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Eaux et légionelles : 10 années d'expérience

31 mars 2008 Paru dans le N°310 à la page 62 ( mots)
Rédigé par : Alain LEQUEUX

Ancien Responsable au Service Technique d'un important CHU de la région parisienne, comment suis-je arrivé à consacrer une décennie de ma vie professionnelle aux légionelles' Non par une vocation subite, plus simplement par un malencontreux évènement auquel nous n?étions pas préparés.

Nous sommes en mars 1996, l'établissement hospitalier pour lequel j'exerce des fonctions de responsable au Service Technique enregistre quelques cas de légionelloses. Après enquête épidémiologique, il s'avère que ces cas sont tous dus à une installation d'Eau Chaude Sanitaire (ECS), desservant un service clinique classé aujourd'hui à très haut risque. Cette installation, comme les autres, faisait l'objet, dans le cadre d'un dossier « Énergies », d'une surveillance régulière des températures « départ » et « retour » au niveau des préparations, dans un but de détection d'éventuels accroissements des déperditions calorifiques. En mars 1996, nous n'avons pas su nous poser les bonnes questions, nous n'avons pu émettre que de vagues hypothèses sur l'origine de ces cas de légionelloses. Dix années plus tard, nous savons nous les poser mais également rechercher les causes logiques, les identifier et les traiter.

En mars 1996, pour nous prémunir contre le risque lié aux légionelles, des désinfections thermiques périodiques des installations d'ECS sont effectuées à titre préventif. Dix années plus tard, plus aucun de ces traitements préventifs n'est effectué, nous gérons les éventuels cas de non-conformité mais surtout nous savons en détecter les signes avant-coureurs.

Une relative « tranquillité » retrouvée avec les installations d'ECS, nous nous sommes intéressés à ce qui se passait dans les tours aéroréfrigérantes des installations de refroidissement. Nous avons cherché des légionelles, nous en avons trouvé et ce, malgré un traitement préventif chloré appliqué en continu. À l'issue de la mise en œuvre des traitements correctifs et de la recherche des causes, le traitement chloré, s'avérant néfaste à la « survie » de certains équipements, a été supprimé au profit de la seule modification d'un paramètre technique de gestion. Les résultats d'analyses suivants montrent que cette prise de décision, audacieuse, fut la bonne.

L'Eau Chaude Sanitaire

L'ECS est actuellement produite par 29 préparateurs (17 de type semi-accumulé par fluide vecteur et 12 « électriques »). Les préparations par modules horizontaux sont remplacées, lors de rénovations, par des préparateurs verticaux. Les premiers appareils remplacés l'ont été dans le cadre du dossier énergies, et leur mise en œuvre a perduré avec le dossier « légionelles » en raison de leurs performances autres qu'énergétiques. Sept préparateurs sont alimentés en eau préchauffée par 6 préparateurs « semi-accumulés » (2 100 l de stockage). Les critères de conception et de mise en œuvre de cette installation font que l'eau ne stagne pas et qu'elle « s'autodésinfecte » thermiquement au quotidien dans sa totalité, y compris le réseau de distribution constitué d'une boucle unique.

Les réseaux de distribution sont de type « multi-bouclé » : soit une boucle principale qui alimente plusieurs boucles secondaires, soit plusieurs boucles principales, raccordées sur des collecteurs qui alimentent également plusieurs boucles secondaires. L'âge des réseaux est évalué à 40/45 ans pour les plus anciens. Excepté les installations récentes où les réseaux sont en cuivre, la plupart des autres canalisations sont en acier galvanisé avec des antennes terminales en cuivre. La mise en circulation de l'eau est assurée soit par des groupes jumelés (deux pompes) soit par des groupes simples (une pompe).

Ces installations desservent diverses disciplines médicales adultes et pédiatriques, des urgences, réanimations, blocs opératoires, de la gérontologie, un plateau médico-technique et des services administratifs et généraux dont une cuisine centrale. L'établissement est constitué de bâtiments anciens de style « pavillonnaire » et de bâtiments plus récents de style « monobloc ».

Les consommations actuelles d'eau sont d'environ 620 m³/jour alors qu'en 1994, elles étaient de 970 m³. L'examen des consommations et les actions entreprises ont généré en moins de trois ans cette diminution quotidienne de 350 m³ malgré une activité en constante augmentation. La production d'eau chaude a également diminué, elle est comprise actuellement entre 40 et 70 m³/jour.

Nommé, précédemment à cette période, Responsable des énergies (eau, électricité et thermie), par le Directeur du Service Technique, j'ai entrepris des études comparatives de coûts qui démontrent que celui de l'ECS peut varier du simple au décuple en fonction de plusieurs facteurs dont : la qualité de la préparation, des réseaux et de leurs isolants thermiques, de l'architecture de distribution et surtout, la démesure de certaines installations au regard des volumes d'eau consommés.

objectifs d’optimisation des dépenses d’énergies atteints (une économie de près de 240 K€ lors du deuxième exercice puis de la moitié les exercices suivants), ce dossier est classé au profit d’un dossier « Eau Chaude Sanitaire » dont l’objectif est de ne plus être confronté à de nouveaux cas de légionelloses. La prise en charge de ce dossier est confiée à un « référent technique eau », nommé pour la circonstance, dont la mission consiste à se former, s'informer, étudier le « comportement » des réseaux et proposer des solutions réputées s'opposer à la prolifération bactérienne. Ce référent deviendra le conseiller technique auprès du Comité de Lutte Contre les Infections Nosocomiales (CLIN). Sa mission s’étendra par la suite, dans le cadre d'un dossier consacré à l’écologie hospitalière, à la qualité des eaux en général : celles destinées à la consommation humaine (froides et chaudes), aux eaux de refroidissement, aux effluents liquides puis, à la qualité de l'air (le risque aspergillaire).

Au cours des exercices qui ont précédé la survenue des cas de légionelloses, l'installation d’ECS incriminée présentait des Δt, départ/retour préparation, de l'ordre de 2-3 °C. Cette faible déperdition en réseau et la température de production (53/55 °C) laissaient entrevoir une installation performante, d'autant qu’aucune plainte, de quelque ordre que ce soit, n’émanait des usagers. Les réunions qui ont suivi la déclaration des cas de légionelloses démontrent que la pseudo bonne installation présente de nombreux dysfonctionnements : caractéristiques de l'eau distribuée inégales d’un point de distribution à l'autre (t° disparates, délais d’arrivée de l'eau à t° rapides à très longs, couleur...). Malgré ces dysfonctionnements récurrents, le Service Technique n’a jamais été alerté. Les usagers ne perçoivent pas les légers dysfonctionnements, qui s’aggravent, et s'en accommodent jusqu’à « l’accident ». L'habitude s’installant, on laisse couler l'eau plus longtemps et on se modèle à ce qui est fourni.

