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La tragédie du val de Stava

29 novembre 2013 Paru dans le N°366 à la page 149 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

Les dispositifs de mesure et de contrôle mis en place par les exploitants de barrage garantissent que si un glissement de terrain s'avérait imminent, des signes avant-coureurs permettraient de s'en rendre compte et de prendre les dispositions adéquates pour le stabiliser, ou dans le pire des cas, procéder à une évacuation. Par ailleurs, les progrès enregistrés en matière de mécanique des roches notamment, permettent de mieux maîtriser ce risque. Mais il arrive que la négligence des hommes et l'ignorance des normes les plus élémentaires en matière de sécurité rendent ces progrès caducs.

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Nous sommes le 19 juillet 1985, au Nord-Est de l’Italie, à Stava dans les Dolomites. Il fait une journée magnifique comme c’est souvent le cas en cette période de l'année dans cette région très prisée des touristes. Un temps radieux qui tranche avec les nombreuses pluies qui ont arrosé la région tout au long de l’hiver et une bonne partie du printemps. Plus haut dans la montagne, au-dessus de la commune de Tesero, les mineurs s'affairent dans les mines de Prestavel exploitées par le groupe Montedison. Les filons de galène argentifère du massif de Prestavel, exploités depuis le début du 16ᵉ siècle, ont laissé la place au début des années 1930 aux filons de fluorite dont le fluor est utilisé comme fondant dans l'industrie métallurgique ou comme matière première dans les industries chimiques.

Mais les compagnies minières qui participent largement à la prospérité de la vallée sont bien acceptées par les habitants, d’autant que l’activité en elle-même ne génère que peu de nuisances si ce n'est les grandes quantités d’eau et de sable produites par le processus d'extraction du minerai de la roche. Pour stocker ces énormes quantités de déchets miniers, deux gigantesques retenues ont été construites à flanc de

[Photo : Vue aérienne des deux barrages du val de Stava peu avant la catastrophe.]

montagne, l'une au-dessus de l'autre. En amont de ces retenues, d'énormes hydrocyclones se chargent de séparer l'eau du sable, ce dernier s'accumulant jusqu'à former le mur du barrage. C'est tout le principe de ce type de barrages couramment utilisés en industrie minière. À la manière d'un château de sable, de gigantesques remblais de résidus miniers secs et solides retiennent les effluents liquides évacués par d'énormes trop-pleins. Ces ouvrages, qui montent au fur et à mesure de l'exploitation de la mine, s'apparentent aux barrages en remblai dont l'exploitation ne pose pas de problème particulier. À condition d'être bien conçus et convenablement entretenus, ce qui semble être le cas au val de Stava. Le léger glissement de terrain survenu six mois plus tôt, qui avait occasionné une brèche d'une vingtaine de mètres dans le bassin supérieur, a entraîné la fermeture des retenues pour que des travaux d'urgence soient effectués. Les réfections achevées, les barrages ont été remis en service le 15 juillet 1985 sans qu'aucun problème ne soit signalé.

Les habitants du val de Stava sont donc bien loin de se douter, en ce fatidique 19 juillet 1985, que c'est le ciel qui s'apprête à leur tomber sur la tête.

Le ciel sur la tête

Il est 12h23 en ce début d'après-midi d'été, lorsque l'impensable survient. Dans un nuage de fumée à peine précédé d'un épouvantable fracas, le premier barrage cède, libérant dans la seconde retenue située en contrebas et en moins d'une dizaine de secondes l'essentiel des effluents qu'il retenait. Sous la pression de cette énorme masse d'eau et de boues en mouvement, le second barrage rompt à son tour, libérant de la même façon plusieurs milliers de tonnes de sable et d'eau.

C'est, dès lors, un torrent de 230 000 m³ d'eau et de boues qui va dévaler la montagne en détruisant tout sur son passage. La coulée de boue commence par balayer le val de Stava, un hameau distant de 900 mètres. Une trentaine de maisons et trois hôtels, bondés de touristes attablés, sont instantanément balayés. Aucun n'en réchappera. L'énorme déferlante de boue mêlée de débris, qui se déplace maintenant à la vitesse de 90 km/h, atteint ensuite les abords du village de Tesero en dévalant l'artère principale, détruisant au passage tout le centre-ville et une vingtaine de maisons. À 12 h 30, un ancien pont de pierres, vieux de presque dix siècles, est entièrement rasé. Moins de deux minutes plus tard, tout est fini. L'onde de submersion arrive au fond de la vallée où elle perd finalement de sa puissance en se déversant dans la rivière Avisio. Il aura fallu moins de quatre minutes à la coulée pour dévaster la vallée en laissant apparaître une large saignée longue de cinq kilomètres d'un chaos indescriptible.

