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Conditions d'apparition des nitrites lors de la dénitrification des eaux usées par biofiltration - 3. Importance des apports en phosphore

30 septembre 2011 Paru dans le N°344 à la page 98 ( mots)
Rédigé par : V. ROCHER, C. PAFFONI, A. GONCALVES et 3 autres personnes

Cet article vise à apporter des informations sur les conditions d'apparition des nitrites lors de la dénitrification aval des eaux usées par biofiltration. Plus précisément, il aborde la question de l'influence des apports en phosphates sur l'apparition de nitrites dans les eaux dénitrifiées. Nos résultats ont montré qu'au cours de la dénitrification, la biomasse consomme en moyenne 0,02-0,03 mg P. mg N-NOx éliminé. Ainsi, le maintien d'un ratio P-PO4 3-/N-NO3 - de 0,03 dans les eaux nitrifiées alimentant l'étape de dénitrification permet d'assurer une dénitrification efficace tout en limitant les concentrations en phosphates résiduels dans les eaux dénitrifiées. L?étude plus fine de la consommation en phosphates a montré que la biomasse peut se comporter comme une véritable « éponge à phosphates » en retenant de manière très efficace les phosphates lorsqu'ils sont en excès dans le milieu réactionnel ; les consommations pouvant atteindre 0,05-0,06 mg P. mg N-NOx éliminé dans ces situations d'excès. À l'inverse, les expérimentations en pilote de laboratoire ont montré que la biomasse est capable d'éliminer une quantité d'azote importante en l'absence de phosphates dissous. La biomasse épuratrice est donc peu réactive aux variations de phosphates dans le milieu réactionnel. Une instabilité des apports en phosphates, induisant des périodes de carence temporaire en phosphates, ne provoquera pas nécessairement de dysfonctionnement de la dénitrification et d'apparition de nitrites dans le rejet. Cependant, la carence en phosphates peut constituer un facteur aggravant si les unités de dénitrification reçoivent des charges appliquées en azote trop importantes. Dans cette situation, le ralentissement des cinétiques de dénitrification induit par la limitation des apports en phosphore accentue le phénomène d'apparition des nitrites provoqué par l'application de charges excessives en azote.

[Photo : dispositif expérimental mis en place pour étudier l’influence de la concentration en phosphates sur la dénitrification des eaux usées.]

L’influence de la charge appliquée, du dosage du substrat carboné et des apports en phosphore sur la production de nitrites. Cette synthèse est consacrée à l'étude de l'influence des apports en phosphore sur l'apparition des nitrites et, de manière plus globale, sur l’efficacité de la dénitrification. Il s’agit de définir les conditions de régulation du phosphore qui permettent le maintien d'une dénitrification efficace et complète, c’est-à-dire sans nitrites dans les eaux dénitrifiées, tout en limitant les concentrations en phosphores résiduels (Pt et PO₄³⁻) dans les eaux de rejet.

Cet article est scindé en deux parties. La première partie vise à présenter les expérimentations menées à l'échelle de pilotes de laboratoire ainsi que les campagnes de mesure menées sur les sites industriels du SIAAP. La seconde partie, consacrée à la présentation des principaux résultats, vise à évaluer précisément les besoins en phosphore des biomasses épuratrices dénitrifiantes et à étudier les relations existant entre la production de nitrites et les apports en phosphore.

Matériel et méthodes

Expérimentations en laboratoire

Description du dispositif expérimental

Un dispositif expérimental permettant le suivi des cinétiques bactériennes de dénitrification en conditions contrôlées a été conçu. Ce dispositif est composé d'un réacteur d’un volume de 4,5 litres alimentant en continu, via un système de pompage, une colonne de biofiltration d’une capacité de 1 dm³ de matériau filtrant (matériau granulaire de type Biolite®). Le système fonctionne en circuit fermé puisque l’effluent introduit dans la colonne de biofiltration est réinjecté dans le réacteur après transit à travers le matériau filtrant.

Description du réacteur.

