L'inventaire 1993 des déchets industriels français, prêt à être publié, nous apporte des données très intéressantes, mais incomplètes, comme la loi du 13 juillet 1992 instituant les déchets ultimes. L'étude attrayante réalisée par la DRIRE du Nord-Pas-de-Calais nous invite insensiblement à considérer les déchets industriels non seulement sous forme solide, mais également sous leurs phases gazeuse (dispersés dans l'atmosphère) et aqueuse (eaux résiduaires) et à établir ainsi des bilans plus représentatifs.
L’étude attrayante réalisée par la DRIRE du Nord-Pas-de-Calais nous invite insensiblement à considérer les déchets industriels non seulement sous forme solide, mais également sous leurs phases gazeuse (dispersés dans l’atmosphère) et aqueuse (eaux résiduaires) et à établir ainsi des bilans plus représentatifs.
Time to move
Vis-à-vis de son prédécesseur, il y a réduction considérable, de plus de 60 %, des déchets industriels spéciaux (7 Mt/an au lieu de 18 Mt/an) et augmentation, plus logique, de 25 %, des DIB (40 Mt/an au lieu de 32 Mt/an). Mais qu’a-t-on recensé, au juste, parmi les DIS ? On en a exclu les déchets qui, en fonction de leurs propriétés, sont considérés comme des co-produits ou des effluents au titre de l’inventaire national. C’est dommage car, par exemple, les usines Rhône-Poulenc et Solvay rejettent dans la Meurthe 1,2 Mt/an de chlorure de calcium en provenance de leur souderie. D’ailleurs les arrêtés préfectoraux réglementant les rejets des souderies sont déclarés incompatibles avec les résolutions de la Convention internationale pour la protection du Rhin (CIPR).
D’autres déchets industriels, qui devraient figurer parmi les déchets spéciaux, sont baptisés déchets banals au titre de l’inventaire. Il s’agit en particulier :
- • des laitiers sidérurgiques, qui sont valorisés ;
- • des sables de fonderie ayant subi la coulée, des boues de décarbonatation, du carbonate de calcium résiduaire souillé et du sulfate de calcium résiduaire souillé ;
- • des MIOM (mâchefers d’incinération des ordures ménagères), alors que les mâchefers produits par les centres collectifs de traitement de déchets industriels sont inclus dans le champ des DIR.
A-t-on classé parmi les DIB le lot national de 1,3 Mt/an représentant les appareils électriques et électroniques en fin de vie, qui deviendra à moyen terme un lot de 2,1 Mt/an ? (Rapport Desgeorges, GCE Alsthom, revue « Recyclage-Récupération », 12 février 1993). Hormis les déchets toxiques, dont on sait caractériser la toxicité par des tests standardisés, comment choisir entre banals, inertes, spéciaux, systématiques ou répertoriés, s’inquiètent les bureaux d’études « déchets », alors que les lacunes juridiques laissent persister des zones d’ombre et des incohérences (A. Wicker, Geometra Conseil, colloque Asprodet, février 1992). Quand sont-ils « ultimes » ?
Déchets ultimes
Les installations de stockage en décharge devront désormais être réservées à la gestion des déchets non recyclables, non valorisables et stabilisés. La loi du 13 juillet 1992 stipule à cet effet : « Est ultime un déchet résultant, ou non, du traitement des déchets qui n’est plus susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux. » La nouvelle loi affiche un objectif clair et net : « À compter du 1er juillet 2002, les installations d’élimination des déchets par stockage ne seront autorisées à n’accueillir que des déchets ultimes. » Pour les déchets industriels, il s’agit :
de la catégorie A qui regroupe les résidus de l’incinération, de la métallurgie, du forage,
* La première partie de cet article est parue dans notre numéro 164, de mai 1993.
Catégories de déchets DIS
3 050 000 tonnes par an dont : 1 910 000 t LAITIERS VALORISÉS (Sollac 80 %) 1 140 000 t DÉCHETS SPÉCIAUX
Déchets minéraux : 1 040 000 t
- 550 000 Scories, crasses, sables
- 200 000 Boues minérales
- 110 000 Gypses (Borax, Vieille Montagne)
- 120 000 Résidus de minerais (Vieille Montagne, Toxide)
- 40 000 Déchets métalliques
- 20 000 Déchets souillés et loupés
Déchets organiques : 100 000 t
- 30 000 Huiles, hydrocarbures
- 20 000 Solvants, encres, peintures
- 10 000 Bains, traitement de surface
- 5 000 Boues, peinture et usinage
- 5 000 Déchets souillés et loupés
- déchets organiques : 100 kt/an, soit : 8,8 %
- déchets minéraux liquides : 200 kt/an, soit : 17,5 %
- déchets minéraux solides : 840 kt/an, soit : 73,7 %
Contribution des secteurs d’activités dans la production de DIS, hors laitiers.
