Aujourd’hui, les collectivités sont confrontées à un vieillissement du patrimoine que constituent les canalisations des réseaux de distribution d’eau potable alors que les unités de production sont de plus en plus performantes. Afin de garantir une qualité d’eau optimale jusqu’au robinet du consommateur, elles ont besoin d’un outil de surveillance et de maintien de la qualité de l’eau en réseau, complémentaire à leur propre programme d’autosurveillance. Dans ce contexte, le Syndicat des Eaux d’Île-de-France (SEDIF), dont le réseau compte 8 710 kilomètres de canalisations et de branchements (553 500 branchements) et distribue près d’un million de mètres cubes d’eau par jour pour 4 millions d’usagers, a adopté depuis près de cinq ans un outil de diagnostic, appelé l’Aquadiag. Cet outil de diagnostic, développé par la société SETHA (Société d’Étude de Travaux Hydrauliques et d’Adduction d’Eau), complète les 275 000 analyses effectuées dans le cadre réglementaire (Code de la Santé Publique).
Dans un premier temps, cet article présente l’approche générale de l’outil de diagnostic tel qu’il peut être appliqué dans une démarche de gestion patrimoniale d’un réseau de distribution d’eau potable. Une
[Photo : Véhicule laboratoire utilisé pour la réalisation de l'Aquadiag]
Seconde partie abordera à la fois la mise en œuvre de cet outil par Veolia Eau sur le territoire du SEDIF et les résultats obtenus.
Approche générale de l’outil de diagnostic Aquadiag
Bilan de l’existant
Le diagnostic de l’état des réseaux de distribution d'eau potable en relation avec la qualité de l'eau peut être entièrement réalisé avec des techniques non destructives. Il consiste tout d’abord à analyser la situation à partir des données dont dispose l’exploitant :
- • les données géologiques,
- • le diamètre, l’âge et la nature des canalisations,
- • les caractéristiques hydrauliques du réseau (pressions, débits, temps de séjour, rendement, etc.),
- • les causes et fréquences de renouvellement des canalisations,
- • la qualité des eaux brutes,
- • les plaintes des abonnés et leur localisation.
Ces données recoupées avec des cartographies du réseau vont permettre de localiser précisément les zones à étudier en priorité ; ces zones critiques sont préalablement identifiées par de fréquents phénomènes d’eaux rouges et/ou des plaintes de consommateurs. À partir de l'ensemble des données récoltées, un diagnostic « Aquadiag » précis de ces zones critiques peut être réalisé en effectuant des prélèvements d’eau sur les poteaux d'incendie.
[Photo : Boucle d’analyse et de prélèvement installée dans le laboratoire mobile]
Méthodologie
Le principe de l'Aquadiag consiste à prélever et à analyser l'eau du réseau au sein d'une unité mobile (Figure 1) à partir des poteaux à incendie placés sur le réseau. Ce laboratoire mobile intègre une partie « boucle de prélèvement » sur laquelle sont placés différents organes qui permettent de réaliser in situ des analyses physico-chimiques et bactériologiques de l’eau du réseau, dans des conditions hydrauliques de débit et de pression parfaitement maîtrisées (Figure 2). À partir de cette boucle d’analyse, le technicien peut effectuer des prélèvements en temps réel dans de parfaites conditions de répétabilité à deux débits différents. Les prélèvements à faible débit (500 l/h) permettent.
