Au 19ᵉ siècle, plus d'un millier d'hortillons alimentent jusqu'aux halles de Paris. Véritable ventre nourricier de la ville, les hortillonnages s'étendent à l'est au-delà même des fortifications.
[Photo : AMIENS. — Le Marché sur l'Eau, les Hortillons. ND.]
Nul ne sait vraiment quand ni comment sont apparus les hortillonnages. Une chose est sûre : ils doivent leur existence aux rapports très intimes que la ville a toujours entretenus avec les multiples bras de la Somme et de l’Avre qui se dispersent en de nombreux méandres dans un dédale de canaux et d’étangs. Dès l’époque gallo-romaine, Amiens se développe au cœur de l’eau. Les marais, qui s’étendent alors tout autour de la ville, sont peu à peu aménagés par les Romains. L’exploitation de la tourbe, combustible très prisé une fois séché, laisse souvent place à de nombreux plans d’eau parfois profonds de plusieurs mètres. À côté de ces extractions se développent des activités maraîchères. C’est que le sous-sol argileux, recouvert d’un mélange de limons et de tourbe déposés par les divagations des canaux qui les entourent, est naturellement fertilisé par l’apport de cette boue organique. Les berges sont ensuite consolidées en plans inclinés lisses ou, plus verticalement, à l’aide de rondins de bois et de planches maintenues par des pieux enfoncés dans les berges. Très vite, en tout cas dès le Moyen Âge, les hortillonnages se constituent en une multitude d’îles alluvionnaires entourées de fossés et de « rieux » qui s’étendent sur près de 10 000 hectares. Ils sont exploités par les « hortillons », terme utilisé pour désigner ceux qui vivent de la culture des fruits, des fleurs et des légumes.
[Photo : Les hortillonnages sont formés d’une multitude d’îles alluvionnaires appelées « aires », entourées de 65 kilomètres de fossés et canaux alimentés par les eaux de la Somme.]
La vie de l’hortillon s’ordonne autour de l’exploitation de la tourbe et, à deux pas du centre-ville, faune et flore jouissent d’un espace calme et protégé.
[Photo : À deux pas du centre-ville, faune et flore jouissent d’un espace calme et protégé.]
L’eau de la Somme donne une terre riche et fertile permettant plusieurs récoltes par an. Des aires, sortes d’îlots entourés de canaux, sont créées en remontant les alluvions des rieux sur des parcelles relevées et drainées, régulièrement curées et entretenues pour éviter l’envasement.
[Photo : Les productions maraîchères des hortillonnages sont réputées pour leur qualité et leur fraîcheur. La fertilité exceptionnelle des aires permet plusieurs récoltes par an.]
[Photo : Les aires sont entretenues soigneusement par les hortillons qui remontent les alluvions des rieux sur leurs parcelles. Ils évitent ainsi l'envasement des canaux qu’ils curent et fertilisent la terre par l'apport de cette boue organique naturelle.]
Surtout de la culture de radis, choux-fleurs, navets, laitues, poireaux, artichauts qu'il va vendre trois fois par semaine au grand marché d’Amiens, sur le quai de la Place Parmentier au pied de la cathédrale. Mais il doit également entretenir sa parcelle, désherber les berges, les renforcer pour éviter qu’elles ne s’affaissent ou encore draguer les rieux pour enlever la vase et maintenir la libre circulation des eaux. L’activité maraîchère devient prépondérante.
Au 19ᵉ siècle, on compte jusqu’à un millier d’hortillons qui alimentent jusqu’aux halles de Paris. Les hortillonnages, véritables ventre nourricier de la ville, s’étendent à l’est, au-delà même des fortifications.
Mais avec le 19ᵉ siècle arrive le déclin des hortillonnages. La canalisation de la Somme et un peu plus tard la construction du chemin de fer réduisent considérablement les surfaces dédiées à la culture maraîchère. L’urbanisation progressive de l'agglomération amiénoise exerce également une pression de plus en plus forte sur les jardins d’eau. En 1930, le déclin s’accélère et les hortillonnages tendent à devenir un espace récréatif. Guinguettes, piscines et restaurants se multiplient pour faire de ce poumon vert un espace de détente et de fêtes. Peu à peu la ville enserre les hortillonnages qui deviennent directement menacés.
En 1950, seule une dizaine de maraîchers exploitent encore un espace de 25 hectares. Le reste est transformé pour partie en terrains de loisirs et résidences secondaires. Des centaines d'autres hectares de terres sont progressivement laissées à l’abandon et redeviennent des habitats primitifs, des vasières, roselières ou boisements sauvages où la faune et la flore prospèrent sans entrave.
En 1975, alors que la construction d’une rocade menace les hortillonnages de disparition pure et simple, plus de 600 espèces de plantes et 120 espèces d’oiseaux y sont recensées.
Une politique de protection efficace va finalement être mise en place pour préserver le cadre exceptionnel des hortillonnages. Le maraîchage regagne progressivement un peu de terrain : aujourd’hui, onze maraîchers occupent 26 hectares de parcelles sur les 300 que comptent encore les hortillonnages. Aménagés et valorisés par une association de protection, ce joyau représente déjà le second pôle touristique d’Amiens avec environ 100 000 visiteurs par an…
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