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Ingénierie financière en méthanisation

31 octobre 2013 Paru dans le N°365 à la page 27 ( mots)
Rédigé par : Lionel TRICOT

La méthanisation représente une somme de techniques simples mais qui demande une analyse pluridisciplinaire aux différents stades de développement en respectant l'enchaînement des étapes clés mêlant les éléments technique, juridique, contractuel et économique. Une ingénierie financière est donc à mettre en place afin de consolider son projet pour satisfaire aux critères bancaires et obtenir un dossier fiable pour les investisseurs. La définition des besoins sera le point d'entrée qui permettra de définir de façon exhaustive un compte d'exploitation prévisionnel. Cela passe par une mise en concurrence des constructeurs qui doit permettre la réflexion en coût global améliorant la gestion des risques. Ceux-ci seront appréhendés autant sur la qualité du porteur que de son projet, ce qui fixera le mode de financement et les modalités pour l'accès à l'emprunt. La consolidation du projet peut être assurée par des structures tierces, ce qui assurera la pérennité à la filière en plein essor.

RHÔNALPÉNERGIE-ENVIRONNEMENT (RAEE) est l’agence régionale de l’énergie et de l’environnement. De forme associative, elle est présente en région Rhône-Alpes depuis 33 ans pour le conseil des collectivités territoriales et les entreprises du tertiaire public en matière d’économies d’énergies, de promotion des énergies renouvelables, de protection de l’environnement et de mise en pratique du développement durable. Ses trois missions principales sont l'animation d’un centre de ressources et d’échanges, le conseil et l’accompagnement des collectivités et la mise en œuvre de programmes ou d'actions collectives sur un territoire. L’agence intervient dans le domaine de la méthanisation comme centre de ressources et en accompagnement de porteurs de projets. Une fois que ces derniers ont établi certaines bases comme l’approvisionnement en matières endogènes, des notions sur les débouchés énergétiques ou le foncier disponible, l'association est chargée de conseiller le maître d’ouvrage sur l'ensemble des domaines inhérents à la méthanisation : de l’organisation adaptée pour le montage de projet à l’analyse

[Photo : Figure 1 : Chronologie des étapes clés.]

Optimisation contractuelle

Modèles économiques

[Photo : processus d’itération pour l’optimisation du projet.]

du financement de projet en passant par la coordination des acteurs locaux.

Un projet de méthanisation bénéficie de contrats d’obligation d’achat de l’énergie, soit 15 années de recettes « assurées », si tant est que l'unité produise du biogaz en qualité et en quantité suffisante. Cet élément essentiel permet de s’inscrire dans la durée. Mais, bien que la méthanisation soit à forte consonance technique, un projet nécessite une ingénierie financière détaillée. Le montage de projets impose une hiérarchisation des actions représentée sur la figure 1. Chaque étape consolide la suivante, permettant l’optimisation du projet.

La définition des besoins

Un projet s’analyse simultanément sous les angles techniques, économique, juridique et contractuel. Il y a de nombreuses interactions entre ces domaines plus ou moins fortes selon la typologie de projet. Par exemple, un projet industriel sera d’autant plus solide si les familles de matière organique et les contrats sont adaptés au process (souplesse de l’alimentation, hygiénisation...).

Quel que soit le projet, de ferme ou industriel, le process devra être sécurisé. La disponibilité technique (nombre d’heures de fonctionnement annuel sur une année) est un des éléments qui conditionne la production de biogaz. Pour cela, il faut analyser le chemin critique d'une installation et réfléchir aux points faibles (pompes, vis d’alimentation,...) afin de constituer le stock de pièces essentielles (ou tout au moins savoir où s'approvisionner).

Une fois la technique et le mode de gestion définis, les modèles économiques, contractuels et fiscaux s’adapteront au projet. Une société de projet pourra être créée selon le chiffre d'affaires généré par l'unité et l’impact fiscal sur l’exploitation. Il n’y a pas de projet générique, les spécificités territoriales supposent un montage adapté. La logique de consultation impliquera le porteur de projet pour la bonne définition de son process et la réflexion en coût global (investissement et exploitation). La mise en concurrence permet donc de définir les choix techniques, le mode de gestion, les limites de prestations et les charges pour la maintenance, les périodes de garantie, les performances et les indicateurs associés... C'est bien l'ensemble de ces éléments qui sécurisera le futur gestionnaire du site et... le banquier.

L’exploitation

Définir un compte de résultat permet de se poser l'ensemble des questions essentielles pour la bonne gestion d’une unité de méthanisation. Pour les produits, il faut réfléchir au(x) mode(s) de valorisation du biogaz (vente d’électricité, de chaleur, de biogaz brut, de froid,...) et aux prestations associées (digestat, intrants, séchage...). Celles-ci doivent être complémentaires et cohérentes avec la production. L'horizon économique du compte d’exploitation se calant sur le contrat d’obligation d’achat de l'électricité ou de biométhane, il faut adapter les produits annuels selon les durées de contrats.

La prise en compte des charges de manière exhaustive se fait en analysant les flux du projet, de la sous-traitance à la gestion du retour au sol, jusqu’aux besoins en combustible d’appoint, tout doit être détaillé. Deux catégories de charges seront alors analysées : celles liées à la production et celles à honorer quel que soit le fonctionnement de l'unité. L'analyse des charges fixes est un paramètre important. Quelques postes vont impacter fortement le compte d'exploitation : la maintenance de la cogénération, le retour au sol et la gestion du site. En direct ou entièrement sous-traitée, celle-ci conditionnera les charges de conduite et de maintenance (marges intermédiaires, choix techniques, type d’investissement, impact sur l'amortissement,...). Un ratio intéressant consiste à comparer les charges aux produits (un rapport Charges/Produits < 0,5 semble le maximum).

