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L'oxydation thermique des boues résiduaires: principe et perspectives

30 decembre 1997 Paru dans le N°207 à la page 42 ( mots)
Rédigé par : Eric GUIBELIN

L'oxydation thermique des boues d'épuration est la solution qui répond le mieux aux critères de réduction de volume et d'hygiènisation. En effet, quelle que soit la technique de combustion utilisée, les boues sont complètement minéralisées et les germes pathogènes totalement détruits. On distingue aujourd'hui deux grands principes d'oxydation appliqués aux boues : l'oxydation en phase gazeuse, autrement dit l'incinération, et l'oxydation en phase liquide, ou oxydation par voie humide : OVH.

Les nouvelles lois sur l’eau promulguées par les parlements européens et exprimées en droit français par le décret du 3 juin 1994 vont se traduire simultanément par une densification du traitement des eaux et par un niveau poussé d’épuration. Corrélativement, c’est donc une masse de plus en plus importante de boues qu’il conviendra de traiter dans les prochaines années suite à l’amélioration de la collecte des eaux usées, à l’augmentation des rendements de dépollution, notamment vis-à-vis du phosphore.

L’impact législatif sur la production de boues

Ainsi, la quantité annuelle de boues produites en France doit atteindre 1 300 000 tonnes à l’horizon 2005. Au niveau de l’Union Européenne, les prévisions font état d’une croissance similaire comme le montre le tableau I.

En outre, si l’on tient compte des boues

Tableau 1 : Perspectives d’évolution de la production de boues en Europe

année 1995 2000 2005
millions de TMS (tonnes de matières sèches) 6,5 8,9 10,1

(Oxydation par Voie Humide).

d’origine industrielle, il convient pratiquement de doubler les quantités à évacuer.

Par ailleurs, l’interdiction de la mise en décharge de déchets non ultimes en 2002 et l’application du décret du 8 décembre 1997 sur l’épandage de boues (qui doit remplacer la norme NFU 44041) vont rendre incontournable l’oxydation thermique des boues d’épuration pour certaines collectivités locales. Si aujourd’hui près de 20 % des boues sont traitées thermiquement en France, cette voie d’élimination devrait augmenter considérablement dans quelques années pour atteindre 40 %, voire plus.

Les techniques d’oxydation thermique permettent un traitement ultime de la boue. Elles détruisent les matières organiques (assimilables aux matières volatiles) et restituent une très petite quantité de sous-produit minéralisé.

L’oxydation peut se faire soit classiquement en phase gazeuse, on parle alors d’incinération ou de co-incinération lorsque les boues sont introduites dans des incinérateurs d’ordures ménagères, soit en phase liquide sous pression, ce qui fait l’objet d’une nouvelle technique d’oxydation appelée O.V.H.

L’incinération

Compte tenu de l’image négative héritée de la révolution industrielle, il peut être préférable de parler de valorisation thermique des boues dans la mesure où un équivalent habitant représente une puissance thermique de l’ordre de 10 à 15 W, soit un gisement de 100 kWh/an par habitant !

Il existe 2 grandes voies d’incinération des boues :

  • - l’incinération des boues seules dans un four spécifique implanté sur le site de la station d’épuration (incinération en solo) ;
  • - la co-incinération avec des ordures ménagères (OM) dans un four prévu à cet effet.

Quelle que soit la solution choisie, une unité d’incinération doit comprendre des systèmes annexes de traitement des fumées et des cendres produites par la combustion.

L’incinération des boues seules

Technologie

À l’heure actuelle, la plupart des incinérateurs à boues disponibles sur le marché sont du type « à lit fluidisé » (voir figure 1) pour de multiples raisons :

  • - une grande facilité d’exploitation, liée à une maintenance réduite et à une automatisation poussée,
  • - des performances remarquables en ce qui concerne les émissions de fumées grâce à une combustion efficace (« règle des 3 T » : Turbulence, Température, Temps de séjour) permettant d’atteindre les normes les plus sévères après traitement des fumées,
  • - une grande compacité,
  • - l’absence de pièces mécaniques,
  • - une grande inertie thermique conférée par le lit de sable.

Un compromis technico-économique lié aux caractéristiques thermiques du déchet à incinérer (boue, graisse, refus…) permet de moduler la taille de l’échangeur fumées/air selon la température boîte à vent (BAV) désirée. Dans certains cas, la chaleur dégagée par la combustion est telle (cas d’un four à graisse) qu’il n’est pas nécessaire de préchauffer l’air. Inversement, la mise en place d’un sécheur partiel dont les calories sont fournies par le four permet l’autocombustibilité d’une boue à faible pouvoir calorifique.

