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Histoire d'eau : Une technique originale de franchissement de dénivelé : la pente d'eau de Montech

31 decembre 2009 Paru dans le N°327 à la page 104 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

C?est l'une de ses inventions géniales qui aurait dû essaimer dans le monde entier si elle n?avait pas été développée peu de temps avant que le trafic marchand ne s'effondre sur les voies navigables. La pente d'eau de Montech, puisque c'est d'elle dont il s'agit, permet en très peu de temps et avec très peu d'eau et d'énergie de racheter cinq écluses en faisant gagner près d'une heure aux bateaux. Aujourd'hui, confrontée à des pannes à répétition, son avenir est suspendu à une rénovation qui reste bien incertaine.

Les écluses à sas, développées dès la Renaissance, constituent une solution satisfaisante pour racheter de petites dénivellations. Mais lorsque leur nombre se multiplie, la navigation devient une épreuve pénible. Les usagers du Canal de la Marne au Rhin qui doivent franchir quelque 160 écluses de Vitry-le-François à Strasbourg en savent quelque chose… Pour réduire le nombre des écluses ou racheter des dénivellations plus importantes, on a tout d’abord pensé à augmenter leur hauteur. L’augmentation trop importante du volume des maçonneries, égal au carré de la hauteur des murs de l’écluse, a vite refroidi les ardeurs des aménageurs. De plus, de sérieux problèmes d’hydraulique se posent pour le remplissage et la vidange des écluses.

C’est l’une de ses inventions géniales qui aurait dû essaimer dans le monde entier si elle n’avait pas été développée peu de temps avant que le trafic marchand ne s’effondre sur les voies navigables. La pente d’eau de Montech, puisque c’est d’elle dont il s’agit, permet en très peu de temps et avec peu d’eau et d’énergie de racheter cinq écluses en faisant gagner près de deux heures aux bateaux, aujourd’hui confrontée à des pannes à répétition, son avenir est suspendu à une rénovation qui reste bien incertaine.

… dites de « haute chute », si bien que l’on a rarement dépassé les 25 mètres de dénivelé.

D’autres solutions ont alors été imaginées comme celle des plans inclinés ou encore des ascenseurs à bateaux qui consistent à faire entrer le bateau dans un bac métallique rempli d’eau

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puis à faire monter et descendre le bac lui-même. Le plan incliné d’Arzviller-Saint-Louis permet ainsi, en moins de 20 minutes dont 4 seulement pour le déplacement du chariot-bac sur la pente, de racheter un circuit de 17 écluses. L’ascenseur funiculaire de Strépy-Thieu, le plus grand ascenseur à bateaux du monde à ce jour (voir E.LN. n° 258), permet de racheter une chute de 73 mètres en quelques minutes. Quant à la roue de Falkirk, un ingénieux système d’ascenseur rotatif (voir E.LN. n° 303), elle permet de racheter 35 mètres de dénivelation en moins de 7 minutes. Problème : ces réalisations, souvent spectaculaires, présentent le fâcheux défaut d’être trop onéreuses, en investissement comme en exploitation. D’où l’idée de développer un système plus simple et moins coûteux, la pente d'eau.

Un système simple et peu coûteux : la pente d’eau

Ce système, développé à la fin des années 1960, repose sur un principe simple qui consiste à repousser, au moyen d’une bouchure mobile appelée « masque » et circulant dans une « rigole » en pente, une masse d’eau en forme de lac à fond triangulaire sur laquelle peut flotter un bateau. La poussée est assurée par un bouclier-masque comparable dans son aspect à celui d’un bulldozer. L’engin pousseur, appelé « bouclier-moteur », surplombe la rigole centrale et entraîne dans son déplacement une masse d’eau de 1500 m³, d’une profondeur de 3,75 m, en forme de coin, suffisante pour transporter des bateaux de 40 m au plus, jaugeant 250 tonnes.

La rigole, large de 6 mètres, de section transversale en U, est en béton armé. L’étanchéité entre le bouclier-masque et les parois est assurée par des rouleaux tournants revêtus de matières plastiques. Les inévitables déperditions d'eau sont compensées par l’ouverture d’une petite vanne située à la tête-amont du dispositif. À l’aval comme à l’amont, les ouvrages de tête sont assimilables à des têtes d’écluse, plus particulièrement pour la tête amont avec un garage et une porte rabattable vers l’amont pour retenir l’eau du bief. Le pied de la rigole, qui communique librement avec le bief aval, ne comporte pas de porte.

Avantage principal de ce système, son coût qui devait s’en trouver réduit de moitié par rapport aux plans inclinés ou aux ascenseurs à bateaux du fait de la suppression du coûteux bac métallique. Restait toutefois à en valider le principe, et pour ceci à construire le premier ouvrage expérimental à grand gabarit au monde.

Montech ou la première pente d’eau à grand gabarit

Les premiers essais se déroulent sur pilote à l’échelle 1/50 dès 1966. Mais en dépit des résultats encourageants enregistrés, l’échelle est jugée trop petite pour que ceux-ci soient jugés concluants. On décide alors de construire à Vénissieux une pente d'eau à l’échelle du dixième du gabarit réel. Les résultats obtenus sont cette fois jugés suffisamment probants pour que soit décidée une première application sur un canal de type Freycinet destiné à des bateaux de 350 tonnes avant de pouvoir extrapoler ultérieurement sur des canaux de 12 mètres de largeur.

