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De l'eau sur Mars

30 janvier 2013 Paru dans le N°358 à la page 88 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET

En apparence, Mars est une planète désolée, aride, glacée et balayée par des tempêtes de poussières. Pourtant, les informations transmises ces dernières années par plusieurs sondes démontrent que ses profondeurs contiennent de l'eau dans des proportions bien plus importantes que ce que l'on avait pu espérer jusqu'à présent. Une découverte qui relance l'espoir de trouver un jour des traces de vie.

La présence d’eau sur la planète Mars revient périodiquement à la Une de l’actualité. C’est une question qui a toujours fasciné les chercheurs et les astronomes depuis le 19ᵉ siècle. C’est que sur Mars comme ailleurs, la présence d'eau est l’une des conditions indispensables à l’apparition de la vie. En 1877 déjà, l’astronome italien Giovanni Schiaparelli découvre des sillons à la surface de la planète rouge. Le mot italien « canali », utilisé à l’époque et qui signifie lits de rivière ou chenaux, est traduit à tort par « canaux » et pendant des décennies le public croira qu’une civilisation martienne a construit un réseau de canaux artificiels autour de la planète ! En 1965, la sonde Mariner 4 de la NASA ne trouve aucune preuve desdits canaux. Mais en 1976, les sondes américaines Viking 1 puis Viking 2 photographient ce qui ressemble à des anciens lits de cours d’eau et des cratères semblant avoir été creusés par des lacs ou même des océans. En 1998, la sonde Mars Global Surveyor détecte même les traces d’une ancienne inondation de proportion gigantesque,

[Photo : L'eau ne peut exister sous forme liquide à la surface de Mars à cause de températures trop basses et d'une pression trop faible.]

de la taille de l’État de l’Utah et d’une profondeur d’une centaine de mètres. Et l'examen attentif de nombreux clichés montre des traces indéniables d’écoulements. On observe des vallées sinueuses qui, par leur organisation en confluence, leurs méandres, leurs dépôts, rappellent les vallées fluviatiles terrestres. On remarque aussi des indices d’inondations cataclysmiques, dont la force destructrice dépasse notre entendement. Quelles en sont les causes ? De l'eau liquide a-t-elle coulé à une époque sur Mars ? Si oui, qu’est devenue cette eau aujourd'hui ? La planète rouge en contient-elle encore ? Sous quelle forme ? Aujourd’hui, la communauté scientifique est convaincue qu'il n'y a pas d'eau liquide à la surface de la planète, excepté peut-être pendant des périodes très courtes comme semblent le suggérer certains clichés. Mais il se peut qu'il y en ait eu dans le passé.

Une atmosphère trop ténue

Sur les bases de nos connaissances théoriques actuelles, la présence d’eau liquide en surface de la planète Mars est rigoureusement impossible. En cause, la température et la pression atmosphérique, bien trop basses pour que l’eau puisse exister à l’état liquide. Mars a une atmosphère très ténue. La pression au sol, jamais supérieure à 6 hectopascals, est de 100 à 200 fois plus faible que la pression atmosphérique terrestre. Cette atmosphère est constituée de gaz carbonique à hauteur de 95,3 %. La vapeur d'eau y est présente uniquement à hauteur de 0,03 %. Si cette vapeur précipitait, Mars ne serait recouverte que d’une couche de glace de 11 microns d’épaisseur. La température de surface, d’une moyenne de -55 °C, oscille entre -133 et +27 °C. Dans ces conditions, et en l'état de nos connaissances, l’eau liquide ne peut pas exister en surface : seules glace et vapeur d’eau peuvent coexister. Le phénomène de transformation de l'état solide à l'état gazeux, sans passer par l'état liquide, est appelé sublimation et la transformation de l'état gazeux à l'état solide est appelée condensation.

