Avec leur pouvoir de tamisage calibré, les membranes sont aujourd'hui un procédé de traitement des eaux reconnu par la profession. En les couplant à des traitements plus traditionnels comme le biologique, le physico-chimique, le charbon actif? La qualité du traitement s'améliore, notamment sur les produits difficilement biodégradables, tout en diminuant le génie civil et l'emprise foncière de l'installation d'épuration. En parallèle, l'accroissement du marché fait baisser les coûts d'investissement. Autant d'arguments qui placent les procédés membranaires en concurrence directe avec les traitements plus conventionnels. C?est le cas notamment pour la déshydratation des boues.
Réalisé par , Technoscope
Les membranes de filtration connaissent une croissance constante tant dans l’industrie, où elles sont utilisées dans de nombreux procédés de production et dans le traitement des effluents industriels, que dans le milieu du traitement des eaux potables ou usées municipales. Cette progression du marché entraîne une augmentation de la production qui se traduit
Par une diminution des prix, rendant plus accessible cette technologie. Par exemple, en dix ans le prix des membranes céramiques a été divisé par 2,5.
Parallèlement, les intégrateurs ont appris à mieux connaître cette technique, ses problèmes et ses limites. Le colmatage, par exemple, qui pose de gros soucis sur les process mal conçus. « C’est une réalité, mais ce n’est pas un problème : puisqu’une membrane est un filtre, elle est là pour être bouchée », explique Emmanuel Trouvé, directeur commercial et responsable du marché environnement chez Orélis, une entreprise fabricant des membranes. « Pour éviter tout problème, ce qu’il faut c’est savoir mettre en œuvre une solution de décolmatage bien maîtrisée ». Pour ceci, il est indispensable de parfaitement connaître la cinétique de colmatage de la membrane afin de savoir quand et comment déclencher cette opération de nettoyage. Autre point clé : la nature de l’effluent. Alain Delafosse est directeur commercial chez Serep, une entreprise du Havre qui fête cette année ses cinquante ans. Son credo : « Le traitement des effluents industriels huileux ». Il explique : « Les techniques membranaires ne fonctionnent bien que si l’on connaît parfaitement l’effluent à traiter. Notamment, lorsqu’on ne veut pas colmater la membrane, il ne faut pas, par exemple, retenir cette technique pour le traitement d’effluents pouvant contenir des silicones. Par ailleurs, il faut faire très attention à la nature des concentrats générés ».
Pour résoudre certains problèmes liés au traitement de l’eau et améliorer la qualité des rejets, les entreprises proposent de plus en plus souvent des systèmes couplés associant une membrane à une ou des technique(s) de traitement complémentaire. C’est le cas des membranes de micro ou d’ultrafiltration, que l’on associe à un réacteur biologique : les BRM (Bioréacteur à membranes).
Associer membranes et réacteur biologique
Une des premières réalisations industrielles associant procédé biologique et membranes a été installée chez Sicéa à Caudry dans le Nord par Degrémont en 1994, voici presque dix ans. À l’époque, l’installation était dimensionnée pour traiter 220 m³/jour d’effluents de qualité variable, chargés d’une pollution soluble fortement concentrée en DCO. La filière intègre en dernière étape un BRM qui sépare l’eau des boues par microfiltration. Le procédé de traitement est une filière biologique classique par boue activée. Après 24 ou 48 heures de séjour dans le réacteur biologique, les effluents sont filtrés par le BRM qui sépare l’eau de la boue. Depuis, la technique a fait ses preuves, surtout dans le traitement des eaux industrielles. Elle est proposée par de nombreux constructeurs. Ainsi, Nantaise des Eaux et Pall Exekia ont mis en place un bioréacteur à membranes pour traiter les effluents de PPG Sipsy implantée à Avrillé (Maine-et-Loire) (coût de l’installation : 1,2 million d’€).
Spécialisée dans la fabrication de produits de base pour l’industrie pharmaceutique, cette entreprise a retenu cette technique pour traiter des effluents en entrée de la filière chargés de 10 000 mg/l de DCO et 500 mg/l de MES. La charge entrante maximale étant de 8 200 kg/j en DCO. Le bioréacteur comporte deux unités de traitement : le réacteur biologique aérobie aéré et agité en permanence et le bloc membranes. La première étape permet une dégradation de la matière organique par les micro-organismes dans un réacteur de 2 000 m³. Puis, l’effluent dégradé traverse le bloc composé de 130 m² de membranes céramiques d’ultrafiltration. L’eau épurée est séparée de la biomasse. En sortie, l’eau produite présente une charge de 600 mg/l de DCO et de moins de 3 mg/l de MES. Le traitement, réalisé en circuit semi-fermé, assure un recyclage des micro-organismes afin de maintenir leur charge constante dans le réacteur. La quantité de boues produite s’en trouve diminuée, elle est ici de 0,15 kg de MS par kilogramme de DCO abattue.