La cause des cas de légionelloses a été imputée à une défaillance du système de régulation de température. Était-ce la seule cause, voire la cause réelle ? Ceci a-t-il provoqué la prolifération des bactéries ? Le réseau était-il déjà colonisé et de quelle manière ? Y a-t-il eu une raison autre, responsable de cette épidémie, ou un fait en a-t-il engendré un second puis... jusqu’à provoquer la maladie ? Non seulement nous n’avions pas su déterminer la cause mais nous n’avions également pas vu les malfaçons de la préparation qui aujourd'hui seraient flagrantes.

Traitement correctif

N’ayant aucune pratique dans le domaine ni retour d'expérience, faut-il rappeler que nous sommes en 1996 et que la première circulaire (97/311) de la Direction Générale de la Santé, relative à la surveillance et à la prévention de la légionellose, ne paraîtra qu'une année plus tard : le 24 avril 1997, notre Administration Centrale nous propose, pour enrayer la prolifération bactérienne, la mise en œuvre, à notre convenance, soit d'un choc thermique soit d'un choc chloré. Sans connaissance confirmée de l'une ou de l'autre des méthodes, nous optons pour la première en raison de la vétusté et de l’état interne supposé des canalisations en acier galvanisé. Les résultats obtenus nous démontrent que notre choix fut le bon et, depuis, l’expérience et les connaissances acquises nous ont confortés et nous confortent dans l'idée d’avoir privilégié la thermie à la chimie. Les deux méthodes n'ayant pas que des avantages, risques de brûlures et absence de rémanence pour la première, la seconde semble être controversée en raison de son efficacité relative en présence de biofilms, sédiments, boues... et de son action sur la vitesse de corrosion des métaux multipliée par 25. Quant à leurs mises en œuvre, toutes les deux requièrent vigilance et moyens mais dans le cas du choc thermique, avantage également à celui-ci notamment en raison de la durée de consignation de l’installation (traitement plus rinçage) qui, avec une préparation performante, pourra s’avérer relativement courte.

Ce traitement par choc thermique, qui consiste à maintenir une température de 70 °C à chaque point d'usage pendant 30 minutes, est réalisé sous l’autorité du Président du CLIN. Cette première mise en œuvre fait ressortir diverses complications, tant techniques que fonctionnelles dont l'une d'importance : nul ne possède la connaissance de l'installation et les quelques plans en notre possession ne correspondent plus à la réalité. Ne possédant également aucun inventaire des points d'usage, le traitement n’a pu être mis en œuvre qu’à l'issue de leur recensement. Autre difficulté rencontrée, les préparateurs d’ECS, en mesure de chauffer de l'eau et de la maintenir en température, ne sont nullement adaptés à satisfaire, dans les meilleures conditions, aux exigences d'un choc thermique. Pour cette raison, la première tentative s'est soldée par un échec : en moins de cinq minutes, la température de l'eau était redescendue sous les 30 °C. Le manque de puissance des préparateurs n’est pas seul en cause, la volonté d’obtenir un résultat certain nous commande, par méconnaissance, d’utiliser le débit maximal de chaque robinet, alors qu'un débit de 1,5 à 2 litres est suffisant pour maintenir le réseau, en cours de traitement, à la bonne température d'inactivation des bactéries. Le traitement a pu être réalisé après détermination d’une méthode prévoyant d’ouvrir simultanément un nombre restreint de points d'usage et d'interdire l’usage des autres. Pratiqué au cours de deux après-midi, le choc thermique qui s’est avéré concluant a non seulement mobilisé l’ensemble du Service Technique mais également des membres des services desservis par l'installation incriminée, du CLIN et de la Direction de l’établissement.

Enseignements tirés

Sans autres connaissances que celles acquises lors de cette situation d’urgence, au titre des mesures préventives et de limitation des risques, il est décidé de réajuster les consignes de production à 56/58 °C, de programmer des traitements préventifs semestriels des installations par une élévation de la température de 5 °C et, à leur issue entre 2 et 4 jours, de les évaluer par des analyses de recherche de légionelles. Puis, les acquis aidant, les désinfections systématiques perdent leur statut de garantie, en raison de leur absence de rémanence et de l'incertitude d’atteinte d’un éventuel foyer bactérien. Les retours d’expériences démontrent également que lorsque ce foyer n’a pas été atteint, le délai moyen de recolonisation du réseau se situe entre 7 et 10 jours après le traitement. De ce fait, des résultats d’analyses ne présentant aucune non-conformité ne garantissent pas la qualité de l’installation au-delà de quelques jours. Avec l'assentiment du Président du CLIN, ces désinfections systématiques sont suspendues, ne seront traités que les seuls cas de non-conformités. Depuis, aucun traitement préventif des eaux chaudes sanitaires n’est appliqué si ce n’est le maintien de la température de production à 56/58 °C. Le maintien de cette température en production fournit une protection efficace. Excepté la présence d’événements extérieurs (travaux,

défauts techniques...), les prélèvements effectués en sortie de préparations affichent des concentrations inférieures au seuil de dénombrement. Depuis 1999, seul ce traitement est appliqué.

Les bons résultats se succédant, tout dénombrement de légionelles, y compris ceux inférieurs à 1 000 UFC/l est considéré comme non conforme dans l’établissement et traité comme tel. Le souci de traiter au plus juste et d’adapter le traitement à la cause de la présence des légionelles et à leurs lieux de détection, nous a amené à développer une méthode d’assistance à la prise d’échantillons évoluant au gré des événements. L’objectif de la méthode est de situer les éventuelles contaminations afin d’en déterminer les causes, dans un but de proscription des traitements disproportionnés et lourds qui, s'ils s'avèrent efficaces dans l’instant, peuvent présenter des effets indésirables a posteriori. L’accompagnateur de l'agent préleveur note sur une fiche éditée en interne les caractéristiques de chaque échantillon (t°, heure, délai d’arrivée de l'eau à t°, état du point et lieu de prélèvement) ainsi que ses éventuelles observations. La méthode prévoit également l’ordre de prélèvement et les numéros des échantillons qui sont imposés au laboratoire. À cette fin, une copie de la fiche lui est adressée dans les jours qui précèdent sa venue. À l'issue des prélèvements, l’examen de cette fiche déclenche, le cas échéant, l'application de correctifs sans attendre les résultats d’analyses. Pour ne pas être juge et partie, les analyses sont, sans exception, confiées à un laboratoire indépendant y compris celles de potabilité de l’eau froide.

