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Histoire d'eau : Un ouvrage hors normes : le viaduc de Millau

30 novembre 2009 Paru dans le N°326 à la page 149 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

Dressé dans le ciel des Causses à 275 mètres au-dessus du Tarn, ce géant d'acier et de béton permet de relier le Causse Rouge au Causse du Larzac. 14 ans d'études et trois ans de travaux auront été nécessaires pour mener à bien la construction de cet ouvrage hors du commun.

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Nous sommes à la fin de l’année 1988. Les premières ébauches de tracés de l’autoroute A75 visant à relier le Causse Rouge, au nord, avec le Larzac, au sud, commencent à filtrer. Les objectifs assignés à ce nouvel axe autoroutier sont simples : en finir avec le redouté point noir de Millau, qui se traduit par de gigantesques et récurrents embouteillages, en ouvrant une voie rapide qui reliera le nord de l’Europe à la Méditerranée et à la péninsule Ibérique.

Plusieurs propositions sont avancées pour le franchissement de la vallée du Tarn, à l’est ou à l’ouest de Millau. La pre-

Une première option consiste à passer assez largement à l'est de la ville en franchissant les vallées du Tarn et de la Dourbie par l'intermédiaire de deux ponts successifs. Mais jugée trop coûteuse, elle sera écartée. Une autre option consiste à passer à l'ouest, par la vallée du Cernon. Ses impacts trop importants sur l'environnement provoqueront son abandon. C'est finalement l'option médiane, un peu à l'ouest de Millau, qui sera retenue après que les experts aient conclu à sa faisabilité technique. Le tracé établi, reste à choisir le mode avec lequel la vallée sera franchie. Une première possibilité consiste à descendre dans la vallée puis à franchir le Tarn grâce à un ouvrage de 600 mètres avant d’atteindre le Larzac par un viaduc prolongé d'un tunnel. Mais la présence d'une nappe phréatique à l'endroit même où serait situé ce tunnel rendra cette option trop hasardeuse. Le choix d'une solution « haute », qui consiste à survoler la vallée à plus de 200 mètres de hauteur, s'impose presque naturellement. La construction d’un viaduc d'une longueur de 2 460 m culminant à 270 mètres au-dessus du Tarn sera officialisée au mois de janvier 1995.

Les dimensions exceptionnelles de cet ouvrage, les choix esthétiques de l’architecte Norman Foster, mais aussi le cadre naturel grandiose qu’offre l’Aveyron au travers des Gorges du Tarn sont autant d'atouts qui vont contribuer à en faire un ouvrage d’exception.

[Photo : Aucun chantier n’avait réuni en un seul lieu un tel concentré de technologies : laser, GPS, translateurs, coffrages auto-grimpants, enrobés spécifiques, béton hautes performances, autant de matériaux et techniques innovantes qui permettront de construire au millimètre près ce géant d’acier et de béton.]

Un ouvrage d’exception

Avec son ensemble pile-pylône de plus de 343 mètres de hauteur et son tablier qui culmine à 270 mètres au-dessus du Tarn, le viaduc de Millau est actuellement considéré comme le pont le plus haut du monde. Il détient également le record du tablier haubané le plus long au monde (2 460 mètres). C’est un ouvrage exceptionnel à plus d'un titre. Par les techniques mises en œuvre d’abord : aucun chantier n’avait réuni en un seul lieu un tel concentré de technologies : laser, GPS, translateurs, coffrages auto-grimpants, enrobés spécifiques, béton hautes performances, autant de matériaux et techniques innovantes qui permettront de réaliser au millimètre près la construction de ce géant d’acier et de béton.

Le viaduc est un pont à haubans de 2 460 mètres de longueur. Son tablier, large de 32 mètres, accueille une autoroute de deux fois deux voies et deux voies de secours. Sept piles réalisées en béton hautes performances dont la section passe de 200 m² à la base à 30 m² au sommet des pylônes ont été construites par « levées » successives de 4 mètres. La verticalité des piles, dont chacune fait l'objet d'un chantier spécifique, est assurée grâce à des guidages laser et GPS. Chaque pile prend appui sur des semelles en béton qui reposent elles-mêmes sur quatre puits maronais de 5 mètres de diamètre et longs de 10 à 15 mètres. Elles sont dimensionnées pour résister aux charges verticales ainsi qu'aux déplacements du tablier sous les effets de la dilatation thermique et du vent.

[Photo : Le viaduc est un pont à haubans de 2 460 mètres de longueur. Son tablier, large de 32 mètres, accueille une autoroute de deux fois deux voies et deux voies de secours. Sept piles réalisées en béton hautes performances dont la section passe de 200 m² à la base à 30 m² au sommet des pylônes ont été construites par « levées » successives de 4 mètres.]

Monolithiques à leur base, les piles sont dédoublées sur les 90 mètres supérieurs pour mieux prendre en charge et répartir les contraintes liées à la dilatation du tablier en acier.

L'une des deux solutions formulées au départ par le groupe Eiffage, maître d’ouvrage et concessionnaire de l’ouvrage, prévoyait un tablier en béton.

C'est finalement la solution optant pour l’acier qui fut choisie, un choix technologique qui permet de réduire les travaux sur site en préfabriquant la majeure partie des éléments métalliques.

Réduire les travaux sur site

Véritable colonne vertébrale de l’ouvrage, le tablier du viaduc, en acier, se compose de 173 caissons centraux, sur lesquels sont rapportés les caissons de rive.

Chacun de ces éléments, hauts de 4,20 mètres et longs de 15 à 22 mètres, peut peser jusqu’à 90 tonnes.

Si bien qu’au total, l'ensemble ne pèse « que » 36 000 tonnes contre 120 000 tonnes s'il avait été en béton.

