La méthanisation ou digestion anaérobie est un processus microbiologique naturel qui permet de transformer la matière organique en un biogaz riche en énergie et un résidu, le digestat, aux excellentes qualités fertilisantes. Elle est appliquée au traitement des effluents, et de nombreux sous-produits ou déchets. Cette transformation de la matière par le consortium microbien subit une série de réactions intermédiaires qui sont réalisées dans des conditions physico-chimiques normales de températures et de pression. Cette énergie renouvelable a, en ce moment, un développement important.
La digestion anaérobie (ou méthanisation) est la transformation de la matière organique en biogaz, composé principalement de méthane et de gaz carbonique. Elle est réalisée en anaérobiose par une communauté microbienne complexe. Elle se produit naturellement dans les marais, les lacs, les intestins des animaux et de l'homme, et de manière générale, dans tous les écosystèmes où la matière organique se trouve en condition anaérobie. L'homme a cherché à copier ce processus pour répondre à des fonctions bien précises : éliminer des pollutions organiques et/ou produire de l'énergie. Toute sa conquête s'est orientée vers une mise en œuvre plus rapide de la réaction biologique naturelle. Le processus de digestion anaérobie a été utilisé pour produire principalement de l'énergie à travers le biogaz produit à partir : des déjections animales ; des déchets agricoles, des cultures énergétiques… mais aussi à des fins environnementales comme le traitement des effluents industriels (et urbains dans les pays chauds), éliminer les déchets municipaux et industriels, et enfin comme au Canada, éliminer les odeurs dues aux lisiers de porcs par exemple. Bien sûr, la plupart du temps, ce sont plusieurs avantages de la digestion anaérobie qui guident le décideur vers ces technologies.
Au niveau du traitement des effluents, si on la compare à son principal « concurrent » qui est le traitement aérobie, elle présente l'avantage de ne pas consommer de l'énergie (qui est utilisée pour transférer l'oxygène en aérobiose par exemple), elle en produit plutôt, elle génère dix fois moins de boues (ce qui est particulièrement intéressant quand on sait la difficulté de trouver des exutoires ou le coût que leur élimination) et surtout elle élimine jusqu'à dix fois plus de pollution par volume de réacteur et par unité de temps !
Le fait que cette technologie soit plus jeune que les « boues activées » implique que nous disposons de moins de recul sur son exploitation et qu'il reste nécessaire d'informer, de former les techniciens et de montrer que cela marche !
La digestion anaérobie doit s'intégrer dans une filière de traitement qui implique des technologies physico-chimiques et biologiques aérobies afin de répondre au mieux à la réglementation et aux contraintes économiques. La digestion anaérobie est souvent complétée par un post-traitement aérobie lorsque l'on veut atteindre des
valeurs compatibles avec les rejets en milieu naturel.
Elle doit s'intégrer dans une filière de traitement avec pour principal objectif d’abattre un maximum de DCO au coût le plus bas ! Avec l'augmentation du coût de l'énergie, sa fonction devient de plus en plus de… produire de l’énergie !
Généralités sur la digestion anaérobie
La communauté microbienne complexe réalise un grand nombre de réactions biologiques mettant en œuvre des communautés microbiennes qui subissent des fluctuations en qualité et en quantité (comme dans toutes communautés microbiennes d’ailleurs). Ce qui est extraordinaire c’est qu’in fine on aura toujours au bout du compte… du méthane et du gaz carbonique !
Le flux de la matière est représenté sur la figure 1.
Afin d’augmenter sa cinétique, on optimise les conditions physico-chimiques de sa mise en œuvre.
Les conditions physico-chimiques de cette réaction biologique sont généralement :
- pH de 6 à 9 ;
- températures :
- psychrophiles (5 à 20 °C)
- mésophiles (25 à 45 °C)
- thermophiles (45 à 65 °C)
- potentiel d’oxydoréduction de –300 à –400 mV.