Le réacteur, destiné à recevoir l’effluent à dénitrifier, a été réfléchi et conçu de manière à pouvoir contrôler les conditions réactionnelles et à permettre un suivi aisé des cinétiques bactériennes. Ainsi, il est équipé d’un système d’insufflation de diazote qui permet de dégazer l’oxygène dissous présent dans l’effluent et assure aussi le maintien de conditions anoxiques indispensables à l'installation d'une dénitrification efficace (figure 1-1). Une sonde de mesure de l’oxygène dissous a été installée dans le réacteur pour contrôler que les concentrations en oxygène dissous ne dépassaient pas 0,3 mg O₂/L (figure 1-2). Un système de piquage permettant de doper en nutriments l’effluent à dénitrifier (ajout méthanol/nitrates/phosphates) et de prélever des sous-échantillons, en limitant au maximum les échanges entre le ciel gazeux du réacteur et l'atmosphère, a été ajouté sur le réacteur (figure 1-3).

Description du système de pompage.

Une pompe péristaltique assure la circulation de l’effluent à travers la colonne de biofiltration à un débit de 110 L/h (figure 1-4). À ce débit, la vitesse hydraulique de passage des eaux à travers le massif filtrant est de 30 m/h et une durée de 2,5 minutes est nécessaire au passage des 4,5 litres d'eau nitrifiée présents dans le réacteur. Il convient de souligner que ce pilote de laboratoire n’a pas été réfléchi et dimensionné pour se rapprocher des conditions de fonctionnement des biofiltres industriels mais pour permettre une étude aisée des processus biologiques.

Description de la colonne de biofiltration.

Un décimètre cube de matériau de filtration granulaire de type Biolite® (billes d’argile expansée de 3-4 mm de diamètre) est introduit dans la colonne de biofiltration (figure 1-5). Ce matériau filtrant est déjà ensemencé dans la mesure où il est prélevé dans les biofiltres dénitrifiants d'une station d’épuration en fonctionnement (Station Seine Centre, 240 000 m³/j). Pour des raisons techniques, aucun système de lavage du massif filtrant n’a été intégré au pilote et, par conséquent, la biomasse excédentaire produite lors des cycles expérimentaux n’est pas extraite. De ce fait, le massif filtrant présent dans la colonne de biofiltration est renouvelé au début de chaque expérimentation. Cependant, afin d’assurer un niveau de colonisation relativement homogène d’une expérimentation à l’autre, le matériau a systématiquement été prélevé sur des biofiltres présentant des conditions d'exploitation proches (charges appliquées en azote — temps de filtration au moment du prélèvement).

Description des protocoles opératoires

Protocole expérimental.

Ces expérimentations visent à étudier les relations existant entre la dénitrification et les niveaux de concentration en phosphates dans le milieu réactionnel. Le protocole, détaillé par Mèche (2011), peut schématiquement être scindé en deux étapes : (1) la préparation de l’effluent à traiter et (2) le suivi de l’évolution des nutriments azotés et phosphatés.

(1) Préparation de l’effluent à traiter.

Un volume de 4,5 litres d’eau nitrifiée est prélevé sur une station d’épuration intégrant une nitrification tertiaire (Station Seine Centre). Cette eau nitrifiée présente des concentrations moyennes en nitrates, phosphates et demande biochimique en oxygène de 20-25 mg N/L, 0,3 mg P/L et 5 mg O₂/L. Cette eau nitrifiée est introduite dans le réacteur et un bullage en diazote de quelques minutes est opéré pour atteindre l’anoxie. L’effluent est ensuite dopé en azote, carbone et phosphate. Le dopage en nitrates est fixé de manière à apporter un stock de nitrates important dans le milieu réactionnel, de l’ordre de 400 mg N/L, et ainsi permettre le suivi de la cinétique de dénitrification pendant 50 heures. Le dopage en méthanol est fixé de manière à apporter un stock de matière

organique biodégradable important dans le milieu réactionnel, de l’ordre de 2,5 g O₂/l en DBO, et ainsi permettre le maintien d'un rapport DBO/N-NO₃ supérieur à 6 tout au long de la cinétique. Le maintien d'un excès de carbone organique dans le milieu est essentiel pour s’affranchir de l’influence du substrat carboné sur le processus de dénitrification, largement évoqué dans le premier article de ce dossier (Rocher et al., 2011b). Le dopage en phosphates est, quant à lui, variable d’une expérimentation à l'autre. Des cinétiques ont été suivies sans ajout supplémentaire de phosphates ou avec des dopages calculés de manière à assurer dans le milieu réactionnel, au début de l’expérimentation, des concentrations de 2, 4 ou 8 mg P/l.

