L?enjeu auquel est confronté le monde arabe consiste à produire plus de nourriture avec moins d'eau. La population arabe représente 4,3% de la population mondiale mais ne dispose que de 0,63% des ressources en eau renouvelables, ce qui créé les conditions de conflits potentiels graves. Les ressources en eau renouvelables sont évaluées à 278 km3 ce qui représente un volume annuel de 583 m3 par individu. Mais ces ressources sont concentrées dans quelques pays, exposant une part importante de certaines populations à un grave stress hydrique. Les volumes distribués à la population donnent un ratio de 421 m3/an/individu, volume qui doit être minoré du fait du mauvais rendement des réseaux. De plus, 70% de ce volume est utilisé aux fins d'irrigation, alors même que la production agricole demeure insuffisante. Cette situation a contraint plusieurs pays à se tourner vers des ressources en eau non conventionnelles. La gestion de l'eau est directement liée à la sécurité alimentaire. Beaucoup d'efforts devront donc être entrepris pour améliorer la productivité agricole tout en maitrisant les volumes d'eau affectés à l'irrigation.
Les pays arabes, désavantagés par leur position géographique mais aussi par leur gouvernance, sont confrontés au spectre de la pénurie d'eau et à toutes les conséquences désastreuses qui en découlent. L'analyse de la situation hydrique dans ces pays est l’objectif de ce travail, basée sur la détermination des ratios de l’utilisation des ressources naturelles en eau et en terres agricoles. Les résultats sont classés et confrontés entre les pays et par rapport aux normes internationales en vigueur. Des résultats qui clarifient davantage la problématique de l'eau et des commentaires qui laissent émerger les solutions à apporter.
Position géographique
Mots clés : effort, base, déduction, norme.
D'une vingtaine de degrés, limitée entre le 12e parallèle au sud du littoral de la péninsule arabique et le 36e au nord de la frontière syro-turque. La longitude est de 16,5° à l’ouest de Nouakchott et de 60° à l’est d’Oman. Cette étendue (figure 1) a une superficie de 14 millions km², limitée par l’océan Atlantique au flanc occidental et par la mer d’Oman au flanc oriental. La mer Méditerranée constitue une limite au nord pour plusieurs pays tandis que le désert s'impose comme frontière australe. L'étendue arabe est également traversée par la mer Rouge qui la sépare en deux parties, l'une occidentale : le Maghreb et l'autre orientale : le Machrek.
Cette position géographique implique un type de climat bien particulier à chaque entité territoriale où l'on constate l'influence de la mer Méditerranéenne sur sa rive sud tandis que la mer Rouge rafraîchit ses rivages, celle d’Oman adoucit le climat au sud-est de la péninsule arabique. Cependant, l'intérieur des pays arabes se caractérise globalement par un climat aride à hyperaride.
Caractéristiques physiques
D’un point de vue climatique, le monde arabe est situé dans un espace de transition entre deux zones :
- - une zone tropicale et subtropicale qui se distingue par une quasi-constance de la présence de hautes pressions très stables. Autour de 30° de latitude, une partie de l'air s'arrête (cellule de Hadley), descend vers le sol, s'y accumule et forme une zone de hautes pressions, provoquant un réchauffement à cause de la compression de l'air (Mutin, 2000). On l’appelle la région des calmes tropicaux. Ces anticyclones maintiennent une protection contre les perturbations pluvieuses sur les régions sahariennes. Le déficit de précipitations atmosphériques est dû essentiellement à l’existence de chapelets de cellules d’air continental sec correspondant à ces hautes pressions.
- - une zone méditerranéenne du domaine tempéré, caractérisée par une circulation d'ouest à est, de dépressions cycloniques. Le front polaire limite les deux domaines (tropical et tempéré) et se déplace au cours de l'année. Il remonte en latitude en été et descend en hiver jusqu’au nord de l'Afrique, permettant le passage de dépressions cycloniques. Cependant une zone échappe à ce schéma général (Mutin, 2007) : le sud de la péninsule arabique (Yémen) qui reçoit des pluies de mousson en été.
À l’exception du Liban et des îles Comores, les espaces désertiques occupent 7 millions km², soit la moitié de la superficie totale des pays arabes (Mutin, 2007). Le relief se caractérise par une planitude à l’horizon, à l'exception de quelques rares sommets montagneux tels que l’Atlas marocain (Toubkal 4 167 m), les sommets du Liban (3 083 m), ceux du Yémen (3 660 m) et ceux de l'Algérie (Djurdjura 2 308 m et Tahat 3 003 m). On y trouve également la plus grande dépression au monde où la mer Morte s’enfonce à –400 m. La région est très pauvre en couverture végétale qui reste globalement inférieure à 1 % du territoire (Mutin, 2000).
