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Essai de traitement du lactosérum pur issu de la fromagerie pilote de la ferme caprine du Pradel par méthanisation

31 octobre 2013 Paru dans le N°365 à la page 47 ( mots)
Rédigé par : Pauline CASTILLON et Yves LEFRILEUX

Si la méthanisation est aujourd'hui largement décrite et fonctionne déjà à une échelle industrielle pour les mélanges eaux blanches-lactosérum, peu de données sont disponibles quant au traitement de tout ou partie du lactosérum pur produit au cours de l'année, à l'échelle d'une petite exploitation fermière.

Les effluents de fromageries fermières (eaux blanches, lactosérum), de par leur charge organique élevée, s’avèrent être une source de pollution non négligeable pour l'environnement. Le lactosérum issu de la transformation fromagère représente à lui seul 80 % de la charge polluante de ces rejets (50 à 70 g DCO/L de lactosérum). L'interdiction réglementaire du rejet direct dans le milieu naturel ainsi que les contraintes sanitaires rencontrées lorsqu’il est valorisé en alimentation animale imposent une gestion sur site.

S'il existe un certain nombre de procédés pour l’épuration des mélanges eaux blanches et lactosérum (système SBR et filtre à pouzzolane type Pradel, entre autres), la gestion du lactosérum seul permettrait de réduire la charge polluante totale des rejets ainsi que le dimensionnement des installations de traitement pré-existantes.

Déjà largement employée, la méthanisation pour le traitement des effluents semble être une solution alternative aux pratiques actuellement autorisées, et permet de valoriser de la matière organique facilement disponible en énergie renouvelable. Mais si la méthanisation est aujourd’hui largement décrite et fonctionne déjà à une échelle industrielle pour les mélanges eaux blanches-lactosérum, peu de données sont disponibles quant au traitement de tout ou partie du lactosérum pur produit au cours de l'année, à l’échelle d’une petite exploitation fermière.

Cette voie demandait donc à être investiguée, avec un double objectif : un volet environnemental, concernant la réduction de la charge polluante organique que représente le lactosérum, et un volet énergie, avec l’optimisation de la production de biogaz et sa valorisation sur place pour la production d’eau chaude en fromagerie.

Dans un contexte fermier, la miniaturisation est l’élément clé de cette démarche puisqu’il s’agit de mettre au point un pro

[Photo : Schéma du pilote à la ferme du Pradel.]

Cédé efficace, rustique, simple d'utilisation, financièrement abordable et adapté aux dimensionnements nécessairement réduits d'une exploitation agricole.

Ces travaux ont fait l'objet d'une collaboration entre la station expérimentale caprine du Pradel et la société Autom’Elec (Saint-Etienne), pour la mise au point d’un micro pilote de méthanisation d’1 m³. Ces travaux visent à répondre aux questions suivantes :

  • La miniaturisation d’une installation de méthanisation est-elle adaptée au traitement d'un effluent fortement chargé tel que le lactosérum ainsi qu’aux contraintes inhérentes au travail en exploitation agricole et à la variation de qualité et de disponibilité du substrat au cours de l'année ?
  • L'utilisation du lactosérum acide pur impose-t-elle des contraintes de gestion spécifique ?
  • La conception volontairement simplifiée du pilote de méthanisation utilisé pour l’étude permet-elle d’atteindre des performances proches des performances maximales théoriques attendues (production de biogaz équivalente à 0,39 L CH₄·g DCO⁻¹, taux d’abattement DCO supérieur à 80 %) ?
  • Quelles sont les modalités d’apports à envisager et le niveau de charge optimal pour le bon fonctionnement de l'unité ?
  • Quel est l'impact d’une augmentation de charge sur la production qualitative et quantitative de biogaz, ainsi que sur les performances épuratoires du réacteur ?

À terme, ces travaux permettront d’apprécier les performances énergétiques potentielles de l'unité de méthanisation lors de son fonctionnement optimal et le niveau de charge à envisager pour, d’une part, atteindre l’équilibre énergétique pour le fonctionnement du réacteur, et d’autre part obtenir une production énergétique suffisante afin de substituer une partie de la consommation d’eau chaude en fromagerie.