Stratégie d’échantillonnage

Antérieurement à la parution de la circulaire 2002-243 du 24 avril 2002, nous contrôlions l’ensemble des installations au cours d'une année. Les recommandations de la circulaire nous ont amené à (re)concentrer notre stratégie sur les services cliniques jugés à hauts et très hauts risques. Depuis, un plus grand nombre d’analyses sont effectuées sur des installations ciblées.

Les niveaux de risques sont déterminés par les patients (à haut et très haut risque) et les services logistiques et administratifs (absence ou faible risque). Chaque secteur classé à très haut risque : un service clinique, un groupe de chambres, une chambre..., lors de rénovation, doit posséder sa propre installation.

Les services jugés à hauts et très hauts risques ont été identifiés par le CLIN. Ils concernent des services où existe, pour des patients exposés aux légionelles, un risque fort ou très fort de contracter une légionellose. La circulaire nous a également amenés à identifier deux types de contrôles : ceux visant à évaluer la maîtrise du réseau : échantillonnage après désinfection du point de prise et soutirage, et ceux visant à évaluer l’exposition aux risques, sans soutirage préalable.

Évaluer la maîtrise du réseau consiste à aller prélever de l'eau dans le flux (fil d’eau) du réseau de distribution, tandis qu’évaluer l’exposition consiste à déterminer si les équipements terminaux générateurs d'aérosols (flexibles et pommeaux de douches... où l’eau stagne hors soutirage) ne se trouvent pas contaminés. Tout prélèvement ayant pour objet l’évaluation de l’exposition aux risques s'accompagne impérativement de prélèvements « maîtrise du réseau » : au niveau de la préparation (départ et retour réseau de distribution) et sur le réseau lui-même dans le but de situer toute éventuelle contamination.

Le double échantillonnage, au niveau d'un point de distribution, d’abord utilisé, a été abandonné suite à des résultats « maîtrise du réseau » douteux en raison d’équipements terminaux contaminés.

Les installations d’ECS desservant des services à hauts risques sont contrôlées au minimum annuellement, alors que celles desservant des services considérés à très haut risque le sont chaque semestre. Toute non-conformité ou jugée comme telle, lors d'une précédente campagne, fait systématiquement l'objet, au plus tard lors de la suivante, d'une analyse de contrôle.

Outre ces analyses d’évaluation, des analyses pré et post-interventions sont recommandées lors d’ouverture de réseaux pour travaux (modification de leur architecture ou ajouts ou suppression de points d'usage, arrêt prolongé...) et d’équipements de préparations notamment lorsque la remise en service de l’installation requiert d’importantes purges d’air. Le but de ces dernières analyses étant de juger de l'incidence de ces prestations sur la stabilité de « l’écosystème » du réseau.

Depuis 2005, un système, équipant deux préparations, permet l’ouverture des producteurs sans arrêter la distribution (distribution en eau froide) ce qui supprime les purges mais également les risques d’inondation dus à des robinets non refermés malgré les consignes.

En phase d’acquisition d’expérience, des recherches de légionelles ont porté sur des réseaux qui, par définition, présentaient toutes les conditions requises au développement des légionelles : stagnation, dépôts et températures favorables. Les recherches menées se sont toutes avérées négatives, ceci s'est également vérifié hors de notre établissement. Sans certitude, la raison supposée serait qu’en raison d'une quasi-absence de renouvellement d'eau, celle-ci se serait appauvrie en nutriments pour aboutir à la suppression d'un élément leur étant indispensable.

En plus des contrôles de l’ECS, les fontaines réfrigérantes sont contrôlées annuellement ainsi que les eaux d’alimentation des installations d’ECS ciblées, dès que leurs températures deviennent favorables au développement des légionelles. Ces dernières analyses sont effectuées depuis l’été 2003, année de la canicule où l’eau froide atteignait les 28 °C.

Depuis l'exercice 2000, année suivant la suppression des traitements préventifs systématiques, 286 analyses de recherche de légionelles ont été effectuées sur les installations d’ECS. Au regard de la réglementation, 254 échantillons sont jugés conformes dont 210 inférieurs au seuil de dénombrement (< 250 UFC/l). Pour l'établissement, ce ne sont pas 32 mais 76 échantillons qui ont valu la mise en œuvre de traitements appropriés aux causes et aux emplacements de prélèvement.

Les cas de non-conformités rencontrés sont pour la plupart dus à des interventions sur les réseaux (présence de légionelles aux retours de boucles). Un seul cas, dû à un défaut de préparation, a nécessité une élévation temporaire de la température, sans être un choc thermique, et la consignation des douches dans l'attente des résultats de contrôles qui s'avérèrent bons.

Cause des non-conformités

Lors de la survenance d'un cas de non conformité, toutes les causes possibles, au vu du point d’échantillonnage, sont examinées. Les causes les plus fréquentes concernent des travaux effectués sur les réseaux (échantillonnage d’évaluation de la maîtrise du réseau) puis viennent ensuite, les équipements terminaux des douches (échantillonnage d’évaluation de l’exposition aux risques). Les traitements appliqués se graduent de la surveillance des températures de production au choc thermique qui n'est mis en œuvre qu’en cas de nécessité absolue. Il est à noter que cette solution extrême n’a plus été appliquée depuis mars 1996. À titre d’exemple, la présence seule de légionelles en retour de

[Figure : Illustration 1 : remplacement d’une distribution « multi-bouclée » par une boucle unique.]

