Pendant l'étude d'un projet de méthanisation, il faut se souvenir de l'importance de l'installation de cogénération pour produire électricité et chaleur. Parce que 80 % des recettes d'un projet de méthanisation peuvent provenir de la cogénération. La bonne conception technique et financière du projet détermine la qualité future d'une exploitation efficace et rentable. Tour d'horizon des points à exiger avant de se lancer?
Choisir la technologie
Le choix technologique de l’installation de cogénération doit valider non seulement les avantages techniques et leurs performances de rendements et de disponibilités, mais ce choix doit d’abord préférer une exploitation aisée, à coûts raisonnables dans la durée et sur des bases de technologies bien éprouvées. Il sera également important d’échanger sur la technologie retenue avec les partenaires financiers, toujours attentifs aux « petits détails ». Sur le marché de la cogénération biogaz, on trouvera principalement la technologie moteur.
Dérivés des moteurs diesel et moteurs à gaz, les moteurs biogaz sont utilisés sur les biogaz depuis plusieurs décennies, notamment en Allemagne. Ils couvrent toutes les gammes de puissance jusqu’à plusieurs mégawatts.
Leur maintenance nécessite une grande attention avec la tenue d’un plan de maintenance suivant les recommandations du constructeur.
Cette technologie possède un long retour d’expérience. La nécessité d’un traitement en amont du biogaz n’est pas systématique, à étudier selon chaque cas. À dose mesurée, les moteurs pourront absorber les siloxanes contenus dans certains biogaz (station d’épuration). Les rendements électriques sont de l’ordre de 37 % à 42 % de rendement brut.
Un point important, quelle que soit la technologie retenue, est de connaître l’organisation du service après-vente, afin d’anticiper la réactivité en cas d’arrêt de l’installation. Attention, la réalité ne correspond pas toujours au contrat présenté !
On recueillera également l’avis de son assureur afin de bien identifier les périmètres assurés et les interfaces : sur un projet d’une durée de 15 ans, on n’est jamais à l’abri du « gros pépin ». Un courtier sera dans ce cas d’une aide précieuse.
Bien dimensionner l’installation
Dans un projet de méthanisation, la construction de la cogénération se fait en même temps que celle des digesteurs. De fait, même avec des simulations de production biogaz très fiables, le dimensionnement de la cogénération n’a pas de référentiel réel sur les quantités futures en biogaz. De plus, la production du biogaz se trouvera en « quasi » flux tendu durant toute la durée du projet. L’observation de la sensibilité économique du business plan à la production d’énergie et une attention toute particulière au dimensionnement des équipements sont des priorités absolues.
Valider la qualité du biogaz
Le biogaz de station d’épuration et de méthaniseurs de l’agro-alimentaire bénéficie d’une richesse en méthane élevée, autour de 55 à 65 %. Le biogaz de station d’épuration sera chargé en siloxanes, dus par exemple à la présence de cosmétiques dans les eaux usées. La présence de siloxanes et leur nature abrasive peuvent avoir des conséquences lourdes sur les coûts d’exploitation d’une installation de cogénération : casse de soupapes et de culasses, dommages sur les cylindrées, dégradation de la qualité de l’huile de lubrification. D’un projet à l’autre, de l’hydrogène sulfuré (H2S) se présente également en quantités variables, provoquant l’acidification de l’huile de lubrification, une détérioration des rejets à l’atmosphère, des dommages sur le système de récupération thermique et sur de nombreux organes du moteur.
Si les siloxanes et l’hydrogène sulfuré peuvent difficilement être évités à la
Source, il est possible de les éliminer par charbon actif, mais aussi par voie biologique pour l’H2S. Les charbons actifs sont très efficaces sur le biogaz : ils ne génèrent pas de sous-produits dérivés, mais ils sont onéreux et leurs prix sont directement liés à la volatilité des prix des énergies fossiles.
Optimiser les revenus
Qualité et quantité des intrants et bon fonctionnement du digesteur vont déterminer la performance économique d’un projet de méthanisation. En aval, les revenus provenant de la cogénération seront influencés par le système tarifaire : le tarif d’achat de l’électricité établi dans l’arrêté ministériel du 19 mai 2011 varie à la baisse avec l’augmentation de la puissance installée (et non de la puissance produite). Si, de plus, la production de biogaz est en dessous des prévisions, le projet subira une double peine : tarif bas et production électrique plus faible. Le dimensionnement de l’installation a donc une influence importante sur les revenus.
Le tarif d’achat du 19 mai 2011 permet également d’obtenir une prime à l’efficacité énergétique d’un niveau attractif, puisque cette prime peut atteindre 4,22 centimes/kWh (tarif actualisé). Mais les conditions d’obtention sont difficiles à atteindre, car il faut pouvoir valoriser la totalité de la chaleur produite durant toute l’année… hors utilisation de la chaleur dans le digesteur ! Néanmoins, cette prime est réellement incitative. Compter sur les revenus liés à la valorisation de la chaleur nécessite d’être particulièrement attentif dans l’établissement d’un business plan long terme.