La conception de l'installation a été avant tout guidée par la recherche d'un outil financièrement abordable pour une petite exploitation agricole, d’où une simplification de l'installation (choix des matériaux, limitation des points de piquage sur la cuve avec utilisation d'une seule et même pompe pour le chargement et la recirculation de l’effluent).

Matériels et méthodes

Descriptif du pilote

Le pilote est constitué d’un digesteur d’1 m³ (900 L de volume utile) de type infiniment mélangé par recirculation du substrat, lit de boues granulaires, de deux cuves de 250 L en amont et en aval de la digestion pour le stockage du lactosérum frais et du digestat évacué par la surverse du digesteur, d'une cloche gazométrique de 450 L et d'une chaudière biogaz. Le système est également équipé de deux compteurs à biogaz permettant de mesurer les volumes de gaz produit et brûlé.

La surverse du réacteur est piquée sur l’aspiration de la pompe centrifuge, afin de limiter les piquages sur la cuve. Elle est donc positionnée en partie basse du digesteur.

Le gaz brûlé permet d'une part, et en priorité, la production d'eau chaude pour le maintien en température du digesteur, par conduction thermique au travers de l’échangeur du ballon d’eau chaude et du réchauffeur, et d’autre part, lorsque le volume de gaz est suffisant, pour la production d’eau chaude sanitaire. L’installation comporte également une pompe doseuse pour la régulation du pH par la soude si besoin.

Pour les besoins de l'étude et afin d'automatiser le chargement du substrat dans le digesteur, le cycle de chargement est couplé au cycle de recirculation (puisque fonctionnant avec la même pompe centrifuge) et la vanne de chargement est maintenue partiellement ouverte.

Déroulé de l'essai

Afin d’accélérer la phase de démarrage nous avons ensemencé le réacteur avec des boues granulaires, issues d’une STEP de type UASB, traitant les eaux de process.

Dates du 11/06/2012 au 13/06/2012 du 10/07/2012 au 12/07/2012
Durée 1 semaine 1 semaine
Débit volumique (L/jour) 90 120
Modalités de chargement fractionné sur 24 h fractionné sur 24 h
Fréquence de chargement 1 min / 15 min 1 min / 7 min 30 s
CVA (kg DCO/m³ digesteur/jour) 6 8
TSH (jour) 10 7,5
DCO moyenne (g DCO/L) 57,5 57
Taux d’abattement DCO moyen sur effluent décanté (%) 79,7 80,2
Concentration en MVS dans le digesteur (g/L) 9,23 8,24
Concentration en MVS dans l’effluent sortant par la surverse (g/L) 7,32 7,28
Concentration moyenne biogaz (%) CH₄ 57,34 49,84
Concentration moyenne biogaz (%) CO₂ 35,85 43,1
Production gaz moyenne (m³/jour) 2,59 3,08
Rendement en biogaz (m³/m³ lactosérum) 33,45 26,86
Rendement en méthane (m³/m³ lactosérum) 20,23 13,09
Rendement en méthane (m³/kg DCO abattue) 0,44 0,28
Rendement en méthane (% du max théorique) 95,6 61

Après l’ensemencement et afin d’acclimater l’écosystème, le lactosérum a été introduit avec une charge très faible équivalente à 0,3 kg DCO/m³/jour.

Pour éviter toute surcharge organique, l’augmentation de charge a été progressive et par paliers. Ainsi, durant un mois et jusqu’à atteindre la charge nominale du digesteur de 900 L, la charge volumique appliquée en lactosérum est augmentée de 20 % par semaine. L’augmentation de charge progressive est maintenue jusqu’à atteindre un temps de séjour du substrat au sein du réacteur de 30 jours, fixé aléatoirement. Le débit volumique d’entrée est de 30 litres par jour, soit 2 kg DCO/m³/jour, chargés en une fois au cours de la journée.

La charge appliquée a ensuite été augmentée en multipliant par 3 le débit d’alimentation, sans période de transition. Le débit volumique en entrée est de 90 L, soit une CVA de 6 kg DCO/m³/jour et un TSH de 10 jours, selon une modalité de chargement rapide en une fois au cours de la journée (les 90 litres sont chargés en 1 minute).