Tous ces procédés couplent un bioréacteur à un procédé membranaire. Lorsque les membranes sont placées à l’extérieur du réacteur biologique, la circulation forcée de la biomasse permet un usage plus efficace de l’équipement grâce au cassage mécanique des flocs qui augmente d’un facteur dix le rapport surface/volume des flocs. « Pour une même quantité de biomasse, l’activité des bactéries est nettement plus élevée », explique Emmanuel Trouvé. Cette technique s’oppose à des procédés plus intimes où des membranes, en général des fibres creuses, sont immergées dans le réacteur.
Immerger la membrane dans le réacteur
Leur mise en œuvre est douce et extensive, mais nécessite une plus grande quantité de membranes. Cette technique a peu d’impacts sur la structure de la biomasse et l’on peut travailler sur des concentrations de biomasse plus élevées. C’est le principe du Biosep d’OTV qui associe dans un même bassin les performances d’un traitement biologique par boues activées et d’un traitement physique de séparation par membranes immergées, dont le pouvoir de coupure de 200 000 daltons les place entre la micro et l’ultrafiltration. « Ce procédé permet d’obtenir une forte concentration de boues 10 à 20 g/l de MES avec un âge de boues plus élevé », sou-
ligne-t-on chez OTV.
Grâce à la signature d'un accord de licence avec le Canadien Zenon, Ondéo-Degrémont complète son offre en matière de technologie membranaire. Dans le procédé Ultrafor développé par Zénon, la membrane est immergée et l'eau est aspirée de l'extérieur vers l'intérieur de la fibre. Pour retarder les phénomènes d’encrassement induits par la filtration, on combine les techniques de l'aération et du rétrolavage en renvoyant de l'eau propre à contre-courant. Ces opérations sont complétées régulièrement par un toilettage par immersion dans une eau propre chlorée ou dans une solution chimique. Pour Basile Jarmak, chef de produits membranes chez Ondéo-Degrémont : « Cette solution modulaire se prête bien à une extension de la capacité de traitement par étapes puisqu’il suffit de rajouter des modules et des cassettes au fur et à mesure des besoins, d'une installation conçue pour un débit final plus important ». Autre avantage, le recyclage. Sur ces installations, la qualité de l'eau produite en sortie de membrane autorise son recyclage pour certaines applications secondaires comme l’alimentation des fontaines d’agrément, l’arrosage des massifs, le lavage des voitures...
Emmanuel Trouvé, Orélis, critique toutefois la technique : « Le problème avec les membranes immergées, c'est qu'un traitement satisfaisant implique l'usage d’une grande surface de membrane. De plus, la fibre creuse est un consommable et il faut la changer souvent. Malgré un coût au mètre carré peu cher, cette contrainte entraîne un surcoût qu’il faut savoir calculer ».
Un autre couplage apporte sa solution aux rejets fortement chargés en DCO dure. Il s’agit du couplage membranes - procédé physico-chimique et en potabilisation.
Coupler procédé physico-chimique et membrane
« Cette approche est nouvelle et permet de traiter les effluents difficiles », explique Emmanuel Trouvé, « Avant, il y avait du traitement physico-chimique sans membrane mais il était difficile d’atteindre le niveau de rejet souhaité. Une membrane seule n'apporte pas non plus satisfaction. Chacune des solutions prises séparément ne permet pas d’atteindre l’objectif. En les couplant, il n’y a plus de problème ». Différentes tentatives ont été menées depuis plusieurs années en ce sens par Générale des Eaux, Saur et Lyonnaise des Eaux pour améliorer la qualité de la production d’eau potable. Toutes les techniques membranaires ont été explorées comme l’ultrafiltration, la nanofiltration, la microfiltration. Elles ont été couplées à divers procédés de traitement physico-chimique notamment la coagulation. Divers problèmes ont pu être résolus comme la reminéralisation nécessaire derrière une nanofiltration ou encore des restes de pesticides et de COT derrière la microfiltration, dont le pouvoir de coupure n’est pas suffisamment bas. Aujourd’hui, ces problèmes ont trouvé des solutions adaptées. Le couplage floculation / charbon actif / membrane apporte une solution satisfaisante. Commercialisé par Ondéo-Degrémont sous le nom de procédé Cristal, il équipe l'unité de potabilisation de Vigneux-sur-Seine (55 000 m³/j) depuis plusieurs années, et équipera fin 2003 l'usine de l'Île au Bourg à Angers. Dans ce procédé, le CAP (Charbon actif en poudre) retient les produits organiques naturels de l'eau brute mais aussi les polluants éventuels comme les pesticides. La fraction organique restante représente un faible pourcentage, elle n'est ni colmatante, ni biodégradable. Cette eau peut donc facilement traverser les membranes d'ultrafiltration à grand débit, donc à moindre coût. L’eau ainsi traitée ne contient plus les nutriments nécessaires à la vie bactérienne dans les réseaux de distribution, ce qui permet de réduire l'ajout de chlore.