La communauté microbienne de la digestion anaérobie met en œuvre un grand nombre de microorganismes, qui chacun à son niveau, fait une transformation qui finira par aboutir à la formation de méthane et de gaz carbonique. La digestion anaérobie génère une croissance lente des micro-organismes. C’est une conséquence de l’anaérobiose et une production réduite de boues. Les vitesses de croissance des microorganismes dépendent en très grande partie de l’énergie qu’ils peuvent tirer de la transformation qu'ils effectuent. Contrairement à l’aérobiose où tout le substrat est totalement oxydé (donc récupérable sous forme d’énergie), en anaérobie les microorganismes produisent des métabolites qui sont autant d’énergie non disponible pour le microorganisme impliqué.
Les différentes phases de la méthanisation représentées figure 1 sont décrites ci-dessous.
Acidogenèse
Les microorganismes hydrolytiques et acidogenèses sont nombreux, “rustiques” et ont des vitesses relativement rapides de développement. Ils transforment les macromolécules et monomères en acide acétique, gaz carbonique, hydrogène et en acides tels que les Acides Gras Volatils (AGV, qui sont les acides propionique, le butyrique, le valérique…), des alcools (éthanol…), des acides organiques (lactique…).
Acétogenèse
Dans l’étape d’acétogenèse, ces intermédiaires métaboliques sont transformés en acétate, hydrogène et gaz carbonique grâce notamment à trois groupes de bactéries : les acétogenèses productrices obligées d’hydrogène (qui sont des bactéries syntrophiques), les bactéries homo-acétogenèses, et des bactéries sulfato-réductrices qui peuvent avoir une des fonctions précédentes.
Les bactéries homoacétogenèses sont divisées en deux groupes suivant l’origine de l’acétate. L’acétate peut provenir soit d’un substrat carboné (groupe 1), soit par la réduction du CO₂ par H₂ (groupe 2).
Ces vitesses réactionnelles d’acétogenèse sont généralement lentes et soumises à des problèmes d'inhibition par la présence d’hydrogène qui modifie l'équilibre thermodynamique de la cinétique globale.
En effet, les bactéries dites syntrophiques ont pour caractéristique d’effectuer des réactions dont les variations d’enthalpie libre standard sont positives. Dans les milieux naturels, pour pouvoir se réaliser, elles nécessitent une seconde bactérie qui élimine une des molécules produites, permettant ainsi de transformer une réaction endergonique en réaction exergonique et donc de générer l’énergie nécessaire au micro-organisme.
Dans la digestion anaérobie, c’est l’hydrogène qui est la molécule clé. Elle est produite par les bactéries syntrophes et consommée par des bactéries homoacétogenes, méthanogenèses hydrogénophiles et sulfato-réductrices… principalement.
La méthanogenèse
Les microorganismes méthanogenèses ont la fonction de transformer l’acétate et hydrogène avec le CO₂ en méthane. Elles ont été classées dans les archéobactéries avec d’autres micro-organismes dits “extrémophiles”.
Bien que faisant partie des toutes premières bactéries qui sont apparues sur Terre, elles n’ont pu être isolées et étudiées que très tardivement étant donné de la difficulté à les cultiver en cultures pures. Celles qui utilisent l’acide acétique pour former du CO₂ et du CH₄ sont dites acétoclastes et celles qui réduisent le gaz carbonique par l’hydrogène pour faire du méthane et de
l’eau sont dites hydrogénophiles.
D’autres substrats peuvent être consommés comme le méthanol, l’acide formique par ce type de bactéries.
Pour les effluents, ces microorganismes sont exploités sous forme de biofilm qui se fixe sur un support, fixe ou mobile et qui est retenu dans le digesteur (figure 2).
Stabilité de la digestion anaérobie
Comme pour toute réaction biologique, l’expression des microorganismes dans un milieu dépend des conditions physico-chimiques qui y règnent. Les valeurs de pH, de la température, du potentiel d’oxydoréduction, des concentrations des divers minéraux, métaux et molécules organiques doivent être dans une zone compatible avec l’expression du vivant. Des variations brusques de ces conditions seront bien plus néfastes que des variations lentes. Parmi ces différents facteurs de stabilité, la pression partielle en hydrogène joue un rôle fondamental car elle va conditionner la valeur de l’enthalpie libre de bon nombre de transformations. Sa consommation va entraîner une diminution de ces valeurs d’enthalpie jusqu’à devenir négative et permettre ainsi la réaction.
