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Histoire d'eau : La mer Morte a-t-elle un avenir ?

30 octobre 2002 Paru dans le N°255 à la page 171 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET

La mer Morte est le point le plus bas du monde, et le lac naturel le plus salin de la planète. Située à 396 mètres sous le niveau de la mer, sa profondeur maximale est de 399 mètres. Sa concentration en sels minéraux y interdit toute vie animale ou végétale, d'où son nom. Elle est uniquement alimentée par le Jourdain et par quelques cours aux débits irréguliers. Mais depuis quelques décennies son niveau baisse, essentiellement en raison du pompage excessif des eaux du Jourdain.

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La mer Morte est une étendue d'eau de 900 km² qui sépare les territoires jordaniens d'une part, israélien et palestinien de l'autre. Elle s’étend à vingt-cinq kilomètres à l’est de Jérusalem, et à quatre-vingt-cinq kilomètres à l’est de Tel Aviv, dans un paysage de montagnes rocailleuses et de gorges escarpées. Située à plus de 396 mètres au-dessous du niveau de la mer, elle est aussi le point le plus bas de la planète. Elle contient une eau presque dix fois plus salée que celle des océans. Une salinité qui empêche toute vie aquatique végétale ou animale : les poissons emportés par les crues du Jourdain meurent en quelques minutes à peine, et viennent s’échouer sur le rivage, pétrifiés par le sel. Non seulement ses eaux sont uniques en leur genre, mais la pression atmosphérique est suffisamment forte pour filtrer les rayons UV du soleil dont la nocivité est connue ; l’oxygène est plus abondant qu’au niveau de la mer et l’air, autour de la mer Morte, contient davantage de brome aux vertus calmantes que partout ailleurs. Ce sont ces éléments naturels qui donnent aux eaux de la mer Morte ses vertus curatives reconnues depuis l’époque du roi Hérode, il y a plus de deux mille ans.

La mer Morte est alimentée par le Jourdain et par plusieurs autres sources d'eau minérale. Mais, entourées de montagnes, ces eaux ne peuvent s’écouler nulle part et s’évaporent donc dans l’air chaud et sec du désert dans lequel le soleil brille plus de

340 jours par an, elles enrichissent l'atmosphère des matières chimiques naturelles qu’elles transportent, et laissent un lac contenant près de 320 grammes de sels et minéraux par litre et un revêtement de boue minérale noire visqueuse saturée de minéraux, bénéfique pour la santé et largement utilisée par des industries cosmétiques florissantes.

[Photo : La mer Morte contient une eau presque dix fois plus salée que celle des océans. Une salinité qui empêche toute vie aquatique végétale ou animale.]

La baisse du niveau de l’eau

Mais depuis la fin des années 1950, les chercheurs ont observé une baisse continue d'environ 25 mètres du niveau d'eau de la mer Morte. Selon certains experts, le niveau baisserait de presque 50 cm chaque année, ce qui signifie qu’en seulement 60 ans la mer Morte pourrait totalement disparaître. Cet affaissement serait principalement dû à la déviation par Israël et la Jordanie, des fleuves Jourdain et Yarmouk en amont. Le lac de Tibériade, dans lequel se jette le Jourdain, fournit à Israël plus du tiers de son eau potable. Aujourd’hui, seulement 10 % des eaux du Jourdain atteindraient la mer Morte. Les bassins d’évaporation utilisés par l'industrie pour produire de la potasse, à l'extrémité ouest de la vallée, seraient également responsables de l’assèchement de la mer Morte. L'industrialisation de la région, et la politique de l’irrigation intensive sont les principaux facteurs de cette catastrophe écologique. Mais l’équilibre de l’écosystème de la région est également compromis sur les deux rives par des pollutions industrielles, ainsi que par le développement incontrôlé d'un tourisme effréné qui dégradent davantage encore l'environnement et menacent l’existence même de la mer Morte...

Aujourd’hui, le recul progressif de l'eau laisse sur ses rives de vastes étendues de boue salée et séchée, croûte qui se brise comme de la glace et sur laquelle il paraît risqué de s'aventurer. De plus en plus assoiffé, le bassin de la mer Morte a commencé à absorber l’eau douce des nappes phréatiques environnantes, provoquant des excavations des deux côtés de la frontière. Les autorités jordaniennes ont dû évacuer 3000 personnes à cause de ces entonnoirs souterrains. Les épaisses formations de sel qui flottent ici et là, semblables à des icebergs miniatures, confèrent à ce lac intérieur un aspect tout à fait irréel. Et la baisse est telle que la mer Morte est aujourd'hui divisée en deux bassins qui ne communiquent plus que par des canaux artificiels.

