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Dépollution des sols : l'étude de faisabilité, un élément indispensable à la prise de décision

30 mars 2005 Paru dans le N°280 à la page 39 ( mots)
Rédigé par : Fabien COMBY

Pour qu'une étude de faisabilité d'un traitement in-situ de sols pollués puisse pleinement jouer son rôle d'aide à la décision, elle doit aborder les deux dimensions techniques et économiques.

,Ikos Environnement

Trop souvent encore, des solutions de traitement in-situ sont proposées sans études spécifiques préalables. On aboutit alors à des solutions standards, parfois mal adaptées. Les durées de traitement sont mal évaluées et les résultats ne sont assortis d’aucune garantie. Le maître d’ouvrage prend alors le risque d’un dérapage au niveau du temps de traitement, ou même d’un échec partiel ou total.

Les conséquences d’une opération de traitement in-situ mal dimensionnée et dont les résultats n’ont pas été estimés sont multiples. Pour le maître d’ouvrage, elles sont avant tout économiques, avec des dépassements de budget non contrôlés. Elles sont également organisationnelles, avec, au mieux, des délais allongés de réutilisation du site et, au pire, un retour à la situation de départ. Pour l’opérateur de dépollution, les conséquences sont également négatives : remise en question de son savoir-faire, perte de la confiance de son client, éventuelles pénalités financières.

L’étude de faisabilité : une aide à la décision

Une étude de faisabilité doit être systématiquement réalisée préalablement à la mise en place d’un traitement in-situ. Outre ses deux objectifs, techniques et économiques, cette étude a une fonction : l’aide à la décision. À travers ses résultats et conclusions, elle doit permettre au prescripteur de s’engager sur la solution ou la combinaison de solutions qui résoudra sa problématique de pollution de façon complète dans un cadre précis de délais et de budget. Cette approche contraint à ne pas voir le traitement sur site comme LA solution unique qu’il faudra exploiter au maximum, mais éventuellement comme une partie de la solution générale qu’il faudra exploiter de façon optimale. Comme illustré par la suite,

[Photo : Cartographie initiale de la teneur en HCT des sols entre 1 et 2 mètres de profondeur.]
[Photo : Cartographie finale de la teneur des sols en HCT entre 1 et 2 mètres de profondeur et positionnement des puits test.]

Il peut être plus efficace, en termes technique et économique, de combiner un traitement in-situ et un traitement hors site quand le rendement du premier n’est plus intéressant. L’étude de cas suivante montre la démarche à mettre en place et les éléments d'aide à la décision que le client est en droit d’obtenir d'une telle étude de faisabilité.

Étude de cas : le choix entre deux approches

Il s'agit d'un atelier de fabrication d'outils électriques et pneumatiques en exploitation. Suite à la fuite d’une canalisation enterrée alimentant l’atelier en fuel domestique, environ 2 000 m³ de sols ont été contaminés sur 3 mètres de profondeur sous la dalle de l'atelier.

L'industriel souhaitait qu’on lui présente les deux approches envisageables qu’étaient la dépollution hors site (rapide mais plus coûteuse) et la dépollution in-situ (moins coûteuse mais nécessitant un temps de traitement beaucoup plus long).

Dans un contexte de cession prochaine du site, l'équation qu’avait à résoudre le client était donc la suivante : perturber sa production en procédant à un traitement hors site et vendre rapidement, ou procéder à un traitement in-situ sans perturber la production et différer la vente. L’entreprise de dépollution devait de son côté pouvoir s’engager sur une garantie de résultat et de délai quelle que soit la solution retenue.

Modèle de base :

= 4 couches
= Volume total avec une concentration en HCT supérieure à 1 000 mg/kg : > 2 335 m³.

Une rapide évaluation technico-commerciale a souligné l'intérêt que pourrait représenter une solution de traitement in-situ. Sensibilisé aux incertitudes, tant techniques qu’économiques, liées à ce type de traitement, l'industriel a donné son accord pour entreprendre une étude de faisabilité d’un traitement in-situ par bioventing. Le principe du bioventing est de stimuler la biodégradation des polluants en optimisant les conditions de la microflore bactérienne du sol. Il s'agit en particulier d’apporter l’oxygène et les nutriments nécessaires aux bactéries dans la zone contaminée à l'aide de puits d'injection. Cette technique est spécialement développée pour traiter les polluants peu ou pas volatils.