Du fait de la légère courbure du viaduc, chaque morceau de tablier constitue la pièce unique d'un gigantesque puzzle.

Plus de vingt mois de travail seront nécessaires aux ouvriers pour construire le tablier sur deux chantiers à ciel ouvert aménagés à l'arrière des culées, au nord et au sud de l'ouvrage.

Toutes les soudures et tous les travaux d'assemblage y seront effectués pour limiter au maximum les risques liés au travail à très grande hauteur.

Le tablier, soutenu par sept pylônes hauts de 87 mètres, prend appui sur les piles et est suspendu à 154 haubans installés sur la partie centrale de la chaussée.

Un écran brise-vent de trois mètres de hauteur en plexiglas spécialement développé pour l'occasion permet de réduire les effets du vent sur les véhicules circulant sur l'ouvrage.

Des effets qui peuvent être réellement impressionnants puisqu’en cas de rafales de 200 km/h, les déplacements du tablier peuvent aller jusqu’à 60 cm latéralement et 75 cm en déplacement vertical.

Dix mille tonnes d’un bitume spécialement conçu pour le viaduc recouvrent les 2 460 mètres du tablier sur une épaisseur de six centimètres seulement.

Fruit de huit mois de recherches, ce bitume, fabriqué sur place, a la capacité de se déformer et ainsi d'absorber toutes les contraintes subies par la structure.

Des contraintes qui font l'objet d’une surveillance constante grâce à une instrumentation omniprésente.

Une instrumentation omniprésente

Exceptionnel par ses dimensions, son mode de construction et son esthétique épurée, le viaduc de Millau l’est aussi par l’importance de l'instrumentation mise en œuvre pour suivre dans le temps le comportement de l'ouvrage.

Une instrumentation conçue pour contrôler et analyser des phénomènes dont les durées vont d'une seconde à plusieurs années, est capable de fournir des alarmes simultanément à des résultats filtrés, analysés et comparés sur de longues périodes.

Pour ceci, certaines caractéristiques de base du viaduc ont été enregistrées dès la phase de construction afin de pouvoir les suivre dans le temps.

Objectif : prévenir en temps réel l'exploitant de toute anomalie susceptible de perturber le trafic et mettre en évidence, sur de longues périodes, toute évolution qui pourrait altérer la bonne tenue de l'ouvrage.

Plus de 30 km de câbles à courant fort, 20 km de fibres optiques, 10 km de câbles à courant faible et 357 prises téléphoniques ont été installés pour permettre aux 54 techniciens affectés en permanence sur le site de communiquer et de centraliser les données au PC de surveillance de la barrière de péage.

Piles, tablier, pylônes et haubans ont donc été équipés de plus de 400 capteurs – anémomètres, accéléromètres,

[Encart : Les piles ont été dimensionnées pour résister aux charges verticales ainsi qu’aux déplacements du tablier sous les effets de la dilatation thermique et du vent. Monolithiques à leur base, elles sont dédoublées sur les 90 mètres supérieurs pour mieux prendre en charge et répartir les contraintes liées à la dilatation du tablier en acier.]
[Photo : Véritable colonne vertébrale de l’ouvrage, le tablier du viaduc, en acier, se compose de 173 caissons centraux, sur lesquels sont rapportés les caissons de rive. Chacun de ces éléments, hauts de 4,20 mètres et long de 15 à 22 mètres peut peser jusqu’à 90 tonnes.]

Inclinomètres, capteurs de température — conçus pour déceler le moindre mouvement du viaduc et mesurer sa résistance à l'usure du temps. Vingt-quatre servo-accéléromètres sont chargés de surveiller les mouvements d'oscillation des piles et du tablier. Douze extensomètres à fibre optique ont été inclus dans la semelle de la pile P2, la plus haute du viaduc, celle qui se trouve soumise aux efforts les plus intenses. Cette technologie repose sur l'interférence entre deux ondes lumineuses circulant dans deux fibres optiques disposées dans le béton de l'ouvrage. L'une de ces fibres, la « fibre de mesure » est toujours tendue et soumise aux déformations du béton. L'autre fibre, la « fibre de référence » est toujours détendue aux côtés de la fibre de mesure. Cette seconde fibre subit les mêmes déformations provoquées par les variations de température (dilatation/rétractation) auxquelles est sensible la fibre optique.

Six extensomètres supplémentaires, capables de fournir jusqu'à cent mesures par seconde, ont été répartis sur toute la hauteur des piles P2 et P7 pour étudier le moindre de leurs mouvements. Des accéléromètres placés aux endroits stratégiques du tablier contrôlent les phénomènes oscillatoires affectant la structure métallique. Les déplacements du tablier au niveau des culées sont surveillés au millimètre près. Les haubans eux-mêmes ont été instrumentés pour que leur vieillissement puisse être minutieusement analysé et suivi.

[Photo : Les haubans eux-mêmes ont été instrumentés pour que leur vieillissement puisse être minutieusement suivi et analysé.]

Le trafic fait l'objet d'une surveillance aussi pointue : deux capteurs piézoélectriques reliés par une boucle de comptage recueillent de nombreuses données concernant la circulation : poids des véhicules, vitesse moyenne, densité du trafic, etc. Seize caméras placées sur les pylônes à douze mètres de hauteur assurent la surveillance vidéo grâce à un système de détection automatique d’accidents. Deux stations météo installées sur le viaduc et à la barrière de péage analysent en permanence les conditions atmosphériques : vent, hygrométrie, précipitation, températures, etc.

Ouvert à la circulation au mois d’avril 2004, le viaduc de Millau avait déjà accueilli, en avril 2009, plus de dix-neuf millions de véhicules !

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