Afin de limiter ce problème, la réglementation s'est renforcée en 1994. Depuis, beaucoup de stations de traitement des eaux résiduaires se sont vues dans l'obligation de mettre en place un traitement du phosphore. Deux types de procédés existent : le traitement physico-chimique par précipitation du phosphore, qui est plus spécifiquement utilisé dans les petites installations, et le traitement biologique, qui ne peut être utilisé seul puisqu'il ne permet pas de satisfaire la réglementation. Un traitement combiné permet alors d'obtenir une concentration en phosphore répondant aux normes de rejet et une quantité de boues produites optimisée.
Le phosphore présent dans les eaux usées domestiques provient essentiellement des produits détergents. La quantité de phosphore rejetée par habitant est comprise entre 2 et 5 g par jour, ce qui correspond à une concentration de 7 à 25 mg/l dans les effluents domestiques admis dans les stations d'épuration. L'arrêté du 20 novembre 2001 donne la valeur par défaut à retenir pour les effluents urbains, qui est de 4 g de phosphore par équivalent habitant (E.H.) et par jour.
Le phosphore contenu dans les effluents urbains et non traité conduit à une augmentation du phosphore dans les cours d'eau et les lacs. Le phosphore est alors en partie responsable, avec l'azote, de la prolifération anarchique des algues entraînant une surconsommation de l'oxygène dissous dans l'eau.
Bien que des actions soient en cours chez les lessiviers pour diminuer la quantité de phosphates entrant dans la fabrication des détergents, il est nécessaire de limiter l'apport en phosphore dans les milieux récepteurs sensibles par, en particulier, la mise en place d'un traitement spécifique au niveau des stations d'épuration.
La réglementation
Les concentrations de phosphore maximales admissibles dans les rejets des sta
Tableau 1 : Extrait de l'arrêté du 22/12/1994, concernant le niveau de rejet admis en fonction de la charge brute de pollution (DBO₅)
Charge brute de pollution organique reçue (kg DBO₅/j) |
Rendement minimum |
Concentration maximale |
600 à 6 000 |
80 % |
2 mg/l |
> 6 000 |
80 % |
1 mg/l |
Les stations d'épuration urbaines sont réglementées par l'arrêté du 22 décembre 1994, dans le cas de capacités supérieures à 10 000 E.H. Le tableau ci-dessus récapitule les exigences en moyennes journalières, qu'il s'agisse de rendement ou de concentration. Pour des capacités inférieures à 600 kg/j de DBO₅, il faut se référer aux arrêtés préfectoraux concernant la qualité des rejets, qui sont d'autant plus contraignants que le milieu récepteur est sensible.
La déphosphatation physico-chimique, un traitement adapté aux petites installations
Le traitement physico-chimique du phosphore est la méthode la plus pratiquée en France, où elle est utilisée dans plus de 80 % des cas. Ce traitement consiste à précipiter les phosphates par injection de sels de fer (et en particulier, le chlorure ferrique qui est le plus couramment utilisé), de sels d'aluminium ou de chaux. Cette injection peut se faire à l'arrivée des effluents ou dans le bassin biologique (désignés respectivement par : pré et co-précipitation), ou bien encore, en traitement tertiaire, après la clarification secondaire (post-précipitation).
On obtient alors des précipités insolubles de phosphates métalliques, comme le montre, par exemple l'équation de la réaction de précipitation chimique à l'aide de chlorure ferrique :
Fe³⁺ + PO₄³⁻ → FePO₄
Cette équation permet de déterminer stœchiométriquement la quantité théorique de réactif nécessaire pour la précipitation chimique du phosphore dissous, mais il faut tenir compte :
- des réactions « parasites » car les réactifs utilisés peuvent réagir avec d'autres composés chimiques et matières colloïdales présents dans l'effluent à traiter ;
- de la position du point d'injection du réactif dans la filière de traitement de la station d'épuration.
