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Histoire d'eau : le sixième continent

31 mars 2011 Paru dans le N°340 à la page 113 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

C?est l'un des endroits les plus arides de la planète, une région désolée, inhospitalière, aux paysages taillés à la hache, brûlés par un soleil intense, chaque jour omniprésent. Dans ce décor exclusivement minéral, caractérisé par un volcanisme très actif, trois plaques tectoniques s'éloignent inexorablement les unes des autres, donnant naissance à un futur océan et à un sixième continent'.

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Il en va des océans comme des continents : ils naissent, grandissent, se déplacent, se modifient puis finissent par disparaître. Il aura fallu plus de 200 millions d'années pour que, de la fin du Trias à aujourd'hui, des fragments de la Pangée commencent à se disperser donnant naissance à la Téthys, ce paléo-océan qui séparera peu à peu la Pangée en deux continents : le Gondwana au Sud et la Laurasia au Nord. Un climat chaud et humide règne alors sur l'ensemble de la Terre favorisant le développement d'une faune marécageuse parsemée de fougères géantes. Les tous premiers dinosaures apparaissent. Ils ré-

[Photo : Dans la dépression de l’Afar, trois plaques tectoniques s'éloignent inexorablement, donnant naissance à un futur océan coloré en jaune sur le globe ci-dessus, dont l’actuelle mer Rouge et le golfe d’Aden ne sont que les premiers jalons.]
[Photo : En septembre 2005, à la suite d’un important séisme, une fissure s’ouvre dans la croûte terrestre au nord de l’Afar. Longue de 60 km, d’une profondeur oscillant entre 2 et 12 km, son écartement avoisine les 5 mètres en moyenne. Pour les chercheurs, cet événement marque l’instant zéro de l’apparition d’un nouvel océan dans cette partie du monde.]

Règneront bientôt en maîtres. 40 millions d’années plus tard, à la fin du Jurassique, la fragmentation s’intensifie donnant naissance aux grandes masses continentales que nous connaissons aujourd’hui. Ces continents poursuivront chacun leurs propres évolutions en vertu d’une théorie que l’homme ne découvrira qu’au XXe siècle de notre ère : la tectonique des plaques. L’écorce terrestre, loin d’être homogène, est constituée de plusieurs plaques qui flottent à la surface du manteau terrestre et qui dérivent en se frottant les unes aux autres, avant de se heurter puis de se chevaucher. Et aujourd’hui comme hier, la tectonique des plaques continue à façonner notre planète. Des océans se forment, des continents se fracturent, d’autres dérivent et se rapprochent ce qui finira par aboutir, dans 430 millions d’années, à la reconstitution d’une nouvelle Pangée, qui, à son tour, se fragmentera. Les conséquences de ces mouvements sont bien visibles, même à l’échelle humaine : ici, ils provoquent une séparation de la plaque qui porte l’Amérique du Sud de celle qui porte l’Afrique à une vitesse d’environ trois centimètres par an. Là, dans la dépression de l’Afar, juste au-dessus de la corne de l’Afrique, ils participent à la naissance d’un océan, sous les yeux médusés des géologues et géophysiciens.

Vers la naissance d’un océan

L’Afar est une dépression située en Afrique de l’Est, à la jonction de la vallée du grand rift au sud-ouest, de la mer Rouge au nord et du golfe d’Aden à l’est. À cet endroit du globe, la croûte terrestre s’est distendue au point de ne plus mesurer qu’une dizaine de kilomètres d’épaisseur, moitié moins que son épaisseur habituelle. Cet étirement a provoqué l’effondrement de certaines zones jusqu’à 150 mètres sous le niveau de la mer. Si bien qu’aujourd’hui, seule une modeste chaîne volcanique protège certaines de ces zones contre un déferlement des eaux de la mer Rouge.

Cette région d’environ 4000 km² est soumise à des phénomènes géologiques complexes. Il y a environ 25 millions d’années, d’énormes quantités de magmas sont remontées vers la surface. Sous leur poussée, la croûte terrestre s’est déformée, amincie, et fissurée donnant naissance à trois rifts qui sont à l’origine de la déchirure de la plaque Afrique-Arabie. Ce phénomène, appelé rifting, se poursuit encore aujourd’hui et pourrait conduire à terme à la coupure du continent africain le long de ces rifts et à la pénétration de l’océan sur leur plancher. Car au nord, les deux rifts océaniques de la mer Rouge et du golfe d’Aden écartent le continent africain de la péninsule Arabique à la vitesse de 1,5 cm par an. Au sud, le rift continental est-africain commence à détacher la plaque somalienne du continent africain. C’est ce mouvement qui peu à peu ouvre la voie à la naissance du futur océan qui déjà porte un nom : l’océan Érythréen. Un phénomène qui suscite l’intérêt des chercheurs car habituellement, la plupart des rifts volcaniques se situent au fond des océans. La dépression de l’Afar est un véritable laboratoire à ciel ouvert, l’un des seuls lieux sur Terre où l’on puisse assister au déchirement d’un continent sans plonger dans les profondeurs abyssales d’un océan et en temps réel.

