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Élimination sélective du fluorure dans les eaux usées et l'eau potable par chélation sur résine dopée à l'aluminium

30 novembre 2011 Paru dans le N°346 à la page 137 ( mots)
Rédigé par : Stefan NEUMANN, Kedar OKE et Beryn ADAMS

L?emploi d'une nouvelle méthode d'adsorption, fondée sur une résine chélatante régénérable dopée à l'aluminium, permet d'obtenir aisément des concentrations en fluorure inférieures à un milligramme par litre. L?étude de cas présentée ici illustre les aspects pratiques de la mise en oeuvre et des données de laboratoire fournissent des éléments plus techniques sur d'importants paramètres pour la conception du procédé.

Par Kedar Oke, Lanxess India Ltd, Stefan Neumann, Lanxess Deutschland GmbH et Beryn Adams, Lanxess Pte Ltd

Les procédés d’un certain nombre d’industries produisent des effluents contenant des fluorures. Ceux-ci sont notamment présents en grandes quantités dans les rejets d’industries telles que : semi-conducteurs, photovoltaïque, verre, galvanisation, acier et aluminium, pesticides et engrais. La concentration d’un effluent non traité en fluorure peut être très variable et le niveau de rejet autorisé dépend du lieu d’élimination. En cas de risque de réinfiltration du fluorure dans une source d’approvisionnement en eau, la limite habituelle de concentration est d’environ un ppm. Outre le traitement des flux de procédés industriels, la principale autre application est l’élimination du fluorure dans l’eau potable afin d’en ramener la teneur à 1 ppm ou moins.

En général, pour réduire les teneurs élevées en fluorure, on ajoute des sels de calcium qui précipitent les ions fluorure sous forme de CaF₂. Cependant, du fait d’une certaine solubilité et d’effets cinétiques, la concentration en fluorure après précipitation est habituellement de 7 à 15 mg/L et donc supérieure aux limites acceptables. Étant donné que les organismes de contrôle de la pollution exigent généralement une concentration maximale de fluorure dans les effluents de 1 mg/L, ces solutions saturées en CaF₂ doivent subir un traitement ultérieur. Il existe deux procédés de traitement connus :

1. Adsorption sur de l’aluminium activé ;

2. Élimination par une résine échangeuse d’ions sélective.

Cet article porte sur l’élimination du fluorure à l’aide d’une résine échangeuse d’ions ayant une affinité pour le fluorure.

Principe du procédé

La résine échangeuse d’ions sélective pour le fluorure est une résine chélatante chargée en ions aluminium. Son groupe fonctionnel est un groupe acide amino-méthyle-phosphonique, dit groupe AMPA. Le groupe des acides phosphoniques a une forte affi-

[Photo : Figure 1 – Groupe fonctionnel de la résine AMPA Lewatit MonoPlus® TP 260 une fois chargée en chlorure d’aluminium.]

…nité avec l’aluminium. Cette importante force de liaison peut être déduite du fait que le phosphate d’aluminium n’est que très faiblement soluble dans l’eau. La résine AMPA a été choisie comme étant la mieux adaptée à cette application étant donné qu’elle se lie étroitement à l’aluminium, limitant ainsi les fuites de cet élément durant l’opération. La figure 1 ci-après présente la structure théorique du groupe fonctionnel AMPA chargé en chlorure d’aluminium.

Fait important, l’ion aluminium est relié au groupe AMPA par deux bras de liaison alors que le troisième bras de liaison du noyau d’aluminium est rattaché à un ion chlorure. Lors du contact avec des solutions contenant du fluorure, il y a substitution entre le chlorure et le fluorure. Les autres ions tels que le sulfate ou le nitrate n’interagissent pas avec l’ion aluminium du fait de leur très faible affinité avec l’aluminium (ce que l’on peut déduire de la haute solubilité du sulfate d’aluminium et du nitrate d’aluminium en solution).

Un litre de Lewatit MonoPlus® TP260 peut être dopé avec environ 1,1 mole d’aluminium. En supposant que chaque ion aluminium absorbe un ion fluorure, l’absorption théorique maximale de fluorure (capacité totale) est d’environ 21 g/L. Comme de coutume, les capacités utiles expérimentées en conditions d’exploitation sont nettement inférieures à ce chiffre.

Ou AlCl₃·6H₂O. L’Al³⁺ va former plusieurs complexes avec le fluorure en solution tels que [AlF]²⁺, [AlF₂]⁺, [AlF(OH)]⁺, [AlF₄]⁻ entre autres. Il y a concurrence entre ces complexes et le fluorure fixé sur le groupe fonctionnel de la résine. Sous l’effet d’une action massive et d’un changement d’équilibre, le fluorure est extrait de la résine et remplacé par du chlorure. De ce fait, après le traitement avec la solution d’AlCl₃, la résine est encore sous la forme chargée en aluminium, avec une liaison avec un ion chlorure.

