En y regardant de plus près, le recours à la variation de vitesse n’est pas une solution miracle : une pompe rotodynamique (centrifuge, hélico-centrifuge ou hélice) comme toute turbomachine possède un domaine de fonctionnement ayant des limites physiques. Parallèlement son système d’entraînement (moteur associé à un variateur) est également limité dans sa mise en œuvre. Il en résulte donc un domaine d’application qui, même s’il ne résout pas tous les problèmes, répond à un grand nombre de problématiques.
Pour les mêmes raisons, le choix des bonnes caractéristiques et donc de la bonne machine pour s’adapter au service que l’on en attend n’est pas si simple qu’il y paraît et, sans réflexion, des erreurs de choix peuvent être commises.
, Directeur de Projet, Expert Électromécanique, Safege Ingénieurs Conseils
Tout commence par une phrase extraite d’un cahier des charges : « L’installation fournira de 0 à 450 m³/h ».
Cette contrainte résulte de l’expression d’un besoin, qu’il soit de traitement, production ou distribution d’eau, transport d’eau usée, potable, industrielle, d’irrigation… Parfois, lorsqu’une étude hydraulique préalable a déjà été conduite, y est ajouté : « pour une hauteur totale d’élévation de 20 à 30 mCE ».
La demande telle que formulée
En première approche, le béotien serait en droit de supposer que le service à rendre est un domaine continu et borné par les limites qui sont représentées dans le diagramme “hauteur/débit” de la figure 1.
Analyse du problème posé
Si l’on se rapproche du contexte de notre problème pris en exemple (voir figure 2), il s’agit d’assurer la fourniture en eau d’un réservoir dont le niveau peut être situé entre 20 et 30 m plus haut que le plan d’eau où pompe notre système. La hauteur géométrique de notre réseau varie donc entre 20 et 30 m.
Il est demandé de faire varier le débit pour l’asservir à la demande en eau et au coût de l’énergie électrique suivant la période de la journée.
[Photo : Figure 1 - Interprétation stricte du cahier des charges.]
[Photo : Schéma du système de pompage pris en exemple.]
Les pertes de charges totales de notre circuit (aspiration et refoulement) ont été calculées : elles sont de 5 m à 225 m³/h et de 20 m à 450 m³/h (rappel : les pertes de charges sont proportionnelles au carré de la vitesse du fluide, donc du débit).
Ces éléments nous permettent de représenter les caractéristiques haute et basse de notre réseau et nous aurons donc une aire de fonctionnement située entre les deux limites de réseau visibles sur le diagramme suivant :
[Photo : Caractéristiques du réseau du système de pompage.]
Nous constatons que si la demande physique va bien de « 0 à 450 m³/h » ou « de 20 à 50 mCE », le domaine d'utilisation demandé au système de pompage n’est déjà plus tout à fait ce que laissait supposer notre phrase extraite du cahier des charges.
Fonctionnement d’un groupe de pompage
Caractéristique d’une pompe
Voyons maintenant quelle est l’évolution de la courbe caractéristique H(Q) d'une pompe en vitesse variable :
- Chaque point de la courbe d’une pompe rotodynamique à une vitesse donnée N voit son débit Q évoluer linéairement lorsqu’elle fonctionne à une vitesse N₂ suivant le rapport de vitesse Q₂/Q₁ = N₂/N₁. Par exemple, en tournant à mi-vitesse N₂/N₁ = 1/2, chaque point de débit de la courbe de base se translate à la moitié du débit Q₂/Q₁ = 1/2.
- Chaque point de la courbe d'une pompe rotodynamique à une vitesse donnée N voit sa hauteur H évoluer au carré du rapport de vitesse H₂/H₁ = (N₂/N₁)². Pour reprendre l'exemple ci-dessus : en tournant à mi-vitesse N₂/N₁ = 1/2, chaque point de hauteur de la courbe de base se translate au quart de la hauteur H₂/H₁ = (1/2)² = 1/4.
Ces relations sont traduites dans le diagramme suivant :
[Photo : Transposition de la courbe caractéristique d'une pompe.]
