Les installations de méthanisation par voie sèche sont utilisées pour traiter des déchets organiques dans un but de production d'énergie. Afin de les exploiter au mieux, les opérateurs industriels ont besoin d'informations sur les processus physiques et biologiques qui surviennent dans ces installations. Leur objectif est d'obtenir une biodégradation anaérobie optimale de la matière organique des déchets, afin d'augmenter la quantité de biogaz produite et par ce fait d'augmenter la rentabilité des installations. Pour atteindre cet objectif, parmi de nombreux paramètres intervenant dans ce procédé, l'optimisation des transferts hydriques et de la répartition de l'humidité au sein de ces installations, paraissent comme des paramètres essentiels à maîtriser. Des techniques de traçage ont été employées afin de caractériser les transferts hydriques au sein des déchets agricoles, au cours de leur digestion anaérobie. Mots clés : transferts hydriques, hydrodynamique, digestion anaérobie par voie sèche.
Les installations de méthanisation par voie sèche sont utilisées pour traiter des déchets organiques dans un but de production d’énergie. Afin de les exploiter au mieux, les opérateurs industriels ont besoin d’informations sur les processus physiques et biologiques qui surviennent dans ces installations. Leur objectif est d’obtenir une biodégradation anaérobie optimale de la matière organique des déchets, afin d’augmenter la quantité de biogaz produite et par ce fait d’augmenter la rentabilité des installations. Pour atteindre cet objectif, parmi de nombreux paramètres intervenant dans ce procédé, l’optimisation des transferts hydriques et de la répartition de l’humidité au sein de ces installations paraissent comme des paramètres essentiels à maîtriser. Des techniques de traçage ont été employées afin de caractériser les transferts hydriques au sein des déchets agricoles, au cours de leur digestion anaérobie.
Mots clés : transferts hydriques, hydrodynamique, digestion anaérobie par voie sèche.
traçage (injection d’un traceur et suivi de l'élution au cours du transfert en réacteur) ont été employées sur des digesteurs d'un volume de 60 L, remplis de déchets agricoles.
Les substrats utilisés
Des déchets frais, issus de l’agriculture, ont été utilisés comme substrats de dégradation : du fumier bovin et de l’ensilage de maïs provenant de la ferme de l’Institut LaSalle Beauvais ainsi que de la tonte d’herbe prélevée sur la ferme équestre de Bois Guilbert (figure 1). Ces substrats ont été prélevés en respectant des conditions décrites par un plan d’échantillonnage (Gy P., 1988) et n’ont subi aucun prétraitement. Ils ont été placés dans des digesteurs et caractérisés en termes de transferts hydriques par des techniques de traçage, décrites ci-dessous. Ensuite, certains substrats ont subi un cycle de méthanisation.
Ainsi, des digesteurs contenant 21 kg des matières suivantes : fumier 100 %, et un mélange fumier bovin (70 %) — ensilage de maïs (30 %) ont été placés en dégradation anaérobie pendant 30 jours. La digestion anaérobie n’a pas été réalisée sur la tonte d’herbe ainsi que l’ensilage seul en raison de leur caractère acidifiant, qui ne permet pas de les méthaniser sans co-substrat.
Des échantillons issus de chaque substrat ont été placés dans une étuve à 105 °C pendant 24 heures afin d’estimer leur teneur en matière sèche. La teneur en matière sèche obtenue des substrats avant digestion anaérobie est de 24 % pour le fumier bovin, 23 % pour la tonte d’herbe et de 39 % pour l’ensilage de maïs. Après digestion anaérobie, cette teneur diminue à 12 % pour le fumier bovin et à 9 % pour l’ensilage de maïs respectivement.
L'inoculum
L’inoculum utilisé pour les cycles de fermentation anaérobie provient d'une cuve de stockage ayant déjà subi un cycle de méthanisation et laissé par la suite au repos en cuve ouverte. Il a été homogénéisé à l’aide d’une pompe avant le prélèvement, puis filtré afin de limiter le contenu en matière solide. L’inoculum a été caractérisé en termes de matière sèche et de matière organique, en plaçant les échantillons respectivement à 105 °C pendant 24 h et à 550 °C pendant 2 heures. Les teneurs en matière sèche et matière organique s’élèvent à 2 % de matière sèche et à 60 % de matière organique par rapport à la matière sèche.
