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Histoire d'eau : Anderton : le plus ancien ascenseur à bateau du monde

30 septembre 2011 Paru dans le N°344 à la page 113 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

Nous sommes dans le nord du Cheshire, en Angleterre, près du petit village d'Anderton. C?est là que pour assurer l'essor d'une industrie minière en plein développement et fluidifier la navigation fluviale, l'ingénieur Edwin Clark va inventer en 1875 un système révolutionnaire d'ascenseur à deux bacs montés sur vérins hydrauliques. Le premier ascenseur hydraulique du monde était né?

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L'histoire de la batellerie est étroitement liée à la physionomie de nos bassins, de nos fleuves et rivières et aux caractéristiques hydrographiques de nos régions. Ces particularités ont très tôt favorisé l’émergence de nombreux types d’embarcations, adaptées aux contraintes hydrographiques locales et aux exigences de navigation qui en découlaient.

Dès le Moyen Âge, 85 % des marchandises sont transportées par voie d'eau, essentiellement via la Loire, la Seine, le Rhône et leurs affluents. On utilise alors principalement des voies navigables naturelles, dont on s'efforce, tant bien que mal, d’améliorer la navigabilité en approfondissant et en élargissant le chenal à l’aide de barrages. Mais la plupart des rivières sont peu profondes. On construit donc durant plusieurs siècles des bateaux de toutes formes et de toutes dimensions, adaptés aux caractéristiques de chaque cours d’eau sur lesquels ils sont appelés à naviguer.

Mais le développement économique qui s'accélère au XVIIIᵉ siècle va entraîner une forte augmentation des échanges et donc du fret. La navigation fluviale doit gagner en efficacité. Il n’est plus concevable de franchir les crêtes par déchargements, transbordements hippomobiles…

[Photo : L’ascenseur à bateau d’Anderton lors de sa construction.]

et réembarquement des marchandises. La modernisation des voies d'eau existantes, la construction de nouveaux canaux, d’écluses, et la définition d'un gabarit unique sur les lignes principales va peu à peu donner naissance en France à un vrai réseau de voies navigables. Reste la limitation des hauteurs rattrapées par les écluses qui crée une vraie difficulté. Pour racheter d'importants dénivelés, on multiplie les écluses, ce qui pèse sur la fluidité du trafic et occasionne d'importantes pertes d'eau. Une nouvelle solution doit être trouvée pour permettre aux bateaux de franchir rapidement ces obstacles.

Franchir rapidement d’importants dénivelés

C'est très logiquement en Grande Bretagne, berceau de la révolution industrielle, que va naître le premier ascenseur à bateaux au monde. Le village d’Anderton, dans le nord du Cheshire, relie alors deux voies navigables : la rivière Weaver et le canal du Trent et de la Mersey. Problème : la rivière se trouvant 16 mètres en dessous du canal, seules plusieurs écluses successives seraient à même de racheter le dénivelé. Mais cette succession d’ouvrages créerait un important ralentissement du trafic alors même que l'exploitation du sel gemme, qui fait la richesse du Cheshire depuis l'époque romaine, exige rapidité et fluidité.

Un ingénieur du nom d’Édouard Leader Williams est chargé par les exploitants du canal de trouver une solution sûre, rapide et bon marché. L’ingénieur s'intéresse dans un premier temps à un ascenseur à bateau reposant sur un système de chaînes, mis en service en 1853, qui permet d'élever deux caissons remplis d'eau dans lesquels les bateaux prennent place. Mais le système ne donne pas satisfaction : d’abord parce qu'il nécessite la construction d'un ouvrage très important en maçonnerie, ensuite parce que le système de chaînes reste fragile et insuffisant pour soutenir le poids des caissons chargés d’eau.

L’ingénieur Williams se tourne alors vers une invention proposée par Edwin Clark qui repose sur un système révolutionnaire d’ascenseur à deux bacs montés sur pistons, qui ne nécessite qu'un ouvrage aux superstructures légères. Le principe de fonctionnement est extrêmement simple : l’ascenseur se compose de deux imposants réservoirs d'eau, chacun étant capable d’emporter deux bateaux. Chaque réservoir joue le rôle de contrepoids à l'autre, ce qui permet de transporter simultanément des embarcations du haut vers le bas et vice-versa. Les deux vérins hydrauliques sont reliés par une conduite horizontale qui permet à l’eau de passer de l’un à l’autre, abaissant le caisson plus lourd et soulevant le plus léger à la bonne hauteur en seulement 3 minutes. Une machine à vapeur permet d’actionner indifféremment l'un ou l'autre des bacs en 30 minutes.

[Photo : L’ascenseur se compose de deux réservoirs d’eau susceptibles d’emporter chacun deux bateaux. Chaque réservoir joue le rôle de contrepoids à l’autre, ce qui permet de transporter simultanément des embarcations du haut vers le bas et vice-versa. Les deux vérins hydrauliques sont reliés par une conduite horizontale qui permet à l’eau de passer de l’un à l’autre abaissant le caisson plus lourd et soulevant le plus léger à la bonne hauteur en seulement 3 minutes.]

Séduits, les exploitants du canal donnent leur feu vert. La construction de l'ouvrage équipé de sa machinerie hydraulique commence à la fin du mois de juillet 1872 et durera 30 mois. Le 26 juillet 1875, l'ascenseur d’Anderton entre en service. Mais après quelques années de bon fonctionnement, l'exploitation de l’ouvrage devient chaotique...