Nous pouvons constater sur ce diagramme qu’un point de fonctionnement de la courbe à vitesse N₁ se translate le long d'une parabole pour finir sur la courbe à vitesse N₂. Il en va ainsi de tous les points caractéristiques H(Q) d’une courbe de pompe rotodynamique ; en particulier le rendement hydraulique associé à ce point de fonctionnement sera le même (ce n’est pas tout à fait exact, mais les effets de la vitesse sur les pertes internes de la cellule hydraulique étant du second ordre nous les considérerons comme négligeables). Donc, si le rendement de la pompe est de 80 % au point (Q₁, H₁), il sera également de 80 % au point (Q₂, H₂).
Domaine d'utilisation d'une pompe rotodynamique
Une pompe ne peut pas fonctionner de façon continue ni à débit nul, ni à hauteur nulle. Le prescripteur ou l'installateur doit se retourner vers le constructeur pour obtenir les limites d'utilisation d'une machine de sa conception. Le constructeur, de par ses essais en laboratoire, sa connaissance des matériaux utilisés et ses retours d'expérience, est le seul à pouvoir s’engager en toute connaissance de cause sur la plage d'utilisation d'une pompe. Nous pouvons voir sur la figure 5 que le domaine se situe de part et d’autre du rendement hydraulique optimal de la pompe ; le constructeur fixant, par rapport à ce point, les limites basse et haute de la plage d’utilisation sans risquer d'endommager la machine (cavitation, vibrations, efforts axial et radial sur la pivote…).
Admettons dans notre cas que le constructeur recommande une plage d'utilisation dont la limite basse est de 75 % du débit au point de meilleur rendement (que nous appellerons Q₀) et jusqu’à 120 % de ce débit pour la limite haute.
Plage d'utilisation du dispositif d'entraînement
Le dispositif d’entraînement en vitesse variable d’une pompe (variateur + moteur) possède également ses limites.
La limite basse est généralement atteinte par le manque de refroidissement du moteur dont le fluide réfrigérant (eau, huile, air) n’arrive plus à maintenir le moteur et ses bobinages à une température acceptable. Certes, à vitesse réduite, la pompe absorbe beaucoup moins de puissance (celle-ci évolue au cube de la vitesse de rotation) mais le variateur de fréquence alimente le moteur avec un courant dont la forme a tendance à faire chauffer les bobinages.
La limite supérieure est atteinte par la puissance maximale que le moteur peut fournir et la vitesse de rotation maximale pour lesquels il a été dimensionné (dimensionnement du diamètre d’arbre, de la butée, vitesse critique d’arbre, frettage...), ainsi que son échauffement devant l’excès de puissance à fournir.
[Photo : Plage d’utilisation d’une pompe.]
- Il existe des plages grises du domaine de fonctionnement de la pompe qui ne seront jamais utilisées ;
- Seule la plage verte recouvre les besoins exprimés jusqu’à la limite basse de 270 m³/h et l’on ne peut descendre à 235 m³/h qu’à la condition que la hauteur géométrique soit de 23 m pour que la pompe se cale sur ce point de fonctionnement (235 m³/h – 29 m à 35 Hz) ;
- La pompe est majoritairement utilisée à gauche de sa parabole de rendement optimal (ligne bleue).
[Photo : Figure 6 : Domaine d'utilisation de la pompe.]
Ces limites sont donc à vérifier auprès des constructeurs. La limite basse est généralement donnée pour 35 Hz (parfois 30 Hz pour certains constructeurs) et la limite haute, pour 50 Hz. Il pourrait paraître judicieux de penser à utiliser un moteur prévu à l’origine pour fonctionner à 60 Hz, sa limite supérieure de vitesse de rotation étant bien entendu plus haute pour entraîner notre pompe (120 % par rapport à un moteur 50 Hz si on l’alimente en 60 Hz au moyen du variateur). Hélas, celui-ci connaît les mêmes problèmes que son homologue conçu pour 50 Hz car sa limite basse autorisée par le constructeur sera ramenée à 42 Hz (70 % de 60 Hz) et la plage de variation n’aura donc pas changé : 70 – 100 %.