(2) Suivi de la cinétique. Le début de la cinétique correspond à la mise en route de la circulation de l’effluent à travers le massif filtrant. À pas de temps réguliers, des volumes de 10-20 ml sont prélevés dans le réacteur via le système de prélèvement, filtrés à 0,45 µm (filtre à seringue en polyéther-sulfone, VWR), puis analysés par micro-méthodes. Dans le cas de l’azote, le kit de mesure Merck a été utilisé pour doser les nitrates et les nitrites tandis que pour les phosphates, un système novateur de dosage par absorbance à 630 nm (Enalyse (P)GB, société Envolure) a été utilisé. Les nutriments ont été suivis à pas de temps très fin sur les 2 premières heures de cinétique (fréquence de 15 minutes), à pas de temps fin de 2 à 10 heures (fréquence de 2 heures) et à pas de temps plus large de 10 à 50 heures.

Interprétation des résultats. Pour chaque expérimentation, le suivi de l’évolution des nutriments azotés et carbonés durant une période de 30 à 50 heures permet de tracer la figure 2. Cette figure comporte deux zones distinctes qui feront l'objet de traitements spécifiques.

La première zone correspond au début de la cinétique, période durant laquelle les concentrations en phosphates dans le milieu réactionnel sont mesurables. Les données acquises durant cette période seront utilisées pour évaluer la consommation en phosphates et étudier la relation existant entre cette consommation et la concentration en phosphates dans le milieu réactionnel. La seconde zone correspond à la période durant laquelle les concentrations en phosphates dans le milieu réactionnel sont nulles (inférieures aux limites de quantification). Les données acquises durant cette période seront utilisées pour apporter des éléments sur la capacité de la biomasse épuratrice à assurer une dénitrification efficace de l’effluent en absence de phosphates dans le milieu réactionnel.

[Photo : Figure 2 : graphique type tracé à partir des expérimentations menées en laboratoire.]

Expérimentations sur site industriel

Présentation des sites d’étude

La plupart des usines du SIAAP intègrent dans leur file de traitement des eaux une étape de dénitrification aval par biofiltration. Dans cet article, les résultats obtenus sur les stations Seine Aval (Achères – 1 700 000 m³/j) et Seine Grésillons (Triel-sur-Seine – 100 000 m³/j) sont présentés (figure 3).

Le choix de ces deux usines est motivé par le fait qu’elles disposent de filtres biologiques (Biofor® ou Biolest®) qui fonctionnent dans des conditions d’exploitation très différentes. Plus précisément, les charges volumiques appliquées sont de 2,5-5 kg N-NO₃·m⁻³·j⁻¹ sur le site Seine Aval et seulement de 1-2 kg N-NO₃·m⁻³·j⁻¹ sur le site Seine Grésillons qui intègre dans sa filière de traitement des eaux une étape de dénitrification amont.

Présentation des dispositifs techniques

Suivi de la qualité des effluents en entrée et sortie d’ouvrage. Le suivi de la qualité des eaux entrant et sortant des ouvrages de dénitrification est assuré par des préleveurs automatiques multi-flacons réfrigérés installés en amont et aval des unités de

[Photo : Figure 3 : caractéristiques des stations d'épuration du SIAAP.]
[Photo : canne de prélèvement multi-points insérée dans le massif filtrant des biofiltres dénitrifiants de SAV.]

Dénitrification des deux usines étudiées.