[Photo : La baisse du niveau de l’eau est telle, que la mer Morte est aujourd’hui divisée en deux bassins qui ne communiquent plus que par des canaux artificiels.]

Vers un canal des deux mers ?

Les projets les plus variés ont été avancés pour inverser ce processus. L'un des plus ambitieux s’appelle le canal Red-Dead, qui prévoit de relier la mer Rouge (Red) à la mer Morte (Dead). Lors du sommet de la terre qui s'est tenu à Johannesburg en septembre 2002, la Jordanie qui s’inquiète du phénomène, a relancé ce projet de canal entre la mer Rouge et la mer Morte. L’étude, qui devrait être réalisée conjointement avec Israël, « vise à préserver l’environnement de la mer Morte et à maintenir son niveau d’eau », a expliqué à Johannesburg le ministre jordanien de l’Eau, Hazem Nasser. Son pays cherche à « attirer l’attention du monde sur une question écologique importante ». Évalué à 815 millions d’€, ce projet permettrait de réalimenter la mer Morte par un système de canalisations de 320 kilomètres de long.

La canalisation géante, surnommée « la conduite de la paix », devrait mettre fin au déclin de la mer Morte et lui permettre de retrouver un équilibre écologique approprié, ont expliqué les responsables jordaniens et israéliens. Les deux pays espèrent aussi que cette canalisation pourra servir de base à des projets plus ambitieux, comme une usine de dessalement qui permettrait de fournir de l’eau douce aux Jordaniens, aux Israéliens et aux Palestiniens. Un tel ouvrage coûterait 3 milliards d’€ et sa construction durerait plus de dix ans. L'idée de canal

[Photo : Le projet “Red-Dead” prévoit de relier la mer Rouge (Red) à la mer Morte (Dead).]

L’idée de relier les “deux mers” n’est pas nouvelle. Mais sa réalisation nécessite une coopération entre les riverains de la mer Morte, la Jordanie, Israël et les territoires palestiniens. Du fait du conflit israélo-palestinien, le projet est depuis longtemps en panne et ne semble pas devoir redevenir d’actualité à court terme. Pourtant, il y a seulement quarante ans, la surface de la mer Morte était 396 mètres en dessous du niveau de la mer. Aujourd’hui, elle est à 412 mètres. Si cette baisse continue, dans dix ans, la surface de la mer Morte sera réduite à 650 km², alors qu’elle était de 1 000 km² au début des années 1960.

Une reconnaissance de l’Unesco ?

Une des autres solutions évoquées, plus modeste mais néanmoins efficace, serait d’obtenir de l’Unesco la reconnaissance de la mer Morte en tant que site appartenant au patrimoine mondial de l’humanité. Les gouvernements de la Jordanie et d’Israël devraient présenter conjointement à l’Unesco une proposition en ce sens, actuellement en cours d’élaboration. Une fois cette reconnaissance officielle obtenue, et après avoir sensibilisé le public, tant à l’échelle internationale que régionale, la survie de la mer Morte pourrait être enfin assurée.

Il reste que l’eau est au cœur des relations entre Israël et ses voisins arabes, le Liban, la Syrie, la Jordanie mais aussi les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Dans cette région du monde, la précieuse ressource est de plus en plus rare, et l’eau reste l’objet de graves discordes.

En Israël, la consommation d’eau dépasserait les 2 000 millions de m³ alors que les ressources n’excéderaient pas les 1 500 millions de m³.

En Jordanie, le déficit en eau s’est monté en 1999 à 150 millions de m³. Face à ce déséquilibre, qui devrait selon toute vraisemblance s’accroître dans les années à venir, le problème de la mer Morte est loin d’être prioritaire.

[Encart : Le bassin du Jourdain Le Jourdain (1 100 millions de m³/an) est le seul fleuve important dans la région du Moyen-Orient. Ses trois principaux affluents, le Hasbani (438 millions de m³/an), le Dan (245 millions de m³/an) et le Baniyas (124 millions de m³/an) prennent leur source respectivement au Liban, en Israël et en Syrie avant de se jeter dans le Jourdain. Cent cinquante millions de m³ d’eau par an supplémentaires lui sont apportés par des cours d’eau mineurs et les nappes phréatiques. Le Jourdain se jette enfin dans le lac de Tibériade avec un débit annuel de 650 millions de m³ d’eau, puis longe la frontière jordanienne jusqu’à la mer Morte, en empruntant la dépression de Ghor. En aval du lac de Tibériade, le Yarmouk (450 millions de m³/an), qui prend sa source en Syrie, suit la frontière syro-jordanienne et se jette dans le Jourdain.]
[Photo : Seule une sensibilisation du public, tant à l’échelle internationale que régionale, pourrait assurer la survie de la mer Morte.]
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