Fermentation anaérobie des déchets agricoles
La fermentation anaérobie a été réalisée dans des digesteurs de 60 L, fournis par le laboratoire de la société E.Rigène. La quantité de substrat utilisée a été déterminée pour réaliser au mieux la digestion anaérobie. Ainsi 25 L d’inoculum ont été ajoutés pour 21 kg de substrat. L’inoculum est injecté par aspersion en haut du digesteur à un débit de 100 L/h. Il est ensuite récupéré en bas afin d’être re-circulé de nouveau dans le digesteur par cycle de 2 minutes toutes les heures. La digestion s’effectue en condition mésophile (37 °C). La production de biogaz est suivie par un système automatisé de suivi de la production de biogaz (AMPTS) version I (Bioprocess Control). La composition en gaz est relevée quotidiennement à l’aide d’un analyseur gaz (Multitec 540, Sewerin).
Caractérisation de l’écoulement au sein des matrices hétérogènes avant et après digestion anaérobie
Des grilles de diamètre de 2 mm sont placées de part et d’autre du lit poreux (le substrat), mis en place dans des digesteurs de 60 L. Ce dispositif permet de limiter le lessivage du matériau. Une pompe, placée en entrée de digesteur, permet d’injecter de l’eau du bas vers le haut du digesteur à un débit constant afin de saturer le milieu poreux (figure 2). La percolation de bas en haut facilite la sortie de l’air et conserve la saturation des digesteurs. Une cellule de conductivité, disposée à la sortie du digesteur, permet de suivre l’évolution de la conductivité électrique par une mesure directe en continu.
Les traçages sont réalisés pour deux taux de saturation en eau : saturation totale (conditions saturées) et saturation partielle (conditions non saturées). Le réacteur est saturé avec de l'eau du réseau de ville et lavé jusqu’à l’obtention d’une valeur stable de la conductivité. Afin de caractériser l’écoulement dans la matrice poreuse, l'ion chlorure a été utilisé comme solution traçante. Le traceur a été injecté en réacteur sous forme de NaCl 10-¹ M et détecté par une mesure de conductivité électrique. Le volume de traceur injecté dans toutes les expériences représente 16 % du volume poreux de la matrice solide. Il est ensuite élué par un volume suffisant d’eau jusqu’à l’obtention d’une
valeur stable conductivité. La concentration du traceur est corrélée à la mesure de conductivité électrique.
Dans le cas des expériences en conditions non saturées, le digesteur préalablement saturé est drainé par gravité pendant 24 heures. Les solutions (le traceur et l'eau de lavage) sont injectées du haut vers le bas dans le digesteur. Un pompage est enclenché en sortie de digesteur afin d’assurer un régime hydraulique permanent (égalité du débit en entrée et en sortie de digesteur).
Courbes d’élution, analyses et modélisation
L’étude de l’élution du traceur dans les différents systèmes s'appuie sur la comparaison des courbes d’élution et sur l’analyse des courbes par l’approche dynamique des systèmes (Sardin et al., 1991). Les courbes d'élution sont présentées sous forme adimensionnelle : [C]/[C]₀ (concentration en solution au cours du temps/concentration initiale de la suspension ou soluté) en fonction de V/V₀ (volume élué au cours du temps/volume d'eau dans la colonne). Ces courbes aident à définir le bilan de masse (masse éluée/masse injectée).
L'élution du traceur est également modélisée avec un modèle de transfert basé sur des équations de convection-dispersion en milieu poreux hétérogène : il s’agit du modèle de convection-dispersion à deux régions (Mobile/Immobile) (Van Genuchten et Wierenga, 1976), mis en œuvre dans le code HYDRUS-1LD (Simunek et al., 1999). Il s'appuie sur une hypothèse selon laquelle la région liquide peut être divisée en une partie mobile et une autre immobile ou stagnante. Dans la région mobile, le transport de solutés se produit par convection-dispersion. Dans la région de l’eau immobile, le transfert de solutés s’effectue par diffusion moléculaire uniquement et est modélisé par une cinétique de 1ᵉʳ ordre. Ce transfert non réactif est régi par les équations suivantes :
∂Cₘ/∂t + θₘ ∂Cₘ/∂z = Dₘ ∂²Cₘ/∂z² - q ∂Cₘ/∂z ∂Cᵢ/∂t = α(Cₘ - Cᵢ)
où θₘ et θᵢ sont respectivement la teneur en eau mobile et la teneur en eau immobile (cm³ cm⁻³), Cₘ la concentration du soluté dans la fraction d’eau mobile (mol l⁻¹), Cᵢ la concentration dans la fraction d’eau immobile (mol l⁻¹), Dₘ le coefficient de dispersion hydrodynamique dans la fraction mobile (cm² min⁻¹), α le coefficient d’échange entre les deux fractions d’eau (min⁻¹) et q la vitesse darcienne (cm min⁻¹).