Plage d'utilisation résultante de l’électropompe
La superposition de ces limites va remarquablement restreindre le domaine d'utilisation de notre pompe en vitesse variable. Le diagramme ci-dessus (figure 6) nous montre ce domaine si le constructeur du groupe électropompe nous prescrit une plage de fréquence de 35 à 50 Hz et une plage d'utilisation de la pompe de 0,75 à 1,2 × Qₙ.
Recherche d’un système de pompage répondant au réseau de la figure 3
L’extrémum du domaine que nous avons à couvrir est le point 450 m³/h – 50 m ; c’est aussi celui qui requiert la plus grande puissance utile. Il est alors tentant de consulter un constructeur de pompes pour lui commander une pompe 450 m³/h – 50 m (à 50 Hz).
Sans concertation avec le constructeur et si celui-ci répond strictement à la demande formulée, voici, illustré dans la figure 7, ce qui risque de se produire :
- Il existe une plage jaune dans laquelle le besoin n’est pas couvert ;
- Il existe des plages grises du domaine de fonctionnement de la pompe qui ne seront jamais utilisées ;
- Seule la plage verte recouvre les besoins exprimés jusqu’à la limite basse de 220 m³/h sur le réseau maxi (270 m³/h sur le réseau mini) et l’on peut même descendre à 210 m³/h lorsque la hauteur géométrique est de 27 m pour que la pompe se cale sur ce point de fonctionnement (210 m³/h – 31,5 m à 35 Hz) ;
- La pompe est utilisée de chaque côté de son rendement optimal (ligne bleue).
[Photo : Figure 7 : Plage utile.]
Pour couvrir la partie jaune il faudra recourir à un fonctionnement discontinu en respectant le nombre maximal de démarrages dans l’heure autorisé par le constructeur (souvent 6 à 10 suivant la taille de la pompe), en précisant bien que la pompe sera utilisée en vitesse variable ; selon les cas, cela peut faire varier ce nombre. Une autre solution serait d’utiliser deux pompes de caractéristiques différentes selon le besoin, mais on ne couvrira jamais les très faibles débits en continu. Attention alors à la marche en parallèle de pompes de caractéristiques différentes, surtout à des vitesses différentes, qui est la source de bien des problèmes de pompage !
En recherchant une meilleure couverture du besoin exprimé, il convient alors de rechercher une pompe dont le point de fonctionnement optimal est de 402 m³/h – 55 m à 50 Hz ; nous obtiendrons le domaine de fonctionnement de la figure 8. Dans cette figure, nous pouvons faire les observations suivantes :
- Il existe toujours une plage jaune dans laquelle le besoin n’est pas couvert, mais un peu plus réduite qu’à la figure 7 ;
- Il existe toujours des plages grises du domaine de fonctionnement de la pompe qui ne seront jamais utilisées.
[Photo : Figure 8 : Plage utile pompe adaptée.]
Conclusion
L’utilisation de la variation de vitesse dans le pompage passe par une étude approfondie du contexte d'utilisation pour être sûr de bien cerner les besoins. Un dialogue technique doit obligatoirement s’instaurer entre le prescripteur (ou l’installateur) et le constructeur (ou le fournisseur) afin de choisir une électropompe à vitesse variable dont le domaine de fonctionnement est le mieux adapté. À travers un exemple volontairement simpliste, nous avons vu que la mise en œuvre de la variation de vitesse dans le pompage n’est pas une solution qui répond à l’ensemble des besoins mais donne de la souplesse au fonctionnement (pour des groupes surpresseurs par exemple) et permet d’optimiser la consommation énergétique d’un système, à la condition de bien choisir les caractéristiques de la machine. Cette tâche fait partie des études à mener pour conduire à bien un projet de pompage. La détermination et le dimensionnement des accessoires (clapets, ballons surpresseurs...), l’étude des phénomènes transitoires (anti-béliers), des procédures de mise en route et d’arrêt sont, parmi d’autres, à ne pas oublier.