Boucles, se traduit par la surveillance de la température de production et des analyses de contrôle de l’évolution ; la présence seule de légionelles aux pommeaux de douche suscite le remplacement des équipements terminaux (douchettes, flexibles, joints…) de l’ensemble des douches et baignoires du service clinique et un nettoyage/désinfection des matériels remplacés par un soutirage de 10 minutes à 60 °C. Dans le cas d’une présence de légionelles, en nombre limité, sur l’ensemble du réseau, le traitement premier consiste à remonter la température de production d’environ 5 °C et à la maintenir, à appliquer une surveillance accrue de la préparation, à remplacer les équipements terminaux des douches et baignoires et à les consigner (toilettes des patients au gant), à effectuer des analyses de contrôle dans les 24 ou 48 heures et à réaliser un soutirage quotidien de 5 minutes à chaque équipement consigné jusqu’à réception des résultats d’analyse (12 à 15 jours). Soit les résultats sont conformes, les usagers disposent à nouveau de l’ensemble de leurs équipements après réajustement du point de consigne à 56/58 °C et levée des consignations ; soit les résultats sont sensiblement égaux aux précédents, mise en œuvre d’une procédure de choc, maintien des consignations, soutirages, analyses de contrôle… Dans les 5 jours, suivant la mise à disposition des équipements, de nouvelles analyses bactériologiques sont effectuées dans un but d’évaluation de la maîtrise du réseau et de l’exposition aux risques.

Le choix du traitement thermique a, en premier lieu, été davantage motivé par la crainte de l’accélération de la corrosion des matériaux due aux traitements chimiques que par la certitude d’une efficacité avérée. Depuis, l’expérience montre que ce mode de traitement, malgré ses inconvénients (risque de brûlures, absence de rémanence) présente des avantages indéniables (mise en œuvre, atteinte des bactéries protégées, absence d’accoutumance) et une efficacité certaine.

Fort des conclusions tirées de ce premier et seul choc thermique réalisé, la mise à jour des plans ou leur reconstitution mobilise un agent qui s’attache à relever : le tracé des réseaux dans leurs moindres détails, les points critiques apparents (suintements, traces de fuites, oxydation, défauts d’isolation, piquages et réseaux obsolètes…) et l’inventaire des points d’usage. De ces relevés, ont été réalisés des schémas de distribution qui permettent de « visionner » une installation dans son ensemble mais surtout de mettre en évidence les défauts de conception (interconnexions de boucles de distribution entre elles, longueurs démesurées et zigzagantes, points hauts et bas…).

Comme beaucoup d’établissements hospitaliers, thérapeutiques, recevant du public…, la lutte contre le risque lié aux légionelles a suscité de notre part beaucoup d’énergie et d’investissement personnel. Notre démarche ne s’est pas limitée à la surveillance des réseaux et à l’application de traitements correctifs, elle s’étend à la prévention et à l’évaluation des risques, la préservation de la qualité de l’eau, la compréhension de la présence des bactéries, l’exploitation et l’entretien des installations ainsi qu’à la formation. L’objectif affiché est de s’opposer à la survenue des légionelles pour ne pas avoir à traiter par la suite. Une installation « mal née » sera source de problèmes qui s’aggraveront avec son vieillissement mais également avec les travaux réalisés. Afin de garantir des installations performantes dès leur livraison, des règles de conception et de mise en œuvre, propres à l’établissement, ont été regroupées dans un livret dénommé Cahier des Prescriptions Techniques Générales (C.P.T.G). Ces règles se rapportent à l’ensemble des réseaux d’eau destinée à la consommation humaine, froids et chauds, dans un but de prévention et de lutte contre leur pollution en général et plus particulièrement contre les légionelles. La conception du C.P.T.G, produit du schéma directeur « Eau Chaude Sanitaire », a été élaborée à partir de critères sanitaires et techniques eux-mêmes résultant d’analyses et de réflexions dans le respect de la réglementation. Ce document, agrémenté de plans, schémas, symboles…, traite : de la prévention sanitaire, des généralités techniques, de la protection antipollution des réseaux, des réseaux d’eau froide, des installations d’eau chaude sanitaire (préparation, architecture de distribution, indices de risques, identification des éléments…), de la protection des points d’usage, des réceptions et des installations non réutilisées. Ce document, destiné à évoluer, requerra divers rectificatifs et compléments au gré des réalisations.

Installation idéale

Après analyse des causes de dégradation de l’ECS et sources de prolifération des bactéries, l’installation idéale devrait, au minimum : être concentrée près des points de distribution à alimenter, délivrer une eau adaptée aux usages et non obliger les usagers à s’adapter à celle distribuée, être équipée de préparateurs offrant toutes les garanties techniques et sanitaires, ne pas être sujette à l’insuffisance ou à l’absence de flux, requérir un entretien minimalisé et s’opposer au développement du biofilm. Le schéma directeur ECS, réalisé en interne, prévoit qu’une installation ne puisse desservir des usages présentant des niveaux de risques différents. En plus de simplifier l’architecture des réseaux et de réduire leurs linéaires, concevoir des installations limitées à une zone de risque, un service, un usage particulier… interdira toute éventuelle propagation bactérienne et limitera, donc simplifiera, les opérations de désinfection effectuées à titre correctif. Ce mode de conception revêt également des avantages techniques et énergétiques non négligeables : moins d’équilibrages en raison de la simplification des réseaux de distribution et minoration des dépenses d’énergie nécessaires à leur maintien en température en raison de la réduction de ces réseaux et de la quasi-absence de zones mortes.

Réseaux dits de « transport ».

Pour ces mêmes raisons, ces installations présentent moins de surfaces offertes au développement du biofilm et s'opposent au vieillissement de l'eau par un renouvellement plus fréquent. Les réseaux de distribution, en cuivre voire dégraissé afin de bénéficier au maximum de leurs effets bactéricides, doivent faire l'objet d'une étude conceptuelle précise pour limiter : les points critiques, le nombre de boucles et les linéaires de canalisations et leurs sections à leurs justes mesures. Lors de la rénovation totale d'une installation, l'étude a permis de remplacer une distribution classique (boucle nourricière et boucles en colonnes) par une seule boucle aboutissant à la division par deux des coûts de réalisation et à la suppression des fastidieuses prestations d’équilibrage (illustration 1). Cette installation a nécessité la mise en œuvre d'une boucle d’égale section sur toute sa longueur, du départ de la préparation à son retour et la pose de clapets anti-pollution type EA au point de raccordement des antennes d’une longueur supérieure à trois mètres. Cette dernière mesure vise à protéger le reste du réseau d'une éventuelle pollution, par absence de soutirage, de l'une de ces antennes.

