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Histoire d'eau : Sur l'art de découvrir les sources : sourciers anciens et modernes

30 mai 1994 Paru dans le N°173 à la page 63 ( mots)

Les prévisions des géologues ne résultent que des connaissances acquises sur la région et de l’exemple de régions analogues. Mais y a-t-il d’autres procédés pour prévoir la présence et indiquer l’emplacement des eaux souterraines, et qu’y a-t-il de vrai dans les opérations des sourciers à la baguette ?

Voici tout d’abord ce que l’antiquité nous a légué sur la question (extrait de l’ancien ouvrage de Darcy) :

« L’art de trouver les sources a été cultivé dans tous les temps ; on le connaissait chez les Grecs ; les Romains avaient pour les chercheurs d’eau, ou aquilèges, les plus grands égards. Cassiodore, en répondant à un magistrat qui lui avait écrit au sujet d’un aquilège nouvellement arrivé d’Afrique, recommande d’user de son expérience et de le traiter avec une distinction marquée : “Habeatur ergo iste inter reliquarum artium magistros ; ne quid desiderabile patuerit fuisse, quod sub nobis non potuerit romana civitas continere”. »

Pline, Vitruve, Palladius étudient avec un soin diligent les moyens de découvrir les sources souterraines… Un des signes les plus certains, dit Pline, ce sont les vapeurs qui s’élèvent sur les lieux au-dessous desquels coulent des veines liquides. Pour apercevoir ces vapeurs, il recommande de se coucher par terre avant le soleil levé et d’examiner attentivement, le menton appliqué contre la terre, si quelque colonne de vapeur ne vient pas à s’élever et à ondoyer au-dessus des lieux où il ne se trouve aucune humidité causée par les eaux sauvages.

Cassiodore ajoute une observation que je rappellerai en raison de sa singularité : d’après lui, les aquilèges mesurent la profondeur du courant souterrain par la hauteur à laquelle la vapeur semble s’élever : « Addunt etiam in columne speciem conspici quemdam tenuißimum fumum, qui quanta fuerit altitudine porrectus ad summum, tanto in imum latices latere cognoscunt ». Mais cette opération est, à ce qu’il paraît, très pénible, car Pline ajoute : « Certior multo nebulosa exhalatio est ante ortum solis longius intuentibus… sed tanta intentione oculorum opus est, ut indolescant ».

Aussi a-t-on essayé de substituer à la vue simple d’autres moyens de reconnaître si ces vapeurs s’exhalaient, et, par exemple, on conseille de mettre à la même heure, sur les lieux où la source est espérée, une aiguille de bois en équilibre ; cette aiguille est composée de deux parties, dont l’une doit être poreuse et très hygrométrique, comme l’aulne, puis, s’il se dégage effectivement de la vapeur, l’extrémité poreuse s’inclinera vers la terre.

Vitruve engage encore à creuser un puits de 3 pieds de diamètre sur 5 à 6 de profondeur, et de placer au fond, lorsque le soleil se couche, un vase d’airain ou de plomb frotté d’huile : on renverse ce vase, on remplit la fosse avec des planches et des feuillages qu’on recouvre avec de la terre, et, si, le lendemain, des gouttes d’eau sont attachées au vase, il affirme que la nappe liquide est au dessous et qu’on la trouvera en creusant.

Belidor prétend, d’après Cassiodore, que si des tourbillons ou nuées de petits moucherons volent près de la terre, toujours à la même place, c’est qu’ils sont attirés par quelques exhalaisons de vapeur provenant d’une veine fluide. Il recommande, à l’exemple de Vitruve, de noter les lieux où l’on rencontre des joncs, des roseaux, du baume sauvage, de l’argentine, du lierre terrestre (1), lorsque ces plantes ne peuvent être nourries par les eaux sauvages.

Pline prescrit de faire des fouilles au point précis où l’on voit des masses de grenouilles semblant couver, tant elle pressent la terre pour s’approprier les vapeurs qui s’en exhalent.

Quand le sol est recouvert de gelée blanche, il est facile de s’assurer si un courant existe à peu de profondeur, car cette gelée ne se tient pas sur sa direction : j’ai eu plusieurs fois l’occasion de faire cette remarque dans les temps de neige, en suivant la ligne de l’aqueduc de Dijon. La neige s’affaisse et fond en partie sur la ligne suivie par cette construction, bien que la terre soit partout à plus de 1 mètre au-dessus de l’extrados de la voûte, recouverte elle-même d’une chape.

Tels sont les principaux procédés que nous ont légués les anciens pour la découverte des sources. Mais, avant de clore avec les traditions du passé, me sera-t-il permis de rappeler que Moïse, faisant jaillir une source dans le désert, devait avoir des imitateurs jaloux de renouveler la lutte que les devins de Pharaon ne craignirent pas d’engager avec le libérateur du peuple juif ?

Aussi voyait-on déjà, dans le XVe siècle, des hommes marchant à la découverte des sources, tenant deux branches d’une fourche de coudrier, et attendant que la troisième, s’inclinant irrésistiblement vers la terre, indiquât la présence d’une nappe souterraine.

