… L'important est que tous les acteurs s'y mettent.
Afin de contribuer à cet objectif, la Fédération Professionnelle des Entreprises de l'Eau et l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture se sont rapprochées, et ont signé en octobre 2009 une convention de coopération : c'est une première en France qui réunit acteurs du secteur agricole et entreprises de l’eau autour d'une problématique environnementale majeure. Dans un premier temps, une douzaine de sites vont être répertoriés, sur lesquels seront réalisées des enquêtes auprès des parties prenantes locales : collectivités, agriculteurs, Agence de l’Eau, représentants de l’État, Chambres d’Agriculture et entreprises de l’eau. Ces données serviront à identifier les bonnes pratiques partenariales entre tous les acteurs de la reconquête de la qualité de l’eau, et les écueils à éviter, en vue de leur partage lors d'un séminaire prévu avant l’été 2010.
Sur les 507 captages prioritaires, Veolia Eau intervient sur 120, Lyonnaise des Eaux sur 50 et Saur sur 13. Ces trois opérateurs participent à des actions de protection.
Lyonnaise des Eaux a signé début octobre
un partenariat avec FNE à propos des captages Grenelle avec une vision large du problème puisque le souci de biodiversité sur ces aires est présent, tout comme l'importance de l'information des populations.
Veolia Eau s’associe de son côté à Noé conservation (jardin de Noé à Annet-sur-Marne). Des accords ont été signés depuis plusieurs années entre ces deux entreprises privées et des collectivités locales (région dijonnaise, Dunkerque...) pour des actions de protection des ressources. « Nous avons un rôle d’accompagnement des collectivités ; les chefs d’agence disposent de documents pour l’information, le conseil, la définition de cahiers des charges, d’études pour la protection auprès d’elles. Nous participons aussi à des plans d’action de protection pour mieux les cibler et éviter de pénaliser des zones. Il faut informer et convaincre », explique Boris David de la Direction Technique de Veolia Eau.
Nantaise des Eaux Services effectue également pour le compte de collectivités locales un gros travail de sensibilisation auprès des agriculteurs sur la protection des bassins versants pour limiter la pollution des eaux de ruissellement et ainsi protéger les cours d'eau.
Les activités agricoles sont au cœur du débat et l'on arrive à la vraie question de l'exploitation de ces sols, en relation avec la politique agricole commune, le Plan de développement rural hexagonal et les subventions liées, sans oublier les demandes sociétales. Sur la communauté de Romans, on pense agriculture biologique, circuits courts de distribution.
Les grandes entreprises de l’eau, avec leurs filiales énergétiques, ont des vues plus globales : ces terrains agricoles à l’activité contrainte pourraient par exemple devenir des cultures à des fins énergétiques.