Aujourd’hui, il existe plusieurs technologies commerciales pour la production d’énergie à partir de biogaz : moteurs à combustion interne, les microturbines à gaz. Les piles à combustible sont l'une des technologies émergentes les plus prometteuses en raison de son rendement électrique supérieur et de faibles émissions de polluants par rapport aux technologies conventionnelles mentionnées ci-dessus. Toutefois, la présence de divers polluants (H₂S et d'autres composés de soufre, les hydrocarbures linéai-
Tableau 1 : Spécifications techniques d’unités de co-génération fonctionnant avec du biogaz
Moteurs de combustion interne |
Micro-turbines à gaz |
Piles à combustible basse température |
Piles à combustible haute température |
CH₄ (%) |
> 40 |
> 35 |
Diluant |
Réactif |
H₂ (%) |
NA |
NA |
72-99,99 |
30-50 |
O₂ (ppm) |
NA |
NA |
< 10 |
20-30 |
H₂S (ppm) |
< 200-500 |
< 70 000 |
< 0,4 |
< 1 |
Siloxanes (mg Si/Nm³) |
< 1-10 |
< 0,01 |
< 0 |
< 1 |
NH₃ (ppm) |
ND |
ND |
< 10 |
< 50 000 |
ND = Non disponible ; NA = N’applique pas
…des hydrocarbures aromatiques, les siloxanes…) représente un risque pour le bon fonctionnement et la diminution de la durée de vie des équipements. C’est pourquoi une étape de nettoyage du gaz est requise au préalable. À titre informatif, quelques spécifications techniques données par les fabricants d’unités de co-génération pour le biogaz d’entrée sont présentées dans le tableau 1.
Entre 60 à 80 % de l’énergie qui est consommée dans une station d’épuration est d’origine électrique. Elle est utilisée majoritairement pour l’aération des bassins de boue activée et pour le pompage d’eau et de boue. C’est pour cette raison que lorsqu'une co-génération avec du biogaz est envisagée, il est souhaitable de chercher à avoir un ratio de production électrique/chaleur le plus haut possible. La technologie de pile à combustible, étant celle qui offre le rendement électrique supérieur à toutes les technologies de co-génération, semble être bien adaptée pour les usines de traitement des eaux usées. Cependant, du fait de son développement moindre, il y a encore un certain nombre d’inconvénients qui doivent être spécifiquement abordés, tels que le coût élevé de l’investissement, les exigences de nettoyage pour le biogaz à l’entrée et la durabilité faible. Cela nécessite une collaboration étroite entre les producteurs de biogaz d’une part, et les fabricants de matériel d’épuration du biogaz et les fournisseurs de piles à combustible, d’autre part. Cette collaboration a pu être organisée grâce à la création du projet de démonstration BIOCELL.
BIOCELL est un projet financé par le programme LIFE + de la Commission européenne, qui a commencé en janvier 2009 dans le but de valider l'utilisation d'une pile à combustible commerciale avec du biogaz épuré afin d’étudier le potentiel de cette technologie dans le traitement des eaux usées. Le projet est dirigé par CETaqua et a trois partenaires : Aguas de Murcia, CIRSEE (Centre de recherche de Suez Environnement) et Degrémont. Avec un budget de 2,4 M €, le projet d'usine pilote permettra d’étudier deux types de piles à combustible : Proton Exchange Membrane Fuel Cell (PEMFC) et Solid Oxide Fuel Cell (SOFC). Il s’agit d'un projet avec un degré élevé d’innovation technologique car il n'y a pas à ce jour, à notre connaissance, de sites qui opèrent ce type de technologies de pile avec du biogaz épuré.
Les résultats de ce projet permettront d’établir une évaluation technique, économique et environnementale de ces technologies et de les comparer avec d’autres technologies plus « conventionnelles ». L'idée étant de connaître avec plus de précision le potentiel et les limites actuelles de l'utilisation des piles à combustible alimentées avec du biogaz. Ci-dessous le principe de configuration et d’exploitation du prototype installé à la station d’épuration de Mataró (exploité par SOREA - Agbar). L’opération a débuté en juillet 2010 et se poursuivra jusqu’à la fin du projet (décembre 2011).
[Photo : pilote BIOCELL installé dans la STEP de Mataró (Espagne) comprenant une pile à combustible SOFC et un système d’épuration du biogaz]
Description du pilote : conception et fonctionnement
La figure 1 montre une image du pilote en mai 2011. Le système de traitement du biogaz et la pile sont installés en plein air afin de réduire tout risque en cas de fuite du gaz. Un bâtiment situé à gauche du pilote (non visible dans la figure 1) contient tous les équipements électriques et le système de contrôle du pilote.
En raison de la forte teneur en H₂S dans le biogaz et des critères stricts de qualité du biogaz en entrée dans la pile SOFC, un système d’épuration du biogaz a été conçu spécifiquement pour ce polluant dans le cadre du projet BIOCELL. Deux étapes de l’élimination ont été installées. La première est composée d'un filtre biologique pour l’élimination grossière du H₂S. La deuxième étape est composée de 2 lits d’oxyde de fer installés en série, d’une étape de déshydratation par refroidissement et de 2 lits en série de charbon actif. Cette deuxième étape traite plus finement le H₂S et permet également l’élimination d’autres polluants du biogaz tels que les siloxanes. Le schéma simplifié du pilote complet est représenté sur la figure 2.
Tous les équipements sont contrôlés par PLC (Programmable Logic Controller) pour permettre un fonctionnement en continu de l'installation et un pilotage à distance. La composition du biogaz est analysée en continu à différents points du pilote et sert de paramètre principal de contrôle.