Ainsi, au lieu de considérer un rapport molaire théorique Fe/P₄ précipiter de 1, on admet en général un rapport compris entre 1 et 1,7 pour atteindre un rendement d'élimination de 80 %. Pour le dimensionnement des installations, le choix du rapport molaire à appliquer est réalisé au cas par cas en tenant compte du fait que plus la concentration en phosphore à traiter est faible, plus le rapport molaire augmente pour atteindre un même rendement. Le dosage optimal est ensuite affiné en fonction des conditions réelles d'exploitation, afin d'atteindre le rendement d'élimination recherché.
La précipitation réalisée en pré ou co-précipitation permet d'atteindre aisément une concentration finale en phosphore inférieure à 2 mg/l d'effluents épurés. Pour atteindre une concentration inférieure à 1 mg/l, il y a lieu de s'assurer que le rendement du clarificateur secondaire permet d'obtenir une concentration en MES très faible car celle du phosphore particulaire lui est associée. En outre, cette efficacité doit être maintenue quelles que soient les conditions d'exploitation. Généralement, la mise en place d'un traitement tertiaire (post-précipitation) constitue une garantie certaine pour l'obtention d'une concentration en phosphore inférieure à 1 mg/l, mais elle oblige à prévoir un nouvel étage de décantation des MES avant rejet.
En terme d'exploitation, la précipitation physico-chimique possède l'avantage de ne pas dépendre d'un processus biologique particulier. À ce titre, elle constitue un procédé simple à mettre en œuvre, insensible à la température et ajustable en fonction des fluctuations occasionnelles de la concentration en phosphore des eaux brutes. Par contre, elle représente une surproduction en boues généralement comprise entre 15 % et 40 % par rapport à la production de boues issues du seul processus biologique. Dans la plupart des cas, cette surproduction est économiquement inacceptable pour les stations de grande capacité.
La déphosphatation biologique, un traitement plus adapté aux grandes installations
Le métabolisme des bactéries fait intervenir le phosphore au niveau de la synthèse cellulaire et des phénomènes régissant le stockage ou l'utilisation de l'énergie. Schématiquement, le stockage d'énergie par une bactérie se traduit par un appauvrissement du milieu en phosphore. À contrario, l'utilisation d'énergie entraîne une augmentation de la concentration en phosphore dans le milieu (voir figure 1).
Parallèlement à ces phénomènes, il a été mis en évidence que le stress des bactéries par manque d'oxygène dissous (conditions anaérobies) conduit à une suraccumulation du phosphore dès que les bactéries retrouvent un milieu riche en oxygène (conditions aérobies).
Le traitement biologique du phosphore passe donc par la mise en œuvre d'une alternance de conditions aérobies et anaérobies auxquelles est soumise la biomasse déphosphatante. Dans la plupart des conceptions, le bassin biologique possède alors deux zones qui se succèdent, l'une en anaérobiose et l'autre en aérobiose (voir figure 2).
La recirculation des boues en tête du bassin biologique permet de placer les bactéries en conditions de stress. Elles ont alors tendance à suraccumuler le phosphore dans le compartiment aérobie.
[Figure : représentation schématique du stockage ou de l'utilisation du phosphore par les bactéries en fonction du milieu]
Les points clés de la déphosphatation biologique sont les suivants :
- le rapport DBO5/P doit être supérieur à 30/1. La mise en place de la zone anaérobie en début de bassin de traitement biologique permet de s'assurer de la richesse du milieu en substrat carboné ;
- la zone anaérobie doit être convenablement mélangée, sans risque de réintroduction d'oxygène dans l'effluent. La concentration en oxygène dissous dans la zone aérobie doit, quant à elle, être maintenue à une valeur d'au moins 2 mg O₂/l ;
- les nitrates ont une action inhibitrice sur la biomasse ; s'ils sont présents en trop forte concentration (conditions anoxiques), la dénitrification est favorisée aux dépens de la déphosphatation ; il est alors nécessaire de prévoir le traitement poussé de l'azote dès que le traitement biologique du phosphore est envisagé ;
- le temps de séjour dans la zone anaérobie est généralement compris entre 4 et 6 heures au débit moyen entrant.