Le financement...

Outre le montage et la conception d’un site de méthanisation, les maîtres d’ouvrage se heurtent généralement à une difficulté de taille, celle du financement. Quelle que soit la taille du projet, la phase de recherche de financement s'avère être une étape délicate et décisive, notamment en raison du coût élevé d’une unité de méthanisation. De quelques centaines de milliers à plusieurs millions d’euros, le coût de l'unité varie en fonction de la technologie et de la puissance choisies (quelques exemples en Rhône-Alpes : Chatelets 104 kWé : 800 k€, METHANEA 190 kWé : 1 500 k€, SIPER 1 780 kWé : 9 400 k€,...). Si les établissements financiers s’intéressent de plus en plus aux énergies renouvelables, la méthanisation reste encore un procédé méconnu, ce qui explique les difficultés d’accès à l'emprunt, en particulier sur de longues périodes (12 à 15 ans). Les structures bancaires sont frileuses à l’idée de prêter de l'argent pour le développement d'une technique qui leur semble complexe et dont la production paraît trop aléatoire. Basés sur des paramètres biologiques, les process de méthanisation comportent des risques bien plus élevés que l’éolien ou le solaire. Les attentes, et les besoins de justification, sont d’autant plus fortes. Les durées d’emprunt varient selon les équipements et le type de projet, de 7 ans pour le module de cogénération jusqu’à 12 ans pour les diges-

[Photo : légende : Figure 3 : Répartition type du financement de projets.]

Des solutions existent, certaines structures peuvent être de véritables alliés : OSEO, organisme parapublic, permet d’apporter une caution pour les banques du pool bancaire. Cela est un atout de taille pour la consolidation du dossier financier. Les outils d’analyse bancaire dits de « scoring » sont également disponibles afin de mieux appréhender les différents types de projets possibles et améliorent l’échange entre l’organisme de crédit et le porteur de projet.

… et les conditions à respecter

Afin de valider une demande d’emprunt, un banquier sera donc très attentif à une multitude de points qui concernent la partie technique mais également humaine. La qualification du porteur de projet et ses réseaux sont essentiels pour assurer une bonne gestion du site. Il est donc nécessaire de constituer une équipe projet (bureau d’études, maître d’œuvre, architecte, accompagnateur local, …) pour la phase de développement et de bien définir l’organigramme pour l’exploitation ainsi que des formations adéquates. Ce sont assurément deux pièces maîtresses d’un dossier de demande de crédit.

L’approche territoriale avec l’implication d’acteurs locaux (agriculteurs, industriels, élus ou investisseurs) est aussi une condition importante pour les établissements bancaires. La taille du projet impacte le mode de financement retenu par les banques ou le pool bancaire (> 2 M€). En mode projet, c’est en effet la description de la technologie sélectionnée, le détail des contrats de construction, d’exploitation et de maintenance, l’identification des débouchés pour la chaleur qui représentent les critères décisifs pour l’obtention d’un prêt. En mode dit « corporate », l’analyse porte plus sur la solidité du porteur de projet (notions de garantie et d’hypothèque) ; les unités de moins de 250 kWé seront concernées par ce mode.

Des structures d’investissement

Autre critère important pour le développement des projets : les fonds propres. En général, pour des projets à la ferme, il est demandé au porteur de posséder 15 à 20 % de l’investissement de départ. Certains projets de plus petites tailles n’en ont pas eu l’utilité notamment pour les financements de type corporate car ils ont souvent pu bénéficier d’aides conséquentes (en pourcentage). Mais ces fonds propres peuvent atteindre 30 à 40 % pour les unités industrielles dont l’exploitation est davantage risquée. Il devient nécessaire de rechercher des investisseurs afin de consolider le projet. Ceux-ci peuvent être de différentes origines, en lien avec l’amont comme la collectivité ou le collecteur de déchets, avec l’aval comme l’industriel, utilisateur de chaleur, ou avec le process, comme le constructeur… L’investisseur doit être vu comme un élément permettant de sécuriser le projet d’un point de vue économique mais aussi organisationnel.

Les aides sont aussi une ressource permettant d’augmenter la part de fonds propres. Elles sont conditionnées à la qualité du projet et apportent un soutien pour crédibiliser le projet auprès des financeurs (analyse du projet sous les angles énergétique, territorial, agronomique, …). Ces subventions peuvent provenir de l’ADEME, des Conseils régionaux et départementaux, à hauteur de 10 % pour les installations industrielles et jusqu’à 30 % pour des sites à la ferme.

Pour la mise en place d’unités de type industriel ou territorial, les porteurs de projets peuvent également faire appel à la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC) qui permet d’apporter une compétence et un savoir-faire reconnu, ce qui peut renforcer le projet. Forte de nombreuses expériences en ENR, elle participe au développement de projets de territoire impliquant de nombreux acteurs locaux, agissant comme un « facilitateur » entre les différents mondes. Des fonds plus régionaux sont également mobilisables selon les régions comme le futur fonds de l’opérateur OSER en Rhône-Alpes.

De nombreuses solutions sont donc disponibles pour le montage de projets et des retours d’expériences sont maintenant transférables. Cela permet de mieux appréhender l’ingénierie financière, assurément le meilleur moyen de rapprocher un compte d’exploitation prévisionnel de la réalité.

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