Le climat, commandé par la latitude, la continentalité et le relief, est qualifié de capricieux et d’agressif, induisant des écoulements sporadiques provoquant des crues violentes qui contrastent avec la monotonie des étiages. Les pluies arrivent en hiver, une saison froide et courte ; des lames pluviométriques équivalentes à la moyenne annuelle peuvent tomber en une heure ou en une journée, accentuant le phénomène de l'érosion des terres. Les barrages perdent annuellement une moyenne de 1 % à 2 % de leur capacité de stockage, remplacée par le dépôt de vase. Au Maroc, cette perte est estimée annuellement à 50 millions de m³, équivalant à la perte d’un potentiel d'irrigation de 5 000 ha, des milliers de quintaux de produits alimentaires et autant de main-d'œuvre agricole directe et indirecte (Mutin, 2007).
Ainsi, la pluviométrie moyenne est évaluée à 50 mm mensuellement et 156 mm annuellement (FAO, 1997). Les pays du Golfe arabique et l'Égypte ont une moyenne de 18 mm/an alors que celle du Liban culmine singulièrement à 827 mm (Zeid, 2004). Ces disparités existent au sein d'un même pays et les isohyètes supérieurs à 500 mm couvrent des aires infiniment restreintes et majoritairement montagneuses, sachant qu’au-dessous de 350 mm la production agricole exige le recours à l'irrigation.
Les étés sont secs et durent entre 3 et 10 mois selon les pays, durant lesquels la pluviométrie est totalement absente (Zeid, 2004). Plus de 85 % de la région arabe est classée dans l'aride et l'hyperaride avec des pluies inférieures à 250 mm (Mutin, 2007).
Les températures saisonnières moyennes fluctuent entre 10 °C en hiver et 25 °C en été. La moyenne mensuelle durant les 30 dernières années, dans le désert, varie autour de 30 °C pendant 7 mois de l’année (Mutin, 2007). Les records de températures sont enregistrés à Damas 44 °C, à Bagdad 50 °C et à Azizia 58 °C. L'amplitude saisonnière de 15 °C augmente à l’intérieur des terres continentales. Le sol sur-
chauffé le jour (50 °C), rayonne intensément la nuit, se refroidit portant la température à 8 °C, l'écart se creuse à 42 °C. L'insolation annuelle est un gisement important et avoisine 4 000 heures ainsi que les radiations solaires qui sont maximales où seuls 10 % sont réfléchis. L'évaporation varie de 570 mm/an près du littoral à plus de 2 500 mm au sud. Le pouvoir évaporant de l’atmosphère est très supérieur à la pluviométrie, ce qui impose l’aridité à toute la région arabe. Le lac Nasser en Égypte évapore annuellement un volume de 10 km³ soit 1 538 mm alors que sur le pourtour méditerranéen, la hauteur évaporée varie de 2 mm en hiver à 10 mm en été. Ces caractéristiques font que la sécheresse s'installe en tant que phénomène structurel ; accentuée par le réchauffement climatique, elle constitue un handicap de taille pour la gouvernance de l'eau. Il a été constaté (CNRS, 2007) ces dernières années que les pluies ont diminué de 30 % et que le taux de remplissage des barrages a chuté de 20 %. Les rendements céréaliers fluctuent entre une moyenne de 10 q/ha en année humide et 5 q/ha en année sèche. Ce dernier cas entraîne le doublement des importations.
À l'exception de quelques impluviums d’ampleur insignifiante, l'ensemble des pays arabes ne peut compter sur les apports pluviométriques. L'irrigation est nécessaire pour la plupart de la production agricole. Certains pays tirent profit des fleuves qui les traversent, d'autres sont contraints d’exploiter les stocks d’eau fossile à des profondeurs très importantes.
