Cet article présente les résultats obtenus au cours des études menées par Veolia Environnement en terme de sécurisation contre les légionelles des réseaux d'eau chaude sanitaire par les traitements chimiques de type chlorés.
L’efficacité accrue des moyens de surveillance ainsi que l’amélioration des moyens de détection contribuent à l’augmentation régulière du nombre de cas recensés de légionellose chaque année. Maladie à déclaration obligatoire depuis 1987, 1 527 cas ont été recensés en 2005 contre seulement 610 cas en 2000 (données INVS). Si les tours aéroréfrigérantes (TAR) ont été très souvent incriminées lors des épidémies récentes, les réseaux d’eau chaude sanitaire (RECS) peuvent également être à l’origine de la transmission de la maladie.
En effet, les légionelles, bacilles Gram négatif qui se retrouvent naturellement dans les eaux douces de surface, peuvent coloniser les milieux hydriques artificiels tels les RECS. Les facteurs favorisant leur développement dans ces réseaux sont essentiellement :
- – une température optimale de développement comprise entre 30 °C et 45 °C,
- – une stagnation de l’eau dans des bras morts fonctionnels ou liée à une mauvaise conception du réseau,
- – une corrosion ou un entartrage poussés des canalisations.
L’exposition à des aérosols contaminés notamment lors de douches peut alors être à l’origine d’une contamination humaine.
La réglementation relative à la prévention du risque légionelles dans les établissements de santé (Circulaire du 22 avril 2002) impose le déclenchement d’une alerte dès lors que la concentration en légionelles au point d’usage dépasse 10³ UFC/L. Des mesures immédiates préventives et/ou curatives doivent être menées afin d’abattre cette teneur. La circulaire précise le type de traitements pouvant être appliqués dans les RECS : ils peuvent être de nature physique ou chimique. La chloration est le traitement chimique le plus largement utilisé en désinfection de l’eau potable.
Cet article reprend donc l’expérience des traitements chlorés.
Les traitements chlorés acquis par le groupe Veolia Environnement.
Les études réalisées avaient pour objectif d’évaluer les performances spécifiques de désinfection vis-à-vis de certains pathogènes et notamment les légionelles. Il est en effet indispensable pour une bonne gestion des traitements d’eau d’estimer les concentrations de produits et les temps de contact nécessaires mis au regard d’un abattement de la bactérie (notion de CT). Cet indicateur de performance permet en effet d’estimer les doses minimales à mettre en œuvre par nos opérateurs sur les réseaux contaminés.
Une estimation de ces CT a été réalisée au Centre de Recherche sur l’Eau. Des essais à l’échelle d’un pilote contrôlé et des suivis sur site ont ensuite permis de valider l’efficacité de ces traitements.
Notion de CT = Indicateur de performance du traitement d’eau
Afin d’estimer les CT, des essais en laboratoire à l’échelle du “bécher” ont été réalisés (cf. figure 1). Un suivi régulier des concentrations en légionelles (méthode par culture NFT 90-431) permet d’établir un abattement (% de bactéries éliminées) en fonction du temps.
Les tableaux 1 et 2 présentent les résultats obtenus avec les gammes de concentration en chlore décrites dans la réglementation pour des traitements curatifs ou continus. Les CT associés à chaque temps de prélèvement sont reportés avec les concentrations résiduelles en légionelles.
Le chlore a une action très rapide sur les légionelles libres. Avec une concentration de 30 mg/l, il faut 1 minute (soit une dose de 0,5 mg/l pendant 1 heure) pour obtenir une réduction de la concentration en légionelles d’au moins 98 %, ce qui correspond à un abattement supérieur à 1,7 Log. Cet abattement est d’au moins 2,7 Log en 1 minute (soit 99,8 % de légionelles inactivées) pour une teneur de 120 mg/l.
Lors de traitements curatifs avec injection de 50 mg/l de chlore pendant 12 heures (l’une des méthodes préconisées par la réglementation), les CT mis en œuvre sont très largement supérieurs à ces valeurs (de l’ordre de 24 000 mg min/l). Ces doses de chlore, sous réserve d’atteindre la totalité du réseau, sont donc amplement suffisantes pour désinfecter les légionelles libres dans le circuit.
Compte tenu des résultats obtenus en laboratoire, la question de la pertinence de la mise en œuvre de concentrations en chlore aussi élevées lors des traitements chocs se pose, d’autant plus que les retours d’expérience de ce traitement curatif montrent ses limites. D’une manière générale, afin de lutter efficacement contre les légionelles dans les RECS, il est nécessaire et indispensable d’agir en premier lieu sur les facteurs favorisants son développement. Il peut néanmoins s’avérer difficile de mettre en place un plan de mise en conformité pour les installations existantes compte tenu des caractéristiques des réseaux et de la présence d’un biofilm potentiellement chargé en légionelles. Ainsi, afin d’assurer la protection sanitaire des personnes lorsque la concentration en légionelles dépasse le seuil d’alerte, les entités qui exploitent les réseaux d’eaux chaudes sanitaires choisissent de mettre en œuvre des traitements chimiques.