[Figure : Fig. 1 – Production de déchets industriels spéciaux de la Région Nord-Pas-de-Calais (DRIRE, juin 1992).]| Niveau de filière | Tonnes | Métallurgie | Chimie | Mécanique | Fonderie | TTS |
|---|---|---|---|---|---|---|
| Valorisation | 490 000 t | 100 | 10 | 10 | 70 | – |
| Traitement prétraitement | 170 000 t | – | – | – | – | – |
| Incinération | 60 000 t | 15 | 30 | 5 | – | – |
| Physico-chimique | 60 000 t | 30 | 15 | 10 | 5 | – |
| Regroupement-prétraitement | 60 000 t | 40 | 13 | 1 | – | – |
| Décharge | 780 000 t | – | – | – | – | – |
| Décharge interne | 630 000 t | 500 | 80 | 50 | – | – |
| Décharge de classe 1 | 20 000 t | 10 | 45 | 3 | 2 | 0,5 |
| Décharge de classe 2 | 130 000 t | 110 | 10 | 10 | – | – |
Déchets industriels banals – Traitements DIB
| Région N-P-de-C | France entière | |||
|---|---|---|---|---|
| kt/an | % | Mt/an | % | |
| Incinération | 50 | 3,4 | 4 | 12,5 |
| Valorisation | 700 | 46,6 | 12 | 37,5 |
| Décharge | 750 | 50,0 | 16 | 50,0 |
| Total | 1 500 | 100 | 32 | 100 |
Déchets industriels spéciaux – Traitements DIS
| Région N-P-de-C | France entière | |||
|---|---|---|---|---|
| kt/an | % | Mt/an | % | |
| Incinération | 50 | 4,4 | 0,5 | 2,8 |
| Prétraitement | 120 | 10,5 | 0,8 | 3,3 |
| Valorisation | 190* | 16,7 | 4,5 | 25,0 |
| Décharge | 780 | 68,4 | 12,4 | 68,9 |
| Total | 1 140 | 100 | 18,0 | 100 |
* Non compris les laitiers sidérurgiques : 1,91 Mt/an, sinon la valorisation en région N-P-de-C se monterait à 2,2 Mt/an pour un total de 3,05 Mt/an de DIS, soit une valorisation à 72,1 %.
[Figure : Fig. 3 – Filières de traitement des déchets industriels. Exercice 1991.]| Phases | S-TTS | C-PC-E | IAA | Total Mt/an |
|---|---|---|---|---|
| Phase entière | ||||
| Solide Mt/an | 16,50 | 18,60 | 4,82 | 39,9 |
| % | 36,2 | 95,0 | 49,3 | 53,2 |
| ratios t/p/an | 125 | 71 | 12,3 | – |
| Gazeuse Mt/an | 28,40 | 0,54 | 4,45 | 33,4 |
| % | 62,2 | 2,7 | 45,5 | 44,5 |
| ratios t/p/an | 215 | 2,2 | 11,4 | – |
| Aqueuse Mt/an | 0,75 | 0,44 | 0,50 | 1,7 |
| % | 1,6 | 2,3 | 5,2 | 2,3 |
| ratios t/p/an | 6 | 1,7 | 1,3 | – |
| TE Totaux Mt/an | 45,65 | 19,58 | 9,77 | 75,0 |
Ratios exprimés en t de déchets/personne de l’effectif/an Effectifs de 1991 :
- S-TTS : sidérurgie et traitement de surface : 32 000 p.
- C-PC-E : chimie-parachimie-élastomères : 263 100 p.
- IAA : industries agro-alimentaires : 390 700 p.
1 Mt = 10^6 t. 1 Gt = 10^9 t.
[Figure : Fig. 4 – Ratios des déchets rejetés dans l’environnement en fonction des phases de dispersion.]des stations d’épuration industrielle, et les déchets minéraux de traitement chimique. Ils devront être stabilisés avant stockage dans un délai de deux ans ;
de la catégorie B, qui rassemble les résidus de traitement d’effluents, les terres contaminées, les mâchefers, les résidus de peinture, certains résidus de métallurgie et les déchets d’amiante. Ils devront être stabilisés avant stockage dans un délai de cinq ans.
