Cet article vise à apporter des informations sur les conditions d'apparition des nitrites lors de la dénitrification aval des eaux usées par biofiltration. Plus précisément, il aborde la question de la gestion des charges appliquées en azote. Notre étude a montré que la charge appliquée en azote constituait un facteur clé à prendre en compte pour éviter la présence de nitrites résiduels. L?application de charge azotée trop importante provoquera inévitablement l'apparition de nitrites résiduels dans les eaux traitées, et cela même dans des conditions de fonctionnement optimisées (C/N, P/N optimisés). Au regard des résultats obtenus, il semble que la charge limite au-dessus de laquelle il semble très difficile de maintenir un résiduel de nitrites inférieur à 1 mg N.l-1 se situe entre 2,5 et 2,8 kg N-NO3-.m-3.j-1. La détermination plus précise de cette charge limite est délicate dans la mesure où l'apparition de nitrites est aussi dépendante d'autres facteurs tels que la température de l'eau.
L’article introductif de ce dossier (Rocher et al., 2011a) a souligné le caractère sensible de la problématique « nitrites » ; l’accroissement des volumes d’eaux usées post-dénitrifiées à l’échelle du bassin-versant parisien a conduit à une augmentation significative des concentrations en nitrites en Seine. Le contrôle de l’apparition des nitrites au cours de l’étape de post-dénitrification des eaux usées est donc devenu un enjeu environnemental majeur.
Ainsi, la Direction du Développement et de la Prospective du SIAAP a mené de nombreuses expérimentations sur les ouvrages de dénitrification de ses usines pour cerner l’influence de la charge appliquée, du dosage du substrat carboné et des apports en phosphore sur la production de nitrites. Cette synthèse est consacrée à l’étude de l’influence de la charge appliquée en azote sur l’apparition de nitrites. Il s’agit d’apporter aux exploitants des usines des informations précises qui leur permettent de piloter l’alimentation en effluent de leurs ouvrages dénitrifiants en assurant le maintien d’une concentration en nitrites nulle ou très faible.
Cet article est scindé en deux parties respectivement consacrées à la description
Mots-clés : Biofiltration, dénitrification, eaux usées, exploitation, station d’épuration
des moyens techniques mis en œuvre dans le cadre de cette étude et à la présentation des principaux résultats et principales conclusions obtenus.
Matériel et méthodes
Présentation des sites d’étude
La plupart des usines du SIAAP intègrent dans leur file de traitement des eaux une étape de dénitrification aval par biofiltration. Dans cet article, les résultats obtenus sur les stations Seine Aval (Achères - 1 700 000 m³/j) et Seine Centre (Colombes - 240 000 m³/j) sont présentés (figure 1). Le choix de ces deux usines est motivé par le fait qu’elles disposent toutes deux de filtres biologiques de type Biofor® qui fonctionnent dans des conditions d’exploitation très différentes. Des charges azotées importantes sont appliquées sur les biofiltres de la station Seine Aval (charges volumiques appliquées en nitrates de 2,5-5 kg N·m-³/j et vitesses hydrauliques de 10-20 m/h) alors que les biofiltres de Seine Centre reçoivent des charges en azote plus faibles (charges volumiques appliquées en nitrates de 1,5-2,5 kg N·m-³/j et vitesses hydrauliques de 7-12 m/h). L’étude conjointe de ces deux usines nous permet donc d’apprécier l’influence de la charge appliquée sur la production de nitrites sur une large gamme de charges volumiques allant de 1,5 à 5 kg N·m-³/j.
Présentation des dispositifs techniques
Suivi de la qualité des influents/effluents
Le suivi de la qualité des eaux entrant et sortant des ouvrages de dénitrification est assuré par des préleveurs automatiques multi-flacons réfrigérés installés en amont et aval des unités de dénitrification des deux usines étudiées. Sur les échantillons moyens 24 h prélevés quotidiennement, l’ensemble des paramètres classiques est analysé par le laboratoire COFRAC de la Direction du Développement et de la Prospective du SIAAP. Parmi ces paramètres, on compte : les matières en suspension (MES), les demandes chimique et biochimique en oxygène (DCO, DBO), l’azote Kjeldahl (NK), l’azote ammoniacal (NH₄⁺), les formes oxydées de l’azote (NO₂⁻, NO₃⁻), les ortho-phosphates (PO₄³⁻) et le phosphore total (Pt).
Suivi de l’évolution des polluants dans le massif filtrant
Le suivi de l’évolution des polluants au sein du biofiltre est réalisé en introduisant dans le massif filtrant des cannes de prélèvement multi-points. Ces cannes soutiennent un faisceau de tubes de faible diamètre qui permettent le prélèvement d’eau interstitielle à différentes hauteurs du massif filtrant. De manière générale, les cannes sont conçues de manière à permettre le prélèvement d’eau tous les 50 centimètres depuis le plancher jusqu’à la lame d’eau superficielle (figure 2).