Potentialités en eau
Le monde arabe occupe 9,3 % de la géosphère mais ne dispose que de 0,63 % des ressources en eau renouvelables (RER) de la planète (Mutin, 2007 ; FAO, 2006). La population arabe est évaluée en 2005 à 324 millions d’habitants soit 4,3 % du total mondial (Pison, 2005). L'Égypte est le pays le plus peuplé avec 74 millions d’habitants (23 % du total), suivi du Soudan avec 40 millions (12 %) et de l'Algérie avec 32,8 millions (10 %). Les pays les moins peuplés sont Djibouti, Qatar, Bahreïn et les îles Comores dont la population unitaire n’atteint même pas le million d’habitants. La densité de peuplement avoisine 14 habitants au km² et la plus élevée est celle de Bahreïn avec 1 043 hab/km², suivie de celle de Palestine avec 633 hab/km² et du Liban avec 380 hab/km² ; cependant celles de Mauritanie et de Libye sont les plus faibles avec 3 hab/km². Les concentrations humaines accentuent les prélèvements et la densité est une donnée influente notamment quand les ressources en eau sont rares. Ces dernières sont surtout souterraines sauf pour les pays traversés par les grands fleuves.
Les eaux superficielles
L'écoulement superficiel permanent est quasi inexistant dans la plupart des pays arabes, à l'exception de quelques pays qui bénéficient de l’apport régulier de fleuves importants provenant de l’extérieur de leurs frontières : le Nil (1 000 m³/s) arrose le Soudan puis l'Égypte, le fleuve Sénégal (700 m³/s) est un don pour la Mauritanie, Jubba et Shabele irriguent la Somalie et les légendaires fleuves le Tigre et l'Euphrate (13 000 m³/s et 5 200 m³/s) offrent des volumes importants à la Syrie et à l'Irak. La moyenne de l’écoulement superficiel est estimée à 146,5 km³/an dont 70 % localisés dans seulement quatre pays : Irak, Soudan, Égypte et Maroc (Mutin, 2007). Ces eaux sont stockées dans de grands barrages comme le barrage d’Assouan en Égypte d’une capacité de 169 km³ régularisant 157 km³, les barrages irakiens captent 30 km³, les 34 barrages marocains retiennent 11 km³ et ceux du Soudan emmagasinent 8 km³. Certains pays bénéficient modestement de rares cours d'eau permanents (Majerda en Tunisie, Jourdain en Jordanie, Oronte et Litani au Liban, Yarmouk en Syrie). Dans la majorité des pays, le réseau hydrographique ne fonctionne que durant la saison pluviale, le reste du temps les lits sont secs ou ne reçoivent que les rejets des eaux usées. L'exploitation des cours d'eau est intense, ce qui limite sévèrement la recharge des nappes et fragilise la biodiversité du milieu naturel.
Les eaux souterraines
Les nappes phréatiques des pays arabes sont pratiquement surexploitées en totalité et les forages sont de plus en plus profonds, une situation qui a permis à la nappe marine de se substituer au vide laissé. Cet état de fait a contraint les pouvoirs publics à ne plus s’empêcher d’exploiter les réserves fossiles d’eau douce. Le sous-sol de certains pays arabes recèle de véritables mines d’or bleu, une eau emmagasinée depuis très longtemps et qui se renouvelle très faiblement. C’est le cas de l'aquifère albien qui concerne l'Algérie et ses voisins orientaux et qui piège 60 000 km³ sur une superficie de 600 000 km², l'aquifère nubien d'une superficie de 2 350 km² couvre 4 pays (Égypte, Libye, Soudan et Tchad) et stocke 50 000 km³ dont 20 000 km³ dans le sous-sol égyptien et l'aquifère arabique renferme 143,8 km³. La forte pression sur les RER, caractérisée par le très fort taux des prélèvements d’eau (supérieur à 40 %) a contraint les pays à engager des capitaux importants afin d’exploiter leurs gisements hydriques fossiles. Deux exemples méritent d’être cités : celui de la grande rivière artificielle en Libye réalisant des transferts du sud vers le nord d'un débit de 2 km³/an sur de longues distances et l’exemple algérien du transfert Ain Salah-Tamanrasset, sur une distance de 750 km. C'est à partir de 40 forages, profonds de 270 m qu'un débit annuel de 36,5 millions m³ est refoulé à l’aide de 6 stations de pompage (ADE, 2007).
Dans le souci d’assentiment et d’exploitation équitable des aquifères transfrontaliers, les pays riverains se concertent par le biais de conventions sur la gestion de ces réserves d’eau fossile, l'une relative au SAS (système aquifère du Sahara septentrional), partagé entre l’Algérie, la Libye et la Tunisie et l'autre relative au NSAS (système aquifère nubien) copropriété entre la Libye, l'Égypte, le Soudan et le Tchad. L'exploitation des eaux du Nil, celles du Tigre et de l'Euphrate est elle aussi basée sur des accords similaires. La raréfaction des ressources hydriques va-t-elle renforcer ces accords ou va-t-elle générer des conflits ? Les coûts d’investissement ne cessent d'augmenter à cause de la raréfaction ; les barrages sont de plus en plus onéreux comparativement aux volumes d’eau stockés, les forages sont toujours plus profonds et les canalisations de transfert de plus en plus longues. Ce n’est pas tant l'insuffisance des ressources en eau que l'augmentation du coût de sa mobilisation qui constitue le principal obstacle à l'exploitation de ces eaux.