Pour les déchets urbains, il s’agit :
- — de la catégorie A : déchets résultant d’opérations de tri, compostage, méthanisation des OM et des DIB industriels. La fraction organique de ces déchets sera limitée à partir du 1er juillet 1991 ;
- — de la catégorie B : mâchefers, résidus stabilisés d’épuration des fumées d’incinération des OM, ainsi que certains sables de fonderie ;
- — de la catégorie C, correspondant aux OM brutes, aux DIB non triés, aux déchets verts, aux encombrants et aux boues de l’assainissement urbain. Cette catégorie C ne restera admissible que jusqu’au 1er juillet 1995.
(A. Wicker, Geometra Conseil, colloque DESS, Université Paris VII, 12 janvier 1993) (1).
La notion de déchet ultime, purement conjoncturelle puisque liée à l’état d’avancement de la technique et aux besoins économiques du moment, apparaît assez délicate à saisir parce que évolutive (F. Goulet, DRIRE Basse Normandie, colloque Valme Industrie, novembre 1992).
Déchets évolutifs
Les autres définitions des déchets comptabilisés sont également évolutives. Ainsi, la traditionnelle opposition entre déchets urbains (sous-entendus inoffensifs et banals) et déchets industriels (sous-entendus agressifs et toxiques) n’est plus de mise... L’étude DRIRE réalisée pour la région Nord-Pas-de-Calais peut illustrer cette remarque.
Les déchets urbains comprennent aussi des catégories de toxiques :
- « des DH, déchets hospitaliers ou d’activités médicales (15 Kt/an),
- « des DTQD, déchets toxiques en quantités dispersées (5 Kt/an).
Le flux régional de déchets urbains est estimé à 2 Mt/an. Les déchets industriels sont à majorité atoxique et comportent :
- « des Di, déchets inertes (10 Mt/an),
- « des déchets organiques des industries agro-alimentaires (5 Mt/an),
- « des DIB d’emballage (1,5 Mt/an).
Le flux régional de déchets industriels est estimé à 18,2 Mt/an.
Particulièrement documentée, l’étude du DRIRE Nord-Pas-de-Calais (2), qui fournit ses chiffres-clés sur l'origine et le traitement de ses DIS régionaux, souligne l’ambiguïté du classement des laitiers sidérurgiques, bien valorisés, non-DIS et non-DIB. Dans l’examen des filières de traitement adoptées pour les DIB et les DIS, il est intéressant de noter l’importance relative de la pratique de valorisation (recyclage, incinération avec récupération de chaleur, amendement des sols cultivés), vis-à-vis du recours à la décharge.
(1) Colloque « Gestion des déchets en Île-de-France » à Jussieu, organisé par Pr. E. Mayer, DESS Gestion et Génie de l’Environnement, et l’association J2E. Janvier 1993.
(2) « L’industrie au regard de l’Environnement en 1991 », DRIRE Nord-Pas-de-Calais, juin 1992.
Une extension de l’expression « déchets industriels » est fournie par la circulaire du 28 décembre 1990 : « substances, matériaux produits et résidus générés par l’activité de l’établissement, dont l’élimination doit être assurée par traitement, incinération, mise en décharge ou enfouissement, ou qui le nécessiterait en cas de défaillance de la filière actuelle de recyclage ou de valorisation ».
Cette définition englobe implicitement :
- — les matières en suspension ou en solution dans les effluents aqueux des établissements industriels ou domestiques,
- — les poussières, aérosols et polluants contenus dans les effluents gazeux de ces mêmes établissements, dans la mesure où ces produits détritiques sont récupérables par des équipements d’épuration, dispositifs épurateurs imposés dans le cadre des législations traitant de la qualité de l’eau ou de l’air.
Déchets polyphasiques
Ce concept élargi du déchet recouvre les trois phases de dispersion possibles de la matière :
- * phase aqueuse, engendrant la pollution des eaux, mesurable à travers les paramètres analytiques MeS, MO, DBO, DCO, Equitox, N, HC, métaux... des eaux résiduaires,
- * phase gazeuse, engendrant la pollution atmosphérique, mesurable à travers les paramètres analytiques MeS, SO2, NOx, CO, COV, HC, HCl, F... des évents et fumées de combustion,
- * phase solide, engendrant la pollution du site exutoire par des dépôts de boues, stériles, sables, reliefs, résidus de process, testables en essais de lixiviation, analyse centésimale et élémentaire.
L'inventaire se trouve faussé par une interprétation restrictive du déchet, considéré essentiellement à l’état monophasique. Ce clivage fictif de la production de déchets en fonction des phases de dispersion s’est renforcé en France par des attributions administratives distinctes : phase aqueuse du ressort des Agences financières de Bassins hydrographiques et pollution des eaux, phase gazeuse de l'AQA, ancienne Agence pour la Qualité de l’Air et pollution atmosphérique, phase solide de l'ANRED « Les Transformeurs » et pollution des sols, ces deux dernières agences étant aujourd’hui réunies sous la bannière de l'Ademe, Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie. Il n’en reste pas moins que ce clivage regrettable continue d’affecter les recensements de déchets, les inventaires nationaux, qui ne prennent en compte que les flux de déchets entiers, solides et liquides, et négligent les flux de déchets dispersés en phase aqueuse et surtout en phase gazeuse.