Le plus célèbre de la secte fut un nommé Jacques Aymard, qui fit grand bruit à Paris : en 1693, sur l’ordre de Colbert, l’abbé Gallois le présenta à l’Académie, mais la docte assemblée lui tendit un piège dans lequel se brisa la baguette enchantée du faux Moïse, et le cours de ses miracles si variés fut brusquement interrompu. On sait que la baguette divinatoire, saluée sous les noms de Verge de Moïse, de Bâton de Jacob, de Verge d’Aaron, n’avait pas seulement la vertu de découvrir des sources, elle tournait de plus sur les

* Extrait de l’ouvrage « Distributions d’eau » A. Debauve et É. Imbeaux – Ch. Dunod Éditeur, 1905.

métaux, sur les trésors, sur les meurtriers qu’elle livrait à la justice, et sur les reliques des saints régulièrement canonisés ; sa vertu créa de tels prodiges qu’on recourut, pour l’expliquer, à l’intervention des puissances infernales. Mélanchthon lui-même, l’un des héros de la religion réformée, parlant des filons de mines qu’elle aidait à découvrir, ne put expliquer autrement cette propriété singulière que par des relations sympathiques qui uniraient ensemble les végétaux et les minéraux.

On est autorisé à croire que le culte de la baguette était déjà pratiqué dans l’antiquité. Elle est mentionnée dans les écrits de Neuheusius, de Varron, d’Agricole, de Cicéron : l’orateur romain, dans les conseils qu’il donne à son fils Marc, lui défend de se dérober aux affaires publiques, lors même qu’il découvrirait un trésor par la grâce de la baguette divine : « Quid si omnia nobis quæ ad victum cultumque pertinent, quasi virgula divina, ut aiunt, suppeditarentur ».

Mais il y avait aussi, à cette époque, des gens difficiles qui ne prêtaient pas foi aisément à ces prodiges. Un chercheur de trésors avait proposé au poète Ennius d’en découvrir un moyennant un drachme : « Je vous donne de bon cœur ce drachme, répondit-il, mais à prendre sur le trésor que vous trouverez : “Quibus divitias pollicentur, ab iis drachmam ipsi petunt. De bis divitiis deducam drachmam, reddam cætera.” »

Lorsqu’une source avait été trouvée par les procédés racontés avant la petite digression sur la baguette divinatoire, il fallait en tirer le meilleur parti possible. Vitruve donne le moyen suivant de la mettre à profit : « Si les signes que nous venons de décrire, dit-il, se rencontrent en quelque lieu, il faudra y creuser un puits, et si l’on aperçoit une source, en faire plusieurs autres à l’entour et les réunir par des petites galeries. » Ces précautions semblent indiquer que Vitruve ne comptait guère que sur des suintements dont il cherchait à augmenter le volume en les réunissant tous. Cependant il semble résulter d’une lettre déjà citée et écrite par Cassiodore, « que l’on arrivait parfois à des résultats bien plus importants, puisqu’il y recommande formellement au magistrat de faire accompagner l’aquilège d’Afrique par un homme habile dans la mécanique et sachant élever les eaux que l’on viendrait à découvrir ».

Avec l’abbé Paramelle et avec Belgrand, nous arrivons à la méthode scientifique actuelle, sauf que les progrès de la tectonique ont permis de la perfectionner progressivement. Cependant, il existe toujours des sourciers à la baguette aussi bien en France qu’en Angleterre et en Allemagne (2), et des personnes savantes et dignes de foi affirment aujourd’hui encore avoir vu tourner la baguette au passage de courants d’eau souterrains connus, et inversement avoir réussi à trouver des filets d’eau aux endroits indiqués par la rotation de l’instrument. Il est difficile de nier complètement en présence de ces témoignages, et on doit se demander s’il n’existe pas chez certains individus une sorte de sens spécial ou d’état nerveux prédisposé qui soit influencé par le voisinage de l’eau ; en tout cas, il ne peut s’agir que d’une sensation vague et par suite d’une indication grossière, et tout le surplus des prédictions ne peut être que du charlatanisme.

(1) La nomenclature des plantes de ce genre, dont la présence indique l’humidité, doit être complétée comme suit : saules, aulnes, mousses fraîches, carex, renoncules, scrofula­res, la colchique d’automne, l’hépatique des fontaines, la ciguë aquatique, la lysimaque monnaie-du-pape, la cardamine des prés, la véronique bec-cabunga, les menthes pouliot et aquatique, etc.

(2) Franzius, dans un article de Zentralblatt der Bauverwaltung du 13 septembre 1905, affirme encore que la baguette donne des résultats positifs pour la recherche de l’eau et de l’or.

NDLR : Si certains de nos lecteurs ont eu connaissance de succès rencontrés dans la recherche d’eau par l’usage de la baguette, nous leur ouvrirons cette rubrique afin de faire état de leur témoignage...

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