[Photo : Figure 2 : schéma de la filière classique de traitement biologique du phosphore]
Bien conduite, la déphosphatation biologique permet d'atteindre un abattement du phosphore généralement situé entre 50 et 60 %. Pour atteindre le rendement minimum de 80 % imposé par la réglementation, cette technique est généralement combinée à une déphosphatation physico-chimique. Celle-ci est alors mise en œuvre en sortie de bassin biologique ou en post-précipitation. Il est à noter que la surproduction de boues liée à la seule déphosphatation biologique est généralement négligeable par rapport à celle obtenue par le procédé physico-chimique.
La déphosphatation biologique est un procédé particulièrement délicat à mettre en œuvre. Ses performances dépendent du suivi régulier et rigoureux des paramètres qui contribuent à l'efficacité du processus biologique (température, concentration en oxygène dissous...). Ce suivi ne peut être assuré que par la présence permanente d'agents d'exploitation, ce qui est rarement le cas sur les petites stations. Outre le fait que cette technique permet de limiter la production de boues liées à l'élimination du phosphore, elle reste la mieux adaptée aux installations de capacité généralement supérieure à 10 000 E.H., mais le choix de sa mise en œuvre dépend du contexte et des contraintes locales.
Le phénomène du relargage du phosphore : une problématique liée à la déphosphatation biologique
Le phénomène de relargage du phosphore se produit dès lors que la biomasse déphosphatante, issue du bassin biologique, est replacée en conditions anaérobies. Ces conditions peuvent survenir :
- au niveau de la filière « eau » : le temps de séjour des boues devient trop important dans l'étage de clarification secondaire, par manque de soutirage des boues pour la recirculation et/ou l'extraction vers la filière de traitement des boues ;
- au niveau de la filière « boues » : à toutes les étapes de traitement conduisant à des temps de séjour élevés, sans admission d'oxygène. Ce peut être notamment le cas au niveau des étapes d'épaississement ou de stockage tampon des boues.
Le relargage du phosphore conduit à un enrichissement en phosphore de la fraction liquide (effluents clarifiés admis à l'exutoire, retours en tête des eaux provenant de la filière « boues ») et donc à une baisse du rendement d'élimination, voire même à des non-conformités du rejet vis-à-vis du phosphore.
La problématique du relargage du phosphore doit être considérée et traitée dès la conception :
- la technologie adoptée pour la reprise des boues au fond du clarificateur secondaire (ponts suceurs) et le débit de soutirage doivent permettre de réduire au maximum le temps de séjour des boues dans cet ouvrage ;
- tout risque de relargage du phosphore sera limité en mettant en œuvre soit un épaississement des boues par flottation ou par un équipement mécanique (table d'égouttage...), soit une déshydratation réalisée directement à partir des boues issues de la filière « eau », soit encore par mise en place d'un dispositif d'aération au niveau des stockages de boues « longue durée ».
Conclusion
Les procédés physico-chimiques sont les plus utilisés, car ils sont simples à mettre en œuvre, en particulier lors de la mise aux normes d'une station d'épuration existante. Ils permettent à eux seuls l'obtention des abattements requis sur le phosphore, entraînant cependant une production supplémentaire de boues physico-chimiques pénalisante.
La déphosphatation biologique présente l'avantage majeur de limiter la production de boues mais implique la mise en place d'une filière de traitement limitant au maximum le risque de relargage. Elle est toujours couplée à une déphosphatation physico-chimique pour atteindre le rendement d'élimination désiré.
Quant à l'aspect financier, on estime que la déphosphatation biologique représente 1 à 2 % des coûts totaux d'exploitation, alors que la précipitation physico-chimique en représente 15 %. L'utilisation d'un procédé combiné permet de réduire cette part à 7,5 %.
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