L’étude de faisabilité a pour objectifs :

> De préciser si cette technique peut être efficacement mise en œuvre à travers la détermination de certains paramètres spécifiques au site :

  • • Rayon d'influence d'un puits d’injection
  • • Perméabilité au gaz du sol
  • • Taux d'utilisation d’oxygène
  • • Cinétique de biodégradation

> De dimensionner l'installation la plus efficace :

  • • Nombre et localisation des puits d’injection et d'aspiration
  • • Débit d’air à injecter

> D’évaluer le montant d’une opération de dépollution complète :

  • • Évaluer le temps de traitement nécessaire pour dépolluer le site
  • • Évaluer la contamination résiduelle après un temps défini de traitement
  • • Évaluer le coût de la dépollution complète du site :
  Z par un traitement par bioventing uniquement
  Z par une combinaison de bioventing et de traitement hors site
[Photo : Modèle géologique du site étudié.]
[Photo : Résultat des tests de pression sur site.]

Une étude en quatre phases

La première phase de cette étude consiste à exploiter les données existantes. Celles-ci proviennent d’un diagnostic de sol très complet réalisé par le département Environnement de l'agence Socotec de Nantes. Celui-ci a mis en place un maillage du site de 6,5 m par 6,5 m. Chaque maille a fait l'objet d'un sondage et de plusieurs prélèvements en fonction de la profondeur et des indices organoleptiques relevés. Les échantillons ont été analysés en laboratoire agréé. La cartographie de la teneur des sols en HCT (figure 1) permet, dans un premier temps, de visualiser l’extension de la pollution et de définir quelques points de sondages complémentaires. Les résultats de ces derniers contribuent à délimiter précisément les limites de la zone polluée (figure 2) et donc à évaluer le volume de terres polluées à traiter (2 335 m³). Dans un second temps, associé aux données géologiques issues des coupes lithologiques, les teneurs en HCT des sols sont utilisées pour créer le modèle du site qui sera utilisé par la suite pour la simulation numérique de l’opération de bioventing (figure 3). Enfin, le choix du positionnement des puits test s’appuie sur cette cartographie (figure 2).

La seconde phase consiste en une série de mesures sur site. Pour ce faire, un puits d’injection d’air est mis en place ainsi que trois puits de mesure à des distances croissantes. La première série de mesures concerne la variation de la pression aux puits de contrôle en fonction du temps, liée au fonctionnement du puits d'injection d’air à débit constant. L’exploitation des résultats de ces mesures permet de déterminer le rayon d’influence du puits d’injection, ainsi que la perméabilité au gaz du sol (figure 4).

La seconde série de mesures concerne la teneur en oxygène des gaz du sol. En effet, en cas de conditions aérobies, l'apport d’oxygène n’a pas d'effets sur les conditions de la microflore bactérienne du sol et ne contribue donc pas à stimuler la biodégradation des polluants. Le bioventing n’a de sens que si l'action des bactéries est inhibée par des conditions anaérobies. Les premières mesures réalisées aux puits de contrôle montrent de telles conditions avec des teneurs en oxygène inférieures à 0,6 %. On procède alors à l'injection d’air pendant quelques heures jusqu’à atteindre dans le puits de contrôle une teneur des gaz du sol en oxygène de l’ordre de 20 %. L’injection d'air est alors stoppée et la variation de la teneur en oxygène au puits de contrôle est mesurée en fonction du temps. On en déduit la vitesse de consommation d’oxygène et par extension la cinétique de biodégradation des hydrocarbures (figure 5). Cette dernière, évaluée à 2,6 mg HCT/kg sol/jour est relativement faible et ne témoigne pas d'une activité microbiologique élevée.

La troisième phase se déroule en laboratoire à l’échelle de l’échantillon. Des tests de respirométrie donnent des cinétiques de biodégradation de l’ordre de 1,0 mg HCT/kg

[Photo : Résultat des tests de respiration sur site]
[Photo : Positionnement des puits en entrée de simulation]
[Photo : Distribution de l’oxygène en fonction du temps d’injection : résultats de la simulation du bioventing réalisée avec le logiciel PolluSIM de l’IFP]

Simulation du bioventing : PolluSIM

Simulation numérique de migration triphasique des polluants organiques et des phénomènes de dissolution, volatilisation, adsorption, biodégradation est réalisée par le logiciel POLLUSIM, développé par l’IFP, afin de modéliser l’opération de bioventing. Les paramètres d’entrée comprennent, entre autres, le modèle du site défini lors de la première phase, le positionnement des puits d’injection et leur débit issus des tests sur site (figure 6), les taux et cinétiques de biodégradation déterminés précédemment. Le logiciel nous permet alors de suivre l’évolution de paramètres tels que la distribution en oxygène (figure 7), la production de biomasse, la saturation en huile (figure 8) et la masse d’hydrocarbures au sein des terres (figure 9) en fonction du temps de traitement.