La population arabe utilise annuellement 180 km³ d’eau douce dont 15 % d’origine
fossile (Mutin, 2007 ; FAO, 2006). Dans un souci de diversifier la production d'eau, de ne pas tarir les stocks fossiles et de préserver l'environnement, des efforts se sont orientés vers le dessalement et la revalorisation des eaux usées urbaines comme sources d’approvisionnement en eau.
Les ressources en eau renouvelable
Les quantités d’eau renouvelable de la région arabe sont estimées à 278 km³ dont près de 55 % sont d'origine exogène (Mutin, 2000), potentiellement source de conflits gravissimes. L’Égypte et la Mauritanie dépendent à 97 % d'eau originaire de l'extérieur du pays, la Syrie à 70 % et le Soudan et la Somalie à 60 %. Parmi les pays les plus gâtés en RER, on trouve dans l’ordre le Soudan (74,5 km³), l’Irak (61 km³) et l’Égypte (58 km³), l’Algérie vient en sixième position après le Maroc et la Syrie (Zeid, 2004). La part des RER revenant à chaque habitant arabe est de 583 m³, soit un manque de 90 % par rapport à la moyenne mondiale (6 900 m³). La population arabe est d’ores et déjà en situation de stress hydrique même si elle utilise la totalité de ses ressources en eau renouvelables. Ces potentialités en eau sont concentrées à 91,8 % dans huit pays (Égypte, Soudan, Irak, Syrie, Maroc, Algérie, Yémen et Arabie Saoudite), totalisant 83,4 % de la population mais aussi il est constaté que 50 % de la population (Égypte, Soudan, Irak et Syrie) détient 75 % des RER dont les trois premiers pays bénéficient à eux seuls de 70 %. Ces chiffres montrent la grande disparité en matière de RER entre les pays arabes où un habitant sur deux ne dispose que d'environ un quart des ressources hydriques et l’autre moitié qui bénéficie des trois quarts. La répartition des RER sur la population (figure 2) montre qu’à l'exception de l’Irak et du Soudan dont la part par individu est respectivement 2 118 m³/hab et 1 853 m³/hab, dans tous les autres pays la population ne dispose individuellement que d'un volume inférieur à 2 000 m³. Parmi ces pays, sept — le Liban, le Maroc, Oman, l’Égypte, la Syrie, les E.A.U et la Somalie — constituent un panel où vivent 44 % du total de la population dont la dotation est comprise entre 1 000 m³/hab et 500 m³/hab. La Tunisie et l’Algérie qui représentent 13 % ont une dotation comprise entre 500 m³/hab et 100 m³/hab et le reste, soit 43 % de la population, se contente d'une part individuelle inférieure à 100 m³/hab. Le graphique de la figure 3 donne la classification des pays par rapport aux normes 2 000 m³/hab/an, 1 000 m³/hab/an, 500 m³/hab/an et 100 m³/hab/an.
Ce graphique (figure 2) montre les degrés de gravité de la situation hydrique dont la majorité des pays sont en dessous de la norme 1 000 m³/hab. Il est évident que cette gravité s’accentuera davantage sous la pression démographique et le développement inhérent. Cette pression est déjà perceptible sur les prélèvements.