La détermination des paramètres hydrodynamiques (teneur en eau dans la zone mobile et immobile, dispersion de soluté dans la zone mobile et échange de solutés entre les deux zones) est réalisée par ajustement des courbes d’élution calculées (solutions du modèle MIM) aux résultats expérimentaux des essais de traçage. Ces derniers permettent de quantifier les pourcentages volumiques des pores directement accessibles, accessibles par l’échange diffusif et totalement exclus de l’écoulement. Le degré d'homogénéité de l’écoulement dépend des volumes respectifs estimés de zones mobiles et immobiles. Plus le volume d’eau mobile est important, plus l’écoulement est homogène.
Un exemple des courbes d’élution du traceur obtenues lors des expériences de traçage en début et à la fin du cycle de méthanisation est présenté à la figure 3. Dans toutes les configurations étudiées, le bilan de masse, déduit par l’intégral de l’aire sous les courbes d’élution, est proche de 1. Ceci indique que le traceur est entièrement restitué et qu’il est conservatif, à l'exception de la tonte d’herbe. En effet, une partie du traceur est absorbée par ce milieu. Pour cela, ce substrat n’a pas été utilisé dans la suite des expérimentations.
Toutes les expériences ont été dupliquées, et les résultats obtenus présentent une très bonne répétabilité. Des essais effectués à différents débits d’injection ont mené à la même allure des courbes d’élution (résultats non présentés). De ce fait, toute différence entre ces courbes est attribuée uniquement au type du milieu traversé par le traceur. Leur allure donne une indication du degré d’homogénéité de l’écoulement au sein des colonnes (Sardin et al., 1991). Les courbes symétriques sont témoins d'un écoulement homogène. En conditions saturées, ces courbes présentent une allure similaire pour tous les substrats testés avant le cycle de dégradation anaérobie (figure 3a). Elles se caractérisent par une dissymétrie très nette, une sortie précoce du traceur (pic de concentration avant 1 V/V₀) et une traînée importante dans la partie décroissante de la courbe. Cette traînée de la courbe est témoin d’un écoulement hétérogène.
chemins préférentiels dans les macroporosités de ces milieux.
Ces observations sont également confirmées par la modélisation du traceur. Ainsi, le calage du modèle MIM sur les courbes d’élution expérimentales a permis de caractériser le degré d’homogénéité de l’écoulement dans les digesteurs remplis de fumier. Les valeurs des fractions d’eau mobile, de l’ordre de 62 % ont été obtenues dans le fumier avant la dégradation, et confirment l’hypothèse d'un écoulement hétérogène au sein de ce milieu. Ces ajustements ont été obtenus pour des valeurs de dispersivité du fumier de l’ordre de 4,2 cm. La dispersivité est un paramètre caractéristique du milieu poreux, qui dépend du diamètre des grains solides, du diamètre des pores, des dimensions du réacteur et du degré de saturation du milieu. Les valeurs obtenues de l’ordre de 4,2 cm sont le témoin d’un écoulement dispersif au sein de ce milieu.
En conditions non saturées (résultats non présentés), la dispersion du traceur est moins importante que celle en conditions saturées. Ce résultat peut s’expliquer par l’hypothèse selon laquelle lorsque le milieu se désature, les pores les plus larges se vident et n’interviennent pas dans l’écoulement. Ceci entraîne un écoulement moins dispersif. La comparaison des courbes d’élution obtenues sur le même substrat (fumier bovin) en début et à la fin du cycle de méthanisation montre une sortie plus tardive (pic d’élution décalé vers la droite) du traceur en fin de dégradation (figure 3b). Ceci montre une modification de l’écoulement au sein du substrat, due à une évolution durant la digestion anaérobie de ce dernier.
Conclusions et perspectives
Les résultats obtenus à l’aide de tracages non réactifs ont indiqué un écoulement hétérogène dans les digesteurs remplis de déchets d’origine agricole. Ce mode d’écoulement est attribué à la nature très hétérogène de ces matrices poreuses. La différence entre les courbes d’élution en début et en fin de dégradation témoigne d’une modification de l’écoulement au sein du substrat, due à une évolution de ce dernier. Quelques simulations numériques réalisées sur le fumier ont permis de quantifier les pourcentages volumiques des pores directement accessibles à l’écoulement (62 % de pores). Ceci implique que 38 % de pores sont soit accessibles par l’échange diffusif, soit totalement exclus de l’écoulement. Cette répartition de l'eau au sein de la matière affectera le transfert des composés nécessaires à la dégradation du substrat et, par ce biais, le rendement du procédé. Des expériences de tracage sont en cours avec la matrice fumier bovin, réalisées à différents temps de la dégradation anaérobie, dans le but de mettre en évidence une éventuelle modification du milieu et, par ce biais, des transferts hydriques associés au cours du temps. Ces essais permettront d’approfondir la compréhension des processus étudiés et d’établir une relation entre le transfert de composés et la production du biogaz au sein du digesteur.