Sur les échantillons moyens 24 h prélevés quotidiennement, l'ensemble des paramètres classiques est analysé par le laboratoire de la Direction du Développement et de la Prospective du SIAAP. Parmi ces paramètres, on compte : les matières en suspension (MES), les demandes chimique et biochimique en oxygène (DCO, DBO), l'azote Kjeldahl (NK), l'azote ammoniacal (NH₄⁺), les formes oxydées de l'azote (NO₃⁻, NO₂⁻), les ortho-phosphates (PO₄³⁻) et le phosphore total (Pt).

Suivi de l’évolution des polluants dans le massif filtrant.

Sur la station Seine Aval, le suivi de la qualité des eaux en entrée et sortie d’ouvrage a été complété par un suivi de l’évolution des polluants au sein du biofiltre. Ce suivi est réalisé en introduisant dans le massif filtrant une canne de prélèvement multi-points. Cette canne soutient un faisceau de tubes de faible diamètre qui permettent le prélèvement d’eau interstitielle tous les 50 centimètres depuis le plancher jusqu’à la lame d’eau superficielle (figure 4).

Sur les échantillons prélevés ponctuellement grâce à ce dispositif, l'ensemble des paramètres classiques cités précédemment a été analysé. L'analyse de la plupart des polluants a été réalisée in situ par méthodes rapides dans la mesure où les eaux prélevées au cœur du massif sont très instables (présence de méthanol, d’azote oxydé et de bactéries épuratrices) et ne peuvent pas être conservées en vue d'une analyse en laboratoire. De récentes expérimentations visant à estimer les vitesses d’évolution des nutriments azotés en fonction de la nature des eaux prélevées et des conditions de conservation ont été menées par les équipes du SIAAP (Joab, 2010). Ces expérimentations ont, en effet, montré que, dans le cas d'une eau prélevée au sein du massif dénitrifiant, les nitrates et les nitrites disparaissent respectivement à des vitesses de 0,4 et 0,1 mg N L⁻¹ h⁻¹ (température de 20 °C).

Résultats et discussion

Besoins en phosphore de la biomasse dénitrifiante

Rappel sur les besoins théoriques

Le phosphore est un élément constitutif du matériel cellulaire. Il représente approximativement 2-2,5 % du poids sec des micro-organismes (Henze et al., 1997 ; Metcalf et Eddy, 2003). Ainsi, si l'on fixe la masse de phosphore cellulaire à 0,022 g/g de cellule et que l'on admet que le rendement hétérotrophe en dénitrification sur méthanol (YH) est de 0,4 g de biomasse par g de DCO éliminé (Copp et Dold, 1998 ; De Barbadillo et al., 2010), on peut estimer la consommation théorique en phosphore au cours de la dénitrification aval sur méthanol à 0,009 g P/g DCO éliminé.

Pour exprimer cette consommation par rapport à l'azote dénitrifié, on admettra que la réduction biologique complète d'un gramme de N-NO₃ nécessite l’oxydation de 3 grammes de méthanol, soit 4,2 grammes de DCO (1 g CH₃OH = 1 g DBO = 1,4 g DCO (Degrémont, 2005)). En admettant ces hypothèses de calcul, on peut estimer la consommation théorique en phosphore au cours de la dénitrification aval sur méthanol à environ 0,04 g P/g N-NOₓ éliminé.

Étude à l’échelle du pilote expérimental

Les résultats obtenus lors des 9 expérimentations menées à l’échelle du laboratoire sont présentés par la figure 5. Cette figure permet d’apprécier la relation existant entre la disponibilité du phosphate dans le milieu réactionnel, estimée par le ratio P-PO₄³⁻/N-NOₓ, et sa consommation par la biomasse épuratrice, exprimée en mg P-PO₄³⁻/mg N-NOₓ éliminé. En conditions limitantes en phosphates, l’accroissement des phosphates disponibles s’accompagne d'une augmentation quasi linéaire de la consommation. Puis, au-delà d’un ratio P/N de 0,003, la consommation en phosphates tend à se stabiliser pour fluctuer autour d'une consommation de 0,04-0,06 mg P-PO₄³⁻/mg N-NOₓ éliminé.