Les prélèvements
Les volumes prélevés sont évalués à 180 km³ soit un taux qui s’élève à 65 % des RER (Mutin, 2007 ; FAO, 2006), induisant une dotation moyenne annuelle par habitant de 421 m³. Ces deux derniers chiffres, comparés aux normes (UNESCO et OMM, 1997) ci-dessus, indiquent que le milieu naturel et la population subissent un état de stress hydrique sévère. L'examen du graphique (figure 4) montre que seuls deux pays (Égypte et Irak) qui représentent 32 % de la population arabe totalisent 57 % des prélèvements. Si on leur rajoute les prélèvements du Soudan, de l’Arabie Saoudite, du Maroc, de la Syrie et de l’Algérie, le taux atteint 91 % pour 77 % de la population. Les 23 % restants doivent se contenter de 9 % seulement. La situation du Qatar et celle de l'Arabie Saoudite sont exceptionnelles, ils exploitent respectivement l’équivalent de 950 % et 741 % de leurs RER, autant dire qu’ils ne comptent pas du tout sur les ressources renouvelables. Tous les autres pays utilisent plus de 40 % des RER à l'exception du Soudan et du Liban. L'examen de la répartition des prélèvements (y compris les eaux non conventionnelles) sur la population montre que l’Irak vient en tête avec 1 486 m³/hab/an, suivi de l’Égypte (803 m³/hab/an), de l’Arabie Saoudite (663 m³/hab/an) et d’Oman (583 m³/hab/an). Ces pays constituent 40 % de la population arabe et bénéficient d’une dotation annuelle supérieure à 500 m³/hab. On en déduit que 60 % de la population ont une dotation théorique comprise entre 500 et 100 m³/hab/an. À titre de comparaison, la France, l'Allemagne, l’Espagne et l’Italie exploitent environ 24 % des RER, en revanche les pays nordiques (Norvège, Suède et Irlande) ne dépassent pas 2 % (CNRS, 2007).
L'Égypte est le pays qui réserve le plus d’eau en volume à la consommation domestique, industrielle et agricole mais c’est le Koweït…
Tableau 1 : Potentialités en eau de mer dessalée dans certains pays
(Tableau actualisé à partir de données disparates)
qui utilise la plus grande part (78 %) des prélèvements au profit de la consommation domestique, les taux les plus faibles sont paradoxalement ceux du Soudan (1 %) et de l’Irak (3 %). Les pays qui réservent le plus d’eau à l’industrie sont le Qatar (25 %) et l’Algérie (15 %), il s’agit probablement de l’industrie pétrolière.
En ce qui concerne l’eau à usage agricole, le Soudan utilise pratiquement toute sa ressource hydrique pour l’irrigation au détriment des autres secteurs qui bénéficient de volumes dérisoires. D’autres pays comme l’Égypte et l’Irak consacrent aussi des volumes importants à ce secteur, respectivement 50 km³ et 40 km³. La quasi-totalité des pays utilisent plus de 70 % des prélèvements à l’agriculture. Le volume par hectare dépasse 20 000 m³ au Bahreïn, environ 15 000 m³ à Oman et en Égypte et entre 5 000 et 1 000 pour le reste des pays.
Les quantités prélevées sont réparties en moyenne dans le monde arabe à 75 % pour l’irrigation, 6 % pour l’industrie et 19 % pour les usages domestiques. Ce taux moyen varie d’un pays à un autre mais la part de l’irrigation est partout la plus importante. Ces potentialités prélevées qui sont en dessous des normes universelles (OMM, 2007) confirment la situation de stress hydrique dans la plupart des pays. En plus, il faut souligner que ces volumes n’arrivent pas en totalité à l’utilisateur, ils sont soumis à des réductions liées à des contraintes majeures (envasement, pollution, réchauffement climatique, insuffisance technique et mauvaise gouvernance), ils sont donc régulièrement en diminution.
La pression induite par la demande a contraint la plupart des pays à opter pour des solutions urgentes en consacrant une bonne part de leurs richesses au dessalement de l’eau de mer. Ces solutions envisagées dans la hâte peuvent provoquer un effet boomerang. Le marché hydraulique algérien, potentiellement fort de ses 22 milliards de dollars, attise les convoitises des lobbies de l’eau.
Le recours aux eaux non conventionnelles
Afin d’échapper au stress hydrique et à ses conséquences désastreuses, ces pays sont amenés à fournir une eau de plus en plus chère et répondre aux besoins croissants en eau. Ainsi, les usines de dessalement d’eau de mer, d’eau saumâtre et d’épuration des eaux usées sont en nette progression. Pour certains pays, leur survie en dépend entièrement, pour d’autres elles constituent un complément nécessaire.
Dessalement de l’eau de mer
Le recours au dessalement de l’eau de mer a constitué une bouée de sauvetage pour certains pays où la pénurie s’est installée il y a longtemps. Cette solution alternative relativement rapide à mettre en œuvre a permis d’atténuer les situations de stress occasionnels ou durables des pays ayant atteint le « fond du puits » en matière de prélèvements. Le tableau 1 donne une idée de cet effort et présente une estimation des volumes d’eau dessalée et mis à contribution des eaux de prélèvement.