L’occasion en est trouvée dès 1971 grâce à la campagne de modernisation du canal latéral à la Garonne dont le trafic est alors encore en croissance. La direction des voies navigables de l’époque choisit donc, dans le cadre du programme d’allongement des écluses de ce canal, un tronçon de cinq écluses très rapprochées près de Montech à 10 km au sud de Montauban.

[Photo : L’engin pousseur, appelé « bouclier-moteur », enjambe la rigole et entraîne dans son déplacement une masse d’eau de 1 500 m³, d’une profondeur de 3,75 m, en forme de coin, suffisante pour transporter des bateaux de 40 m au plus, jaugeant 250 tonnes.]
[Photo : Le bouclier-moteur, constitué par deux automotrices dérivées du matériel ferroviaire liées par une traverse enjambant la rigole et roulant sur les berges, est stationné à l’aval.]
[Photo : Le masque et le pare-chocs levés permettent de dégager le tirant d’air nécessaire au passage du bateau montant.]

Objectif : racheter ces cinq écluses par une pente d'eau de 450 mètres à 3 % d’inclinaison, d'une dénivellation totale de 13,30 m.

La réalisation de l'ouvrage est confiée par le service de la navigation de Toulouse à un consortium composé des entreprises SGTE et Spie Batignolles. Construite en deux ans sous la direction de l'Ingénieur Général des Ponts-et-Chaussées, Jean Aubert, la pente d’eau de Montech est inaugurée au mois de mai 1974 et son exploitation démarre le 8 juillet 1974. Très vite, la simplicité du principe de fonctionnement de l'ouvrage séduit les exploitants comme les utilisateurs.

Un principe de fonctionnement séduisant

Le cycle des manœuvres est assez simple. Le bouclier-moteur, constitué par deux automotrices dérivées du matériel ferroviaire liées par une traverse enjambant la rigole et roulant sur les berges, est stationné à l’aval, masque et pare-chocs levés, dégageant ainsi le tirant d’air nécessaire au passage du bateau montant. La poutre de protection et le masque sont ensuite abaissés. Les étanchéités latérales sont plaquées contre les bajoyers, achevant ainsi la phase de démarrage. Une masse d'eau, le « coin d’eau », sur laquelle se trouve le bateau, est alors isolée entre la pente et le masque vertical. Le bouclier-moteur remonte alors l'ensemble jusqu’au niveau supérieur. La mise en vitesse s’effectue progressivement avec une accélération moyenne de l’ordre de 1 cm/s² et atteint sa valeur de croisière de 4,5 km/h en deux minutes. À pleine charge, la puissance délivrée par les deux moteurs diesel avoisine les 1 300 CV. Cinq minutes après le départ, le coin d'eau pénètre dans le palier d’amortissement de la tête amont. L’eau se répand ensuite dans le bassin d'expansion latéral prévu à cet effet. Le bateau montant est alors désamarré et, accompagné par le bouclier-moteur, il sort de la tête amont sans même avoir fait usage de ses moteurs. La redescente du bouclier-moteur s'effectue en freinage rhéostatique programmé dans des conditions analogues à la montée, après fermeture de la porte amont.

Dès sa mise en service, la pente d’eau de Montech constitue une curiosité technologique et attire sans tarder de nombreux techniciens du monde entier confrontés à des problèmes identiques. Le site de Montech ira jusqu’à accueillir une délégation chinoise, venue étudier la faisabilité d'une transposition du dispositif sur son propre réseau fluvial. La pente d’eau fonctionnera plusieurs années sans incident notable et à la plus grande satisfaction des mariniers.

Mais au fil des ans, et à l’instar de la plupart des infrastructures fluviales, la pente d’eau de Montech subira de plein fouet le déclin du transport de marchandises sur voie d’eau. Aujourd’hui, bien que le tourisme fluvial ait pris un temps le relais en attirant un grand nombre de touristes venus découvrir cette curiosité régionale, la pente d’eau de Montech, soumise à des pannes à répétition, ne fonctionne plus qu'occasionnellement. Le remplacement des moteurs diesel du bouclier-moteur et la réfection des dispositifs de régulation de la pente nécessiteraient le déblocage d’un budget que Voies Navigables de France rechigne à affecter à un ouvrage dont l'utilité économique n’est plus avérée.

Reste que cet ouvrage technologique remarquable, témoin de la période de modernisation du canal latéral liée au transport de fret, attire encore aujourd’hui plus de 60 000 visiteurs chaque année ! Sa restauration afin de pérenniser son fonctionnement dans un objectif de valorisation touristique et de transport de fret, si les conditions économiques le permettaient à nouveau, devrait tout de même être engagée à l’horizon 2012.

[Photo : Aujourd’hui, bien que le tourisme fluvial ait pris un temps le relais en attirant un grand nombre de touristes venus découvrir cette curiosité régionale, la pente d’eau de Montech, soumise à des pannes à répétition ne fonctionne plus qu’occasionnellement.]
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