Lors de cette phase de mise en route et de stabilisation, nous avons rencontré quelques difficultés d’ordre mécanique, qui ont concouru à l’arrêt de la méthanisation (baisse anormale de la température du digesteur en période hivernale, bouchage de la pompe centrifuge et absence de recirculation du substrat). D’autre part, cette phase de pré-test a mis en avant la vidange anormale des boues granulaires après la première augmentation de charge, d’où la nécessité de revoir les modalités de chargement. Afin de pallier à cette perte de biomasse, il a été nécessaire de réensemencer le digesteur à plusieurs reprises.

Enfin, le chargement rapide de 90 L provoque un à-coup de charge important entraînant une variation de la production qualitative (teneur en méthane du biogaz de 22 à 65 %) et quantitative (très forte production juste après le chargement) au cours de la journée.

Les essais préliminaires nous ont donc permis de valider la faisabilité du traitement du lactosérum par méthanisation sans dysfonctionnements majeurs dus aux caractéristiques mêmes de l’effluent, et nous ont orientés vers une modalité d’apport très fractionnée sur 24 h, plus adaptée au procédé utilisé.

Au cours des deux dernières phases expérimentales, nous avons cherché à déterminer le niveau de charge optimal pour le bon fonctionnement du process et à évaluer l’impact d’une augmentation de charge sur la production qualitative et quantitative de gaz au cours d’une journée, ainsi que sur les performances épuratoires en termes d’abattement de la charge organique et du niveau de pH.

Deux niveaux de charge ont ensuite été testés dans une dernière phase expérimentale, 6 et 8 kg DCO/m³ de digesteur/j (équivalents à un débit volumique de 90 et 120 L de lactosérum/jour), selon les mêmes modalités d’apport fractionnées sur 24 h.

Des observations complémentaires ont été réalisées suite à cette étude.

Contrôles et mesures

Afin de tester les deux niveaux de charge, chaque campagne analytique a duré une semaine, à raison de :

- 5 prélèvements de biogaz par jour durant 3 jours consécutifs et suivi de la production quantitative journalière.

- 1 analyse physico-chimique de digestat par campagne.

- 1 suivi de la DCO entrante et sortante durant 3 jours consécutifs.

Les résultats analytiques principaux de ces essais sont consignés dans le tableau ci-dessus.

Résultats

Les résultats (tableau ci-dessus) de la première campagne analytique (i.e. débit volumique 90 L) font état de bonnes performances épuratoires avec un taux d’abattement de la charge organique de 80 %. L’effluent entrant étant très fortement chargé, l’abattement de la DCO n’est cependant pas suffisant pour permettre son rejet dans l’environnement sans post-traitement.

La production énergétique est proche des résultats attendus et donnés dans la littérature avec un rendement en méthane par kilogramme de DCO abattue de 0,44 m³, soit 20,23 m³ de méthane/m³ de lactosérum. L’augmentation de charge donne des performances moindres concernant la production de biogaz.

La teneur en méthane du biogaz est faible (< 50 %) avec un rendement en méthane par kilogramme de DCO abattue de 0,28 m³. Ces résultats sont néanmoins à nuancer. Au cours de l’étude, il a pu être observé une vidange anormalement rapide des boues granulaires du digesteur (évacuation des

granules plus rapide que la formation de ces dernières).

Pour des raisons pratiques, nous n’avons pas réensemencé le digesteur entre les deux campagnes analytiques (90 et 120 L) et la concentration en microorganismes (équivalente au taux de MVES dans le digesteur) en début de deuxième phase était insuffisante pour un tel niveau de charge appliquée et inférieure aux valeurs seuil préconisées (de 0,5 à 1 kg de DCO·kg⁻¹ de MVES·j⁻¹, soit 8 à 16 kg de MVES lorsque la charge appliquée est équivalente à 8 kg de DCO·j⁻¹).

Néanmoins, suite à cette dernière phase expérimentale et à plusieurs reprises, un réensemencement partiel du digesteur a permis de relancer la production de biogaz après une déstabilisation importante du processus.

Nous admettons donc que la déstabilisation du digesteur et les rendements inférieurs après l’augmentation de charge de 6 à 8 kg DCO·m⁻³·j⁻¹ sont principalement dus à une perte de biomasse et non à un niveau de charge trop élevé par rapport aux capacités du digesteur. Il serait nécessaire d’évaluer à nouveau les performances du digesteur à un niveau de charge équivalent lorsque la concentration en microorganismes est suffisante.