Le tableau 1 montre l’essor du dessalement dans les pays arabes dont les volumes dépassent 2,5 km³ avec en tête de peloton l’Arabie Saoudite (31 %) suivie de l’Algérie (27 %). Les volumes d’eau dessalée renforcent les prélèvements au Qatar à hauteur de 43 %, à 26 % au Bahreïn, à 24 % aux E.A.U. et à 11 % en Algérie où ils contribuent pour 52 % à la consommation domestique. L’Algérie se donne l’ambition de porter ces volumes d’eau dessalée à 800 millions m³/an à l’horizon 2010 et à 1 milliard m³/an à l’horizon 2025. Cette contribution s’élève à 77 % au Koweït, à 71 % aux E.A.U. et à 70 % au Bahreïn. La consommation domestique au Qatar est totalement assurée par l’eau.
Tableau 2 : Part des eaux usées recyclées dans les prélèvements et l’eau agricole
(Tableau actualisé à partir de données disparates)
dessalée. On constate que ce sont les pays pétroliers qui supportent la consommation énergétique de cette production d’eau potable dont le prix de revient minimum avoisine 0,5 dollar US le mètre cube. Les conséquences liées aux saumures rejetées dans le milieu marin sont pour le moment ignorées.
La réutilisation des eaux usées épurées
Le recours à l'utilisation des eaux usées épurées ou l’épandage des eaux usées épurées a débuté à la fin du XIXᵉ siècle dans plusieurs pays comme l’Australie, la France, l’Allemagne, l’Inde, le Royaume-Uni, les USA et le Mexique. L’utilisation ne s’est pas limitée à l’irrigation mais elle a concerné l’industrie, le nettoyage des rues, l’aquaculture et la recharge des nappes souterraines. Les avantages offerts par ces eaux ont connu une promotion dans le monde où des pays réutilisent des volumes importants allant jusqu’à 25 % ou 40 % voire 100 % des rejets. Cependant, il est remarqué que seuls 2 % des eaux usées épurées dans le monde sont réutilisées directement en irrigation (CNRS, 2007). Le reste est rejeté dans le milieu naturel. Certains pays arabes ont depuis longtemps misé sur ces potentialités, il s’agit notamment de l’Égypte, de la Tunisie, de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite. Le tableau 2 montre les potentialités en eaux usées épurées, utilisées par certains pays arabes.
L’examen du tableau 2 montre les efforts que l’Algérie a accomplis ces dernières années dans le domaine de l’épuration des eaux usées dont les volumes épurés représentent 37 % du total (1,6 km³) des pays arabes. En tenant compte des prélèvements, les 600 millions de m³ d’eaux usées épurées par l’Algérie, qui ne sont pas entièrement réutilisés, ne valent que 0,1 % des volumes prélevés et représenteraient 15,6 % des besoins agricoles en eau. Ces volumes épurés, censés renforcer les volumes prélevés, n’apportent globalement que 2,17 % et participent à 1,8 % aux volumes destinés à l’agriculture. En revanche, l’agriculture au Koweït comme au Bahreïn utilise exclusivement les eaux usées épurées. L’Égypte valorise en plus jusqu’à 4 km³ d'eau de drainage, mélangés avec de l'eau douce. Dans le domaine de la recharge des nappes qui peut s’effectuer par des dispositifs d’infiltration d’eau usée, assurant la double fonction d’épuration et d’alimentation des nappes sous-jacentes, la Tunisie prévoit d'affecter 50 millions m³/an à cet usage à l’horizon 2030 (Mutin, 2007).
Il est constaté que les lourds investissements consacrés à l’épuration des eaux usées pourraient être revus à la baisse si le dimensionnement des installations était réalisé sur la base des rejets uniquement domestiques.
En effet, les eaux usées qui sont traitées proviennent d’un réseau unitaire qui draine les eaux usées domestiques, les eaux industrielles et surtout les eaux pluviales. Les rejets d’eaux industrielles devraient subir un traitement singulièrement approprié. Comme pour le dessalement, les boues résiduaires constituent une contrainte à gérer à l'aval de l’épuration.
