Devenu l'un des enjeux les plus fondamentaux de notre époque, la dépollution des eaux souterraines implique une grande diversité de situations. De nombreuses technologies se côtoient par conséquent afin d'obtenir un maximum d'efficacité, poussée par une législation récente et un marché en forte expansion.
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Comptant parmi les réserves d'eau les plus exploitées en Île-de-France, la nappe de Champigny atteignait au mois de juillet 2007 son plus bas niveau historiquement connu. Mais au problème de manque d'eau s’ajoutait également celui de la qualité. Des analyses montraient en effet que la nappe était très polluée, essentiellement par des pesticides, mais aussi par des nitrates. « Généralement peu protégées par des terrains perméables et situées à faible profondeur, les nappes sont particulièrement sensibles aux pollutions en provenance de la surface, qu’elles soient d’origine industrielle, agricole ou domestique », explique Jean-Yves Richard, responsable « procédés de dépollution des sols » chez Sita Remediation. S'il est vrai que les problèmes de quantité se posent encore rarement en France, la qualité de l'eau, elle, s'est forte—
ment dégradée, et ce, d'autant plus que le renouvellement de ces eaux souterraines peut être très lent et que les pollutions y sont alors persistantes.
Le transfert lui-même des substances polluantes dans le milieu souterrain est également très lent. Thierry Blondel est directeur du Cabinet Conseil Blondel. Il explique : « À titre de comparaison, le temps de transfert d'une eau polluée ou d’un panache polluant en milieu superficiel (cours d'eau torrentiel en montagne ou méandriforme en plaine) est en général de l'ordre de quelques dizaines de minutes à quelques heures pour parcourir 1 km (d'où la nécessité d'intervenir rapidement avec des barrages flottants ou autres), alors que dans le milieu souterrain, à part en milieu karstique en domaine calcaire, un panache polluant affectant les eaux souterraines en nappe alluviale peut mettre plusieurs mois à plusieurs années pour parcourir la même distance... ». Des pollutions accidentelles peuvent ainsi atteindre des captages (eau potable ou industrielle, ou irrigation) plusieurs années après leur occurrence à un endroit donné (site industriel, route, voies ferrées, fuites issues de stockages ou de cuves enterrées, etc.) quelques centaines de mètres ou quelques kilomètres en partie amont : la vitesse de transfert de particules dissoutes de substances polluantes en milieu poreux souterrain est très lente, de l'ordre de quelques dizaines de centimètres à quelques mètres par mois. « Et ce transfert est retardé en général par des phénomènes possibles de sorption sur la matrice solide du milieu poreux, ajoute Thierry Blondel. Cet effet “tampon” ou “retard” dans le transfert de polluants en milieu souterrain est également un critère qui induit la récurrence possible de phénomènes de pollution à grande échelle, tant spatialement que temporellement. Par exemple les pollutions d'origine agricole (principalement les pesticides) sont “stockées” dans les sols (par piégeage et sorption) et peuvent “relarguer” durant des dizaines d’années en impactant ainsi de manière diffuse et sournoise les cours d'eau (par les eaux de ruissellement de la pluie efficace) et les nappes d’eaux souterraines (par les eaux d'infiltration de la pluie efficace) sur de longues périodes de temps, dépassant parfois trente ans. Certaines ressources en eaux présentent encore à l'heure actuelle des traces de DDT et de leurs dérivés, alors que ces produits sont interdits en France de longue date... ».
Si les pouvoirs publics incitent les acteurs concernés à réduire leurs rejets polluants, reconquérir la qualité des eaux souterraines afin de garantir une eau potable sans traitement préalable reste une priorité.
Un métier récent mais en plein développement
Adoptée par l’Assemblée nationale en décembre 2006, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques, qui vise à parvenir d'ici à 2015, comme l'exige la directive cadre sur l'eau, à « un bon état écologique des eaux », va dans ce sens. « Comme souvent, les technologies évoluent en fonction de la réglementation, précise Jean-Yves Richard, or jusqu'à présent, étions confrontés à une législation plutôt floue, résultant d’une prise de conscience tardive par rapport à nos voisins européens ». Un point de vue partagé par le directeur technique de Valgo, pour qui « il existe encore une dualité entre le droit communautaire et le droit français, ce dernier privilégiant une gestion des risques au cas par cas ».
Du côté de la technologie, la France a toutefois rattrapé son retard, même si la dépollution des nappes, datant du début des années 90, reste un métier récent et encore en développement. À l'origine, il concernait essentiellement les hydrocarbures, légers et disposés à la surface des nappes. Petit à petit, le panel de polluants traités s’est élargi,
incluant les nitrates, l'ammoniac, les insecticides, pesticides, fongicides, métaux lourds mais aussi les solvants chlorés, entraînant ainsi le développement de nouveaux marchés, portés par les industriels, selon le principe du pollueur payeur. « Il est difficile d'estimer la part de marché liée au traitement des nappes par rapport au marché global de dépollution, toutefois, on observe une augmentation significative de cette part de marché depuis plusieurs années, du fait de la prise de conscience croissante de la nécessité de protéger nos ressources en eau », indique Franck Leclerc, responsable marketing-communication chez Sita Remediation.