Un briquetage du four limite les déperditions thermiques et la température de peau à moins de 70 °C.

Les boues pâteuses sont introduites par une pompe à matières épaisses (type pompe à béton) au niveau d’un lit de sable en fluidisation où elles sont divisées et mises intimement en contact avec l’air sortant de la voûte. Une post-combustion en partie supérieure du réacteur (freeboard) achève l’oxydation complète au-dessus de 850 °C pendant plus de 2 secondes, ainsi que l’exige la législation.

En sortie, les fumées de combustion subissent un premier refroidissement (vers 550-600 °C) en passant dans un échangeur (réchauffeur). Inversement, l’air est préchauffé dans cet échangeur pour être injecté dans la boîte à vent à une température généralement comprise entre 500 et 600 °C. L’air passe ensuite à travers la voûte par des tuyères calibrées permettant une bonne fluidisation du lit de sable et une répartition optimale du comburant. Les fumées peuvent éventuellement subir un second refroidissement (économiseur) soit pour récupérer des calories destinées à alimenter un sécheur par exemple, soit parce que la filière de traitement des fumées en aval l’exige (cas d’un dépoussiéreur sec). Après ce traitement, les fumées sont rejetées à l’atmosphère avec

[Photo : Figure 1 : Schéma de principe d’un four PYROFLUID 1. Boîte à vent chaud ; 2. Voûte ; 3. Lit de sable ; 4. Chambre de combustion (foyer) ; 5. Evacuation des gaz de combustion ; 6. Echangeur récupérateur de chaleur]

Tableau II : Arrêté du 25 janvier 1991

(en mg/Nm³ sur fumées sèches)

Débit horaire humide à traiter

< 1 t/h1 à 3 t/h> 3 t/h
HC (C total)202020
Poussières200100 en moy. horaire et 150 à 50 % sur 24 h30
HCl25010050
HF50202
SO₂300300300
O₂ (%)11

Métaux lourds :

< 1 t/h1 à 3 t/h> 3 t/h
Pb + Cr + Cu + Mn555
Ni + As111
Cd + Hg0,20,20,2

une vitesse suffisante. Dans certains cas, un traitement anti-panache est demandé afin de prévenir toute condensation locale.

Comme tout procédé thermique, il est recommandé de faire fonctionner le four en continu. En effet, en cas d’arrêts longs et intempestifs, les gaz acides peuvent se condenser sur les échangeurs entraînant ainsi des corrosions. C’est une raison de plus pour limiter la présence de chlorures dans les boues.

L’autocombustibilité est généralement recherchée sur ce type d’équipement. Celle-ci peut être obtenue de diverses manières :

  • - soit en remontant la siccité de la boue entrante en utilisant des centrifugeuses « haute performance » ;
  • - soit en séchant préalablement la boue à une valeur de l’ordre de 35 % à l’aide d’un sécheur couplé thermiquement au four (récupération de calories sur l’économiseur) ;
  • - soit en augmentant la température de l’air entrant dans la boîte à vent (BAV) en calculant une surface suffisante sur le réchauffeur.

À bilan thermique sensiblement égal, un four seul équipé d’une BAV chaud est préférable à un couplage sécheur/four en termes de coûts d’investissement, de maintenance et de fiabilité, la chaîne de conversion thermique étant simplifiée. En effet, dans la pratique, le couplage sécheur/four demande de mettre en place de multiples récupérations de chaleur ce qui pénalise le rendement thermique global d’un tel dispositif par rapport au simple four en BAV chaud équipé d’un seul préchauffeur d’air.

Le traitement des fumées

Législations en vigueur :

Il n’existe pas de normes spécifiques aux fumées d’incinérateurs à boues urbaines. Aussi l’usage est-il de s’aligner sur les normes relatives à l’incinération des OM (traduites en droit français par l’arrêté du 25 janvier 1991). Toutefois, la pression de pays plus pointilleux peut nous amener, si les boues sont définies comme des déchets spéciaux, à respecter dans l’avenir la norme européenne (traduite par le décret français du 10 octobre 1996) inspirée des normes allemandes (BIMSch V90), voire néerlandaises. Les tableaux II et III rappellent ces différents niveaux.