La production agricole
L’alimentation humaine est tributaire de la production végétale et animale, sachant que cette dernière est elle-même dépendante de sa précédente. D'une manière globale, l'homme a amélioré au cours de son existence la richesse calorifique de sa ration. Elle demeure en nette hausse mais la malnutrition menace près d’un milliard d’êtres humains (FAO, 2004), essentiellement dans les pays en voie de développement. Les besoins en alimentation d'un adulte sont évalués en moyenne par la FAO à 2 932 kcal par jour. Il est évident que les populations des pays développés consomment des rations riches (3 273 kcal) qui dépassent cette valeur moyenne contrairement à celles des pays en voie de développement qui se limitent à des rations pauvres (2 535 kcal). En France, elle est de 3 600 kcal alors qu’en Algérie elle vaut 3 000 kcal (FAO, 2004). Cependant, ces valeurs moyennes cachent une réalité autre relative à la sous-alimentation humaine, dont la ration journalière ne dépasse pas 2 000 kcal. En Afrique subsaharienne, ce fléau touche 43 % de la population et touche environ 9 millions d’individus chaque année (FAO, 2004 ; UNICEF, 2002) alors que les sous-alimentés dans les pays arabes avoisinent 40 millions ; en Algérie, le taux varie entre 6 et 10 % selon les estimations, soit 2 à 3 millions d'habitants. Des émeutes de faim ont éclaté cette année dans quelques pays d'Afrique et d’Asie.
À quoi est due cette fatalité de la malnutrition ? Les causes sont nombreuses et enchevêtrées néanmoins la politique mon-
Tableau 3. Valeur agricole ajoutée par travailleur
Région | Valeur ajoutée en % |
---|---|
Pays développés | 2,5 |
Pays en développement | 2,4 |
MENA | 2,1 |
Algérie | 1,1 |
Égypte | 2,9 |
Syrie | 4,1 |
Arabie saoudite | 7,8 |
Tunisie | 3,9 |
Yémen | 1,8 |
Comores | 0,6 |
Australie | 3,1 |
France | 6,1 |
Autriche | 6,8 |
Monde | 2,4 |
Source : (FAO, 2004)
D'après l'Organisation mondiale du développement, le climat et la gouvernance sont les causes principales. Le fort soutien apporté à l’agriculture des pays développés a marginalisé l’agriculture des pays en voie de développement. Les pays en voie de développement se sont laissés piéger par l'importation de produits alimentaires au prix de revient moins élevé que leur production locale. Ils sont devenus dépendants de l’extérieur, en abandonnant leurs cultures du terroir. Pendant que la production vivrière (céréales) diminue d'année en année et ne suit plus la croissance démographique, les importations en provenance des pays développés qui comblent leurs déficits sont en nette augmentation. L’Algérie importe 75 % de ses besoins alimentaires. La valeur des importations des biens alimentaires est passée de 1 milliard $ US en 1970 à environ 5 milliards $ US en 2007. Le pays a importé 5 millions de tonnes de blé en 2006 et devrait doubler ces quantités en 2015.
L’examen des facteurs de production montre clairement l’abandon du secteur de l’agriculture. L’exemple du rapport entre la surface agricole utile et la population est significatif (figures 4 et 5). Il est en chute dans tous les pays arabes. Seuls sept pays – Libye, Soudan, Tunisie, Syrie, Maroc, Algérie, Irak – représentant 51,5 % des habitants arabes, ont un ratio compris entre 0,35 et 0,2 ha/hab, soit 1 ha pour 5 habitants.
La même constatation est faite à propos du ratio relatif à la surface agricole irriguée dont sept pays (Irak, Libye, Arabie Saoudite, Syrie, Comores, Soudan, Égypte), c’est-à-dire 59,5 % de la population, ont un ratio compris entre 0,04 et 0,12 ha/hab, soit 1 ha pour 25 habitants.
Pour améliorer la production agricole, on peut soit augmenter les surfaces, soit les rendements à l'hectare. Ce dernier dépend de plusieurs facteurs mais le plus important est celui de l'irrigation. La production mondiale est assurée à hauteur de 40 % par 264 millions d’hectares irrigués, soit 17 % des 1,5 milliard d’hectares de superficie cultivée dans le monde. Le reliquat, c’est-à-dire les 60 %, est produit par 80 % de cette superficie en régime pluvial (FAO, 2004). Au Pakistan comme en Chine, 80 % de la nourriture provient des terres irriguées. Dans les pays qui vivent déjà le stress hydrique, il est recommandé d’opter pour une agriculture productive en améliorant les rendements, que ce soit en régime pluvial ou en régime irrigué. Sachant que pour produire 1 kg de nourriture il faut en moyenne 2 à 4 tonnes d’eau, les besoins en eau d’irrigation vont s’accroître.
En Algérie la consommation moyenne annuelle en blé est estimée à 250 kg par personne. Si on considère qu’en régime pluvial, le rendement est de 10 q/ha, on en déduit que chaque hectare ne peut alimenter que 4 personnes.