Une exploitation chaotique

De 1875 à 1890, le trafic augmente de façon régulière et l'ascenseur donne globalement satisfaction. Le temps de passage moyen d'un bateau de la rivière Weaver au canal du Trent est très largement inférieur à ce qu’il aurait été si ce même bateau avait dû passer quatre écluses successives pour racheter le dénivelé. Mais après cinq années d’exploitation, l’hydraulique de la machinerie commence à donner des signes de faiblesse.

En 1882, un vérin hydraulique cassa brutalement alors qu'un caisson chargé d'un bateau approchait du haut de l’ouvrage. Par chance, le caisson et le bateau qui y avait pris place ne tombèrent qu’à faible vitesse et personne n'est sérieusement blessé.

Mais les vérins doivent à nouveau être remplacés en 1880 et 1890. Un problème plus grave encore affecte le bon fonctionnement de l'ouvrage : l'utilisation de l'eau du canal comme fluide de fonctionnement au sein du circuit hydraulique provoque des phénomènes de corrosion au niveau des pistons mais aussi des chemises des chambres de compression. La machine perd de sa puissance. On tente de

[Photo : Vue des contrepoids qui permettaient d’élever les bateaux après la transformation de l'ascenseur en 1906. Ils sont aujourd'hui exposés à proximité immédiate de l’ouvrage.]

Rechemiser les cylindres à l'aide de cuivre mais un phénomène électrolytique favorisé par les eaux chargées en sel du canal se déclenche et accélère les phénomènes de corrosion. Malgré plusieurs tentatives curatives dont le remplacement des eaux du canal au sein de l'hydraulique par de l'eau distillée, rien n'y fait : la corrosion progresse et avec elle son lot de pannes entraînant des arrêts de l'ouvrage de plus en plus fréquents avec de lourdes conséquences sur le trafic fluvial.

En 1904, le système de levage hydraulique est tellement dégradé qu'il faut envisager un changement intégral des vérins hydrauliques. Devant la perspective de devoir mettre l'ouvrage hors service plusieurs mois, les exploitants du canal sollicitent à nouveau les ingénieurs et leur demandent d’étudier des solutions de rechange. Une solution innovante pour l’époque est proposée : le remplacement des deux vérins hydrauliques par deux moteurs électriques actionnant un système de contrepoids et de poulies permettant aux deux caissons de fonctionner indépendamment l'un de l'autre.

Avantage du système proposé : un fonctionnement plus précis, un entretien simplifié, moins coûteux et surtout, une remise en service rapide malgré la nécessité de renforcer les superstructures de l'ouvrage pour lui permettre de supporter les forces engendrées par le poids des caissons et des contrepoids.

En mars 1906, les travaux commencent. Il ne faudra que deux années pour transformer l'ascenseur hydraulique d’Anderton en un simple funiculaire électrifié.

De l’ascenseur hydraulique au funiculaire électrifié

La première opération consiste à renforcer les superstructures de l'ascenseur en complétant l’ossature originelle de dix armatures d’acier soutenant une plateforme située à 18 mètres de hauteur au-dessus du niveau du fleuve. Destinée à accueillir les moteurs électriques, arbres d'entraînement et autres poulies, elle devra supporter 36 contrepoids en fonte de 14 tonnes chacun représentant le poids de 252 tonnes de chacun des deux caissons emplis d’eau. Les caissons originaux sont conservés mais modifiés pour pouvoir accueillir les câbles métalliques qui les soutiendront de chaque côté. Au total, et durant les deux années que dureront les travaux, l'ascenseur ne sera fermé à la navigation que 49 jours et, le 29 juillet 1908, les deux caissons sont enfin rouverts à la navigation.

Cette reconversion permettra à l’ascenseur d’Anderton de fonctionner pendant 75 ans sans anicroche majeure. Les opérations d’entretien qui ont affecté l’exploitation ont pu, durant toute cette période, être menées à bien sans interrompre le fonctionnement de l'ascenseur, grâce au fonctionnement indépendant de chacun des deux caissons composant l'ouvrage. Seuls le temps qui passe et la corrosion qui, progressivement, va attaquer les superstructures de l'ouvrage ainsi que la baisse du trafic fluvial qui s'amorce dans les années 1950 viendront peu à peu à bout de l'ouvrage. En 1967, l’ascenseur, miné par la corrosion, est fermé à la navigation commerciale. Il continuera cependant à fonctionner durant les mois d’été pour les bateaux de plaisance jusqu’en 1983, date à laquelle, jugé peu sûr, il sera totalement désaffecté.

On croit alors à un démantèlement définitif de l'ouvrage.

Mais en 1990, contre toute attente, British Waterways, le propriétaire de l’ouvrage, décide d’engager une restauration complète de l’ascenseur.

On pense au début qu'il sera restauré dans son fonctionnement électrique mais le Conservatoire du patrimoine impose finalement une restauration du système hydraulique originel pour redonner à l’ouvrage son identité initiale. La restauration débute en 2000 et durera deux années, avant que, le 20 mars 2002, pour la première fois depuis 98 ans, l’ascenseur ne rouvre et retrouve sa fonction initiale en élevant par la force hydraulique son premier bateau à 18 mètres de hauteur.

Malgré sa vocation touristique, il reste aujourd'hui encore l'un des deux seuls ascenseurs à bateaux en fonctionnement au Royaume-Uni avec la surprenante roue de Falkirk (voir EIN n° 303).

[Photo : En 1990, contre toute attente, British Waterways, le propriétaire de l’ouvrage, décide d’engager une restauration complète de l'ascenseur.]
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