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Le pont de Québec : une construction tumultueuse

30 avril 2013 Paru dans le N°361 à la page 101 ( mots)
Rédigé par : Alain MAUDUIT

Il est aujourd'hui considéré comme un chef-d'?uvre d'ingénierie presque unique au monde. Pourtant, la construction du pont de Québec a profondément modifié les conditions d'exercice de la profession d'ingénieur, tant ont été démontrés à cette occasion les dangers de l'autorité absolue d'un seul ingénieur sur un projet.

Au cours de la seconde partie du 19ᵉ siècle, en Amérique du Nord comme d’ailleurs dans les grandes villes européennes, le développement des chemins de fer bouleverse la façon de concevoir la ville. La voirie doit faire l’objet de nombreux réaménagements et le développement d’un trafic toujours plus important impose bien souvent de relier les rives des fleuves par des ponts capables d’assurer la continuité des circulations piétonnières et ferroviaires alors qu’apparaît à peine l’automobile. Au Canada, la ville de Québec n’échappe pas à ce constat. En 1890, la seule façon de traverser le Saint-Laurent de Québec à Lévis et vice-versa est de prendre un transbordeur ou un traversier, même si l’hiver, un pont de glace permet de joindre les deux rives.

[Photo : En 1905, l’édification de la superstructure commence. Mais dès cette période, plusieurs problèmes inquiètent les ingénieurs qui se trouvent sur place. Certaines poutrelles se révèlent difficiles à aligner. D’autres se déforment et se courbent sous le seul poids de leur propre charge.]

Au début des années 1890, il devient évident qu’un pont ferroviaire est nécessaire.

En 1896, la Compagnie des ponts du Québec, créée pour l’occasion, est chargée de choisir un site pour la construction d'un pont dont le type est laissé à son appréciation. Son choix se porte logiquement sur le point le plus étroit du fleuve, à un endroit où la hauteur des falaises permet de laisser une hauteur libre sous le pont suffisante aux passages de gros bateaux.

Au mois de juin 1900, le contrat de construction est signé pour un pont de type Cantilever, c’est-à-dire un pont dont le tablier est constitué de poutres construites en porte-à-faux, le seul capable, à cette époque, de supporter des charges aussi lourdes qu’un train de marchandises.

Un pont capable de supporter de lourdes charges

Le 2 octobre 1900, la première pierre est posée sur la rive nord au cours d’une cérémonie grandiose rassemblant le ban et l'arrière-ban de la ville. Au cours de la même année, les travaux se concentrent sur la construction des caissons puis des piliers nord et sud, sur les deux rives du Saint Laurent. Compte tenu de la nature des travaux à effectuer, on a pris la précaution de recruter en majorité des Indiens Caughnawaga de la région, réputés capables de travailler à des hauteurs importantes sans ressentir de vertige. Les travaux, menés par la Phoenix Bridge Company de l'État de Pennsylvanie avancent rapidement sous la direction de l’ingénieur américain Théodore Cooper, auteur de nombreux projets prestigieux dont le Coraopolis Bridge aux États-Unis. En 1905, l’édification de la superstructure proprement dite peut commencer. Mais dès cette période, plusieurs problèmes inquiètent les ingénieurs qui se trouvent sur place. Certaines poutrelles se révèlent difficiles à aligner. D’autres se déforment et se courbent sous le seul poids de leur propre charge. On signale des déflexions latérales de certaines membrures. Certains boulons, à peine fixés, se cassent net. On choisit cependant de faire confiance à l’ingénieur Cooper qui, certain de ses calculs, supervise les travaux de son lointain bureau de New York.

Sur le chantier pourtant, l'inquiétude monte au fur et à mesure que les distorsions se multiplient. Au cours du mois d’août 1907, plusieurs ingénieurs sont dépêchés sur place pour examiner les superstructures du pont. Leurs rapports rédigés les 27 et 28 août sont si alarmistes que le 29 août au matin, Théodore Cooper lui-même finit par expédier un télégramme ordonnant la suspension immédiate des travaux. Le télégramme arrive à 13 h 13 l'après-midi du 29 alors que la pose d'une nouvelle membrure occupe l'ensemble des contremaîtres et des ouvriers sur le chantier. À 17 h 37, la structure sud du pont s'écroule sur la rive et dans les eaux du fleuve dans un fracas épouvantable qui se fait entendre à des kilomètres à la ronde, entraînant dans sa chute une centaine d’ouvriers qui y travaillent encore. L'effondrement cause la mort de 76 hommes.

Dans toute la ville, c’est la consternation. On nomme sans attendre une commission d’enquête qui rend ses conclusions quelques mois plus tard. Elles seront implacables : l'effondrement du pont est imputable à une conception défaillante reposant sur une erreur de calcul qui a conduit à sous-évaluer le

[Photo : Le 29 août 1907 à 17 h 37, la structure sud du pont s’écroule sur la rive et dans les eaux du fleuve dans un fracas épouvantable qui se fait entendre à des kilomètres à la ronde, entraînant dans sa chute une centaine d’ouvriers qui y travaillent encore.]
[Photo : Le retentissement de la catastrophe, due à une grave erreur d'ingénierie, est énorme.]

de construction ainsi que les piliers en béton qui ne sont pas mis en cause dans la catastrophe. Il ne sera que partiellement entendu : la commission conclut que rien de l’ancien projet, hormis le site et le type du pont, ne peut être repris. On doit tout reconcevoir et tout reconstruire, même les piliers coulés dans le lit du Saint-Laurent. Les travaux débutent dès le printemps 1910. Les bras d’ancrage et cantilever nord et sud sont construits entre 1913 et 1916. Enfin, le 11 septembre 1916, on est prêt à installer la travée centrale. Construite à proximité du chantier, elle doit réunir les deux bras cantilever et achever ainsi la construction du pont.

Plus de 100 000 personnes sont rassemblées sur les rives du fleuve pour assister à cet événement. Mais alors que la travée qui pèse 5 500 tonnes se trouve à 30 pieds au-dessus de l'eau, on entend soudain un craquement sinistre et l’on voit la travée se vriller avant de tourner sur elle-même et plonger dans les eaux du fleuve. Cette deuxième catastrophe coûtera la vie de treize personnes et en blessera quatorze autres. Une enquête minutieuse révélera que la nouvelle tragédie est imputable à un défaut de l'une des pièces assurant la jonction entre la travée et l'un des appareils de levage.

Il faut se résoudre à reconstruire entièrement la partie centrale et pour ceci se procurer une grande quantité d’acier alors même que la guerre fait rage. L’opération ne prendra que quelques mois. Le 20 septembre 1917 à 17 h 15, devant une foule estimée à 125 000 personnes massées sur les deux rives du fleuve, on installe, avec succès cette fois-ci, la travée centrale. Le pont de Québec est enfin terminé....

Il lui restera cependant une dernière épreuve à passer. Elle aura lieu le 21 août 1918. Quatre locomotives d’un poids total de 5 600 tonnes s’avancent sur le pont pour éprouver sa solidité. Elles y stationneront durant deux longues heures permettant ainsi à la ville de Québec de réaliser le rêve qu'elle caressait depuis longtemps, celui de devenir enfin un carrefour des transports d’envergure nationale.

[Photo : Cette photo est prise quelques minutes avant que la travée centrale, qui pèse 5 500 tonnes, se vrille, tourne sur elle-même et plonge dans les eaux du Saint-Laurent. Cette deuxième catastrophe coûtera la vie à treize personnes et en blessera 14 autres.]
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