[Photo : Figure 5 : évolution des consommations en phosphates (mg P-PO₄³⁻/mg N-NOₓ) en fonction de la quantité de P-PO₄³⁻ dans le milieu réactionnel (P-PO₄³⁻/N-NOₓ).]

tion est supérieure aux besoins théoriques des biomasses dénitrifiantes, précédemment estimés à 0,04 P/g N-NOx éliminé. Cette sur-élimination de phosphates par le massif filtrant est essentiellement observée au début des expérimentations, durant les deux premières heures de cinétique juste après l'ajout de quantités importantes de phosphates dans le milieu réactionnel. Ainsi, la quasi-totalité des consommations supérieures à 0,04 g P/g N-NOx éliminé a été observée lorsque les concentrations en phosphates dans le milieu réactionnel dépassaient les 1,5 mg l⁻¹.

Si ces expérimentations ne nous renseignent pas sur les mécanismes impliqués dans le piégeage des phosphates dans le massif filtrant (stockage intra/extra cellulaire), elles montrent en revanche que la biomasse épuratrice est capable de retenir efficacement les phosphates dès lors que les concentrations dans le milieu sont importantes. On peut supposer que cette rétention des phosphates par le massif filtrant permet de constituer des stocks qui pourront être remobilisés par la biomasse épuratrice lorsque les apports en phosphores ne seront pas suffisants. Cet aspect sera discuté dans le paragraphe consacré à l'étude de l'inertie des systèmes biologiques (paragraphe évaluation de l'inertie du système biologique).

Étude à l'échelle des installations industrielles

Évaluation à l'échelle de l'ouvrage.

La figure 6 présente, pour chacune des deux stations étudiées, l'évolution de la consommation journalière en phosphates, exprimée en mg P-PO₄³⁻/mg N-NOx éliminé, en fonction du ratio P-PO₄³⁻/N-NOx calculé dans l'influent sur la base des données moyennes journalières. Les concentrations en phosphates résiduels mesurées dans les eaux dénitrifiées ont été ajoutées.

[Photo : Figure 6 : consommations en phosphates et concentrations en phosphates résiduels dans les eaux de sortie observées dans les ouvrages de dénitrification des usines (a) Seine Aval et (b) Seine Grésillons.]

L'étude du fonctionnement des unités de dénitrification industrielles confirme les observations faites à l’échelle du pilote de laboratoire. On note que les consommations en phosphates dans les unités de dénitrification sont étroitement corrélées au ratio P/N. En conditions limitantes en phosphates, l'accroissement des phosphates disponibles s’accompagne d’une augmentation quasi linéaire de la consommation. Puis, au-delà d’un ratio P/N de 0,025-0,03, la consommation en phosphates tend à se stabiliser pour fluctuer autour d’une consommation de 0,02-0,03 mg P-PO₄³⁻/mg N-NOx éliminé. Ainsi, d’un point de vue pragmatique, il semble que le maintien d’un ratio P/N moyen de 0,03 dans les eaux nitrifiées alimentant les ouvrages de dénitrification satisfasse les besoins de la biomasse épuratrice qui consomme alors 0,02-0,03 mg P-PO₄³⁻/mg N-NOx éliminé. Cette consommation est inférieure aux besoins théoriques précédemment estimés à 0,04 g P/g N-NOx éliminé. Cette différence entre les observations de terrain et les estimations théoriques a déjà été rapportée dans la littérature (De Barbadillo et al., 2010 ; Schauer et al., 2006).

La figure 6 nous renseigne aussi sur l'évolution des concentrations en phosphates résiduels dans les eaux dénitrifiées. On note que le maintien du rapport P/N à 0,03 permet de limiter la concentration en phosphates résiduels dans les eaux de rejet. Ce résiduel de phosphate est en moyenne de 0,3 mg P l⁻¹ et reste, en toutes circonstances, inférieur à 0,5 mg P l⁻¹. Les exemples des stations Seine Aval et Seine Grésillons montrent qu'un apport plus important en phosphore induira un accroissement sensible des concentrations en phosphates résiduels dans les eaux dénitrifiées.