Et pourtant, à la surface de Mars, une multitude d'indices troublants attestent de la présence de nombreux écoulements qu'il est difficile de dater : canaux, rivières et lacs asséchés, avalanches de boue et cratères montrent des traces indéniables d’un écoulement. À une époque reculée, Mars a-t-elle connu des lacs, rivières, fleuves et océans ?

De l’eau dans la croûte martienne

Un consensus semble se dégager sur la présence d’eau sur la planète rouge dans le passé. Il y a 3,5 milliards d’années, l'atmosphère de Mars ressemblait à celle de la Terre. L'intense activité volcanique de la planète aurait libéré de la vapeur d’eau en grande quantité. Le volume d’eau produit est estimé à celui d’un océan ayant entre 10 et quelques centaines de mètres sur toute la surface de la planète. Mais en raison de la faible gravité qui règne sur Mars, l’atmosphère et des quantités considérables d’eau se seraient sublimées, c’est-à-dire échappées dans l’espace au cours du temps. La vapeur d'eau (H₂O) s'est décomposée par le rayonnement ultraviolet du Soleil dans la haute atmosphère, et les atomes

[Photo : À la surface de Mars, une multitude d'indices attestent de la présence de nombreux écoulements dans le passé.]
[Photo : Ce cliché, pris au mois de mai 2000 par Mars Global Surveyor, met en évidence des structures géomorphologiques typiques d’écoulements d’eau très proches de ceux observés sur la Terre. Ils n’auraient pas plus d'un million d’années et certains d’entre eux auraient pu se former très récemment.]

d’hydrogène (H) formés, très légers, ont échappé à l’attraction gravitationnelle de Mars. Selon certains chercheurs, près de 90 % de l’eau évaporée dans l’atmosphère aurait été perdue par ce mécanisme. Mais de nombreux scientifiques pensent qu’une grande partie de l’eau originelle se trouve encore emprisonnée dans la croûte martienne sous forme de pergélisol, un mélange de glace et de roches.

Des traces d’écoulements anciens

De la glace, mais aussi des poches d’eau liquide peuvent pourtant exister en sous-sol : sur Mars comme sur la Terre, la température augmente à mesure que l’on s’enfonce dans le sous-sol. Le gain est estimé entre 5 et 10 °C/km, ce qui pourrait permettre de trouver de l’eau liquide à une profondeur de 3 km sous l’équateur et de 5 km sous les pôles. Une preuve indirecte en est fournie par la présence de cratères météoritiques principalement entre 30° et 70° de latitude. Ces cratères météoritiques ressemblent à des vagues boueuses, figées, un peu comme si la météorite avait, en percutant le sol, liquéfié la glace située en profondeur, générant ainsi des écoulements dont les traces restent visibles aujourd’hui. Les sondes ont également envoyé des images de la surface montrant des résidus de glissements de terrain et les signes d’anciens flots liquides assez importants. Ces formations ont pu apparaître lorsque cette glace a été réchauffée localement, soit par des volcans, soit par des impacts de météorites. Puis elle a fondu et s'est précipitée vers la surface en entraînant l’effondrement des couches supérieures. Sous une surface aride et désolée, Mars pourrait donc cacher une grande quantité de glace et d’eau. Celle-ci serait présente sous trois formes principales : compacte, c’est-à-dire sous forme de poche de glace, liée à certains minéraux comme l’argile ou sous forme interstitielle, c’est-à-dire contenue dans les pores et les fractures des roches.

Une chose est également certaine. Il y a de l’eau sous forme de glace dans les régions polaires. Ces dernières sont recouvertes par des calottes blanches dont la taille varie avec les saisons. En fait, ces calottes, d’une épaisseur de l’ordre de 1 km, sont constituées de deux couches différentes : une calotte de glace d'eau et une calotte de glace de gaz carbonique.

Comment confirmer la présence d’eau dans le sous-sol et évaluer l’état des ressources de la planète ? Plusieurs missions spatiales se sont concentrées sur la question. Mais c’est la mission Mars Science Laboratory (MSL) et son rover Curiosity qui établira de façon incontestable le passé aquatique de Mars.