Chloration choc répétée = Fragilisation des réseaux et recolonisation
La chloration en choc mise en œuvre par les exploitants est un traitement curatif. Elle est identifiée dans la réglementation comme à caractère momentané et pouvant être nécessaire à la suite de la mise en évi—
Présence de concentrations élevées en légionelles dans l'eau (Circulaire du 22 avril 2002).
L'opération consiste, par exemple, à maintenir une concentration de 50 mg/l en chlore libre pendant 12 heures en tous points du réseau.
Ce traitement a été réalisé sur pilote contrôlé afin de valider son efficacité dans des conditions contrôlées et proches de la réalité.
Conformément à nos attentes et à l'étude bibliographique (Lin et al. 1998 ; Kim et al. 2002), les légionelles ne sont plus détectées dans la phase eau immédiatement après le choc chloré. Elles réapparaissent néanmoins en quelques jours à des concentrations équivalentes à celles observées avant le traitement (cf. figure 2). Ceci semble s’expliquer par le faible impact de l'opération sur le biofilm. En effet, plus de 98 % des légionelles présentes dans un réseau se situent dans le biofilm (Block et al. 1997 ; Vidal et al. 2004). Des phénomènes d'arrachage de bactéries de ce dépôt biologique, développé sur les parois internes des canalisations, peuvent alors avoir lieu. Ils peuvent être à l’origine de la remise en circulation de micro-organismes, et donc de la contamination microbiologique du réseau (Circulaire du 28 octobre 2005). Cette recolonisation peut également être liée à la présence d’amibes. En effet, les légionelles peuvent être ingérées et se multiplier à l'intérieur de certains protozoaires grâce aux conditions favorables qui leur sont offertes. Elles se protègent ainsi du stress de leur environnement (modification des conditions et de la qualité de l'eau) et notamment de l'action des biocides (Thomas et al. 2004).
Comme le précise la réglementation, les chocs chlorés doivent être exceptionnels du fait de l’efficacité limitée en cas d’absence d’actions de sécurisation préventives du site. La nature du matériau constituant le réseau peut également être un facteur limitant la mise en œuvre de ce traitement. En effet, il peut potentiellement entraîner des problèmes de corrosion, surtout si cette pratique est réalisée de manière répétitive sur une installation. L'acier galvanisé est le matériau le plus couramment retrouvé en réseaux d'eau chaude sanitaire. Il est reconnu comme étant sensible à la corrosion (Legrand et al. 1995) et la qualité de l'eau peut donc être à l’origine de sa dégradation. La vitesse de corrosion de « l'acier », mesurée par une sonde électrochimique, montre que celle-ci peut être multipliée par 4 pendant un choc chloré à 50 mg/l pendant 12 h (cf. figure 6). Il faut de plus attendre une dizaine de jours pour revenir à la situation initiale.
[Figure : Vitesse de corrosion de l’acier - Choc chloré à 50 mg/l - 12 heures.]
Ce type de choc peut donc être à l’origine d'une perte d’épaisseur du matériau constituant le réseau.
Sur le terrain, nous pouvons observer, pour d’anciennes installations, un état de corrosion avancé et, par endroits, des pertes d’épaisseur sévères des canalisations (découpe métallographique : cf. figure 7). La couche interne de galvanisation initialement présente peut dans ce cas avoir complètement disparu. L’efficacité du choc chloré est limitée pour ces réseaux fragilisés. En effet, le chlore ne pourra atteindre que superficiellement le biofilm formé. Il est de plus consommé en grande partie pour l’oxydation des dépôts. Compte tenu de l’augmentation de la vitesse de corrosion, la mise en œuvre de chocs chlorés de manière répétée peut être à l’origine d’altérations sévères des canalisations (percements...). Ces dégradations peuvent conduire à des fuites et ne s'inscrivent pas dans la démarche de pérennisation du réseau. De plus, ce type d’opérations nécessite une mise en place logistique très lourde. Il appartient donc au traiteur d’eau d’estimer la faisabilité de ces chocs et de choisir la solution de traitement la plus adaptée.
Chloration continue
[0,5-1 ppm] | => Solution de sécurisation pérenne |
Ainsi, dans ce contexte de préservation de l’existant, la chloration continue peut s’inscrire comme une alternative tout aussi efficace et moins traumatisante pour nos réseaux. Ce traitement est l'une des solutions les plus usuellement utilisées pour limiter la prolifération des légionelles circulantes dans l’eau des circuits. Il consiste, selon la réglementation, à l’injection continue de chlore en assurant un résiduel à 1 ppm en tous points de l’installation.