Veolia Water développe une approche similaire adaptant au cas par cas l’installation en tenant compte des données de l'eau à traiter et des objectifs à atteindre. « Il n’y a pas de solution absolue », affirme-t-on dans l’entreprise qui favorise le traitement séquentiel comme, par exemple, le couplage charbon actif en grains avec les membranes de micro ou d’ultrafiltration ou encore la microfiltration associée à l’ozone ou aux ultraviolets. « Le but est d’obtenir des com-
Des combinaisons fiables au niveau des qualités d'eau traitée.
Du côté des membranes nous favorisons l'utilisation des nouveaux matériaux de type PVdF ou PES plutôt que des membranes en acétate de cellulose ou en polypropylène car elles sont plus résistantes aux oxydants comme le chlore et l'ozone, mais aussi à la variation du pH du nettoyage chimique ».
Si les couplages « procédé physico-chimique et membrane » ont conquis le milieu de la fabrication d’eau potable, ils apportent beaucoup au traitement des eaux industrielles, notamment lorsque la biodégradation des polluants n'est pas possible.
Des couplages pour résoudre les problèmes industriels ?
Un couplage physico-chimique pour le lavage des trains au défilé a été installé par Serep à Calais. « Après une décantation primaire des boues associée à un traitement membranaire sur membrane d’ultrafiltration tangentielle de marque Carbone Lorraine, on recueille l'eau plus le détergent qui sont recyclés dans le process », explique Alain Delafosse. Il poursuit : « Sur certains process, lorsque nous sommes en présence de détergents et d’huiles, nous pourrions utiliser l’électrocoagulation par anode creuse pour coaguler le polluant. Un procédé qui, associé à une technologie membranaire, limiterait les volumes de concentrât des membranes et augmenterait le rendement. »
Un autre cas de traitement physico-chimique associé à une membrane a été mis en œuvre par Orélis sur un grand laminoir dans la banlieue sud de Lisbonne au Portugal. « Il permet de traiter de façon satisfaisante les effluents métallurgiques », précise Emmanuel Trouvé.
Cependant, compte tenu de la diversité des situations, de nombreux couplages de procédés existent ou sont en développement.
Ainsi, voici quelques années le CEA (Centre d'Études Atomiques) travaillait sur un couplage CO₂ supercritique plus nanofiltration pour séparer des produits à haute valeur ajoutée. L'idée était de coupler l’extraction par CO₂ supercritique avec une séparation fine par nanofiltration, pour purifier des composés de faibles masses moléculaires. Industrie visée : la pharmacie, la chimie fine et la cosmétique. Récemment, Orélis a commercialisé pour le site écossais de GSK – une entreprise pharmaceutique – un traitement d’eau usée couplant des membranes céramiques à un traitement aérobie thermophile. Ici, la membrane céramique est intéressante pour le client car, en travaillant à la température de 65 °C, on augmente le débit du perméat de plus de 65 %. Le couplage de ces deux procédés a permis de régler économiquement ces problèmes de rejet.
Sur d’autres procédés, le confinement absolu de la biomasse dans le système, associé à un cassage mécanique des flocs, permet de casser des molécules qui ne seraient pas cassées dans un environnement traditionnel. Ainsi, un tel système, mis en place sur un effluent contenant des huiles mécaniques de synthèse, viendra à bout des molécules les plus résistantes au bout d'un temps de séjour de 100 jours.