Il apparaît ainsi que l’utilisation du lactosérum acide pur n’impose pas de contraintes de gestion spécifique concernant le niveau de pH. La remontée artificielle du pH au sein du digesteur n’est nécessaire qu’exceptionnellement, en cas de déséquilibre profond. Aucune accumulation de composés toxiques ou susceptibles d’inhiber la méthanisation (e.g. concentrations en calcium et phosphore inférieures à 1 g·L⁻¹) n’a été observée au sein du digesteur durant la phase de l’étude.

T MOLETTA 2008, Technologies de traitement des effluents industriels par la méthanisation. Stratégies et traitements, in La méthanisation, Toc&Doc, Paris, pp 133-153

La première phase de pré-essai réalisée permet d’avancer le fait qu’une modalité de chargement très fractionnée sur 24 h apporte un meilleur fonctionnement général du process que lors d’un chargement rapide en une fois par jour, pour un tel dispositif.

Même pour un faible débit volumique (1/10ᵉ du volume utile du digesteur), l’à-coup de charge est tel qu’il entraîne une variabilité de la production qualitative (teneur en méthane du biogaz variable de 22 % à 65 %) et quantitative de biogaz au cours d’une journée, ainsi qu’un lessivage anormalement rapide des boues granulaires du digesteur.

Le couplage des cycles de chargement et de recirculation du substrat pour l’automatisation du chargement impose une fréquence de recirculation élevée, et donc empêche la sédimentation des granules en fond de cuve.

La mise en suspension quasi permanente des granules les rend plus facilement évacuables par la surverse.

Une charge appliquée équivalente à 6 kg de DCO·L⁻¹·j⁻¹ donne de bons résultats, proches des valeurs maximales théoriques, en termes de rendement épuratoire et de production énergétique sur une période de 1 mois.

Cependant, la perte anormale de biomasse bactérienne a été un frein dans la recherche du niveau de charge optimal et n’a pas permis une amélioration des rendements épuratoires et énergétiques après augmentation de charge.

Le maintien des boues dans le digesteur est donc le paramètre clé pour la pérennité du système.

Dans un premier temps, il conviendra donc d’axer notre réflexion sur les modalités de chargement et de recirculation du substrat, ainsi que sur la conception même du pilote, afin de réduire le lessivage des granules. Nous pouvons alors nous demander s’il ne serait pas plus judicieux de s’orienter vers un procédé à biomasse fixée sur support.

Dans un deuxième temps, il apparaît nécessaire de procéder à des essais complémentaires afin de valider l’hypothèse d’une amélioration des résultats de production énergétique à une charge supérieure, lorsque la quantité de microorganismes dans le digesteur est suffisante, afin de connaître les limites biologiques du process.

D’autre part, l’enregistrement en continu des temps de fonctionnement des différents éléments (résistance électrique, brûleur de la chaudière) ainsi que des compteurs volumétriques des circuits d’eau (compteur réchauffeur, chaudière et compteur général) doit permettre par la suite de réaliser un bilan énergétique, et d’appréhender :

  • - l’énergie potentielle du biogaz produit ;
  • - l’énergie dissipée par l’échangeur de la chaudière ;
  • - le rendement énergétique de la chaudière ;
  • - l’énergie dissipée par le réchauffeur ;
  • - l’énergie disponible pour une valorisation externe.

L’étude du bilan énergétique de l’installation est actuellement en cours.

Enfin, d’un point de vue plus technique, la méthanisation mono-substrat dans un contexte fermier nécessite une adaptation quant à la disponibilité saisonnière de celui-ci. Les variations de charge sont difficilement tolérées par le procédé de méthanisation. Aussi, la question de la gestion des périodes de manque en substrat (périodes de tarissement des animaux) et du surplus ne pouvant être géré par cette voie se pose. Il s’agit là d’envisager la co-digestion d’autres substrats issus de la production laitière, type laits non fromageables ou post-colostraux, et de prévoir un dispositif de traitement/gestion du lactosérum en excès.

Des études complémentaires seront réalisées dès 2013 avec pour objectif l’augmentation de la charge appliquée, après une réadaptation préalable du pilote.

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