La figure 4 présente les résultats obtenus en pilote pour une chloration à 1 ppm d'une boucle en « acier galvanisé ». Ils montrent une efficacité immédiate du chlore sur la phase eau de la boucle. Dans nos conditions expérimentales, le biofilm n’est pas ou peu atteint par la présence de chlore. L’irrégularité des teneurs en légionelles du biofilm avait déjà pu être observée avant la mise en œuvre de la chloration. Ces bactéries colonisent le biofilm par zone. Les résultats semblent indiquer que, pour un traitement dont le résiduel de chlore est inférieur à 0,5 ppm, il est difficile de maîtriser la teneur en légionelles de l'eau (cf. figure 3). On observe en effet une dérive de cette dernière pouvant atteindre 10⁴ UFC/l. Les essais réalisés sur pilote ont démontré que la vitesse de corrosion de « l’acier » reste inchangée lors d’une chloration continue à 1 ppm (suivi réalisé sur 1 an). Ce traitement a été effectué sur de « l’acier galvanisé » sans traitement filmogène (protection contre la corrosion).
Sur une installation réelle, il existe différentes manières de mettre en œuvre une chloration continue. Afin d’assurer en permanence dans...
Pour maintenir dans le réseau une teneur en chlore libre conforme à la réglementation, il est impératif (cf. figure 8) :
- - d’effectuer une première injection en eau froide d’appoint avec une pompe asservie au compteur ;
- - de mettre en place une pompe de rappel en eau chaude sanitaire asservie à un analyseur en continu (sonde Redox ou autre) placée sur le retour de boucle.
L’eau d’appoint est désinfectée et ne permet pas le réensemencement du circuit en légionnelles. Un suivi en continu du chlore permet d’assurer le résiduel désiré dans le réseau. Une telle mise en œuvre permet de garantir un abattement immédiat des concentrations en légionnelles du réseau d’eau (station de production ECS et points d’usage). On peut néanmoins constater une rapide recolonisation de la phase eau dès l’arrêt de l’injection de chlore (cf. figure 5).
Une chloration continue doit donc faire l’objet d’une surveillance et d’une maintenance régulière. En effet, le moindre incident de fonctionnement (absence de produit, défaut d’injection, dérive de la régulation) peut conduire à une recontamination de la phase eau. Un contrat de maintenance associé à la pose du matériel est donc indispensable.
Les postes de chloration qui ne sont pas installés dans les règles de l’art (ex. : injection unique…) ne permettent pas une complète sécurisation des installations. De plus, l’efficacité n’est assurée que si l’installation considérée regroupe un certain nombre de conditions.
Ainsi, la présence de bras morts, de points d’usage non utilisés, de zones non bouclées ou un réseau très étendu constituent des « zones mortes » que le chlore ne peut atteindre pour la désinfection.
Des purges plus ou moins fréquentes peuvent alors être préconisées afin de garantir l’accès et l’action du chlore dans ces zones sensibles. Une campagne de purges hebdomadaires recommandée sur une installation constituée de bras morts fonctionnels (points d’usage non utilisés pendant de longues périodes) a montré l’efficacité de cette pratique. Dans le cas de réseau très étendu, des stations de rechloration peuvent être conseillées.
En conclusion, la prévention du risque sanitaire aux légionelles nécessite la mise en œuvre d’actions de prévention telles que la mise en conformité des installations selon les règles de l’art.
La sécurisation par le maintien d’une température supérieure à 55 °C en tout point du réseau reste en effet la solution la plus efficace pour lutter contre la prolifération des légionnelles. Sa mise en œuvre n’est malheureusement pas toujours possible sur le terrain, du fait de la conception des systèmes de production et de distribution ECS, et nécessite de ce fait parfois des rénovations complètes des installations. Ainsi, l’utilisation des traitements chimiques par une solution appropriée comme la chloration continue apparaît comme une alternative intéressante pour assurer la sécurisation sanitaire des réseaux. Compte tenu des résultats obtenus en pilote et sur le terrain, les désinfections sous forme de chocs ont une efficacité ponctuelle. En effet, on observe systématiquement une recolonisation du réseau à court terme.
De plus, les chocs répétés présentent un risque pour la tenue des canalisations en « acier galvanisé », déjà fragilisées. C’est pourquoi, lorsque ces traitements s’avèrent indispensables car imposés par les autorités sanitaires ou le client, la faisabilité de cette opération devra obligatoirement être appréciée par le traiteur d’eau au moyen d’un diagnostic des installations (ex. : découpe métallographique). Par ailleurs, ce type d’opération est associé à des contraintes opérationnelles et économiques fortes.
C’est pourquoi un traitement de sécurisation continu comme la chloration représente une solution efficace, aisée de mise en œuvre et plus pérenne pour la tenue des canalisations et la préservation de la qualité de l’eau. D’autres traitements préventifs avec des résultats comparables à la chloration peuvent être considérés comme des alternatives intéressantes (bioxyde de chlore, …).
Toutefois, en considérant une approche technique et économique, le chlore apparaît comme le traitement le plus fiable et le plus avantageux, pour peu qu’il soit réalisé dans les règles de l’art en visant notamment une concentration en chlore actif supérieure à 0,5 ppm en tout point du réseau.
Références bibliographiques
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