[Photo : Au nord, les deux rifts océaniques de la mer Rouge et du golfe d’Aden écartent le continent africain de la péninsule Arabique à la vitesse de 1,5 cm par an. Au sud, le rift continental est-africain commence à détacher la plaque somalienne du continent africain. C’est ce mouvement qui peu à peu ouvre la voie à la naissance du futur océan.]

En temps réel, car les scientifiques suivent l'affaire de près : dès 1960, Haroun Tazieff avait parcouru la région et émis l'hypothèse que la dépression de l'Afar allait s'ouvrir et former un océan. Les faits ne tardèrent pas à lui donner raison. En septembre 2005, à la suite d’un important tremblement de terre, une fissure s'ouvre dans la croûte terrestre au nord de l’Afar. Longue de 60 km, d'une profondeur oscillant entre 2 et 12 km, son écartement avoisine les 5 mètres en moyenne. Pour les chercheurs, cet événement marque l’instant zéro de l'apparition d’un nouvel océan dans cette partie du monde.

Reste à savoir quelles seront les prochaines étapes de la gestation de ce futur océan qui modifiera la physionomie de l’est africain en créant un sixième continent.

Vers un sixième continent

La première faille, apparue en septembre 2005, s'est produite à la suite d'une série de séismes et après une éruption sur le flanc du Dabbahu, un volcan qui culmine à 1 442 mètres. Depuis, une multitude d'autres fissures de tailles plus modestes sont apparues plus au sud. Même si, à l’échelle des temps géologiques, ces phénomènes ne représentent que bien peu de choses, un processus est en marche qui serait, selon les chercheurs, similaire à celui qui a donné lieu à la naissance de l’océan Atlantique.

[Photo : Il faudra vraisemblablement encore 4 millions d’années pour que le processus amorcé il y a 25 millions d’années aboutisse, c’est-à-dire que l’eau envahisse peu à peu la dépression de l’Afar.]

Il faudra vraisemblablement encore 4 millions d’années pour que le processus amorcé il y a 25 millions d’années aboutisse, c’est-à-dire que l'eau envahisse peu à peu la dépression de l’Afar.

À quelle échéance ? C'est toute la question. D'ici 1 million d’années, l’entaille créée en 2005 pourrait s'être agrandie d'une trentaine de kilomètres environ. Ensuite, il faudra vraisemblablement encore 4 millions d’années pour que le processus amorcé il y a 25 millions d'années aboutisse, c’est-à-dire que l'eau envahisse peu à peu la dépression de l’Afar. Le processus sera donc lent. Les régions les plus basses seront d’abord occupées par les lacs puis progressivement envahies par la mer. Le lac Assal, situé à quelques kilomètres de la mer Rouge, à 155 mètres sous le niveau de la mer, est déjà alimenté par l’eau de mer qui s’infiltre dans les fractures d’un sol formant barrage. Avec le temps, la mer finira par triompher de ce barrage fissuré et s’engouffrera dans le lac.

[Photo : Les régions les plus basses seront d’abord occupées par les lacs puis progressivement envahies par la mer. Le lac Assal, situé à quelques kilomètres de la mer Rouge, à 155 mètres sous le niveau de la mer, est déjà alimenté par l’eau de mer qui s’infiltre dans les fractures d’un sol formant barrage. Avec le temps, la mer finira par triompher de ce barrage fissuré et s’engouffrera dans le lac.]

Puis des phénomènes similaires à celui qui s’est produit en novembre 1978, non loin du lac Assal, se reproduiront : là, un volcan d'une quarantaine de mètres de hauteur, l'Ardoukoba, était apparu en quelques jours et l’on avait observé un brusque écartement d’un mètre vingt entre l’Afrique et la péninsule arabique pendant que s’ouvrait une faille de douze kilomètres de long entre le lac Assal et l’anse du Goubet.

Mais c’est probablement du volcan du Mousa Ali que la déchirure viendra définitivement couper en deux la dépression de l'Afar pour rejoindre la dorsale de la mer Rouge et ouvrir la voie à un sixième continent. Si les deux grandes déchirures : mer Rouge-golfe d’Aden, rift africain continuent de s’ouvrir, un océan à trois branches se formera. La côte de l’Arabie se retrouvera alors à des milliers de kilomètres de celle de l’Afrique et la dépression de l’Afar disparaîtra sous les eaux du nouvel océan...

Mais un autre scénario, improbable, reste possible. Le rift africain pourrait cesser d’évoluer et rester une fissure sans avenir. Le volcanisme perdurera sans doute quelque temps avant de se calmer, de refroidir puis les failles se rempliront de sédiments avant de disparaître à jamais...

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