Le repérage des réseaux de distribution sur site (illustrations 2 et 3) a fait l'objet d'une méthodologie mettant en œuvre d'une part : des étiquettes adhésives, spécialement réalisées à cet effet, qui portent les mentions [E.C.S. Boucle] ou [E.C.S. Antenne] sur fond de flèche d'indication de sens d’écoulement du fluide et, d’autre part, une codification des éléments du réseau. Le code de chacune des boucles et antennes, reporté sur les étiquettes lors de leur pose, s'établit d’amont en aval de la préparation aux points d'usage. Une boucle principale raccordée à la préparation reprend son numéro puis chaque élément aval (boucle ou antenne) reprend l'identification de l’élément amont suivi d'un numéro d'ordre précédé d'un [.] de séparation. L'identifiant d'une boucle est suivi d'un [a] ou [r] de distinction du réseau « aller » de son « retour ». La densité du repérage correspond à des critères prédéfinis (début et fin de section, entrée et sortie de nappes, de part et d’autre des traversées de cloisons et planchers, changements de direction...). Trois autres modèles d’étiquettes, réalisés suivant le même principe, sont destinés au repérage des réseaux d'eau froide : ceux destinés à la consommation humaine, les réseaux techniques et les réseaux professionnels ou de sécurité.

[Photo : Identification des boucles principales.]

Exemple : antenne [20A2.2.4] — « 20 » pour rappeler le n° d'identification de la production desservant ce réseau — « A » identification de la boucle primaire sur collecteur de départ = [20A] — « 2 » deuxième élément de réseau (aval) raccordé au réseau nourricier (réseau amont 20A), depuis son origine en suivant le sens d’écoulement du fluide → [20A2]. Puis, suivant le même principe : « .2 » deuxième raccordement réseau nourricier [20A2.2] — « 4 » quatrième et dernier raccordement à ce réseau nourricier → [20A2.2.4].

[Photo : Identification des boucles secondaires et des antennes.]

Les points de séparation trouvent leur utilité lorsque le nombre de raccordements au réseau nourricier atteint la dizaine et ont également pour but de faciliter la lisibilité des identifications importantes. Dans ce même but, les indicateurs spécifiques aux boucles [a] et [r] disparaissent s'ils ne terminent pas l'identification d'une boucle. La conservation de ces indicateurs, pour l’exemple proposé, donnerait [20Aa2a.2a.4]. Cette méthode, pour être efficace, requiert une codification préalable sur plans conformes à l'installation. Se prêtant à toutes les installations d’ECS, elle permet aux techniciens, à la seule lecture d’une étiquette, d’identifier la production, la canalisation et la complexité du réseau : un code étiré reflétera un « empilage » de boucles et/ou d’antennes.

Dans son choix de préparation ECS, l’établissement a privilégié des appareils compacts de type semi-accumulé verticaux aux préparateurs instantanés malgré leurs très faibles contenances. Les appareils retenus, en raison de leurs caractéristiques générales et de leur simplicité de mise en œuvre, sont de classe B « tout inox » au titane, d'une capacité de 350 ou 500 l maximum et renferment, dans leurs parties basses, un échangeur de puissance permettant une mise rapide en température de l'eau (illustration 4).

Le piquage de retour de bouclage, hors canalisation d’appoint en eau froide, au-dessus de l'échangeur, offre l'avantage, lorsqu’il est utilisé, de produire de l'eau à une température supérieure à celle de distribution notamment par absence ou faible soutirage. En plus de ces caractéristiques, jugées évidentes, la qualité de finition du réservoir et de l’échangeur et la conception de ce dernier ne favorisent pas l'accrochage du tartre qui, se déposant en fond de réservoir, est évacué par les purges.

[Photo : Préparateur ECS type semi-accumulé]

périodiques. Une trappe de visites, en façade d'appareil, facilite et amoindrit les opérations d'entretien. Le préchauffage de l'eau d’alimentation de sept préparateurs a été réalisé à partir de six de ces appareils d'une contenance unitaire de 350 litres. Dans l’optique d’éventuels chocs thermiques à réaliser, les canalisations eau froide et fluide vecteur sont équipées de prises de raccordement d'un possible échangeur à plaques en complément de la production existante (illustration 5).

La connaissance des conditions de développement et de multiplication des légionelles, nous amène à considérer que la seule qualité des installations d’ECS ne suffit pas à garantir une distribution d’eau chaude exempte de bactéries, encore faut-il que les préparateurs ne soient pas alimentés par de l'eau froide en contenant. La situation géographique des préparations (locaux techniques souvent très chauds), les heures creuses de soutirage (quelques heures chaque nuit voire plusieurs heures les fins de semaine), la conception des préparateurs (emplacement des retours de bouclage), font que le réseau d'eau froide est un élément vulnérable et exposé. Pour se prémunir contre ce risque, les canalisations de raccordement doivent éviter la proximité de sources chaudes, être les plus courtes possible, parfaitement calorifugées et munies de clapets anti-retour performants (dispositifs anti-pollution) et parfaitement situés. D’autre part, lorsque le choix est possible, il est toujours préférable de se raccorder à un réseau dont le débit est quasi permanent, en amont des autres équipements desservis et non en fin de réseau. Ce concept évitera un appoint en eau potentiellement contaminée par un séjour dans de mauvaises conditions. Une attention particulière doit être portée aux réseaux d’eau destinée à la consommation humaine et à la préservation de leurs critères de potabilité : pas d’ECS de qualité sans une eau froide de qualité. L’examen des réseaux d'eau froide et la correction des défauts constatés visent également à se préserver contre le risque lié aux pseudomonas.

Gestion des non-conformités

Les non-conformités constatées, sans cause(s) apparente(s) ont très souvent pour origine des dysfonctionnements mineurs de l’installation qui s’aggravent et s'amplifient au fil du temps. Dans bien des cas, ces non-conformités pourraient être évitées par des relevés de performances périodiques qui seraient comparées entre elles et à celles réalisées à l’origine de l’installation. Ces performances originelles, qui devraient conditionner la réception, résulteraient de divers tests, mesures et analyses complétés par un ratio énergétique du m³ d’eau chauffée, à réaliser, au plus tôt, dès l'atteinte d'une consommation représentative, afin d’établir la signature de l’installation. Toute signature établie, sera à renouveler après chaque modification importante touchant la préparation ou le réseau de distribution. Lorsque l’on dispose de moyens modernes de gestion des préparations d’ECS (ex. : un automate) l’établissement d’états énergétiques périodiques peut se faire de façon quasi automatique. Ces états mensuels, associés à des relevés annuels des performances, constitueront des outils de maintenance prédictive qui permettront d’appliquer au plus juste les prestations d’entretien qui s’imposent. Une baisse de performances énergétiques peut avoir pour causes principales un préparateur entartré ou des réseaux décalorifugés. Une augmentation de la consommation d'eau est-elle logique ou résulte-t-elle de fuites ? Dans la plupart des cas, des interrogations et visites s'imposent. D’autre part, en cas de non-conformités graves ou de légionelloses, un examen de la signature et des derniers états sera recommandé.