Sur les échantillons prélevés ponctuellement grâce à ce dispositif, l’ensemble des paramètres classiques cités précédemment a été analysé. L’analyse de la plupart des polluants a été réalisée in situ par méthodes rapides dans la mesure où les eaux prélevées au cœur du massif sont très instables (présence de méthanol, d’azote oxydé et de bactéries épuratrices) et ne peuvent pas être conservées en vue d'une analyse en laboratoire. De récentes expérimentations visant à estimer les vitesses d’évolution des nutriments azotés en fonction de la nature des eaux prélevées et des conditions de conservation ont été menées par les équipes du SIAAP (Joab, 2010). Ces expérimentations ont, en effet, montré
que, dans le cas d'une eau prélevée au sein du massif dénitrifiant, les nitrates et les nitrites disparaissent respectivement à des vitesses de 0,4 et 0,1 mg N·l⁻¹·h⁻¹ (Température de 20 °C).
Résultats et discussion
Fluctuation des nitrites dans les eaux dénitrifiées
En s’appuyant sur les jeux de données constitués grâce aux analyses quotidiennes réalisées sur les ouvrages de dénitrification de Seine Centre et de Seine Aval, le diagramme présentant conjointement l’évolution des charges éliminées en nitrates en fonction des charges appliquées (figure 3 – carrés rouges et bleus) et les concentrations résiduelles en nitrites dans les eaux traitées a pu être tracé (figure 3 – étoiles rouges et bleues). Il est important de souligner que ce graphique a été tracé en sélectionnant les jours où les conditions de fonctionnement des biofiltres étaient optimales. Les phases transitoires de redémarrage et les périodes durant lesquelles la biomasse était carencée en carbone et phosphore ont été évincées. Les questions de l’optimisation des apports en substrat carboné et de l’alimentation en phosphore des ouvrages de dénitrification seront respectivement abordées dans les deux articles suivants de ce dossier (Rocher et al., 2011d ; Rocher et al., 2011c).
L’allure du diagramme CVe versus CVa en nitrates montre que l’accroissement des charges appliquées en azote nitrique induit logiquement une augmentation des charges éliminées. L’inflexion modérée de cette courbe indique que les rendements d’élimination des nitrates restent satisfaisants sur l’ensemble de la gamme de charges appliquées ; le taux d’élimination restant de l’ordre de 90 % pour des charges appliquées de 4-5 kg N-NO₃·m⁻³·j⁻¹. Ces résultats observés sur nos installations industrielles corroborent ceux obtenus lors des précédentes expérimentations menées sur les pilotes Biostyr®. Ces études prospectives avaient montré que, dans le cas d’eaux présentant des températures supérieures à 18 °C, les rendements d’élimination des nitrates restaient de l’ordre de 75-95 % pour des charges appliquées atteignant 7 kg N·m⁻³·j⁻¹ (Rocher et al., 2008). Cependant, si l’augmentation des charges appliquées en nitrates jusqu’à des valeurs de 5 kg N·m⁻³·j⁻¹ n’affecte pas significativement le rendement d’élimination des nitrates, elle induit en revanche une augmentation des concentrations résiduelles en nitrites.
Ainsi, pour des charges appliquées en nitrates de 1-2 kg N·m⁻³·j⁻¹, les concentrations résiduelles en nitrites dépassent rarement les 0,5 mg N·l⁻¹ alors qu’elles sont quasi-systématiquement supérieures à 2 mg N·l⁻¹ dès lors que les charges appliquées dépassent les 4 kg N·m⁻³·j⁻¹ (figure 3 – étoiles rouges et bleues). La charge appliquée constitue donc un facteur de contrôle important de l’apparition de nitrites dans les eaux dénitrifiées.
Cependant, la figure 3 montre que, pour une même charge appliquée, les concentrations en nitrites peuvent être assez variables. À titre d’illustration, pour une charge appliquée en nitrates de 3,5-4 kg N·m⁻³·j⁻¹, les concentrations résiduelles en nitrites varient entre 1 et 2 mg N·l⁻¹.
Cette dispersion des valeurs ne peut être expliquée par une variation des équilibres nutritionnels (C/N, P/N) dans la mesure où, comme nous l’avons précisé précédemment, la figure 3 a été tracée en n’utilisant que les données acquises les jours où les nutriments carbonés et azotés étaient en excès dans le réacteur biologique.
On peut alors supposer que les variations de température de l'eau à traiter peuvent expliquer une partie de cette variabilité. Pour apprécier l’influence de la température sur apparition des nitrites résiduels, nous nous sommes focalisés sur le fonctionnement de la station Seine Aval et, plus particulièrement, sur les périodes où les biofiltres dénitrifiants recevaient des charges comprises entre 3 et 4 kg N·m⁻³·j⁻¹ dans des conditions de faible température (< 16 °C) et de température élevée (> 23 °C) (figure 4).