Le tableau 1 représente la pression partielle sur la variation de l’énergie libre des réactions de dégradation des principales molécules intermédiaires (éthanol, propionate, butyrate) et de la principale réaction de consommation de l’hydrogène (production de méthane à partir du CO₂ et de H₂). La niche écologique de fonctionnement de la méthanogenèse (zone de la pression partielle de H₂ où l’énergie libre est négative pour toutes les réactions impliquées) est relativement étroite. Elle est voisine de 10⁻⁴ à 10⁻⁶ atm d’H₂. Elle est maintenue à ces valeurs principalement par la méthanogenèse hydrogénophile. La forte augmentation de l’hydrogène dans le biogaz est un indicateur de déséquilibre du réacteur. Il ne faut pas oublier que les digesteurs sont des milieux hétérogènes et que les conditions réactionnelles peuvent être très variées.
La stabilité des procédés biologiques de dépollution dépend aussi de l’adéquation entre la charge organique appliquée (flux du carbone entrant) et la capacité réactionnelle de la communauté bactérienne du bioréacteur. Cette dernière sera conditionnée par la quantité de micro-organismes actifs (et notamment ceux qui déterminent la réaction limitante) et les valeurs des paramètres physico-chimiques appliqués au réacteur.
La vitesse limitante des flux métaboliques de la digestion anaérobie des molécules solubles est généralement l’étape de méthanogenèse acétoclaste ou bien l’acétogenèse. Il s’ensuit qu’une charge organique supérieure à ces capacités de transformation peut entraîner une accumulation d’hydrogène liée à une accumulation d’AGV. Le pH peut diminuer et inhiber les autres transformations microbiennes. Actuellement, la stabilité de la digestion anaérobie des effluents et des déchets est bien maîtrisée, si l’unité est bien conçue et notamment bien dimensionnée.
Production de boues
Dans la technique aérobie, le processus biologique qui réalise l’élimination de la pollution organique soluble est l’utilisation de la pollution comme substrat de croissance, et donc sa transformation en microorganismes (boues). Cette technique produit donc en principe beaucoup de boues. Dans la digestion anaérobie par contre, le processus biologique consiste en la transformation de cette matière organique en méthane et gaz carbonique principalement, donc en gaz qui quitte le milieu aqueux. La quantité de micro-organismes issus de la croissance sera donc faible et seule une petite quantité de boues sera produite. On peut considérer que l’on produit environ 5 % de la DCO consommée en boues biologiques (à titre de comparaison, les boues activées produites représentent 20 à 40 % de la DCO consommée en boues).
Aspects énergétiques
En théorie, on produit par kg de DCO éliminée 760 l de biogaz (50 % CH₄ et 50 % CO₂) mesuré. En réalité on a toujours un écart à la théorie, la quantité de biogaz récupérée est donc moindre, et ceci pour plusieurs raisons :
- Une partie de la DCO consommée va se retrouver sous forme de microorganismes.
- Le CO₂ produit se trouve sous plusieurs formes dissoutes : CO₂d, HCO₃⁻, H₂CO₃, CO₃²⁻. Les proportions de chacune d’elles varient en fonction des conditions physico-chimiques (pH, salinité, température, type d’effluent...) ce qui explique les concentrations différentes de méthane et de gaz carbonique.
- On peut avoir aussi d’autres gaz produits comme l’H₂S (s’il y a du soufre dans l’effluent à traiter) et d’autres gaz qui doivent se retrouver à l’état de trace quand le digesteur fonctionne correctement. C’est le cas pour l’H₂, notamment.
Il est évident que toute la DCO entrante ne se transforme pas en biogaz à 100 % en général, car les temps de séjour peuvent être trop courts (ou les charges trop fortes), et on peut avoir de la DCO dite « dure ».
La composition du biogaz est généralement de 60 % en CH₄ et de 40 % en CO₂. Ces valeurs peuvent varier de ± 10 % (voire parfois plus) en fonction des conditions de mise en œuvre. Un digesteur fonctionnant à pH basique aura très facilement des teneurs en CH₄ plus élevées qu’habituellement. Il en est de même pour les digesteurs à très faibles temps de séjour qui élimineront via sa sortie une grande quantité de CO₂ sous différentes formes.