Tableau 1 : Ensemble des paramètres physico-chimiques et microbiologiques mesurés au cours de l’Aquadiag
Paramètres analysés – |
Référence de qualité* – |
Interprétations |
pH, température, conductivité – |
Entre 6,5 et 9 (les eaux ne doivent pas être agressives) ; entre 480 et 1000 µS/cm à 20 °C (les eaux ne doivent pas être corrosives) – |
Le pH permet de contrôler les phénomènes de corrosion. Sa variation témoigne d'évolution de la salinité de l’eau (perturbations environnementales de la ressource, phénomènes de corrosion…). |
Oxygène dissous – |
Concentration > 75 % du taux de saturation – |
La baisse du taux d’oxygène dissous peut témoigner de phénomènes de corrosion ou d’activité bactérienne. |
Dureté – |
– |
Une eau légèrement dure limite les phénomènes de corrosion. Une dureté comprise entre 10 °F et 20 °F est idéale. |
Turbidité – |
2 FNU au robinet de l'usager – |
Son augmentation est liée à la quantité de particules en suspension. Les MES (matières en suspension) forment un support idéal pour les microorganismes. |
Fer total – |
200 µg/l – |
Témoin de l’état de corrosion des canalisations et des phénomènes d'eaux rouges. |
Manganèse – |
50 µg/l – |
Mêmes interprétations que pour le fer total. |
Chlore libre total – |
> 0,1** – |
La présence de chlore est nécessaire à la préservation de la qualité de l'eau. Sa valeur élevée peut entraîner des désagréments organoleptiques et la formation de sous-produits néfastes. |
Bactéries coliformes – |
Absence de coliformes – |
Germes tests de contamination fécale. |
* décret n° 2001-1220 du 20 décembre 2001.
** Le plan Vigipirate (Circulaire DGSSD7A n° 2003-524/DE/19-08 du 7 novembre 2003) impose une concentration en chlore supérieure à 0,1 mg/l sur l'ensemble du réseau de distribution.
[Photo : Échantillon de canalisation avant son sablage.]
[Photo : Échantillon de canalisation après son sablage.]
de reconstituer les conditions de soutirage classique au robinet d'un usager et d’évaluer ainsi la qualité de l'eau distribuée tandis que ceux à fort débit (60 m³/h) cherchent à simuler le comportement du réseau dans des conditions d’exploitation telles qu’elles remettent en suspension les dépôts peu adhérents présents à la surface interne du tuyau et d’évaluer ici l'état de propreté des canalisations. L'intérêt d’une double mesure sur un même point de prélèvement (faible et fort débit) nous amène à caractériser l'interaction entre la conduite et l'eau, ainsi une zone est définie comme critique lorsque l’encrassement d'une conduite est tel qu’il détériore la qualité de l'eau. Les mesures bactériologiques réalisées à fort débit nous renseignent sur les contaminations sous dépôt, cette information ne pourrait être obtenue par une simple mesure à faible débit. L'intérêt étant de pouvoir anticiper les non-conformités bactériologiques à moyen ou long terme par des actions préventives. Par ailleurs, la maîtrise des conditions de prélèvement (durée, débit) ainsi que la connaissance de l’hydraulique du réseau nous permettent de connaître avec exactitude le linéaire réellement sollicité lors du prélèvement.
Les paramètres analysés lors de ce diagnostic sont représentatifs des interactions qui existent entre l'eau et les matériaux. Ainsi la turbidité, les matières en suspension et la quantité de fer dissous seront le reflet d'une corrosion réelle alors que la présence de manganèse renseigne sur la qualité du traitement de l’eau en usine de production (tableau 1).
Le technicien réalise en moyenne 10 prélèvements par jour et les résultats de ces analyses sont obtenus le jour même, l’exploitant du réseau a donc les moyens de réagir très rapidement en cas de dépassements des limites de qualité d’eau définis dans le Code de la Santé Publique.
Analyse métallographique
La cartographie établie lors de la phase de diagnostic fournit des indications sur la localisation des tronçons responsables de la
» Seules les analyses bactériologiques sont obtenues en 24 heures.
dégradation de la qualité de l’eau. Un échantillonnage de conduite peut être alors réalisé pour une analyse métallographique (Figures 3 et 4). Cette analyse consiste à :
- déterminer l'indice d’obstruction de la conduite, responsable de pertes de charges,
- couper la canalisation afin de déterminer la nature des dépôts,
- sabler les faces internes et externes pour mesurer les épaisseurs résiduelles, les profondeurs et la densité de piqûres sur chaque face
Tous ces paramètres vont ensuite être exploités pour caractériser l'état de fragilisation de la conduite, la vitesse de corrosion et la durée de vie de la conduite.
