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Histoire d'eau : L'un des plus grands chantiers du siècle : le barrage des Trois Gorges

31 mai 2005 Paru dans le N°282 à la page 76 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

C'est l'histoire du plus grand projet hydroélectrique au monde. Un projet dont le gigantisme n'est pas sans rappeler celui de la Grande Muraille. Lorsqu'il sera achevé, en 2009, le barrage des Trois Gorges, en Chine, fera plus de 2,3 kilomètres de large et 1.853 mètres de haut, l'équivalent d'un immeuble de 60 étages ! Le réservoir ainsi créé contiendra plus de 22 milliards de m3 d'eau et permettra de produire autant d'électricité que 10 centrales nucléaires!

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Pour trouver l’origine du barrage des Trois Gorges, il faut remonter à 1919, date à laquelle Sun Yat Sen, le père de la Chine moderne, évoque pour la première fois l'idée de dompter « le fleuve le plus sauvage et le plus malfaisant de la terre ». Il est vrai que le Yangtsé, troisième plus grand fleuve du monde

[Photo : Maquette du projet achevé : de gauche à droite : le barrage, l’écluse et l'ascenseur à bateau.]

après le Nil et l'Amazone, long de 6 200 kilomètres, connaît des crues soudaines et violentes qui provoquent, plusieurs fois par siècle, des milliers de morts. Ainsi, en 1954, alors que les crues du Yangtsé font 30 000 victimes et près de un million de personnes sans abri, le Président Mao Tse-Toung commande des études de faisabilité. Mais des problèmes techniques et politiques relèguent le projet aux oubliettes jusqu’à 1988, date à laquelle le Premier ministre Li Peng, ingénieur hydraulicien de formation, le remet à l'ordre du jour. Le 3 avril 1992, malgré l'opposition – fait rarissime – de presque un tiers des votants, l'Assemblée nationale populaire approuve la construction d'un ouvrage hydroélectrique sur le site de Sandouping. Le plus grand projet hydroélectrique au monde vient de prendre corps.

Un ouvrage gigantesque

Le barrage des Trois Gorges, qui ne sera totalement achevé qu’en 2009, doit mesurer 2 309 mètres de long pour 185 mètres de haut. Sa construction, qui s’étalera sur plus de 17 ans, coûtera plus de 30 milliards de dollars, somme qui pourrait même, selon certains experts, doubler. La première tranche des travaux, qui démarre en 1994, consiste à ériger une énorme digue pour détourner le cours du fleuve et pouvoir ainsi commencer à édifier le barrage. Plus de 11 millions de m³ de roches et de terres sont déversés à cette fin. La seconde étape, qui couvre la période 1998-2003, consiste à construire le barrage proprement dit. Elle aboutira le 1er avril 2003 au début de la mise en eau du réservoir, à la mise en route au mois de juillet de la même année du premier groupe hydro-électrique et à l’ouverture du canal de navigation. La troisième tranche, qui s’étalera de 2004 à 2009, prévoit la mise en service de 26 générateurs supplémentaires. Au total, plus de 20 000 ouvriers travailleront sur le projet.

Le bassin de retenue d'eau, d'une superficie de 650 km², couvrira une superficie plus grande que la Suisse, s'étirant des alentours de Yichang à la ville de Chongqing. Il retiendra un volume d'eau de 22 milliards de m³, dont le niveau maximal atteindra les 175 mètres après les pluies de mousson et avoisinera les 145 mètres en temps normal. Avec ses 26 générateurs d’une capacité de 18 200 mégawatts, le barrage des Trois Gorges produira une énorme quantité d'énergie, voisine de 84 milliards de kWh, soit 10 % de la consommation d’électricité chi-

[Encart : Les barrages : des ouvrages contestés Il existe aujourd'hui 3 500 barrages dont la hauteur dépasse les 15 mètres selon la Commission Internationale des Grands Barrages (CIGB). 1 550 sont en cours de construction. Partisans et opposants à ce type d’ouvrages ne manquent pas d’arguments. Le projet du barrage des Trois Gorges résume bien les avantages et les inconvénients liés à la construction de ce type d'ouvrage. Les “pour”, essentiellement les autorités chinoises, font valoir les arguments suivants : - la protection contre les crues : le barrage, cause de 300 000 morts au cours du seul 20ᵉ siècle, sera capable de protéger 15 millions d'habitants ; - la production d’électricité “propre” sans dégagement de CO₂ ; - le développement de la navigation : des navires de 10 000 tonnes pourront arriver directement jusqu’à Chongqing ; - le développement du tourisme et de l'aquaculture ; - le transfert d'une partie des eaux vers la plaine de la Chine du nord. Les “contre”, essentiellement les scientifiques chinois et les mouvements écologistes, craignent plusieurs types d’effets pervers : - le déplacement massif de populations : plus de 1 million de personnes ; - la destruction de villes et villages et l'accumulation de pollution en amont du barrage ; - la sédimentation au pied du barrage ; - l'ennoiement de terres arables ; - la destruction de vestiges archéologiques ; - des impacts multiples sur la faune et la flore.]