[Photo : Figure 7 : consommations en phosphates calculées à différentes hauteurs des massifs filtrants des biofiltres dénitrifiants de l'usine Seine Aval.]
[Figure : évolution des concentrations en azote dans le réacteur au cours des expérimentations menées en laboratoire]

Évolution à l’échelle du massif filtrant.

La figure 7 présente l’évolution de la consommation en phosphates, exprimée en mg P-PO₄³⁻/mg N-NOx éliminé, en fonction du ratio P-PO₄³⁻/N-NOx. Grâce à l'utilisation de la canne de prélèvements multi-points, ces consommations ont pu être calculées pour les différentes tranches des biofiltres dénitrifiants de l'usine Seine Aval.

Les résultats obtenus sont globalement similaires à ceux obtenus à l’échelle de l’ouvrage. En conditions limitantes en phosphates, l'accroissement des phosphates disponibles s’accompagne d'une augmentation de la consommation et, au-delà d'un ratio P/N de 0,03, la consommation en phosphates tend à se stabiliser pour fluctuer autour d'une consommation de 0,02-0,03 mg P-PO₄³⁻/mg N-NOx éliminé. Cependant, l'analyse plus fine de ce graphique montre qu'il peut y avoir une consommation plus élevée des phosphates dans les couches basses du massif filtrant, c’est-à-dire dans les tranches 0-0,5 m et 0,5-1 m (losanges noirs/carrés gris). Dans ces couches, les concentrations en phosphates dans le milieu réactionnel peuvent être importantes ([PO₄³⁻] = 2-3 mg P·l⁻¹) et les consommations peuvent alors atteindre 0,05-0,06 mg P-PO₄³⁻/mg N-NOx éliminé. L’étude de la dynamique des phosphates au sein du massif filtrant confirme donc les résultats obtenus à l’échelle du pilote expérimental. Lorsque les concentrations en phosphates dans le milieu réactionnel sont importantes, la biomasse épuratrice se comporte comme une « éponge à phosphates » en retenant les phosphates de manière très efficace. En excès de phosphates, les consommations en phosphates atteignent 0,05-0,06 mg P-PO₄³⁻/mg N-NOx éliminé, soit des consommations bien supérieures aux besoins théoriques.

Évaluation de l’inertie du système biologique

L’étude de la consommation en phosphates des biomasses épuratrices a mis en évidence leur capacité à retenir des quantités importantes de phosphates lorsque les conditions étaient favorables (excès de phosphates). Cette capacité à retenir les phosphates permet probablement au biofilm de constituer des stocks de phosphore susceptibles d’être remobilisés en conditions de carence en phosphore. L’aptitude de la biomasse à utiliser du phosphore stocké pour pallier l'absence de phosphore disponible dans le milieu réactionnel a été testée lors des expérimentations menées à l’échelle du laboratoire (figure 8).

Les résultats obtenus ont confirmé la capacité de la biomasse épuratrice à poursuivre une dénitrification efficace en l’absence de phosphates dans le milieu réactionnel. Selon la quantité de phosphates injectée dans le réacteur, une durée de 2 à 8 heures est nécessaire pour consommer la totalité du phosphate présent dans le milieu. On note qu’au-delà de cette période, signalée par le trait vertical en pointillés, la vitesse de disparition des NOx ne diminue pas. Malgré l’absence de phosphates, le dm³ de biomasse épuratrice contenu dans la colonne de biofiltration a systématiquement été capable de consommer la totalité du stock de nitrates apporté dans le réacteur, soit approximativement 1,5 gramme d'azote (300 mg N·l⁻¹ × 4,5 litres). À l’échelle d'une station d’épuration, cela signifie qu’un mètre cube de biomasse épuratrice est capable d’éliminer au moins 1,5 kg N, sans puiser de phosphates dans l'effluent. Considérant qu’un biofiltre dénitrifiant élimine quotidiennement une charge volumique de 1,5-2,5 kg N·m⁻³, on peut en conclure que l'inertie du système biologique vis-à-vis des apports en phosphore est importante, d’au moins 15-20 heures.