Arbre de décision
L’examen conjoint des résultats de l’Aquadiag et des analyses métallographiques permet d’établir un arbre de décision schématisé par la figure 5. Ce dernier apporte aux exploitants des réseaux d’eau potable, des éléments d'appréciation des actions à mener en terme de gestion patrimoniale des réseaux.
Application de l’Aquadiag sur le Sedif
À raison d’une moyenne de 1 400 points de prélèvement par an répartis sur les 144 communes faisant partie du SEDIF, l’Aquadiag vise à anticiper les dérives éventuelles de qualité d’eau par la mise en place d’actions préventives et/ou correctives pour améliorer l'existant.
En collaboration avec le service étude de Veolia Eau, des campagnes d’échantillonnage sont planifiées annuellement. Cette planification a pour objectif de couvrir l’ensemble du territoire du SEDIF sur une période de 4 ans. Les analyses réalisées dans le cadre de ces campagnes reposent sur des paramètres indicateurs de la qualité de l'eau en réseau tels que la turbidité, les matières en suspension, le fer total, le résiduel chlore et les coliformes totaux.
À l’issue de chaque campagne, un rapport d'étude est rédigé. La durée d'une campagne de mesures variera selon la complexité du réseau à analyser. En plus des données techniques fournies par l’exploitant, ce rapport présente (1) les résultats des analyses sous forme de tableau, (2) une cartographie du réseau sur laquelle sont identifiés les points de prélèvement et (3) leurs principaux résultats à faible (Figure 6-a) et à fort débit (Figure 6-b).
La représentation des résultats sous forme de pictogrammes de différentes couleurs permet de mettre aisément en évidence les points sensibles de la zone de distribution étudiée. La lecture de l'information est simplifiée par la correspondance entre la valeur
[Photo : Arbre de décision de l’Aquadiag.]
LÉGENDE ANALYSES
Manganèse, TURBIDITÉ
Fe Tot. MES
Normes/références :
- Turbidité : 2 FNU
- MES : 10 mg/L (réf.)
- Fer Total : µg/L
- Mn < 50 µg/L
Couleurs :
- Conforme à la norme
- 1 à 3 fois la norme
- 4 à 10 fois la norme
- ⁺10 fois la norme
[Photo : Figure 6 : (a) Cartographie des résultats à faible débit et (b) cartographie des résultats à fort débit.]
Croissante du paramètre mesuré (de conforme à +10 fois la norme) et le code couleur (de blanc à noir).
Les 1 400 Aquadiag ont permis d’adapter le programme de nettoyage de canalisation, qui a porté, en 2004, sur environ 150 km de canalisations. L’utilisation de l’Aquadiag comme diagnostic préalable a permis d’optimiser l’efficacité de la politique de nettoyage des canalisations sur l’ensemble de son périmètre d’exploitation.
Par ailleurs, le SEDIF a entrepris une campagne d’échantillonnage de conduite en fonte (prélèvement suite à une rupture de conduite) pour réaliser des analyses métallographiques. L’examen conjoint des résultats de l’Aquadiag et des analyses métallographiques doit permettre à terme de contribuer à la politique de renouvellement patrimonial.
En termes de perspective, une base de données pourrait être établie à partir des résultats obtenus par l’Aquadiag, sous forme d’affichage sur le système d’information géographique (SIG) déjà existant. Cette nouvelle donnée devrait permettre une appréciation rapide et efficace des phénomènes favorisant ou limitant l’obstruction des réseaux.
Conclusion
L’ensemble des résultats obtenus (analyses physico-chimiques, bactériologiques et métallographiques) lors d’un Aquadiag apporte une aide aux exploitants dans la définition des actions à mener en termes de gestion patrimoniale de leurs réseaux. Dans une approche économique, l’Aquadiag permet au gestionnaire de mieux gérer l’entretien de son réseau (prévision de campagnes de nettoyage) et pourrait être, à terme, un des éléments d’évaluation de la nécessité d’une réhabilitation ou d’un renouvellement.
Véritable outil de diagnostic et d’autocontrôle, l’Aquadiag s’inscrit dans la démarche de management qualité que mène le Syndicat des Eaux d’Île-de-France sur les réseaux de distribution d’eau potable desservant tout son territoire.
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