Isoler les périodes de fonctionnement estivale et hivernale, en excluant les périodes où les températures sont plus tamponnées, permet d’apprécier plus facilement l’influence de la température. La figure 4 montre que, quelle que soit la température de l’eau, l’augmentation de la charge appliquée s’accompagne d’un accroissement des concentrations en nitrites résiduels. Mais les niveaux de concentrations en nitrites dans les eaux traitées sont globalement plus importants dans les eaux froides (< 16 °C) que dans les eaux chaudes (> 23 °C). Dans ces conditions de charges, les concentrations en nitrites dans les eaux traitées sont de l’ordre de 1 – 2 mg N·l⁻¹ en période estivale alors qu’elles sont plutôt de l’ordre de 1,5 – 2,5 mg N·l⁻¹ en période hivernale.
Si, au regard de la figure 4, le rôle de la température apparaît évident, l’ensemble de la variabilité ne peut être expliqué par la seule variation de ce paramètre. La seconde hypothèse explicative qui peut être avancée concerne les conditions d’exploitation appliquées lors des périodes antérieures à la mesure. En effet, on sait que les performances épuratoires d’un système biologique dépendent du respect des équilibres nutritionnels (C/N, P/N, etc.) mais aussi du maintien d’un équilibre entre la quantité de biomasse active et la quantité de nutriments apportée au système. Le maintien permanent de cet équilibre « biomasse/substrat » suppose que l’alimentation du système en nutriments soit stable. Une variation brutale des apports en nutriments induira un déséquilibre temporaire « biomasse/substrat » ; le temps nécessaire au retour à l’équilibre dépend principalement de l’amplitude de la variation des apports en nutriments, du type de bactéries et de la température du réacteur biologique. Dans ces périodes transitoires, le fonctionnement des systèmes biologiques peut être dégradé, conduisant au rejet de nutriments partiellement transformés. Par conséquent, on comprend que les performances épuratoires de systèmes biologiques exploités dans des conditions identiques peuvent être différentes si les « vécus » de ces deux systèmes sont différents. Plus précisément, le système biologique qui aura subi une variation récente de son alimentation sera moins performant que le système fonctionnant en régime parfaitement stabilisé. On peut supposer que ces différences de « vécus », que les figures 3 et 4 ne permettent pas d’apprécier, peuvent être à l’origine d’une partie de la variabilité des concentrations en nitrites en sortie de dénitrification.
Dynamique des nitrites au sein du massif
Le suivi du fonctionnement des biofiltres dénitrifiants de Seine Aval et Seine Centre a montré que la quantité de nitrites résiduels en sortie de dénitrification était en partie contrôlée par la charge appliquée en nitrates. En revanche, ce suivi amont/aval des ouvrages ne nous renseigne pas sur les processus de formation des nitrites dans le biofiltre. Pour appréhender les mécanismes d’apparition/disparition de cette espèce intermédiaire au sein des massifs filtrants, les cannes de prélèvement multipoints décrites ci-avant ont été installées sur les biofiltres de ces deux usines. La réalisation d’un grand nombre de profils sur ces deux installations nous a permis d’observer le fonctionnement des biofiltres dans des conditions d’exploitation variables (charges appliquées, rapport C/N, rapport P/N). Dans un souci de clarté et pour répondre à l’objectif de cet article, qui est de comprendre la relation entre la charge appliquée en azote et l’apparition des nitrites, nous avons sélectionné trois profils réalisés dans des conditions de charges appliquées croissantes mais avec des apports en carbone et phosphore similaires et suffisants (C/N et P/N identiques) (figure 5).
La figure 5 montre que l’évolution des polluants azotés et carbonés n’est pas homogène sur l’ensemble de la hauteur du biofiltre. Le massif filtrant peut schématiquement être divisé en deux zones : la partie inférieure, que l’on qualifiera de « zone intense », et
la partie supérieure, que l'on qualifiera de « zone tampon ». La partie inférieure du massif présente une forte activité biologique. Dans cette zone, on observe une diminution rapide et linéaire des concentrations en azote nitrique. Les précédents travaux menés par Azimi et al. (2010) ont montré que les charges éliminées en nitrates pouvaient atteindre 7 kg N·m⁻³ dans le premier mètre de matériau filtrant. La chute des concentrations en nitrates s'accompagne systématiquement d’une augmentation des concentrations en nitrites. Pour chaque gramme d’azote nitrique éliminé, environ 0,1-0,3 gramme d’azote nitreux est accumulé dans le milieu. Nous verrons d'ailleurs dans la suite de ce dossier que cette cinétique d’accumulation des nitrites au cœur du massif est dépendante des conditions d’exploitation et, en particulier, de la valeur du ratio C/N (Rocher et al., 2011c). Les nitrites, inévitablement produits et accumulés dans la zone intense, sont éliminés dans la partie haute du massif où les concentrations en nitrates sont plus faibles. La préservation de cette zone tampon est indispensable pour éviter le rejet d'un résiduel de nitrites. La figure 5a illustre le cas idéal où les nitrites accumulés dans la zone intense sont éliminés en totalité dans la zone tampon. Dans ce cas, l'application d'une faible charge azotée sur le biofiltre (1,5 kg N-NO₃·m⁻³) a permis de préserver une zone tampon suffisante pour éliminer les nitrites.
