Le digestat est la partie résiduelle de la matière organique après digestion. Il est destiné à retourner au sol, pour lui apporter ainsi qu'aux plantes les éléments qui le composent. Cependant, il peut y revenir sous des formes physiques et chimiques variées, selon les traitements appliqués, et sous différents statuts juridiques. Nous nous proposons ici d'aborder le retour au sol des digestats en France. Quelles sont les traitements appliqués et pourquoi ? Comment les lois nationales et européennes encadrent leurs utilisations ?
La gestion du digestat en France
Après digestion, la matière restante est principalement composée d’eau, d’éléments minéraux issus de la dégradation de la matière organique et de matières organiques non biodégradables (lignine, hémicellulose...) ou encore non dégradées.
Sa teneur importante en eau (environ 80/90 %) exige de grandes capacités de stockage et de transport. La présence de minéraux directement assimilables par les plantes et de matière organique lui confère la double propriété d’engrais et d’amendement. Les traitements du digestat peuvent donc faciliter sa gestion, par élimination d’éléments comme l’eau, et par séparation ou concentration des autres selon leurs qualités agronomiques. Ces traitements permettront de faciliter le stockage, l’épandage ou le transport du digestat, et de piloter plus finement la fertilisation. Enfin, étant donné la législation actuelle, le traitement peut être appliqué afin d’obtenir un produit commercialisable sur le marché.
Plusieurs traitements applicables aux digestats sont aujourd’hui connus et documentés. Le digestat brut peut être épandu tel quel, être séché ou subir une séparation de phase par presse à vis ou centrifugation. Les deux phases obtenues peuvent également être transformées. Les traitements les plus poussés aboutissent à séparer les éléments fertilisants majeurs que sont l’azote, le phosphore et le potassium et obtenir différents lots où ces éléments se retrouvent plus ou moins concentrés et sous différentes formes (liquide, solide, gazeux).
Les données collectées par l’Association des Agriculteurs Méthaniseurs de France (AAMF) auprès de ses adhérents nous donnent un aperçu des traitements utilisés sur 17 installations de méthanisation agricole françaises mises en route avant janvier 2012. Deux tiers des 110 000 m³ de digestats concernés sont directement épandus et un tiers subit une séparation de phase. Ensuite, 89 % du volume des digestats ayant subi une séparation de phase sont directement épandus. Les traitements plus
Poussés sont l'évapo-concentration de la phase liquide, le séchage suivi ou non de la granulation de la fraction solide et son compostage.
Si l'on s'intéresse aux sites identifiés par l'Ademe au stade projets, la moitié des installations à la ferme prévoit de traiter le digestat. Pour un peu plus des deux tiers d'entre elles, il s’agira d'une séparation de phase, et pour les autres du séchage du digestat brut. Pour leur part, toutes les unités centralisées prévoient un traitement, la séparation de phase en grande majorité. Cette séparation pouvant être suivie d'une évapo-concentration, d'une osmose inverse ou d'un compostage.
Les onze sites d’ordures ménagères en fonctionnement fin 2013 compostent leur digestat.
Encadrement réglementaire du retour au sol
Le retour au sol du digestat est motivé par sa valeur nutritive. Comme toute matière fertilisante, il est donc encadré par la loi, et notamment l'article L255-2 du Code Rural. Cet article présente les différentes voies d'utilisation pour ces matières : plan d'épandage, homologation, norme…
La plus utilisée pour les digestats est le plan d’épandage. Ce plan fait partie du dossier Installation Classée pour la Protection de l'Environnement (ICPE), il est donc rédigé en amont de la mise en service de l’installation. Il comprend la carte des parcelles concernées et l'identité des prêteurs de terres. Ensuite, l'exploitant devra fournir chaque année les documents suivants : programme prévisionnel d’épandage, le registre où sont enregistrés les épandages réellement effectués et le bilan annuel agronomique. Dans le cadre de l'épandage, le digestat ne pourra être utilisé que sur les parcelles inscrites au plan d'épandage de l’installation, dans les conditions décrites dans celui-ci et conformément à la législation régissant l’épandage. Le digestat est alors un déchet, son producteur en est responsable jusqu’au retour au sol. Ce cadre rigide est contraignant pour les installations puisque l'utilisation sur de nouvelles parcelles du digestat nécessitera modification du plan d’épandage, qui est une procédure relativement lourde et longue.
L'homologation est une seconde possibilité. Il s'agit d’obtenir une autorisation de mise sur le marché pour un digestat uniquement, de la part du Ministère de l'Agriculture. Pour cela, un dossier doit être déposé auprès de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (Anses) où est démontré l'intérêt agronomique, l'innocuité de la matière fertilisante, ainsi que son homogénéité et son invariance de composition. Le Ministère de l’Agriculture, qui a reçu l'avis de l’Anses, décide d’accorder ou non l’homologation à la matière qui pourra être mise sur le marché pendant 10 années (renouvelables). Le digestat homologué obtient le statut de produit, la responsabilité du producteur incombe alors au producteur et les obligations de traçabilité s'en trouvent allégées. Le coût du montage du dossier est évalué à 25-35 k€, auxquels il faut ajouter la taxe de dépôt à l’Anses, de 6 k€. Le traitement du dossier par l’Anses nécessitera au minimum 6 mois.