À 12 h 50, moins de vingt minutes après la tragédie, les services de secours sont déjà sur les lieux. Mais il est trop tard pour secourir qui que ce soit. Les opérations de sauvetage, qui dureront trois semaines, se résumeront à une lente exhumation des personnes enfouies sous la boue. Sur les 288 disparus, 13 seulement sont retrouvés en vie : 89 hommes, 120 femmes et 59 enfants ont péri dans la catastrophe. Bien au-delà

[Photo : Il est 12h23 le 19 juillet 1985, lorsque l'impensable survient. Dans un nuage de fumée précédé d’un épouvantable fracas, le premier barrage cède, libérant dans la seconde retenue située en contrebas l’essentiel des effluents qu’il retenait.]
[Photo : Il aura fallu moins de 4 minutes à la coulée pour dévaster la vallée en laissant apparaître une large saignée longue de 5 kilomètres d’un chaos indescriptible.]

De la vallée, sous le choc, c’est l’Italie toute entière qui est en deuil. La recherche des causes de la tragédie devient une priorité nationale.

Les causes de la tragédie : une priorité nationale

Dès le 20 juillet, les enquêteurs sont sur place pour tenter de déterminer les causes du drame. On commence par évoquer une catastrophe naturelle, notamment un tremblement de terre, qui pourrait être à l’origine d’un glissement de terrain ayant entraîné la rupture des barrages. À l’appui de cette thèse, deux secousses enregistrées par des sismographes à l’heure précise où les barrages ont rompu.

Mais les enquêteurs s’apercevront rapidement que ces secousses, loin de constituer la cause de la catastrophe, résultent en fait des ruptures successives des deux barrages. On évoque ensuite une pluviométrie exceptionnelle, près de 25 % supérieure à celle d’une année normale, qui aurait entraîné une élévation inhabituelle du niveau des eaux dans la première retenue. Mais ce facteur, s’il a pu jouer un rôle, n’est pas retenu comme étant déterminant. On s’oriente alors vers un examen plus minutieux de ce qu’il reste des deux ouvrages et plus particulièrement du premier barrage dont la rupture a rendu inéluctable l’effondrement du second.

Après avoir passé au crible les 360 000 tonnes de boues et de débris qui constituent les vestiges du barrage supérieur, les enquêteurs constatent que le dispositif de trop-plein qui devait soulager l’ouvrage en cas de surcharge ne fonctionnait plus. Un examen plus approfondi de la structure de l’ouvrage et de ses rapports de maintenance les laissera pantois. Une série d’anomalies, toutes restées sans suite, ont été régulièrement signalées au fil des inspections : un sol impropre à l’implantation d’un barrage car trop marécageux et impossible à drainer correctement, des fondations insuffisantes et une mauvaise répartition des charges entre la première et la seconde retenue.

Mais surtout, les enquêteurs mettent la main sur un rapport d’expertise réalisé dix ans plus tôt à la demande de la mairie de Tesero qui révèle que l’inclinaison de l’ouvrage, bien trop importante, rendait la structure instable. Le rapport, étouffé, concluait à un effondrement inévitable. « Il est même surprenant qu’il n’ait pas cédé plus tôt », concluront les experts dans leur rapport final.

L’enquête, qui durera huit ans, débouchera logiquement sur des poursuites judiciaires. Dix personnes, parmi lesquelles huit responsables des cinq compagnies ayant exploité le site depuis la construction du barrage supérieur et deux membres de l’autorité régionale chargée de la sécurité des ouvrages, seront déclarées coupables de négligences criminelles, d’homicides involontaires et condamnées à des peines de prison, fermes pour la plupart.

À la suite de cette catastrophe, la réglementation concernant la sécurité de ce type de barrages sera modifiée en Italie sans que la leçon ne porte dans d’autres pays. Depuis 1985, pas moins de 35 accidents de ce type ont été recensés à travers le monde… La mine du val de Stava, elle, n’a jamais été rouverte.

[Photo : Les opérations de sauvetage, qui dureront trois semaines, se résumeront à une lente exhumation des personnes enfouies sous la boue. Sur les 288 disparus, 13 seulement sont retrouvés en vie : 89 hommes, 120 femmes et 59 enfants ont péri dans la catastrophe.]
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