- 8 points en ligne pour l’analyse de CH₄ (capteur infrarouge), CO₂ (capteur infrarouge), O₂ (sonde paramagnétique) et H₂S (capteur électrochimique).
- 6 points d’échantillonnage hors ligne pour l’analyse ponctuelle des composantes mineures.
Le système d’épuration du biogaz
Le système d’épuration du biogaz a été conçu pour un débit de 10 Nm³/h. Comme indiqué plus haut, il y a deux étapes distinctes : le traitement grossier et l'affinage.
Dans le lit bactérien se produit une élimination partielle de H₂S dans le biogaz par action de bactéries oxydant le soufre (Sulphur Oxidizing Bacteria). Ces bactéries se développent sur un matériau inorganique de remplissage. L’équipement est conçu pour résister à des pics de concentration de H₂S dans le biogaz allant jusqu’à 3600 ppm. La concentration du biogaz en sortie du lit bactérien descend à des
[Photo : Figure 2 : Diagramme de flux simplifié du pilote SOFC avec le système d’épuration de biogaz (un seul lit est indiqué pour chaque matériau adsorbant).]
Valeurs comprises entre 20 et 70 ppm. Le gaz H₂S est enlevé par deux réactions parallèles : l’oxydation totale en acide sulfurique (réaction 1) et l’oxydation partielle du soufre élémentaire (réaction 2). Cette dernière n’est pas une réaction souhaitée car le produit peut colmater le matériau de remplissage et causer des problèmes opérationnels. Pour que ces deux réactions aient lieu, il est nécessaire d’injecter de petites quantités d’air comme agent oxydant (dilution dans le volume de biogaz de 8 à 10 %).
Réaction 1 : H₂S(g) + 2 O₂(g) ➔ H₂SO₄(aq)
Réaction 2 : H₂S(g) + 0,5 O₂(g) ➔ S(s) + H₂O
Ce type de technologie implique une consommation de réactif minimum car les effluents issus du traitement de l’eau sont utilisés pour la phase liquide. En effet, ces effluents contiennent les éléments nutritifs nécessaires (N, P) pour la croissance bactérienne.
En outre, les déchets liquides générés peuvent être envoyés en tête de station. Pour toutes ces caractéristiques de fonctionnement, le lit bactérien dans le traitement du biogaz est particulièrement attractif.
Le but de la deuxième étape d’épuration du biogaz est d’éliminer le restant d’H₂S et d’autres éléments traces du biogaz pour atteindre les spécifications appropriées pour une utilisation dans les piles SOFC. Seules les technologies d’adsorption permettent une efficacité d’élimination de 99,99 %. Deux lits d’adsorption ont été installés en série afin de permettre une protection maximale de la pile et laisser la possibilité d’opérer le système d’épuration avec un lit simple (lors des changements ou régénération du milieu adsorbant). Cette configuration s’est révélée particulièrement efficace dans d’autres installations industrielles similaires (technologie de pile MCFC et PAFC par exemple) car elle garantit le fonctionnement en continu du traitement du biogaz au cours de la durée de vie de la pile, un point très important parce que le nombre d’arrêts et de mises en marche de la pile est limité. Afin de prolonger la vie du filtre de charbon actif, le biogaz est préalablement séché par un système de refroidissement avec deux échangeurs de chaleur (gaz-gaz et gaz-liquide). À ce stade, certains polluants sont éliminés et retirés du système avec l’humidité d’eau condensée.
La pile à combustible du type SOFC
Seule une partie de la production de biogaz épuré par le système pilote, de 0,9 à 1,2 Nm³/h, alimentera la pile de 2,2 kWe pile SOFC. La pile est entièrement intégrée permettant la récupération de l’énergie thermique de 0,8 à 1,2 kWth (eau chaude à 50 °C). La haute température à laquelle la pile opère (850 °C) permet un reformage interne du biogaz : la conversion du CH₄ en H₂ et CO (qui sont les combustibles qui seront oxydés électro-chimiquement dans une SOFC) se produit dans la pile. Le type de reformage qui a lieu dans une SOFC est du type combiné car il fait intervenir deux agents : le CO₂ dans le biogaz (reformage à sec) et la vapeur d’eau qui est ajoutée (reformage humide). Le rendement électrique net garanti par le fabricant des piles est de 30 % pour 3000 heures d’opération et jusqu’à 30 cycles thermiques. Cependant, des tests préliminaires effectués sur ce pilote ont montré des valeurs significativement plus élevées.
Conclusions
L’opération du pilote complet vient de commencer et le recueil des données opérationnelles représentatives se trouve dans la phase initiale. Le système d’épuration du biogaz installé a déjà été validé expérimentalement. Il permet de produire un biogaz réel épuré respectant en continu les seuils fixés par les fabricants de piles du type SOFC.
Remerciements
Le pilote présenté a été réalisé grâce au financement du programme LIFE + (projet BIOCELL, LIFE07 ENV/E/000847). Plus d’informations sur : www.life-biocell.eu ou par courriel à nares.pacochaga@cetaqua.com et carlos.peregrina@suez-env.com.
Références bibliographiques
• Abatzoglou N. and Boivin S. (2009) : A review of biogas purification processes. Biofuels, bioproducts and biorefining, 3 : 42-71.
• Fortuny M., Baeza J.A., Gamisans X., Casas C., Lafuente J., Deshusses M.A., Gabriel D. (2008) : Biological sweetening of energy gases mimics in biotrickling filters. Chemosphere 71 : 10-17.
• Kendall K., Finnerty C.M., Saunders G., Chung J.T. (2002) : Effects of dilution on methane entering an SOFC anode. Journal of Power Sources 106 : 323-327.