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Le canal des deux mers, ou canal du Midi (2ème partie)

31 mars 2015 Paru dans le N°380 à la page 109 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

Le canal du Midi est le 22ème des 25 sites Français relevant du patrimoine mondial de l'humanité. C?est aussi le plus ancien canal d'Europe encore en fonctionnement. Il comporte des ouvrages uniques, d'un intérêt exceptionnel. Le canal du Midi est resté pratiquement le même depuis sa construction, la navigation touristique a simplement remplacé le trafic commercial. Retour sur l'histoire d'un projet exceptionnel, qui prend forme en 1661 pour s'achever 20 ans plus tard après 12 ans de travaux.

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La rigole d’essai que Riquet fait creuser durant l’été 1665 de Revel à Naurouze est un succès. La possibilité de conduire les eaux du Sor, grossies des apports de la rigole de la Montagne au Conquet, jusqu’au bief de partage du canal de navigation projeté, est démontrée. Les intendants du Languedoc visitent cette rigole d’essai en novembre 1665 et demandent qu’on dresse les plans des lieux où elle passe pour rendre compte de leur visite à Colbert. Ce qui est fait. Les experts établissent un devis précis des ouvrages à exécuter pour la création du canal devant relier la Garonne à l’Aude et l’assurer d'une alimentation en eau en tous temps par la Montagne Noire. Ce devis adopté par les Commissaires doit, par ordre du Roi, être communiqué pour avis à M. le Chevalier de Clerville, commissaire général des fortifications. Cet éminent technicien adopte les grandes lignes des tracés proposés, modifie les dimensions de la voie navigable et surtout les conceptions relatives aux réserves d’eau. Autant pour parer aux pénuries dues aux sécheresses que pour assurer la remise en eau rapide des biefs vidangés pour des réparations, Riquet et les experts avaient prévu une quinzaine de réservoirs le long des rigoles de collecte. M. de Clerville propose de

La rigole de la plaine débouche dans le canal au niveau du seuil de Naurouze, le point le plus haut du Canal du Midi (193 mètres).

remplacer ces « magasins d’eau », comme les appelle Riquet, par un grand réservoir, celui de Saint-Ferréol.

Le Réservoir de Saint-Ferréol

La construction du bassin de Saint-Ferréol, alors le plus grand réservoir d’eau artificiel du monde, débute en 1667. Il sera terminé en 1672. Près de la ferme de Saint-Ferréol, un resserrement du vallon sur un verrou rocheux est retenu comme site de la fameuse digue de Saint-Ferréol, dont la construction allait constituer à l'époque un exploit technique sans précédent par son importance. Il existait bien près d’Alicante un barrage de 58 mètres de hauteur construit vers 1580, mais d'une longueur et d’une masse bien moindres que celui qui allait être édifié à Saint-Ferréol.

Cet ouvrage admirablement conservé, en service depuis 1672 sans la moindre défaillance, étonne encore de nos jours les constructeurs contemporains. Il se compose d'une épine dorsale, le « grand mur », construit en blocs de granit taillés, qui barre le vallon de l’Audot et s’étend sur une longueur de 871 mètres. L’épaisseur de ce mur est d’environ 5 mètres dans sa partie la plus haute qui avoisine les 35 mètres ; à l'amont et à l’aval de ce mur ont été tassés des remblais d’enrochement et de terres argileuses retenus par deux autres murs ; l'un à l'amont, immergé, l’autre à l’aval. Ces murs, épais de 3,90 mètres, sont hauts de 29,25 mètres. La construction du réservoir occupe un millier de travailleurs pendant cinq ans, des maçons et des compagnons pour les ouvrages d'art, et une armée de terrassiers avec des pioches, des pelles, des hottes pour extraire, transporter et régaler les remblais. Un seul écueil apparaît dès la première année sèche : le bassin-versant de l’Audot, qui n’est que de 8 km², ne suffit pas à remplir ce vaste réservoir.

[Photo : Initialement, les écluses de Fonserannes comportaient 8 bassins de forme ovale et 9 portes qui permettaient de franchir une dénivellation de 21 m, sur une longueur de 312 m. Depuis la construction du Pont-Canal, le dernier bassin a été transformé pour permettre aux bateaux de traverser l’Orb grâce à ce pont.]