Le cahier des prescriptions techniques prescrit également la réalisation d'une fiche de premiers renseignements dénommée « Carte identité des installations » et des modalités de réception équivalentes à celles appliquées aux installations de gaz médicaux. Concernant les cartes d'identité, à apposer à proximité des préparations, elles sont principalement destinées aux techniciens chargés de l'entretien notamment correctif. La carte doit comprendre : l'identification de la préparation, le niveau de risques, la plaque indicatrice du préparateur (classe, pressions de service et d’épreuve), les numéros des fiches techniques

[Photo : Prises pour équipement complémentaire de choc thermique]

(préparateur, régulation, désinfection, suivi température et bactériologique...), les numéros des plans et schémas, le principe de distribution ainsi que tout renseignement jugé utile. Quant aux réceptions, trop souvent, elles se limitent à un contrôle sommaire des équipements et réseaux. L’eau délivrée offre-t-elle toutes les qualités sanitaires minimales requises ? Espérons-le. Une réception type « gaz médicaux », au moins appliquée aux équipements desservant des secteurs classés à haut ou très haut risque, vise à ne « livrer » aux usagers que des installations exemptes de contamination ou qui ne présentent aucun risque à court terme. Le dossier des ouvrages exécutés, sans lequel la réception ne peut être prononcée, devrait comprendre en plus des plans et autres fiches techniques, de calcul…, les agréments sanitaires des produits en contact avec l’eau, des schémas de principe en plus des plans certifiés conformes, l’inventaire des points d’usage, les méthodologies et comptes-rendus de nettoyage, de désinfection et d’équilibrage des réseaux, les fiches des divers réglages, la capacité de l’installation, la liste des points critiques et piquages conservés (cas de modifications), éventuellement les résultats des tests de désinfections thermiques, les résultats d’analyses physico-chimiques et bactériologiques (recherche de légionelles). Dans l’attente des résultats d’analyses, qui conditionneront ou non la « mise à disposition » de l’installation aux usagers, celle-ci devra être consignée en configuration de production (chauffage, mise en circulation de l’eau et soutirages fréquents aux points d’usage).

L’opération de mise à disposition consistera à : élever la température de production (configuration de choc thermique), effectuer un soutirage de quelques minutes à chaque point d’usage afin de renouveler, au minimum, le contenu total de l’installation, purger les éventuels points critiques haut et bas et enfin procéder à la déconsignation de l’installation après réajustement du point de consigne de production et de la température de l’eau. Cette opération, à laquelle la présence d’un membre du CLIN semble primordiale ainsi qu’à la réception, devrait également être systématiquement mise en œuvre pour toute ouverture différée ou fermeture prolongée de Services cliniques.

Incidence des interventions techniques

Ces années passées à traquer les légionelles nous ont appris que toute intervention sur les réseaux en « produisait ». Ce ne sont pas les interventions techniques en elles-mêmes ou la façon de les réaliser qui favorisent leur arrivée, elles étaient présentes avant la prestation. La nature de la prestation et le procédé de mise en œuvre font que les bactéries, en plus ou moins grand nombre, se trouvent « délogées » de leur microcosme.

Pour vivre et se développer, les légionelles ont besoin entre autres de nutriments qu’elles trouvent en quantité importante dans des dépôts d’origines diverses qui sont la conséquence de défauts de conception, de manque ou d’absence d’entretien, de traitements inadaptés ou répétés… auxquels il convient d’ajouter le biofilm. Ceci démontre que plus le taux de vétusté d’une installation sera élevé, plus importantes devront être les précautions à prendre.

Une installation bien conçue, même réalisée à partir de matériaux n’étant pas réputés de très grande qualité présentera de meilleures performances « sanitaires » qu’une installation mal conçue ou dégradée réalisée avec des matériaux très performants. Sachant que le biofilm est formé par les bactéries elles-mêmes, qu’il en abrite plus de 99 % de la totalité contenue dans le réseau et qu’il représente une substance fragile, on comprend mieux pourquoi toute intervention technique sur un réseau générera une « poussée » de bactéries. La prestation les déloge puis le flux les véhicule.

La nature de l’intervention fera que cette « poussée » sera de courte durée ou se prolongera des mois. À titre d’exemple, tout ce qui a pour effet de rétablir les flux en réseau ou de les forcer érodera les sédiments, décollera des particules de biofilm pendant des mois. Sa fragilité persistera plus longtemps encore.

Une vidange d’installation sans prises d’air, d’adoucissement des flux, des inversions de sens des flux auront un effet similaire. Tout forçage de flux devrait être précédé d’une désincrustation des réseaux. Afin de minimiser les risques, un document intitulé « Autorisation de travaux – dossier CLIN » prend en compte, entre autres interventions, celles à réaliser sur les réseaux d’eau.

Le responsable des travaux a en charge, avant avis du référent « eaux » et de l’Équipe Opérationnelle d’Hygiène, la description des prestations à effectuer et l’identification des éventuels risques sanitaires encourus. Il doit également spécifier les mesures préventives les mieux adaptées aux risques, les procédés de nettoyage et de désinfection ainsi que les analyses bactériologiques qu’il compte effectuer. L’autorisation reçoit l’aval du Directeur des travaux au vu d’avis favorables des personnes compétentes dans les différents domaines concernés.

Incidence des travaux

Il vient d’être démontré que toute intervention sur une installation avait pour conséquence de déstabiliser son écosystème et de coloniser le fil d’eau où, en principe, ne doit se trouver qu’une infime quantité de bactéries. Les investigations sur les réseaux, et principalement les schémas de distribution et de principe des installations réalisés à partir de relevés précis, tendent à révéler que les travaux seraient l’une des causes principales de leur dénaturation.