En principe, la qualité des boues urbaines et la technologie du four à lit fluidisé ne nécessitent pas un traitement des fumées extrêmement poussé (peu de NOx et quasi absence de dioxine), à moins d’avoir des teneurs élevées en mercure, car celui-ci est très volatil. C’est pourquoi il est conseillé, afin de répondre aux normes les plus sévères, de mettre en œuvre un traitement combiné de type HELIOL® décrit dans la figure 2.

Traitement et valorisation des cendres

De par l’absence de mâchefers dans ce type d’incinération, les cendres volantes représentent environ 30 % des matières sèches (MS) introduites.

L’arrêté sur les déchets ultimes du 18 décembre 1992 porte essentiellement sur les 2 points suivants :

  • - critères de stabilisation ;
  • - composition admissible des lixiviats.

Afin de répondre au renforcement prévisible des normes, on peut envisager, outre l’épandage agricole (si la boue obéit à la norme NFU 44041 et si la DRIRE locale le permet), différentes formes de traitement et de valorisation :

  • * une valorisation des cendres sous forme valorisable de filler pour béton (procédé FLUOFILL®, sous réserve que la concentration en chlorures n’excède pas 0,1 %) ;
  • * une valorisation dans le béton de parpaing ;
  • * un inertage :
    •  - par enrobage dans une matrice minérale (ciment) ou organique thermodurcissable : résine, déchets plastiques (principalement PE) après tri et broyage des déchets, puis mélange et extrusion (procédé SGE Environnement PLASTIBLOC® appliqué sur le site de Grenoble).

On peut inclure jusqu’à 40 % de cendres dans une formulation de béton (sur humide) et 55 % sur un enrobage plastique.

[Photo : Figure 2 : Traitement des fumées par le procédé HELIOL®]

déchets ainsi obtenus satisfont aux normes.

  • - par vitrification à haute température (> 1 300 °C), mais les coûts sont encore rédhibitoires ;
  • - une utilisation en remblai routier selon les dispositions de la circulaire du 16 janvier 1996.

Il convient en outre de traiter les liqueurs de récupération des composés acides par un traitement de neutralisation suivi éventuellement d’une filtration.

La co-incinération avec les ordures ménagères (OM)

Cette solution doit être examinée sous certaines conditions :

  • - mitoyenneté du four à OM : la distance entre la station d’épuration et le four d’OM peut en effet s’avérer dissuasive en terme de coût de transport ;
  • - technologie du four permettant l’implantation des injecteurs ;
  • - bilans massiques et thermiques favorables.

Trois modes d’introduction des boues dans un four à OM sont possibles :

  • • introduire les boues à l’état sec (> 90 % MS) dans la fosse de réception des OM. Cette solution nécessite de procéder préalablement à un mélange aussi intime que possible dans la fosse entre les OM et les boues ;
  • • introduire les boues dans un état partiellement sec, proche de celui des OM (65 % MS) dans la trémie d’alimentation du foyer ;
  • • introduire les boues à l’état déshydraté (15 à 35 % MS) directement dans le foyer.
[Figure : Principe de l’injecteur PYROMIX®]

Principe de fonctionnement :

les boues sont dispersées sur le tapis d’OM dans la zone de combustion du four. Elles ne doivent perturber en aucun cas le bon fonctionnement de l’incinérateur, c’est-à-dire ne pas déséquilibrer le bilan thermique, ni augmenter la teneur en imbrûlés des mâchefers ou des REFIOM (cendres volantes). L’injecteur PYROMIX® réalise une dispersion de la boue sous forme de gouttelettes permettant, par une surface d’échange accrue, un séchage puis une combustion rapide de la boue. Il est en effet déconseillé de déverser directement des boues sur le tapis d’OM afin de ne pas perturber la combustion de ces dernières. La conception de cet injecteur comprend un système automatique de réglage du niveau d’air sous la forme d’une tige amovible permettant une dispersion optimisée de la boue associée à une fonction de débourrage. En outre, il est possible de l’adapter à la majorité des fours.

Thermiquement, les bilans instantanés seront respectés en considérant la boue comme un fluide de refroidissement à débit asservi à la marche du four. L’incinération des OM demeure donc la fonction principale et prioritaire. Dans la pratique, la proportion boue/OM varie entre 10 et 20 % dans le foyer.