Sur site, des traitements au cas par cas
La dépollution, pour être menée à bien, nécessite une connaissance approfondie et si possible continue du fonctionnement de la nappe phréatique et de son réservoir, le suivi de l'évolution de la qualité des eaux souterraines et la mise à disposition auprès des décideurs d'outils d'aide à la décision. Dans cette optique, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) intervient à la demande des collectivités, des administrations voire des industriels dans le cadre de projets de recherche, de développement ou lors de missions de service public portant notamment sur la compréhension des mécanismes de dégradation de la qualité des ressources en eaux souterraines. Ces missions concernent entre autres l’étude des caractéristiques chimiques naturelles des eaux souterraines, de leur dégradation par l'action de l'homme (pollutions diffuses ou ponctuelles) et des mécanismes de résorption naturelle des pollutions. « Pour définir la meilleure méthode de dépollution et les objectifs à atteindre, le meilleur traitement au meilleur coût, il faut avoir la capacité de bien intégrer et modéliser les contraintes géologiques, la superficie du site, le mécanisme de transfert des polluants et estimer au mieux, dans une approche coûts/avantages, les coûts des traitements », indique Daniel Hube, ingénieur au BRGM.
Le plus souvent, le traitement d'un site passe par le recours à une combinaison de technologies qui se succèdent dans le temps ou traitent différentes parties du site. À commencer par les techniques de dépollution sur site. Il s'agit dans ce cas d'extraire les eaux du milieu naturel par pompage afin de les dépolluer sur le site même. Réalisée à l'aide d'une pompe submersible ou pompe à vide, cette opération est alors suivie d'une purification progressive des eaux extraites au moyen de récipients contenant des matériaux conçus pour adsorber les contaminants des eaux. Pour les sites pollués par les hydrocarbures, ce matériau est généralement du charbon actif sous forme granulaire. Les réactifs chimiques comme les floculeux et les sables filtrants peuvent aussi être utilisés pour abaisser les niveaux de contamination des nappes phréatiques. La technique est bien maîtrisée par de nombreux intervenants tels que Pollution Service, Serpol, Ikos Sol Meix, IDRA Environnement, ATI Services ou encore Ecoterres qui a développé un système permettant de relier plusieurs puits à une pompe unique.
Spécialisé dans la conception d'instruments consacrés aux domaines des eaux, du sol, de l'air et des déchets, Silex International propose des équipements de pompage et
Décrémage de nappes phréatiques polluées par des hydrocarbures flottants au toit de la nappe. Elle a notamment mis au point et développé un procédé unique de pompage sélectif pour extraire les hydrocarbures chlorés des nappes phréatiques sans pomper l'eau, d’où un gain de temps et d’énergie non négligeable.
De son côté, GRS Valtech, filiale de Veolia Propreté, développe des unités de stripping, un dispositif reposant sur l'entraînement de gaz ou de matières volatiles dissoutes dans l'eau, au moyen d'un courant de vapeur, de gaz ou d'air traversant le liquide à contre-courant. L’eau de la nappe est pompée dans un dispositif de surface favorisant l'aération de l'eau. Après traitement, l'eau peut être réinjectée dans la nappe par un puits ou évacuée vers un réseau de rejet. Ce procédé est efficace sur les solvants chlorés et sur la fraction volatile des carburants légers.
Selon la géologie et le type des sols rencontrés, le pompage-traitement peut être une bonne méthode pour diminuer rapidement des concentrations élevées en polluants, mais « il est bien souvent difficile d'atteindre des concentrations suffisamment basses pour parvenir aux objectifs de dépollution que l'on s'est fixés », explique Daniel Hube, avec comme conséquences « l'obligation de pomper de grandes quantités d'eau pendant de très nombreuses années, ce qui se traduit en coûts de fonctionnement de l'unité de dépollution élevés sans garantie d'atteinte des objectifs de dépollution ».
In situ, les techniques se développent
Afin d’obtenir un meilleur rendement, d'autres technologies complémentaires se sont ainsi répandues sur le marché. Il s'agit cette fois-ci de dépolluer les eaux en place dans le milieu naturel, à l'image de l'oxydation. C'est un procédé qui utilise des réactifs oxydants pour dégrader chimiquement les polluants. Les oxydants les plus courants sont le peroxyde d’hydrogène associé au fer, l'ozone et le permanganate de potassium ou sodium. Ils se présentent sous la forme
liquide, gazeuse ou solide. L’oxydation peut être mise en place là où des technologies plus classiques ne sont pas opérationnelles et cela à un coût raisonnable. En revanche, cette technique requiert l'utilisation de produits dangereux qui peuvent présenter des propriétés explosives, corrosives et inflammables sous certaines conditions. Arcadis innove dans ce domaine, en utilisant comme oxydant des persulfates. « À puissance de feu égale en termes d’oxydation, cette substance ne présente pas d’inconvénients en termes d'hygiène et de sécurité », indique Laurent Clémentelle, responsable Travaux de Dépollution chez Arcadis.