Mars : un passé aquatique désormais démontré

Le 6 août 2012 à 7 h 32, heure française, Curiosity se pose dans la partie nord du cratère Gale, situé à la limite entre

[Encart : L’impossible présence d’eau liquide sur la surface de la Planète rouge Pour bien comprendre ce fait, il faut savoir que le postulat selon lequel l’eau bout à 100 °C n'est que partiellement vrai. Il est en effet bien connu qu’en altitude, l’eau se met à bouillir à une température inférieure à 100 °C. Elle bout par exemple à 85 °C en haut du Mont Blanc et à 72 °C en haut de l’Everest. L’explication est que la pression atmosphérique diminuant avec l’altitude, elle exerce une pression plus faible. Si l’on place de l’eau à température ambiante dans un bocal dans lequel on réalise le vide, à un moment donné, l’eau se met à bouillir, même si sa température n'est que de vingt degrés. L’air surplombant l’eau agit comme un couvercle, en empêchant les molécules d’eau de rejoindre la phase vapeur. Le couvercle soulevé, les molécules quittent la phase liquide : l'évaporation est maximale et on assiste à un changement d'état, c’est le phénomène d’ébullition. Sur Mars, la pression exercée par l’atmosphère sur de l’hypothétique eau liquide n'est pas suffisante pour la maintenir dans cet état : l’eau s’évapore instantanément ; de même, sous une atmosphère aussi ténue que celle de Mars, si l’on chauffe de la glace, elle s’évapore directement sans passer par la phase liquide, c’est le phénomène de sublimation. Mais pour certains chercheurs de l’université de l'Arkansas, cela ne signifie pas que de l’eau à l’état liquide ne puisse pas subsister un très court moment à la surface de Mars. Pour eux, de la glace propulsée soudainement à la surface de la planète pourrait ainsi fondre et creuser les ravines observées avant de disparaître en se sublimant.]
[Photo : NASA/JPL/Malin Space Science Systems - En septembre 2012, Curiosity met en évidence les traces d’un ancien cours d’eau en examinant un affleurement rocheux (à gauche) : des galets, polis et cimentés dans une matrice rocheuse similaire à celles que l'on retrouve sur Terre (à droite). Des galets bien trop ronds pour avoir été érodés par le vent qui n'ont pu être transportés autrement que par de l'eau liquide.]

Les hautes terres de l’hémisphère sud et les basses plaines de l'hémisphère nord. La Nasa vit au rythme des grandes heures qui rappellent celles du mois de juillet 1969 avec le premier pas de l'homme sur la Lune. L'objectif de la mission est simple : détecter les traces d’une chimie organique ancienne, voire prébiotique.

Pour ceci, Curiosity embarque une charge utile de 80 kg composée d’une dizaine d'instruments : caméras, spectromètres, détecteurs de radiations, etc.

Moins de deux mois plus tard, le rover met en évidence les vestiges d’un ancien cours d’eau en examinant les traces d'un affleurement rocheux : des galets, polis et cimentés dans une matrice rocheuse similaire à celles que l’on retrouve sur Terre. Des galets bien trop ronds pour avoir été érodés par le vent qui n’ont pu être transportés autrement que par de l'eau liquide.

Les chercheurs révèlent que, d’après la taille, la forme et la distribution de ces galets, l'eau qui les a charriés devait se déplacer à raison de 3,3 km/h, être profonde de quelques centimètres à 1 m et avoir coulé pendant au moins un millier d'années. C’est la transition que la NASA recherchait entre spéculation et observation directe. C’est aussi le début d’un nouveau cycle : celui qui doit permettre d'en savoir plus sur la quantité d’eau qui a coulé de façon certaine sur Mars, sur la durée durant laquelle cette eau a irrigué la planète rouge et surtout sur ce qu'elle est devenue...

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