Tableau 1 : Exemple d’enthalpie libre standard de réactions syntrophiques obligatoires et de production d’hydrogène (d’après R. Moletta 2006)
Bactéries : Organisme “S” (Pelobacter sp.) Réaction : éthanol + H₂O → acétate + 2 H₂ ΔG'° : + 9,6 kJ par réaction
Bactéries : Syntrophobacter wolinii, S. pfennigii Réaction : propionate + 3 H₂O → acétate + 3 H₂ ΔG'° : + 76,1 kJ par réaction
Bactéries : Syntrophospora bryantii Réaction : butyrate (C₄) ou caproate (C₆) + 2 H₂O → acétate + 2 H₂ ΔG'° : + 48,1 kJ par réaction
Archées méthanogènes hydrogénophiles Réaction : 4 H₂ + CO₂ → CH₄ + 2 H₂O ΔG'° : – 139,2 kJ par réaction
Industriels et des déchets. Avec l’augmentation continuelle du coût de l’énergie fossile, et celui de rachat de l’énergie verte en France, on voit apparaître dans notre pays la mise en place d’unités de méthanisation dont le principal but est de produire de l’énergie… ce qui se fait depuis longtemps dans les autres pays du nord de l’Europe ! La valorisation du biogaz se fait par la production d’électricité, avec souvent de l’eau chaude (co-génération), de vapeur ou carrément de l’eau chaude seulement.
Technologie en une ou deux étapes
La technologie des digesteurs s’est basée sur deux stratégies différentes : les procédés en une étape ou en deux étapes. Ils sont représentés sur la figure 4.
Dans le digesteur à une étape, l’ensemble des transformations microbiennes de la figure 2 se font dans un seul réacteur. Par contre, dans le digesteur à deux étapes, le premier réacteur réalise principalement l’hydrolyse et l’acidogénèse dans la première phase et le second, l’acétogénèse et la méthanogénèse dans la seconde.
Lors du traitement des effluents, cette séparation des phases est obtenue en appliquant des temps de séjour courts (quelques heures à quelques dizaines d’heures) et des pH voisins de 6 dans le réacteur d’acidogénèse, ce qui ne permet pas aux bactéries méthanogènes, notamment acétoclastes, de s’installer. Dans le second réacteur, on applique des temps de séjour plus longs et l’on utilise des réacteurs à rétention de biomasse (fixée ou non).
Cette stratégie permet d’appliquer de plus fortes charges dans le second réacteur et d’avoir une plus grande stabilité car on maîtrise la quantité d’AGV qui rentre dans le réacteur de méthanogénèse. Par contre, l’investissement est généralement plus important, ce qui a conduit à la mise en place de procédés de traitement des effluents à une étape généralement.
La technologie à deux étapes peut être utilisée aussi pour méthaniser des déchets solides. Dans le réacteur d’acidogénèse, on réalise une hydrolyse et une acidogénèse, ce qui liquéfie la matière organique solide et la transforme en AGV, et dans le second, on a la méthanisation de ce “lixiviat”.
La technologie de la digestion anaérobie des effluents industriels notamment a subi de grandes modifications ces vingt dernières années. Du digesteur mélangé, qui avait été utilisé au départ pour méthaniser des boues de station d’épuration, aux réacteurs à granules et à garnissage mobile actuels, la technologie a subi une évolution constante et pertinente pour s’adapter à de nombreux cas spécifiques.
Ceci a conduit à des évolutions, dans la conception des réacteurs de méthanisation, qui ont principalement porté d’une part sur la rétention ou le recyclage des micro-organismes permettant ainsi la séparation des temps de séjour des liquides de celles des solides et d’autre part sur la maîtrise de l’hydraulique. ■
Complément bibliographique
« Gestion des problèmes environnementaux dans les Industries agroalimentaires » Coordonnateur R. Moletta, Seconde édition 2006, Édition Tech Doc Lavoisier, ISBN 2-7430-0832-6.