Reposant sur le principe de transfert de masse du polluant, l'air-sparging s'avère particulièrement intéressant lorsque les conditions du terrain rendent la faisabilité d'un pompage de l'eau souterraine hasardeuse. On injecte de l'air à forte pression dans la zone saturée du sol, via des puits d’injection, ce faisant, le polluant est transféré de la phase liquide à la phase gazeuse. Cette dernière migre ensuite vers la zone insaturée du sol sous l’effet de la variation de pression de l’air. Il suffit d’aspirer les polluants via des puits ou des drains d’extraction pour les traiter en surface dans une installation d’épuration.
IDRA Environnement dispose par exemple d'unités de traitement in situ pour les nappes contaminées par des contaminants volatils.
D’autres techniques prometteuses se développent à l'image des barrières perméables réactives. Il s'agit cette fois-ci de placer en aval du panache de pollution une « barrière » souterraine perméable. En passant au travers, le polluant est modifié ou détruit. Sol Environment, filiale de Soletanche-Bachy, a récemment participé en Belgique à un traitement d'une pollution de nappe par solvants chlorés à l'aide d'une barrière perméable réactive type Keops®. Ce procédé procure une solution efficace pour le traitement des solvants chlorés dissous dans les nappes phréatiques. Il résulte de la combinaison de deux procédés originaux et brevetés : le Panneau-drain® permettant d'installer des portes filtrantes équipées de filtres facilement renouvelables (brevet Solétanche Bachy) et l’usage d'un mélange fer zéro-catalyseurs de métaux précieux environ une quinzaine de fois plus efficace que le fer zéro seul pour la réduction des solvants chlorés (brevet SITA Remédiation).
Adaptée aux milieux confinés intégrés aux zones urbaines, la technique de traitement par extraction multi phases, proposée par Valgo, permet d’extraire simultanément du sous-sol la phase gazeuse, les eaux de la nappe souterraine polluées par les substances dissoutes qu’elles contiennent ainsi que les éventuelles phases organiques immiscibles surnageant sur le toit de la nappe (hydrocarbures par exemple) ou s'écoulant à la base de la nappe, au niveau du substratum (solvants chlorés par exemple). « Plus de 30 sites industriels ont été réhabilités avec succès par ce type de traitement qui consiste à appliquer une dépression dans un puits dont la crépine intercepte la zone insaturée, la frange capillaire et la nappe », indique le directeur technique de Valgo.
Ne pas négliger l’approche biologique
Parfois utilisée conjointement à un procédé de pompage et traitement, la biorémédiation suppose de traiter des contaminations par des moyens biologiques. Dans ce cas, les bactéries naturelles ou ajoutées sont utilisées pour consommer les contaminants des eaux pompées. Les eaux sont souvent recyclées pour permettre un brassage des eaux et une croissance améliorée de la population de bactéries. Le procédé est couramment
mis en œuvre par Brezillon, Ikos ou encore Biogénie.
Bionappe, développé par Sita Remédiation, a pour but de stimuler l’activité microbienne dans la nappe phréatique, par des injections à l’aide de puits dimensionnés et répartis sur la zone à traiter suivant le type de polluant en présence et l’étendue du panache de pollution. La nappe est ainsi traitée lors de son écoulement naturel et se retrouve épurée en aval du site. Deux variantes techniques sont possibles : un procédé aérobie pour traiter les composés comme les hydrocarbures et un procédé anaérobie pour résorber des pollutions chlorées. La mise en œuvre du procédé Bionappe se fait par différentes techniques d’injection comme l’injection d’air sous pression dans la nappe dans le but d’augmenter la teneur en oxygène (biosparging) ou des diffuseurs d’oxygène spécialement conçus pour une injection lente d’oxygène à partir de bouteilles ou localement par électrolyse de l’eau.
Devant la diversité des approches et des situations, la plupart des sociétés de dépollution tiennent ainsi à garder une vision globale du processus, depuis l’audit jusqu’à l’exécution des travaux, en passant par le calcul des seuils et la maîtrise de la partie conception. Et ce, afin de sélectionner les techniques de traitement adéquat en fonction du problème posé. « Ce qu’il faut avant tout, c’est obtenir une bonne synergie entre les différentes techniques, éprouvées et anciennes, avant de les appliquer dans de nouveaux domaines », indique Rémi Muth, directeur de l’activité dépollution des sols chez GRS Valtech. Certains n’hésitent pas à regarder du côté des procédés de traitement utilisés dans les stations d’épuration de pointe, à l’image de la nanofiltration par exemple. Reste que selon Laurent Clémentelle, « le véritable enjeu aujourd’hui, c’est d’arriver à convaincre les autorités de tutelle d’adopter des technologies innovantes qui ont tendance à faire peur, par manque d’expérience ».
En tout état de cause, un point reste essentiel, les techniques d’investigation souterraine à mettre en place en amont. « Malgré un démarrage tardif, explique Michel Rogge, Managing Director chez Geoprobe, les prestataires de services français commencent à réaliser l’importance économique primordiale de la qualité des investigations souterraines. L’utilisation de techniques innovantes et performantes de sondage permet des économies substantielles dans la mise en place des techniques de dépollution ».