L’idée de Vauban « La Percée des Cammazes »

Le roi charge alors Vauban d'inspecter le canal royal de Languedoc avec mission d'y apporter les améliorations qu'il jugerait indispensables notamment pour le remplissage du réservoir de Saint-Ferréol. Vauban avait succédé à M. de Clerville dans la charge de Commissaire général des fortifications qui comportait la direction des travaux des forteresses, des ports, des ponts, des voies… Après la visite qu'il fait de tous les ouvrages construits par Riquet, il conclut à la nécessité de conduire dans le réservoir de Saint-Ferréol les eaux collectées par la rigole de la montagne dans les périodes d'abondante pluviosité pour les y mettre en réserve. L’entreprise s’avère difficile car il faut changer de versant, ce qu’on ne peut faire qu’au moyen d'un tunnel. Vauban dresse le projet qui comporte le prolongement de la rigole de la montagne depuis le déversoir de Conquet.

[Encart : Le Canal du Midi en chiffres • La largeur du Canal « au miroir », c’est-à-dire à la surface de l’eau, est de 20 à 24 mètres, et de 5 à 10 mètres « au plafond » c’est-à-dire au fond. • La hauteur d’eau est de 2,00 à 2,50 mètres. • La longueur du canal est de 241 km de Toulouse à l’étang de Thau. • Il est ponctué de 328 ouvrages et 64 écluses dont 33 sont encore manuelles. Elles sont facilement reconnaissables à leur forme ovale, choisie pour, à la manière d'une voûte, résoudre les nombreux problèmes d’effondrements des murs rencontrés à cause de la pression des terres lorsque l'écluse était vide. • L'État est propriétaire du Canal du Midi et de ses berges. Voies navigables de France en assure la gestion.]
[Photo : Le petit port du Somail est l’un des hauts lieux du Canal du Midi. Ce hameau a été créé de toutes pièces en même temps que le canal pour suivre les courbes de niveau. Construit comme étape de couchée, il est implanté sur un bief long de 54 km.]

Jusqu’au village des Cammazes où l’arête de séparation des versants océanique et méditerranéen est la moins épaisse, le franchissement de cette arête est réalisé par un tunnel de 123 mètres de long suivi d'une rigole en tranchée profonde qui se déverse dans l’extrémité haute du versant de l’Audot, que l’on appelle « la percée des Cammazes ». Ces travaux sont réalisés à partir de 1687. Cette importante modification permet de déverser dans le bassin de Saint-Ferréol les apports excédentaires des bassins de l’Alzau (21 km²), de la Bernassonne (6,8 km²), du Lampy (7,2 km²), du Rieutort (5,8 km²) ; au total : 40 km².

Trois tranches de travaux

Les travaux de construction du canal du Midi se dérouleront finalement en trois tranches. Le tronçon de Toulouse à Trèbes, financé par Riquet lui-même, incluant les bassins et systèmes d’alimentation en eau, constituera la première tranche du projet. Dès le mois d’octobre 1666, les travaux sont commencés à plusieurs endroits en même temps. Aussitôt achevé, le premier tronçon est mis en eau et son exploitation commence par une liaison régulière de la barque de Poste entre les villes de Toulouse et Castelnaudary.

La seconde tranche, financée par l’État, débute au mois de juin 1668 entre Trèbes et l’étang de Thau. La troisième tranche consiste en la construction du port de Sète, petit village qui deviendra la ville et le port de pêche que l’on connaît aujourd’hui.

[Encart : Bibliographie • Une réalisation magistrale pour l'époque : le « Canal du Languedoc » ou « des deux mers » par Gabriel Houlie – L'Eau et l'Industrie n° 12 • Histoire Générale du Languedoc – Dumège • Le chemin qui marche – Jeanne Hugon de Scoex – Éditions Loubatières • Le canal du Midi – Jacques Batignes – Éditions Loubatières Internet : www.canalmidi.com – www.vnf.fr]

Le Canal est terminé en quatorze années et Riquet transforme enfin son rêve en réalité... Mais il ne verra pas la réalisation complète de son œuvre et meurt à soixante et onze ans le 1ᵉʳ octobre 1680, quelques mois avant l’achèvement du canal : la mer n’était plus qu’à une lieue et demie...

Le 24 mai 1681, le canal du Midi est inauguré par Daguesseau, alors intendant du Roi. Le même jour, à Béziers, la barque royale franchit une à une les neuf écluses de Fonserannes en grandes pompes. Le lendemain, jour de Pentecôte, la barque traverse l’étang de Thau et vient s’amarrer dans le port de Sète.

[Photo : Le canal est bordé de platanes chargés de faire de l’ombre aux mariniers, de réduire l’évaporation estimée à 145 000 m³ par an et de consolider les berges. Atteints par le chancre coloré, 9 850 arbres ont dû être abattus entre 2006 et 2014.]

(Suite au prochain numéro)

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