Maîtriser l’exploitation
C’est un point décisif pour un projet de cogénération à partir de biogaz. L’outil est complexe et nécessite une culture technique multidisciplinaire. Avec des temps de fonctionnement compris entre 7 500 à 8 000 heures annuelles durant 15 ans, il est impératif de se focaliser sur les temps d’arrêt programmés et d’éviter les temps d’arrêt non programmés. La maîtrise du niveau de polluant dans le biogaz aura un impact important sur les coûts d’exploitation. Une attention particulière sera portée sur les actions préventives, les délais d’interventions, la préparation de ces interventions, le respect des intervalles de maintenance préconisés sans attendre la panne… ou la casse.
C’est une expertise toute particulière que celle d’exploitant de moteur biogaz.
Il ne faut pas confondre exploitation et maintenance. La maintenance est définie par le plan d’entretiens et d’interventions indiqué par le fournisseur du moteur. Ce plan de maintenance définit avec exactitude les actions préventives à mener pour un bon fonctionnement du matériel. Le non-respect de ce plan relève de la responsabilité du porteur de projet. Repousser les actions de maintenance pour économiser quelques coûts est une idée à bannir sans hésiter car cela pourrait mener à de graves dommages que les assureurs ne prendront pas en charge. À la maintenance du moteur s’ajoutera aussi l’entretien de tous les périphériques, trop souvent oubliés dans les business plans (armoires électriques, capteurs fumées, contrôle des rejets, petits moteurs électriques, connectiques, etc.), auquel on ajoutera la conduite de l’installation par des visites très régulières, des relevés systématiques de paramètres, des contrôles de bon fonctionnement des équipements, la surveillance de dérives des paramètres techniques de l’installation, par exemple par analyse de la qualité de l’huile de lubrification en laboratoire.
Récupérer la chaleur
Si le projet intègre une prime à l’efficacité énergétique, il faudra être attentif aux équilibres thermiques : débit, régime de températures et puissance thermique délivrée. On essaiera, dans la mesure du possible, d’effectuer l’entretien des échangeurs thermiques en temps masqué, lors des périodes de maintenance de l’installation de cogénération. Attention à ne pas sous-estimer les temps de refroidissement des équipements de récupération thermique de l’installation. La plus grande attention sera portée lors de la mise en service de la production thermique. Le soutien d’un thermicien en cogénération est fortement recommandé.
Si la chaleur est valorisée chez un tiers, alors les interfaces contractuelles, physiques ainsi que les responsabilités en cas de non-approvisionnement devront être clairement définies.
Un système de télésurveillance et de télégestion préviendra les dérives des paramètres techniques et permettra une surveillance à distance de l’installation 24 h/24 (SMS, email) dans le cadre d’un système d’astreinte indispensable.
Enfin, la qualité et les compétences du personnel d’exploitation feront toute la différence.
Incertitudes des équipements de mesures
Les revenus provenant de la production d’énergie par cogénération d’un projet de méthanisation peuvent être impactés par un fonctionnement défectueux de la chaîne de mesure nécessaire à la facturation du coefficient d’efficacité énergétique V défini dans l’arrêté ministériel du 19 mai 2011. Pour rappel, les comptages sont effectués sur l’électricité, la chaleur et sur le pouvoir calorifique inférieur (PCI) du biogaz entrant.
Compteur de chaleur :
Attention au positionnement du compteur pour éviter la condensation et l’oxydation éventuelle du matériel. La carte du calculateur du débitmètre sera déportée. Un réétalonnage sur site par le constructeur devra être possible. Il est recommandé de prendre un appareil le plus précis possible. Une incertitude inférieure à 2 % est une bonne valeur à retenir.
Analyseur biogaz en continu :
Les valeurs suivies en continu sont le CH4, l’O2, le CO2 et H2S. Il est recommandé de prévoir une carte de rechange (notamment la carte H2S). Une bonne ventilation de l’analyseur doit être assurée et une bouteille-étalon in situ permettra une vérification mensuelle, d’ailleurs recommandée par EDF pour le contrôle de la prime à l’efficacité énergétique. Une incertitude de 1 % est une bonne valeur.
Débitmètre biogaz :
Le débitmètre sera systématiquement calorifugé, évitant ainsi les dérives de mesures importantes en cas de différence de température entre l’air ambiant et la température du gaz. Il faut également prévoir un retour à l’usine constructeur pour le réétalonnage. Une incertitude de 1 % est une bonne valeur. Le débitmètre sera couplé à l’analyseur afin d’assurer le calcul du PCI du biogaz à tout moment.
Compteur électrique :
Le compteur sera loué auprès d’ERDF, qui prend la responsabilité de l’entretien.
Calcul des incertitudes :
Incertitude sur la prime à l’efficacité énergétique
dV = √dQ² + dE² + dEC² dQ = Incertitude sur le PCI biogaz dE = Incertitude sur le comptage électrique dEC = Incertitude sur le comptage chaleur
Avec une incertitude totale de la chaîne de mesure de 2,5 %, le projet sera bien équipé.
Le biogaz a le vent en poupe, mais l’exploitation d’une cogénération à partir d’une station d’épuration ou d’un méthaniseur agro-alimentaire ne s’improvise pas. Le principe, simple sur le papier, oblige à s’imprégner dès la conception de toutes les difficultés d’un tel projet pour en assurer de bonnes performances d’exploitation sur la durée. Examiné de cette façon, un projet de cogénération biogaz démontrera d’excellentes performances énergétiques, avec des rendements globaux pouvant dépasser 70 %, cela en vaut la peine.