L'équivalent de 10 centrales nucléaires ou de 50 millions de tonnes de charbon. Mais surtout, l’ouvrage est censé réguler les crues du fleuve et empêcher ainsi les inondations dévastatrices à l'image de celles survenues en 1998 qui ont causé la mort de plus de 4.000 personnes. Et ce n’est pas tout : le gouvernement chinois rappelle aussi qu'il créera 20.000 emplois durables et permettra d'augmenter le trafic maritime sur le fleuve. Mieux, grâce à la construction du barrage, un immense lac apparaîtra dans les gorges. Les navires de 10.000 tonnes, contre 3.000 actuellement, pourront ainsi arriver directement jusqu’au port de Chongqing, depuis le Pacifique, sans transit. Le développement de la navigation fluviale permettra de réduire, toujours selon les autorités chinoises, le prix de revient de la tonne transportée de 35 %.

Pour le gouvernement chinois, le projet répond à trois objectifs déclarés : réguler le débit du fleuve pour éviter les crues dévastatrices ; répondre aux besoins énergétiques d'une économie chinoise en pleine croissance ; développer la navigation fluviale. Mais le projet répond également à un souci plus politique, lié à l'aménagement du territoire. Car les provinces du Nord souffrent d'un déficit en eau durant la saison estivale, alors qu'elles concentrent près de 40 % des terres cultivées du pays. Or, le projet permettra de détourner les eaux du Yangtsé vers la Grande plaine du nord par un simple canal de dérivation capable d'apporter annuellement 40 km³ d'eau, soit l'équivalent du Rhône ! Cette dérivation permettra d'alimenter toute l'année le barrage du lac Han qui fournit déjà chaque année 20 km³ d'eau à la plaine du nord. L'un des enjeux du projet reste donc bel et bien le rééquilibrage des ressources en eau entre le Nord et le Sud de la Chine.

Reste que le barrage est très contesté. Selon ses nombreux détracteurs, les

[Photo : Le barrage des Trois Gorges, qui ne sera totalement achevé qu’en 2009, doit mesurer 2.309 mètres de long pour 185 mètres de haut. Sa construction, qui s’étalera sur plus de 17 ans, coûtera plus de 30 milliards de dollars.]
[Photo : Au total, plus de 20.000 ouvriers travailleront sur le projet.]
[Photo : Avec ses 26 générateurs d'une capacité de 18 200 mégawatts, le barrage des Trois Gorges produira une énorme quantité d'énergie, voisine de 84 milliards de kWh, soit 10 % de la consommation chinoise.]

Les conséquences écologiques de cette construction risquent de se révéler catastrophiques.

Un chantier controversé

Pour les détracteurs du projet, le barrage des Trois Gorges entraînera des conséquences néfastes d’un point de vue humain, écologique et politique.

Au plan humain, le barrage va peu à peu engloutir 16 villes, 4 230 villages et entraînera à terme le déplacement de 1,4 à 1,9 million de personnes, selon les sources. Déjà, on dénombrait début 2005 plus de 660 000 personnes déplacées avec des conditions de dédommagement qui ne correspondaient pas aux normes internationales. 40 % de ces personnes déplacées sont des citadins, relogés pour moitié dans de nouveaux quartiers en ville, dans des appartements souvent construits à la hâte, alors que la plupart du temps, ils étaient logés dans de petites maisons. 60 % des paysans relogés le sont pour moitié au-dessus du réservoir, avec des parcelles de superficie équivalente, mais dans des conditions de cultures différentes : sols peu fertiles, souvent pentus et à une altitude comprise entre 300 et 1 000 mètres. Autre effet négatif, l'ennoyement d'un berceau de la culture chinoise : les archéologues estiment à environ 1 300 le nombre de sites importants qui vont disparaître sous les eaux du réservoir…

Au plan écologique, le barrage entraînera d'inévitables dégâts au niveau de la faune et de la flore. Les opposants au projet craignent que le réservoir artificiel ne devienne un véritable dépotoir où viendront s'entasser un milliard de tonnes de déchets industriels. Ils redoutent également l'envasement du barrage, la disparition de nombreuses espèces de poissons, de plantes médicinales rares ainsi que l'érosion du sol et l'appauvrissement des terres agricoles. Ils craignent que la réduction de l'apport sédimentaire ne risque de faire reculer le delta, et que la faiblesse du débit en hiver aggrave la remontée des nappes salées plus à l'intérieur du delta. Le barrage risque par ailleurs d’entraîner un accroissement de l'irrigation dans le delta, ce qui entraînera une remontée du sel en surface par capillarité. Il faudra alors réaliser un drainage pour évacuer le sel.

Reste que la mobilisation internationale n'empêche pas la réalisation du barrage. Et si quelques mouvements écologistes continuent à militer pour l'abandon pur et simple du projet, la communauté internationale a choisi de tenter d’en limiter les impacts en se concentrant sur le suivi du relogement des populations déplacées, sur le sauvetage du patrimoine archéologique ou sur le contrôle des chantiers.

Car, suite à une affaire de corruption de fonctionnaires et de cadres du parti, des fissures liées à une mauvaise qualité du béton utilisé sont apparues dans la construction.

Le problème semble aujourd'hui résolu et l'ouvrage stabilisé.

Situé sur une zone faiblement sismique, il a été conçu pour résister à un séisme de niveau 7 sur l’échelle de Richter. Car s'il venait à céder, il menacerait directement la vie de 15 millions de personnes.

[Photo : Vue de l’écluse du barrage des Trois Gorges.]
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