Relation entre nitrites et phosphore

Les expérimentations menées à l’échelle du laboratoire ont souligné la capacité de la biomasse dénitrifiante à fonctionner en absence de phosphates sur des périodes relativement longues. La biomasse épuratrice est donc assez peu réactive aux variations de phosphates dans le milieu. On peut raisonnablement supposer que la fluctuation des apports en phosphates à faible échelle de temps (variabilité du ratio P/N au cours de la journée, par exemple)

[Figure : évolution des concentrations en nitrites dans les eaux dénitrifiées en fonction de la charge appliquée en nitrates (cas de la station Seine Aval)]

ne sera pas à l’origine de l’apparition de nitrites.

En revanche, si les conditions de fonctionnement des unités de dénitrification ne sont pas optimisées, le déficit en phosphate peut constituer un facteur aggravant. Cette situation est parfaitement illustrée par le cas de la station Seine Aval qui traite régulièrement des charges en azote très importantes (figure 9).

La figure 9 confirme que la charge constitue un facteur de contrôle de l’apparition des nitrites mais souligne aussi l’importance des apports en phosphates. Pour une même CVa, on constate que la concentration résiduelle en nitrites est plus importante dans le cas d’une limitation des apports en phosphates. Ainsi, pour une CVa de 4-5 kg N-NO₃-m⁻³·j⁻¹, les concentrations en nitrites sont de 2-3 mg N·l⁻¹ si le ratio P/N dans l’influent est supérieur à 0,03 (points roses sur la figure 9) mais sont de 3-9 mg N·l⁻¹ si le ratio P/N dans l’influent est inférieur à 0,025 (points rouges sur la figure 9).

Cette augmentation du résiduel de nitrites résulte probablement du ralentissement des cinétiques bactériennes provoqué par la diminution du substrat phosphaté dans le milieu. L’étude de la dynamique des nitrates et nitrites au sein du massif a montré qu’en conditions de fortes charges les cinétiques bactériennes n’étaient plus assez rapides pour éliminer dans la partie supérieure du massif les nitrites formés dans la partie inférieure (Rocher et al., 2011b). Ce phénomène observé en conditions non limitantes en phosphore est logiquement accentué en situation de carence en phosphore.

Conclusion

Les expérimentations menées à l’échelle du laboratoire et le suivi fin du fonctionnement de nos installations industrielles ont permis d’apporter des informations précieuses, d’une part, sur les besoins et les consommations en phosphates de la biomasse dénitrifiante et, d’autre part, sur l’influence des apports en phosphates sur l’apparition de nitrites dans les eaux dénitrifiées.

Au cours de la dénitrification, la biomasse consomme en moyenne 0,02-0,03 mg P/mg N-NOx éliminé et le maintien d’un ratio P-PO₄³⁻/N-NO₃ de 0,03 dans les eaux nitrifiées alimentant l’étape de dénitrification permet d’assurer une dénitrification efficace tout en limitant les concentrations en phosphates résiduels dans les eaux dénitrifiées ([PO₄³⁻] résiduel < 0,5 mg P·l⁻¹). L’étude plus fine de la consommation en phosphates a montré que la biomasse peut se comporter comme une véritable « éponge à phosphates » en retenant de manière très efficace les phosphates lorsqu’ils sont en excès dans le milieu réactionnel ; les consommations pouvant atteindre 0,05-0,06 mg P/mg N-NOx éliminé dans ces situations d’excès.

À l’inverse, les expérimentations en pilote de laboratoire ont montré que la biomasse est capable d’éliminer une quantité d’azote importante en absence complète de phosphates. La biomasse épuratrice est donc peu réactive aux variations de phosphates dans le milieu réactionnel. Une instabilité des apports en phosphates, induisant d’éventuelles périodes de carence en phosphates, ne provoquera pas nécessairement de dysfonctionnement de la dénitrification et d’apparition de nitrites dans le rejet. En revanche, la carence en phosphates peut constituer un facteur aggravant si les unités de dénitrification reçoivent des charges appliquées en azote trop importantes. Dans cette situation, le ralentissement des cinétiques de dénitrification induite par la limitation des apports en phosphore accentue le phénomène d’apparition des nitrites provoqué par l’application de charges excessives en azote.

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