Donc, pour assurer les besoins de tout le pays, d'une population de 30 millions, il faut une superficie cultivée en céréales de 7,5 millions d’hectares. En revanche, si la même culture est menée en régime irrigué, le rendement moyen est de 50 q/ha, ceci assure la ration annuelle de 50 personnes et nécessite une superficie irriguée de 1,5 million d’hectares. Cette production nécessitera un volume d’eau de 1,2 km³ avec une dose moyenne de 8 000 m³/ha.
Si les surfaces irriguées ne représentent que 17 % des surfaces cultivées dans le monde, elles assurent 50 % de la valeur ajoutée par l’agriculture (FAO, 2004). La valeur agricole ajoutée par travailleur (tableau 3), qui est un indicateur de productivité, donne un aperçu sur l'efficacité du travail de la terre.
Il est démontré, selon la FAO, que pour combler les déficits nutritionnels induits par la croissance de la démographie et la faiblesse de la production, celle-ci doit augmenter de 60 %. Les superficies irriguées doivent augmenter de 265 millions ha en 2008 à 331 millions ha en 2050, ce qui nécessitera 500 km³ d’eau en plus. Mais en raison du manque d'eau, la meilleure solution consisterait à améliorer l'efficience des eaux d’irrigation. Actuellement, elle est estimée à 38 % à l’échelle mondiale, elle doit augmenter à 42 %. Autrement dit, les pertes d'eau d'irrigation doivent diminuer de 8 %.
Conclusion
Les pays arabes où vivent 324 millions d’habitants sont désavantagés par leur situation géographique et notamment la circulation atmosphérique générale. Cette position imprime à leur climat une aridité et une hyperaridité dominantes, caractérisées par des niveaux de précipitation très faibles et des températures élevées. Les espaces désertiques occupent la moitié de la superficie totale. Le climat est qualifié de capricieux et d’agressif, conjugué à une sécheresse structurelle rendant la gouvernance de l'eau problématique. La population arabe, qui représente 4,3 % du total mondial, ne dispose que de 0,63 % des ressources en eau renouvelable du globe, dont la moitié est d'origine exogène, source de conflits potentiels.
Les ressources en eau renouvelables sont estimées à 278 km³, se répartissant selon une quantité annuelle de 583 m³ par habitant. Cette valeur comparée à la norme (500 m³) montre la vulnérabilité de la région arabe vis-à-vis du stress hydrique et de ses conséquences sur le développement. Ces potentialités sont concentrées à 92 % dans 8 pays totalisant 83,4 % de la population globale et plusieurs pays sont déjà sous la menace de la pénurie d’eau.
Les volumes prélevés sont évalués à 180 km³, soit un taux de 65 % des ressources renouvelables, induisant une dotation moyenne annuelle de 421 m³ par habitant. 32 % de la population mobilise 57 % des prélèvements et la plupart des pays, à l’exception du Soudan et du Liban, utilisent déjà plus de 40 % de leurs ressources en eau renouvelables. Les volumes prélevés sont destinés à 75 % à l'agriculture, l'Égypte et l’Irak consacrant respectivement 50 km³ et 40 km³ à ce secteur. Le secteur domestique mobilise 19 % et le secteur industriel 6 %. Il faut souligner que ces volumes n’arrivent pas entièrement aux utilisateurs pour cause de mauvaise gestion. La situation sur le terrain est plus dramatique.
Les rendements d'utilisation de l'eau sont très faibles et la situation du stress hydrique dérive plus rapidement vers la limite létale, tirée par la croissance démographique.
à investir dans le dessalement de l'eau de mer et la réutilisation des eaux usées épurées en espérant amoindrir la crise hydrique. Au total, les quantités d'eau dessalées avoisinent 2,5 km³ et participent en moyenne à 4,2 % à la consommation domestique.
Ce taux est relativement plus élevé pour les pays de la péninsule arabique. En revanche, les potentialités d’eau usée épurée s’élèvent à 1,6 km³ dont uniquement 1,8 % est réutilisé en agriculture.
En dépit de ces efforts dans le secteur de l'eau, la production est restée insuffisante au regard des besoins alimentaires de la population. La superficie agricole utile demeure insuffisante avec 1 ha pour 5 habitants et 1 ha irrigué pour 25 habitants.
La plupart des pays arabes importent leurs besoins alimentaires ce qui pose un problème de sécurité. Pour espérer échapper à cette dépendance, les politiques agricoles et hydrauliques doivent changer dans le cadre d’une politique générale cohérente, basée sur des principes scientifiques conduisant à produire plus de nourriture avec moins d'eau.