Après cette opération, la solution régénérante résiduaire, qui contient du sel d’aluminium et du fluorure, peut être traitée par précipitation. Ceci se fait généralement par adjonction de lait de chaux dans l’eau usée légèrement acide : l’aluminium précipite sous forme d’hydroxyde d’aluminium et le fluorure forme du CaF₂ et du Al(OH)₂F. Les solides précipités peuvent alors être filtrés et envoyés en décharge.

Si l’échangeur d’ions est utilisé comme filtre de polissage après une unité de précipitation à la chaux, le régénérant utilisé peut être renvoyé dans cette unité et il n’est alors pas nécessaire d’avoir d’installation supplémentaire de traitement du régénérant utilisé. Dans ce cas-là, le surplus d’aluminium provenant de l’unité échangeuse d’ions peut contribuer au fonctionnement de l’unité de précipitation et remplacer en partie les doses chimiques nécessaires.

[Photo : Figure 2 – Système réactif d’élimination sélective du fluorure par la Lewatit MonoPlus® TP 260 dopée à l’aluminium.]

La figure 2 présente le schéma d’ensemble du cycle opérationnel.

[Photo : Figure 3 – Principe d’utilisation d’une résine sélective pour le fluorure comme filtre de polissage après précipitation de CaF₂.]
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unité de précipitation suivie par l'échangeur d'ions faisant office de filtre de polissage est présenté sur la figure 3.

Étude de cas : équipement technique, conception de l'installation, performances

Une unité contenant de la résine Lewatit MonoPlus® TP 260 a été installée dans une importante société de fabrication de produits chimiques, à Gujarat, en Inde. Elle traite de manière fiable la totalité du flux des effluents d'une installation de production depuis plus d'un an et continue à bien fonctionner. L'unité a permis de maintenir en permanence le taux de fluorure dans les effluents traités en dessous de 1 mg/L. La figure 4 représente une photo du système en place.

[Photo : Figure 4 : Échangeur d'ions sélectif pour le fluorure, en fonctionnement dans une importante société de fabrication de produits chimiques à Gujarat, Inde.]

Le concept de l'installation comprend une étape initiale de précipitation du fluorure à l'aide de CaCl2, suivie par une étape de filtration. Le filtrat est poli à l'aide de l'échangeur d'ions. Le débit du flux d’effluents est d'environ 1,5 m³/h. Le processus de précipitation par CaCl2 ramène le contenu en fluorure d’environ 100 mg/L à quelque 8 à 18 mg/L.

Cette unité comprend un seul filtre échangeur d’ions, d'une contenance de 300 litres de résine. La figure 5 présente une courbe de filtration représentative.

[Photo : Figure 5 : Courbe de filtration originale établie à partir de données mesurées sur l'installation de référence de Gujarat. Concentration de l’apport en fluorure : 9 mg/L ; apport : pH = 5,8 ; vitesse spécifique 5 BV/h ; concentration en sels dissous (MDT/TDS) élevée du fait de précipitations en aval mais non déterminée.]

Elle permet de conclure que le percement du fluorure à 1 ppm s'est produit après 286 BV, soit l’équivalent de 57 heures de fonctionnement. Avec une concentration en fluorure de l'influent de 9 mg/L, la capacité utile du filtre est donc d’environ 2,6 grammes de fluorure adsorbés par litre de résine.

Après percement, le filtre est régénéré en injectant 3 BV d’une solution d’AlCl3 à 5,5 %, de bas en haut à travers le lit, à 5 BV/h. Cette opération est suivie de 10 minutes de rinçage à contre-courant à une vitesse linéaire de 10 m/h et d'un rinçage final avec 2,5 BV d’eau propre à 5 BV/h.

Les eaux usées du processus d’échange d'ions (composées du régénérant résiduaire, des eaux de lavage à contre-courant et des eaux de rinçage final) sont évacuées dans un réservoir en forme de cône équipé d'un agitateur, d'un système de contrôle du pH et d’un dispositif de dosage pour le CaCl2, le H2SO4 et le NaOH. Le fluorure et l'aluminium sont précipités et les particules en suspension se déposent. La boue est ensuite épaissie puis déshydratée dans un filtre-presse.

L'utilisateur de l'installation va pouvoir :

  • a) Satisfaire en toute sécurité aux normes des organismes de contrôle de la pollution concernant le rejet des eaux usées ;
  • b) Bénéficier de synergies avec l'unité de précipitation amont : aucun flux supplémentaire d’eaux usées n’est généré étant donné que le régénérant résiduaire provenant de l’échangeur d’ions est traité à l'aide du processus en place sur le site ;
  • c) Bénéficier d'un matériau d’adsorption régénérable qui peut rester en place plusieurs années.