L’étude de la DRIRE du Nord-Pas-de-Calais, qui nous sert de référence, mentionne, pour les déchets dispersés dans cette région lors d’activités industrielles :
- « en phase solide : 1,14 Mt/an de DIR + 200 Kt/an de déchets toxiques et dangereux + 1,3 Kt/an de déchets nucléaires (centrale de Gravelines) éliminés par l'Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA),
- « en phase aqueuse : 2,1 Kt/an d’Equitox + 8,8 Kt/an de N, soit 11 Kt/an de toxiques (à côté de 58,4 Kt/an de MO + 30,7 Kt/an de MeS),
- « en phase gazeuse : 141 Kt/an de SO2 + 44 Kt/an de NOx + 55 Kt/an de COV, soit 240 Kt/an de toxiques (à côté de 40 Kt/an de MeS).
Pour la Région, le flux total de toxiques émis de 452 Kt/an concerne pour 53 % la phase gazeuse, pour 44,5 % la phase solide et pour 2,5 % la phase aqueuse. La contribution à l'inventaire des déchets toxiques des phases de dispersion gazeuse et aqueuse est donc loin d’être négligeable.
Extrapolations
Dans cette prise en compte globale des émissions de déchets industriels, on peut aussi ébaucher une évaluation de la production nationale, telle qu’un rudologue la conçoit.
L'évaluation proposée ici se limite aux émissions rudorales de secteurs prioritaires, qui s’illustrent en réalisation de technologies propres, en production de déchets valorisables mais aussi en tant qu’installations classées soumises aux « études déchets ». Il s’agit :
- de la sidérurgie et du traitement de surface,
- des industries chimiques, parachimiques et élastomères (hors pétrochimie),
- des industries agro-alimentaires (IAA).
La répartition des déchets industriels est établie selon un classement arbitrairement simplifié :
— en fonction de leur phase de dispersion, solide (sol), gazeuse (air) et aqueuse (eaux),
— en fonction de leur biocompatibilité, en trois familles, inertes (terres, déblais, stériles), banals (boues organiques de biomasse, CO₂, MO, MeS) et toxiques (boues minérales sodiques et calciques, co-produits chimiques, SO₂, NOₓ, COV, HCl, HC, Equitox, N).
De l’examen des tableaux de synthèse (figures 4 et 5), plusieurs sujets de réflexion se dégagent :
• les ratios de production de déchets, compris entre 1 et 200 t/personnes employées/an, soulignent la diversité des activités rudogènes relatives à chaque secteur d’activités, et les points d’application prévisibles des technologies propres ;
• la phase solide, qui est ordinairement la seule prise en compte dans les recensements officiels, si elle apparaît pondéralement majoritaire dans cet examen (53,2 %), ne peut occulter ni la phase gazeuse (44,5 %), ni la phase aqueuse (2,3 %) ;
• selon le classement arbitrairement choisi de biocompatibilité, limitant les déchets industriels à trois familles, à savoir : inertes, banals et toxiques, on remarque que secteurs industriels, sidérurgie-traitement de surface et chimie parachimie-élastomères, totalisent à eux seuls près de 14 Mt/an de déchets toxiques sous toutes formes, rejetés dans l’environnement (alors que l’inventaire 1991 n’en retenait que 2 Mt/an au plan national et que l’inventaire 1993 n’avoue au mieux que 7 Mt/an à l’état de DIS).
À quand le bilan mondial ? En additionnant, par défaut d’informations fiables sur certains pays, on atteint 12 Gt/an de déchets solides. Il faut y ajouter les déchets déversés dans l’environnement marin, déchets faiblement radioactifs, boues industrielles, boues de station d’épuration, déchets de soutes de navires, déblais de dragage des fleuves et des estuaires ; on les estime à un flux de 20 Gt/an qui pollue les océans du globe ! Le ratio moyen mondial s’établirait vers 5,5 t/hb/an, bien qu’en France il se monte à 10 t/hb/an. « Au milieu du siècle prochain, sachant que nous serons 10 milliards d’humains, devrons-nous alors éliminer 100 Gt de déchets chaque année ? » (J.-R. Fourtou, PdG Rhône-Poulenc, Symposium « Société, Industrie et Environnement » 1990).
La guerre rudologique fait déjà rage...