Mais l'on ne sait pas tout sur ce que peuvent apporter des couplages. De nombreuses études sont encore en cours. C'est le cas du couplage d’une membrane d’ultra ou de microfiltration et d’un champ électrique ou magnétique. Il devrait permettre de maintenir éloigné de la membrane certaines espèces et ainsi réduire le colmatage. Une fois mis au point, un tel procédé devrait permettre de traiter les espèces moléculaires chargées. Ce procédé, qui intéresse les industriels de l’automobile, ne devrait pas être opérationnel avant cinq ans.
Des couplages pour déshydrater les boues
Depuis une vingtaine d’années, l’Institut de la Filtration et des Techniques Séparatives (IFTS) travaille sur le couplage de procédés de conditionnement chimiques, épaississement et déshydratation. Ce Centre de Ressources Technologiques autofinancé et indépendant des fournisseurs de matériels pos-
Il possède une maîtrise reconnue des technologies de séparation liquide/solide. Il mène pour ses clients (industriels et collectivités locales) des études de faisabilité et d’optimisation de déshydratation des boues de traitement et d’épuration des eaux.
L’IFTS est doté d’outils analytiques qui lui permettent de déterminer les principales caractéristiques d’une boue (matières sèches, matières volatiles, indice de Mohrmann, viscosité, masse volumique, résistance spécifique, compressibilité, siccité limite, temps de succion capillaire…) et son aptitude à la séparation. Ses équipements de simulation à l’échelle du laboratoire (colonne de décantation, cellule d’égouttage, centrifugeuse, banc de filtration-compression…) et ses unités pilotes (filtre-presse, décanteuse centrifuge à vis…) sont mis régulièrement en œuvre dans ses locaux ou sur site. Ils lui permettent de donner aux industriels et aux collectivités les éléments objectifs de choix d’une technologie adaptée à leurs besoins de productivité et de qualité, permettant ainsi de bien cerner les forces et les faiblesses de chacune d’elles et d’identifier de façon précise les verrous technologiques.
Il a récemment mis au point une procédure opératoire d’optimisation, en conditions quantifiées et répétables à l’échelle du laboratoire, du conditionnement chimique d’une boue en cherchant à contrôler la cinétique de deux processus compétitifs : l’agglomération et la destruction des flocs.
Ce contrôle nécessite la maîtrise de paramètres hydrodynamiques du processus de floculation séparable en deux étapes : dispersion intime et rapide du polymère, suivie d’une maturation (croissance des flocs) à bas cisaillement. Les conditions d’application de cette procédure ont été validées à partir d’études spécifiques menées sur une station d’épuration, sur la floculation en conduite, en utilisant différents types d’injecteurs de floculants et de mélangeurs boue/polymère.
De plus, des tests laboratoire spécifiques aux techniques d’épaississement et de déshydratation des boues permettent de lier la qualité du floc obtenu aux performances des procédés de séparation (table d’égouttage, épaississeur statique, décanteuse centrifuge à vis, filtre à bandes, filtre-presse).
L’expérience que l’IFTS a pu acquérir au travers de nombreuses recherches et études de faisabilité réalisées dans ses locaux et sur le terrain, visant à mieux comprendre et améliorer le fonctionnement des machines industrielles, l’a aidé à valider la pertinence de ses outils.
Les logiciels de traitement de données expérimentales qu’il a développés permettent de déterminer les conditions optimales de marche d’une machine industrielle (toile, épaisseur de gâteau, pression, vitesse de rotation…) en fonction des caractéristiques du floc obtenu.
Ainsi, pour un filtre-presse, par exemple, on peut optimiser la durée de la phase de filtration en fonction de l’épaisseur de la chambre, de la quantité de boue traitée et de la pression opératoire.
Le couplage des différents tests de séparation permet à l’industriel ou à la collectivité locale d’acquérir des données significatives sur les conditions de floculation à mettre en œuvre (nature du polymère, dose, conditions de mélange), le type et la taille de la machine industrielle la plus appropriée ainsi que ses paramètres opératoires associés pour répondre à ses objectifs d’exploitation : siccité des boues déshydratées, productivité, coût du traitement… Il permet en outre d’adapter ces conditions à la variabilité des caractéristiques de la boue.
L’institut mène aussi ses propres études. Ses travaux menés à la mise au point d’un appareillage et d’une…
[Graphique : Temps de filtration et quantité de boue filtrée en fonction de l’épaisseur de la chambre et de la pression opératoire (source : IFTS)]