C’est la solution retenue par le procédé PYROMIX® décrit dans la figure 3. Elle présente évidemment l’avantage d’induire un coût d’investissement moindre par rapport aux autres solutions puisque la boue déshydratée est injectée directement par pompage et ne nécessite pas de séchage préalable. En revanche, la forte humidité des boues impose pratiquement de limiter l’apport de boues déshydratées à une valeur comprise entre 10 et 20 % du total exprimé en tonnages humides.

L’oxydation par voie humide (OVH)

À la différence de l’incinération, l’oxydation par voie humide réalise la minéralisation de la boue directement en phase aqueuse pressurisée, évitant ainsi l’évaporation de l’eau, l’émission de poussières et de gaz acides. Ainsi l’oxydation par voie humide peut-elle être qualifiée : « incinération sans flamme ».

À 240 °C et sous une pression de 50 bar, et avec un temps de séjour de 30 à 60 min, le procédé ATHOS® récemment développé transforme les boues en :

  • - un résidu solide minéral à 50 % de siccité et contenant moins de 5 % de matières organiques, qui présente l’avantage (comparativement aux cendres de l’incinération par exemple) d’une quasi-absence de métaux lourds lixiviables ;
  • - une solution aqueuse avec une DCO soluble biodégradable ;
  • - des fumées contenant les gaz de combustion sans poussières et sans émissions acides.

Par rapport à l’incinération, ATHOS® présente les avantages suivants :

  • - une diminution des émissions de CO d’environ 50 % et de NOx supérieure à 90 % ;
  • - absence d’émissions de poussières et de dioxines et de furanes ;
  • - l’équilibre thermique est atteint avec des boues épaissies à 40 g/l de MS à une température de traitement de 240 °C, à la différence de l’incinération qui requiert une déshydratation à 25 voire 30 % de siccité et une température de l’ordre de 900 °C ;
  • - le recyclage d’une fraction de la matière organique des boues comme substrat carboné utilisable en dénitrification biologique ;
  • - une importante flexibilité et une grande compacité.

Ce procédé, en cours d’industrialisation per-

Tableau III : Normes BImSch V90 allemandes (en mg/Nm³ sur fumées sèches)

Moyenne d’échantillonnage Journalier 1/2 heure Instantané
HC (C total) 10 20
Poussières 10 30
CO 50 100
HCl 10 60
HF 1 4
SO₂ 50 200
NOx 200 400
Dioxines (équiv. toxicité) 0,1 0,15
Total métaux 0,5 0,5
Hg 0,05 0,05
Cd + Tl 0,05 0,05

mettra prochainement de proposer aux stations moyennes de 50 000 à 150 000 EqH, une valorisation thermique des boues, techniquement et économiquement compétitive par rapport à une incinération classique ou à une filière de co-incinération couplée à un séchage thermique total ou partiel.

Conclusion

Les techniques d’oxydation thermique des boues sont à l'heure actuelle parfaitement maîtrisées. Plusieurs dizaines de fours à lit fluidisé PYROFLUID® sont mis en œuvre dans le monde entier. L'incinération permet une réduction considérable des volumes de boues à éliminer dans le plus grand respect de l’environnement grâce au traitement poussé des fumées. L’oxydation par voie humide limite quant à elle les émissions gazeuses et ne nécessite pas d’installations de traitement des fumées spécifiques et volumineuses. Le renchérissement du coût de la dévolution agricole, ou plus brutalement son interdiction locale favoriseront inévitablement les techniques d’élimination thermique.

[Encart : Références bibliographiques Ouvrage collectif - Traiter et valoriser les boues - Collection OTV N° 2 - Technique et Documentation Lavoisier - (octobre 1997) - ISBN 2-9511059-0-8 Guibelin E. Nouvelles stratégies en traitement des boues - p. 11 - L'Environnement n° 37 (janvier-février 1994) Luck F., Bonnin C., Niel G., Naud G. - Supercritical vs. subcritical water oxidation of biosolid. A comparative survey of by-products - 7 pages - Jacksonville USA 1st international workshop on supercritical water oxidation (février 1995) Crétenot D. L'incinération en solo des boues d'épuration. Colloque EFE 5-7/07/95. Assainissement : quelles solutions juridiques, techniques et financières adopter. Jarosz J. Incenerimento dei fanghi in forno a letto fluido « Pyrofluid ». Giornate di studio europee. Venezia, 19-20/03/92. Isambert. Traitement des boues organiques : oxydation par voie humide. Récents Progrès en Génie des Procédés - Volume 9 - 1995 - N° 43 pp. 55-60.]
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