Quels sont ces travaux ? En premier, il y a eu l’époque où les Maîtres d’œuvre supprimaient les petites préparations pour les (re)concentrer. Ces travaux n’ont fait que multiplier les réseaux dits de « transports » qui n’ont d’utilité que de véhiculer l’eau chauffée de la préparation aux lieux d’utilisation et de ramener celle non consommée. Ces réseaux, qui sont venus grossir des installations existantes, n’ont fait qu’augmenter leurs difficultés d’équilibrage, réduire leurs performances et perturber leur fonctionnement à supposer qu’il fût correct. De plus ces canalisations offrent une surface d’accroissement des biofilms très importante.

Pour exemple, 1 m² de surface correspond à une canalisation d’une longueur de 9,6 m en Ø 33 mm et 6,5 m en Ø 50 mm. Ramené aux études de biofilm, sachant que 1 cm² peut en contenir plusieurs dizaines de milliers, la colonisation peut devenir très importante.

Pour accentuer les difficultés de maîtrise des réseaux, la concentration des productions, qui génère des sections et longueurs de canalisations démesurées, ne comporte que rarement le (re)calcul des pompes de mise en circulation.

En second, nous trouvons les changements successifs d’affectation des locaux qui suscitent des déplacements, des ajouts et des suppressions de points d’usage. Ces modifications représentent une source sûre d’altération de la qualité de l’eau. Les déplacements et ajouts constituent en règle générale la création de boucles supplémentaires qui se superposent aux existantes et parfois prennent leur origine sur l’une pour se terminer sur une autre (illustration 6).

La raison ? Les travaux seraient rarement réalisés après consultation préalable des plans et les réseaux ne sont que peu ou pas étiquetés. Les déplacements et suppressions ne prennent en

[Photo : Illustration 6 : Incidence des travaux sur les installations.]

Ces premiers contrôles démontrent une colonisation importante qui s’échelonne de 350 000 à 575 000 UFC/l sans aucune legionella pneumophila dénombrée. Dans l'urgence, la procédure d’inactivation des bactéries qui aurait dû être écrite se fait oralement et n'est pas respectée. Le nettoyage soigneux de chaque bac suivi d'une désinfection par une solution chlorée dosée à 15 mg/l pour un temps de contact de 24 heures se traduit par un nettoyage rapide et une solution dosée à plus de 200 mg/l pour un temps de contact inférieur à 4 heures. Les analyses de contrôle montrent une concentration divisée par deux mais cette fois de legionella species dont pneumophila. Le second traitement est réalisé suivant une procédure écrite qui prévoit que la phase de désinfection ne peut être entreprise sans la validation de la qualité du nettoyage du bac par une personne compétente du Service Technique qui ordonne sa reprise s'il le juge insuffisant. Depuis, cette opération (nettoyage/désinfection) fait l’objet d’un compte-rendu type où figure également la validation du nettoyage. Ce compte-rendu a été étendu à toute opération de ce type et d’entretien préventif des réservoirs d'eau. Les analyses effectuées à l'issue de cette deuxième opération montrent des taux < 1 000 UFC/l à l'exception d'un bac (7 600) qui a subi un troisième et dernier traitement.

État des bacs

À l'examen des équipements, il s'avère que les quatre bacs rénovés sont dans un état critique : les deux premiers présentent un état d’oxydation de 75 % et de 100 % pour les deux autres. Quant aux deux dernières tours, les peintures d'origine (8 ans) ne sont affectées que de quelques points d’oxydation, sans conséquence pour les bacs. Par contre, quel que soit le bac, tous contiennent des dépôts en quantité importante. La matière époxy, employée pour la rénovation des deux premiers bacs, par manque d’adhésion aux parois, renferme des boues et des épaisseurs d’oxyde de fer sous des boursouflures de 2 à 3 cm d’épaisseur dont certaines atteignent plusieurs dm³. Quant aux deux autres bacs rénovés avec une peinture anti-rouille, ceux-ci présentent une oxydation avancée sans boursouflures. Ce constat démontre que sans sablage préalable, une peinture anti-rouille reste préférable à un revêtement époxy. Depuis, la nouvelle rénovation en résine de ces quatre bacs, assortie d'un engagement du prestataire à une obligation de résultat, ne laisse entrevoir aucun défaut lors des différents contrôles de surface qui s’ensuivent. Le produit restant stable, la mise en œuvre de ce produit est à privilégier aux précédents.

À priori, le manque d’entretien des bacs (dépôts importants) est la cause de la prolifération bactérienne mais, par sécurité, des analyses complémentaires sont réalisées en différents points du réseau y compris celui d’appoint en eau froide. Un seul échantillon, celui prélevé en sortie d’adoucisseur, affiche 100 UFC/l, ce qui est inconcevable pour une eau destinée à un tel usage. Il en ressort que l'entretien et la désinfection du bac à saumure et des résines n’ont pas été effectués alors que le contrat le stipule. L’analyse approfondie de l'ensemble des données, y compris des paramètres de régulation, tend à démontrer qu'il n’existe pas une cause unique mais un ensemble de faits. Au manque d’entretien flagrant, la fréquence de permutation des tours, réalisée en automatique toutes les cent heures, fait que l'eau des tours en veille peut « vieillir » plusieurs heures, au soleil, derrière des parois en tôle où la température peut atteindre 40 °C. Ces températures combinées à l'état des bacs et à leurs mises en veille constituaient un milieu très favorable à la prolifération bactérienne d’autant qu’il était ensemencé par l'eau d’appoint. Cet épisode « tours aéroréfrigérantes » nous confirme les risques que représentent des traitements chimiques sans leur maîtrise totale et leur peu d'effet en présence d’un tel biotope et renforce notre conviction de les avoir écartés des réseaux d’eau chaude.

Mesures prises

La première mesure prise après identification des causes a été, d'une part, de mettre en demeure le prestataire du contrat d’entretien

d'effectuer à brève échéance les prestations non réalisées puis de respecter son échéancier quant aux autres et, d’autre part, d’ordonner à un agent du Service Technique d’exercer un contrôle strict des prestations effectuées et à réaliser. La deuxième a été de réduire de moitié l’injection de chlore dans l’attente d’une seconde rénovation des bacs et d’un traitement de substitution moins corrosif. Quant à la troisième et dernière mesure, elle a consisté à ramener de 100 à 6 heures la consigne de permutation des tours, ce qui fait qu’en raison de leur mode de fonctionnement, au minimum deux par deux, elles ne peuvent rester plus de 12 heures sans être sollicitées.