[Photo : Figure 8 – Évolution de la saturation en huile en fonction du temps de traitement : résultats de la simulation du bioventing réalisée avec le logiciel PolluSIM de l’IFP.]

… sol/jour, valeurs minimales pour recommander un traitement par bioventing. Des tests de biodégradation permettent d’estimer à environ 30 % le taux de biodégradation que l’on pourrait atteindre. En revanche, l’étude des résultats d’analyse par chromatographie en phase gazeuse (CPG) montre que certaines chaînes hydrocarbonées ont déjà été partiellement dégradées et que l’on pourrait espérer atteindre un taux de biodégradation de l’ordre de 60 %.

Ces deux phases mettent donc en évidence et évaluent les incertitudes associées aux cinétiques et taux de biodégradation. C’est la gestion de ces incertitudes qui conduit à une approche par scénarii de l’opération de bioventing.

[Photo : Figure 9 – Évolution de la masse totale d’hydrocarbures en fonction du temps de traitement.]

Les différentes simulations correspondant à la modification des paramètres d’entrée permettent au final :

  • d’optimiser la configuration du système (nombre de puits, positionnement, débit, …) ;
  • d’évaluer le taux de biodégradation d’ensemble ;
  • d’évaluer le temps de traitement optimal au-delà duquel le taux de biodégradation d’ensemble devient trop faible pour que le traitement par bioventing soit économiquement satisfaisant.

Dans l’exemple présenté ici, il apparaît que la diminution de la masse d’hydrocarbures tend vers une valeur nulle au bout de 18 mois.

La dernière étape consiste à traduire les résultats et les incertitudes associées issus des précédentes phases en scénarii probabilistes.

[Photo : Figure 10 – Approche par scénarii des résultats de la simulation du bioventing et des incertitudes associées : cas le plus probable.]

listiques. Le scénario P1 (figure 10) correspond au cas le plus probable, le scénario P2 (figure 11) au cas moyen, le scénario P3 (figure 12) au cas le moins probable.

Notre étude montre que dans l'exemple présenté ici, l’objectif de dépollution en HCT fixé à 1 000 mg/kg ne peut pas être atteint sur l'ensemble du site par le seul traitement in-situ par bioventing. Dans tous les cas, même le plus favorable, des spots pollués resteront à traiter par excavation et élimination hors site. L’approche technique de chaque scénario est alors complétée par une approche économique (figure 13).

Celle-ci fournit à l'industriel les éléments indispensables à une prise de décision sur la stratégie à appliquer pour gérer sa problématique de pollution dans le contexte global de la gestion de son activité.

De plus, sur la base des résultats de cette étude, en tant qu’opérateur de dépollution, nous allons pouvoir nous engager sur un des scénarii de remédiation, le scénario P2 dans ce cas. L'industriel est donc assuré de la bonne réalisation des travaux pour un montant donné. Enfin, il est même possible de réduire ce montant dans le cas où l'opération de dépollution suivrait finalement le scénario le moins probable mais le plus favorable en terme de coût (P3). Dans le cas étudié ici, l'opération de bioventing associée à un traitement résiduel hors site assure une réduction de 15 % du montant final des travaux par rapport à un traitement complet hors site. Cette réduction peut potentiellement atteindre 31 %. Cette méthodologie permet également à l’entreprise de dépollution d’évaluer le risque pris en s’engageant sur une garantie de résultat. Celui-ci s’élève à la différence des montants des scénarii P1 et P2.

Conclusion

Sans cette étude de faisabilité, l'industriel serait probablement parti sur une solution classique de traitement par bioventing. En pensant pouvoir atteindre l’objectif de dépollution sur l'ensemble du site avec une durée de traitement classique de l’ordre de 12 à 15 mois, le montant des travaux aurait été évalué à un coût inférieur à celui du scénario P3 précédent. Au final, la dépollution n’aurait pas été complète. Les délais n’auraient pas été respectés perturbant le planning des activités, de la cession du site, avec les conséquences que l'on peut imaginer. De plus, pendant combien de mois supplémentaires le traitement in-situ aurait-il été maintenu avant de se rendre compte de son inefficacité et pour quel montant ?

Une étude de faisabilité de traitement in-situ est certes un investissement supplémentaire préalablement aux opérations de dépollution, mais l'information qu'elle peut et doit apporter permet à l'industriel de faire les bons choix et de définir un budget réaliste.

[Photo : Figure 11 : Approche par scénarii des résultats de la simulation du bioventing et des incertitudes associées : cas moyen.]
[Photo : Figure 12 : Approche par scénarii des résultats de la simulation du bioventing et des incertitudes associées : cas le moins probable.]
[Photo : Figure 13 : Analyse économique synthétique des différents scénarii.]
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