Le programme Valdipro, dont l’objectif
est de faciliter la mise sur le marché des digestats, s'est particulièrement penché sur l'homologation. La campagne d'analyse réalisée ainsi que l’accompagnement de dépôts de dossier a abouti sur la rédaction de guides sur la mise en marché et de synthèses sur les caractéristiques des digestats qui aideront les futurs pétitionnaires. Quatre dossiers ont été déposés en 2013 et trois (provenant du même site) ont obtenu leur homologation début 2014. Ces trois dossiers concernaient : la fraction solide de la séparation de phase du digestat, GeoNorgP ; le retentat d'ultrafiltration de la fraction liquide du digestat : Retexia-NK ; et le concentrat d’osmose inverse du filtrat d'ultrafiltration : Fertixia-NKS.
Depuis mars 2013, il est également possible de déposer un dossier pour plusieurs digestats provenant de différents sites s'ils sont produits dans des conditions et ont des caractéristiques finales identiques.
Enfin, le produit peut être mis sur le marché conformément à une norme. Pour cela, il doit correspondre (par son mode de production et ses caractéristiques) à une norme existante. En France, seul le digestat composté est présent dans des normes : la norme amendement organique (NFU 44 051) et celle pour les composts contenant des Matières d'Intérêt Agronomique issues du Traitement des Eaux (NFU 44 095). Cependant, des travaux sont en cours au sein du bureau de normalisation des matières fertilisantes et supports de culture, le BN Ferti. Un groupe de travail s’est mis en place sur les digestats. Son objectif est l'intégration des digestats dans des normes actuelles ou à créer. Une enquête menée en 2013 a permis de collecter une quarantaine d’analyses de digestats bruts et post séparation de phase ou traitements plus poussés. La majorité des retours sont trop peu concentrés en matières organiques et éléments fertilisants pour être considérés comme engrais ou amendements. Des sous-groupes se sont mis en place pour travailler sur les digestats solides issus de séparation de phase, les digestats issus de séchage (avec ou sans séparation de phase préalable) et ceux chaulés. L'objectif de ces sous-groupes étant de mieux connaître ces digestats afin de les rapprocher des normes actuelles si les caractéristiques éléments fertilisants et matière organique sont atteignables (plus de 20 % de matières organiques, et/ou une teneur supérieure à 3 % de l'un des éléments fertilisants majeurs ou à 7 % de l'ensemble). Ces travaux qui demandent une mobilisation importante des acteurs de la filière et le partage de données prennent du temps. Le temps nécessaire aux échanges et à la rédaction d’un dossier pour la normalisation (similaire à celui de l’homologation) va fortement dépendre des connaissances initiales sur la matière et du consensus entre les acteurs de la fertilisation. On évalue à 2,5 à 5 ans la durée minimale d’élaboration d'une norme en prenant en compte les différentes étapes d’enquêtes et de rédaction. L'ultime étape d'une norme française concernant les matières fertilisantes et les supports de culture étant son intégration dans les textes, par lesquels elle est rendue d'application obligatoire.
La réglementation européenne encadre également la mise sur le marché de certaines matières fertilisantes au sein de la Communauté. Actuellement, le règlement 2003/2003 régit la commercialisation d'engrais minéraux. Les engrais minéraux concernés sont maintenant uniquement encadrés par la législation européenne et sont donc sortis des normes françaises. Des travaux sont en cours concernant la création d'un règlement plus général englobant également les engrais organiques et les amendements. Ils pourraient aboutir au plus tôt en 2017. Pour les digestats, la Commission bénéficie des travaux réalisés par un groupe de travail sur les composts et digestats et le Joint Research Center dans le cadre de « End of Waste ».
Débouché sur un document présentant le périmètre des matières concernées et leurs spécifications. Le périmètre exclut la fraction fermentescible des ordures ménagères collectées en mélange, les boues de stations d’épuration urbaines et d’industries papetières.
Les échéances des travaux nationaux et européens sont donc relativement concomitantes. Cependant, il n’est pas inutile de travailler au niveau national car il est indispensable de bien connaître les particularités des digestats et de la digestion française afin de pouvoir défendre ensuite une position qui leur soit adaptée auprès de l’Europe.
Attention, le passage du statut de déchet à celui de produit implique de se conformer à la réglementation Reach. Le digestat n’est pour l'instant pas clairement exonéré.
En conclusion, on parlera plutôt des digestats que du digestat, étant donné la diversité des matières obtenues selon les intrants, les technologies de digestion et surtout les post-traitements appliqués. Les choix sont orientés par la volonté de l'utilisateur final et/ou du producteur concernant le lieu, les modes d’application, et les besoins agronomiques auxquels ils répondent. Dans la pratique, la majorité des digestats sont épandus dans le cadre d’un plan d’épandage brut ou après séparation de phase. Certains sont compostés, notamment les digestats de la fraction fermentescible des ordures ménagères, ce qui leur permet d’être mis sur le marché sous une norme française. Les premières homologations de digestat ont vu le jour en 2014. Leur retour d’expérience devrait bénéficier aux dossiers déposés à leur suite. Le digestat est un point clef des projets à ne pas sous-estimer. Il fait d’ailleurs l'objet d'un volet entier du plan Énergie Méthanisation Autonomie Azote cosigné en 2013 par les Ministères de l’agriculture et de l’environnement. Sa valorisation dépendra de la logique de chaque porteur de projet et de son contexte d’implantation. La filière suit de près les évolutions attendues pour faciliter sa mise sur le marché, ce qui devrait faciliter le développement de très nombreux projets.
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