Partant de l’hypothèse que : des installations bien entretenues (bacs maintenus dans un état de propreté permanent et entretien régulier des équipements de traitement d’eau) avec une eau qui ne peut vieillir dans les bacs (plusieurs renouvellements/jour en raison des volumes consommés combinés à la fréquence de permutation) doivent à eux seuls constituer un traitement anti-légionelles efficace, sans effets secondaires, qui se substituerait à tout traitement chimique.

Ce traitement écologique et de surcroît gratuit, favorablement approuvé par le CLIN et la Direction du Service Technique, a suscité la mise à l’arrêt du traitement chloré, malgré quelques réticences de personnels techniques. Les analyses bactériologiques d’évaluation affichent, hors problèmes techniques, des résultats < 500 UFC/L voire < 250 UFC/L. De 2002 (suppression des injections de chlore) à 2005, sur les 58 analyses réalisées, un seul échantillon présente un taux supérieur à 10³ (3 600), 6 sont inférieurs à 10² et 51 au seuil de dénombrement.

Depuis l’augmentation de la fréquence de permutation des tours, les 7 non-conformités, ou jugées comme telles, ont eu pour causes, rapidement détectées, la défectuosité d’interrupteurs de positionnement (fin de course) de vanne d’isolement hydraulique de bac et l’arrêt prolongé d’unités de production d’eau glacée, en période hivernale, pour des raisons de moindres besoins.

Dans le premier cas, l’automate de gestion des tours, ne « voyant » pas le positionnement exact des vannes (ouvert ou fermé), déclare l’équipement en panne et ne le sollicite plus, d’où le vieillissement de l’eau dans le bac. Les messages d’alarme semblant insuffisants, la pose d’horamètres, un par tour, et leurs relevés quotidiens permettent de détecter rapidement ce type de dysfonctionnement. Le second cas a été traité par la pose de vannes de purge des portions de réseau rendues statiques par l’arrêt des unités de production d’eau glacée. La purge automatique, d’une dizaine de minutes, se trouve actionnée dès qu’une unité atteint 24 heures consécutives d’arrêt et est renouvelée à ce rythme jusqu’à la (re)mise en production de l’unité. Ce système ne peut être considéré comme consommateur d’eau ; les volumes ainsi évacués diminuent d’autant ceux issus des purges automatiques de déconcentration.

Les derniers contrats d’entretien de ces équipements prévoient une clause intitulée « Lutte contre les infections nosocomiales » qui stipule entre autres : « L’Exploitant effectuera des analyses bactériologiques de contrôle du parfait entretien des installations. Dans le cas où des analyses présenteraient des concentrations au-dessus des taux admissibles ou jugées comme telles, le Prestataire sera tenu de mettre en œuvre immédiatement tous les moyens nécessaires pour enrayer la prolifération et la contenir. Les analyses de contrôle des actions entreprises seront en totalité à la charge du Prestataire jusqu’à obtention du résultat escompté. » La mise en application de cette mesure, au titre de pénalités pour des prestations non conformes qui n’ont concerné que des bacs, peut valoir au Prestataire, dans le cas où la prolifération nécessiterait la mise à l’arrêt de la totalité de l’installation, la résiliation de son marché pour un fait assimilé à un cas de faute grave. Cette mesure vise également les installations d’ECS dont l’entretien est prévu au contrat.

Depuis le 1ᵉʳ décembre 2004, les tours aéro-réfrigérantes humides sont soumises à déclaration ou autorisation préfectorale au titre de la rubrique 2921 de la nomenclature des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE). Les prescriptions relatives à leur exploitation et entretien, aux fréquences et modalités de recherche de légionelles, à la gestion des non-conformités (tout résultat > 10³ UFC/L), aux carnets de suivi et aux contrôles réglementaires, sont fixées par arrêté. Cette nouvelle réglementation impose un traitement anti-légionelles. Notre système de traitement, écologique mais aux dires des uns anti-conformiste, présenté et argumenté auprès de la Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement (DRIRE) a été admis au vu des résultats d’analyses. Le restera-t-il demain, notamment à la lecture des conclusions de l’étude de risques ?

Conclusion

Ces dix années d’expérience démontrent que la lutte contre la prolifération des légionelles tient à un ensemble de détails dont aucun ne doit être sous-estimé. Le tort serait de penser que tout est acquis, il reste du travail à accomplir. Celui réalisé fut un travail de fond, émanant d’une collaboration efficace entre la Direction du Service Technique qui a su, entre autres, nommer un référent « eau » et mettre des moyens à sa disposition, la Direction de l’établissement qui a reconnu ce référent et le Comité de Lutte contre les Infections Nosocomiales qui, quelle que soit la situation, a permis d’œuvrer efficacement dans une stratégie d’examen des causes et d’acceptation des correctifs préconisés.

L’objectif fixé n’a jamais été la recherche du « 0 légionelle », de cette « Ennemie » qui s’était invitée alors qu’on ne l’attendait pas ; au fil des jours, des mois, des années nous en avons fait une « Amie ». Non pas l’amie que l’on invite à prendre ses aises, à s’installer, mais une amie singulière dont on accepte la présence pour mieux la percevoir.

C’est cette perception aiguë de la Legionella qui nous a permis de gérer efficacement toute non-conformité ou situation de crise et d’adapter nos interventions techniques. Au cours de cette décennie, notre investissement fut plus intellectuel que financier, malgré les nombreuses sollicitations pour l’acquisition de produits et procédés prétendus infaillibles. Les acquis résultent non seulement d’observations, de réflexions, d’analyses mais également… d’erreurs, qui font que des vérités hier ne sont plus celles d’aujourd’hui. Qu’en sera-t-il demain ?

La prévention n’étant pas l’apanage des seuls personnels de maintenance et d’entretien, elle doit commencer dès la conception des installations et se poursuivre avec les travaux de mise en œuvre.

Pour ces raisons, le Cahier des Prescriptions Techniques Générales, qui se veut être pensé « exploitation future », vise la réception d’installations performantes tant sanitaire qu’énergétique et leur pérennité. La conception/réalisation ne demande que quelques mois, l’exploitation durera des années voire des décennies, ceci vaut bien la révision de quelques pratiques enracinées.

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