Le problème des nitrites se pose lorsque l'augmentation excessive des charges appliquées sur le biofiltre induit une augmentation de la hauteur de la zone intense au dépend de la zone tampon. Ce phénomène est illustré par la figure 5b et surtout par la figure 5c. Dans ce dernier cas, l’application d’une charge supérieure à 3,5 kg N·m⁻³ a induit une suppression quasi-totale de la zone tampon ; la zone intense occupe plus de 80 % du massif. Les quantités importantes de nitrites formés dans le massif (10-12 mg N-NO₂·l⁻¹ à une hauteur de 2,5 m) se retrouvent alors en grande partie dans les eaux de rejet (concentration résiduelle de 6 mg N-NO₂·l⁻¹). Il convient par ailleurs de souligner que les problèmes posés par l'application de très fortes charges ne se limitent pas à la problématique des nitrites. Le manque de volume de matériau, induit par un fonctionnement en surcharge, pourra aussi conduire au rejet de carbone résiduel dans la mesure où une partie du méthanol injecté n’aura pas pu être consommée.
Conclusion
Le suivi du fonctionnement de nos installations industrielles combiné aux expérimentations menées à l’aide de dispositifs spécifiques de prélèvement a permis d’apporter des éléments précieux sur les conditions d’apparition des nitrites et, en particulier, sur l’importance de la gestion des charges appliquées.
Notre étude a montré que la charge appliquée en azote constituait un facteur clé à prendre en compte pour éviter la présence de nitrites résiduels. L'application de charges azotées trop importantes provoquera inévitablement l’apparition de nitrites résiduels dans les eaux traitées, et cela même dans des conditions de fonctionnement optimisées (C/N, P/N optimisés). Dans le cas des filtres biologiques de type Biofor®, il semble que la charge limite au-dessus de laquelle il semble très difficile de maintenir un résiduel de nitrites inférieur à 1 mg N·l⁻¹ se situe entre 2,5 et 2,8 kg N-NO₃·m⁻³. La détermination plus précise de cette charge limite est délicate dans la mesure où, comme nous l’avons vu dans cet article, l'apparition de nitrites est aussi dépendante d'autres facteurs tels que la température de l'eau et, vraisemblablement, du « vécu » du biofiltre.
Remerciements
Les auteurs remercient Sabrina Rechdaoui, technicienne de recherche au sein de la Direction du Développement et de la Prospective du SIAAP, pour sa contribution importante à ce travail.
Références bibliographiques
* Azimi S., Rocher V., Paffoni C., Goncalves A. et Gousailles M. (2010). Dynamique de la colonisation du massif filtrant d'une unité de dénitrification des eaux usées par biofiltration. La Houille Blanche, n° 4, 7 pages.
* Joab A. (2010). Étude des méthodes de conservation des échantillons d’eaux résiduaires urbaines. Rapport d'apprentissage – Licence Professionnelle – Protection de l'environnement, traitement et analyse de l'eau et des déchets aqueux, 70 pages.
* Rocher V., Paffoni C., Goncalves A., Azimi S. et Gousailles M. (2008). La biofiltration des eaux résiduaires urbaines : retour d’expérience du SIAAP. La Revue des Sciences de l'Eau, 24, 475-485.
* Rocher V., Garcia-Gonzalez E., Paffoni C. et Thomas W. (2014a). La production de nitrites lors de la dénitrification des eaux usées : un sujet sensible et complexe ! L'Eau, Industrie, les Nuisances, ce numéro.
* Rocher V., Paffoni C., Goncalves A., Azimi S., Rechdaoui S. et Pauss A. (2014c). Conditions d'apparition des nitrites lors de la dénitrification des eaux usées par biofiltration. 2. Importance des apports en substrat carboné. L'Eau, l'Industrie, les Nuisances, ce numéro.
* Rocher V., Meche P., Rechdaoui S., Paffoni C., Goncalves A. et Azimi S. (2014c). Conditions d'apparition des nitrites lors de la dénitrification des eaux usées par biofiltration. 3. Importance des apports en phosphore. L'Eau, l'Industrie, les Nuisances, ce numéro.