Résultats des essais d’élimination du fluorure par échange d’ions effectués en laboratoire

Des tests supplémentaires ont été effectués en laboratoire pendant la mise au point de cette technologie d’élimination sélective du fluorure. Ces tests ont fourni des données intéressantes et ont notamment donné des indications sur l’influence sur la capacité utile de la concentration en fluorure, du pH et de la teneur en sels de la

[Photo : Figure 6 : Effet de la concentration d’alimentation sur la capacité utile pour deux conditions de fonctionnement différentes : avec 10 g/L de matières dissoutes totales (MDT/TDS) dans la solution de fond et avec une eau déminéralisée (0 g/L de MDT/TDS). Vitesse spécifique (VS) : 10 BV/h, Lewatit MonoPlus® TP 260 dopée avec 1,3 moles d’Al³⁺ par litre de résine, pH de l'influent = 3,6 ; mélange de sels pour les MDT : 50 % NaCl et 50 % Na₂SO₄.]

La figure 6 présente les capacités utiles en fonction de la concentration d’alimentation pour deux concentrations différentes en sels concurrents. Comme attendu, la capacité utile augmente avec une concentration d’alimentation plus élevée, ce qui est normal dans un processus d’adsorption. Par ailleurs, on a observé que les capacités utiles sont plus élevées dans les cas où la teneur en sels concurrents de la solution d’alimentation est plus élevée. C’est là un résultat assez inattendu dans la mesure où en général la capacité utile diminue à mesure que la concentration en ions concurrents augmente.

L'explication que nous proposons est que l’augmentation de la teneur de la solution en sels augmente la proportion d’ions aluminium qui ont un bras de liaison attaché à un ion dissous (cf. figure 1), le rendant disponible pour un échange avec du fluorure (conformément au schéma présenté à la figure 2). Lorsque la solution de fond contient moins de sels, l’ion aluminium du complexe a davantage tendance à se coordonner aux groupes fonctionnels de la résine avec l'ensemble des trois bras de liaison. Dans une telle configuration, l’aluminium semble avoir moins tendance à adsorber le fluorure.

La figure 7 montre l'effet du pH sur la capacité utile mesurée pour des conditions de faible teneur en sels. On s'est aperçu que la capacité utile est plus élevée pour un pH légèrement acide (pH = 4) et diminue d’environ 50 % pour un pH légèrement alcalin (pH = 10). On peut donc en conclure que des conditions comprises entre un pH légèrement acide et un pH neutre sont favorables au processus.

Conclusion et perspectives

D’après les remontées d’expérience, cette installation a été un réel succès et de ce fait d’autres sites investissent dans un traitement à base de résine pour résoudre leurs problèmes d’eaux usées. D’autres projets faisant appel à ce procédé doivent être mis en service prochainement en Inde. Il est prévu d’étudier plus avant la possibilité de diminuer la consommation d’aluminium pendant le processus de régénération. Quoique la solution soit déjà intéressante au plan économique, ces recherches pourraient conduire à en réduire les frais d'exploitation.

D’autres travaux de laboratoire ont été entrepris afin d’adapter le procédé pour permettre des applications à l’eau potable. La Lewatit MonoPlus® TP 260 est remplacée par la Lewatit MonoPlus® TP 207 qui a été approuvée, dans certains pays, pour une utilisation en l’eau potable. Le mode d'utilisation et les performances de la Lewatit MonoPlus® TP 207 sont comparables, ce qui nous rend très optimistes quant à son potentiel. La fuite initiale d’aluminium de la colonne juste après régénération peut être éliminée avec succès par une colonne de polissage placée après les filtres sélectifs pour le fluorure.

Plus de 60 années de production industrielle et de constants progrès techniques ont fait des échangeurs d’ions Lewatit® des produits de haute technologie tout à fait remarquables qui peuvent être des outils puissants permettant d’accomplir des tâches complexes. Ils sont utilisés avec succès dans le cadre de procédés d’application techniques à haute performance et sont à la fois robustes et de manipulation facile. Plus de 400 procédés connus, touchant des domaines d’application très différents, nous montrent que ces matériaux peuvent faire beaucoup plus qu’une simple dé-ionisation ou qu’un simple adoucissement de l’eau.

[Photo : Figure 7 : Effet du pH sur la capacité utile pour le fluorure. VS = 10 BV/h, Lewatit MonoPlus® TP 260 dopée avec 1,2 moles d’Al³⁺ par litre de résine, teneur en fluorure de l'influent = 127 mg/L, solution de fond : eau déminéralisée.]
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