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Chronique d'une catastrophe annoncée : la submersion des Sundarbans

28 septembre 2012 Paru dans le N°354 à la page 111 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET

Sur les 54 îles qui composaient il y a seulement 25 ans cet archipel unique au monde, quatre d'entre elles ont déjà été englouties par la mer, contraignant plus de 6 000 personnes à quitter les lieux. Malgré la mise en place de dispositifs de protection, on prévoit que 30 000 familles devront également être déplacées d'ici à 2020 suite à l'engloutissement de 15 % des terres qui composent cet archipel. Bienvenue sur les Sundarbans, l'une des plus grandes réserves de la biodiversité planétaire, aujourd'hui directement menacée par les premiers effets du réchauffement climatique.

Les Sundarbans se trouvent au cœur du delta du Gange où convergent les eaux du Brahmapoutre et du Meghna, formant le golfe du Bengale, l’un des plus vastes de la planète. Ils s’étendent sur environ 10 000 km² de terres et d’eau dont les deux-tiers se situent en Inde et le tiers restant au Bangladesh. Les îles sablonneuses qui composent cet archipel sont entrecoupées d’un réseau complexe constitué de milliers de canaux soumis à l’influence des marées et abritent la plus vaste forêt de mangroves du monde.

Les Sundarbans tiennent leur nom de

[Photo : Les Sundarbans se trouvent au cœur du delta du Gange où convergent les eaux du Brahmapoutre et du Meghna. Les îles sablonneuses qui parsèment l’archipel sont entrecoupées d'un réseau complexe constitué de milliers de canaux soumis à l'influence des marées. Elles abritent la plus vaste forêt de mangroves du monde.]

L'arbre « sundari », qui pousse justement dans la mangrove et peut atteindre 25 mètres de haut, fournit un bois très résistant, toujours prisé en construction navale. Son nom est à l'origine du terme « bans » qui signifie « forêt ».

Malgré un climat tropical et humide – les précipitations avoisinent les 2 790 millimètres par an –, les Sundarbans abritent une population estimée entre 2 et 3 millions d’habitants qui peinent à survivre dans ce sanctuaire pourtant classé au patrimoine de l’Unesco. C’est l'un des paradoxes qui caractérise cette région unique et pourtant oubliée de tous.

Une région unique et pourtant oubliée de tous

Les Sundarbans abritent l'un des écosystèmes naturels les plus riches de la planète sur le plan biologique. Leurs forêts et cours d'eau hébergent une grande diversité de faune, notamment des espèces menacées d’extinction. On y trouve par exemple la principale population de tigres au monde, les fameux tigres du Bengale, qui ont su s’adapter à un mode de vie semi-amphibie, en développant des capacités à nager sur de longues distances et à se nourrir de poissons, de crabes et de varans. Des tigres « mangeurs d’hommes », redoutés par les populations locales, qui doivent également composer avec les crocodiles marins, les pythons et les cobras. Un danger très réel puisqu’on attribue aux seuls tigres pas moins d'une centaine de victimes chaque année… Mais les Sundarbans sont le seul habitat du bassin du Bengale subsistant encore pour de nombreuses espèces animales et constituent un gisement essentiel de ressources naturelles et d’habitats pour une grande variété d’organismes aquatiques, benthiques et terrestres.

Avec pas moins de 78 espèces de mangroves recensées, les Sundarbans sont considérées comme l'une des plus riches forêts de mangroves au monde. Composées à 55 % de forêts et à 45 % de zones humides sous la forme de rivières, de criques, de canaux et de vastes estuaires, elles sont également d’une grande importance économique en raison de leur rôle de protection contre les tempêtes, de stabilisation des côtes, de rétention des sédiments et des nutriments. Leur physionomie est constamment modifiée, remodelée, façonnée par l’action des marées et des cyclones. Elle résulte aussi de nombreux processus naturels uniques dont l’étude présente un grand intérêt, comme l’érosion, l’accumulation de dépôts sur les rives des cours d’eau ou encore l’envasement.

Mais, malgré ses immenses richesses, la population des Sundarbans vit dans des conditions extrêmement précaires. Cette pauvreté atavique est aggravée par les inondations cycliques des terres, qui accélèrent les phénomènes de salinisation. Si bien qu’aujourd’hui, les eaux des Sundarbans sont presque aussi salées que celles de l’océan. Avec les poissons de la mangrove, les crevettes, le riz et le…

[Photo : Malgré ses immenses richesses, les populations des Sundarbans vivent dans des conditions extrêmement précaires. Cette pauvreté atavique est aggravée par les inondations cycliques des terres qui accélèrent les phénomènes de salinisation.]
[Photo : Les mangroves, ces arbres aux racines tentaculaires qui protégeaient les îles de l’érosion par la mer sont en train de mourir du fait d’une salinité de l'eau trop élevée.]
[Photo : Depuis 1975 et malgré la construction de plusieurs digues de fortune, quatre îles des Sundarbans ont purement et simplement disparu sous les eaux provoquant le déplacement des 6 000 premiers réfugiés climatiques de la planète.]

Miel sauvage pour toute ressource, les populations doivent affronter la malaria, la tuberculose, les cyclones, les bêtes sauvages et l’indifférence des pouvoirs publics. Car le principal danger qui menace ces populations, bien que moins visible, n’en est pas moins très réel : les premiers effets du réchauffement climatique menacent en effet désormais directement l'intégrité même des Sundarbans.

Une intégrité menacée par les premiers effets du réchauffement climatique

Dans le golfe du Bengale, le niveau de la mer augmente chaque année d’un peu plus de 3,1 millimètres contre 2 millimètres en moyenne dans les autres océans. Une différence très sensible qui s’explique par l'accélération de la fonte des glaciers de l'Himalaya, laquelle menace directement certaines îles de l'archipel. Depuis 1975, et malgré la construction de plusieurs digues de fortune censées ralentir le phénomène, quatre îles des Sundarbans ont purement et simplement disparu sous les eaux provoquant le déplacement des 6 000 premiers réfugiés climatiques de la planète. Aujourd’hui, une douzaine d’autres îles sont menacées à très court terme et l'on prévoit que 30 000 familles devront être déplacées d'ici à 2020, quand 15 % des terres auront disparu sous les eaux.

Des actions ont bien été entreprises pour tenter de reconstituer systématiquement les mangroves autour des îles encore émergées de façon à laisser passer l’eau des fleuves au moment de la mousson tout en retenant les sédiments pour favoriser un rehaussement progressif du niveau des terres.

Mais ces mesures ne sont pas efficaces sur les îles les plus vulnérables qui continuent à être inexorablement rognées par la mer.

Comme souvent en l'absence d'aide des pouvoirs publics, les populations locales cherchent à s’adapter. Mais les scientifiques savent bien que d'ici un siècle, c’est un véritable désastre qui se profile dans la région. L'élévation du niveau de la mer sur les rives du golfe du Bengale pourrait, selon les prévisions du GIEC, atteindre 88 cm vers 2100, submergeant ainsi totalement les Sundarbans.

Et sans cette barrière salvatrice, les ouragans, cyclones et tsunamis se feront plus nombreux et plus ravageurs encore sur l'ensemble du littoral.

Il faudra alors s’attendre à des déplacements massifs de population sur l'ensemble du pourtour du golfe du Bengale comme dans le nord-est de l’Inde ou au sud du Bangladesh. Pourtant, ni Calcutta en Inde, ni Dacca au Bangladesh ne pourront absorber cet exode massif, d’autant que ces villes risquent d’être elles-mêmes sujettes à des inondations de grande ampleur.

Où iront alors ces millions de réfugiés environnementaux ?

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