Les activités vinicoles, notamment celles qui conduisent à l'élaboration du vin de Champagne, génèrent des rejets polluants importants. Ces rejets, à caractère très saisonnier, sont à l'origine des dysfonctionnements des stations d’épuration des communes viticoles et perturbent l’équilibre biologique des cours d’eau, en particulier lorsque ces derniers sont en étiage.
Les effluents vinicoles, très riches en matières organiques (sucres, acides organiques, alcool, polyphénols) sont rejetés pour l’essentiel pendant la période des vendanges (activité pressurage) et pendant les opérations de soutirage et de clarification du vin (figure 1). Ces périodes correspondent, en effet, à de nombreux lavages de matériel (pressoirs, cuves, filtres, …) et au rejet éventuel de sous-produits tels que bourbes et lies, jus de marcs, solutions de détartrage, terres de filtration. Ainsi, il faut environ cent litres d’eau pour faire un hectolitre de vin. Ces effluents, facilement biodégradables, sont en moyenne dix fois plus concentrés que les effluents urbains (figure 2). Les bourbes et les lies représentent à elles seules plus de 40 % de la pollution liée à l’élaboration du Champagne.
Une pollution organique très concentrée
C’est à la suite de campagnes de mesures menées par l’Agence de l’Eau Seine-Normandie au sein d’une dizaine d’établissements vinicoles champenois, au cours des années 1978 et 1979, qu’il est apparu que les activités liées au pressurage des raisins et à la vinification représentaient une source importante de pollution. Ainsi, pendant les quinze jours de vendange, les deux mille centres de pressurage
[Figure 1 : des rejets à chaque étape de l'élaboration]
[Photo : Figure 2 : Comparaison de divers effluents]
Champenois rejettent une pollution équivalente à celle d’une ville de 400 000 habitants (eaux de lavage seules) ou de 550 000 habitants (en intégrant les bourbes).
Ces éléments ont d’ailleurs conduit l’Agence de l'eau à mettre en place dès 1981 une redevance pollution spécifique pour les établissements vinicoles champenois. Parallèlement, elle finançait un programme d’expérimentation conduit par le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC) visant à rechercher et valider des techniques d’épuration adaptées au traitement des effluents vinicoles.
[Photo : Figure 3 : valeur agronomique des effluents vinicoles]
Une récupération systématique des sous-produits
La résolution des problèmes posés par les effluents vinicoles passe, au préalable, par une récupération systématique des sous-produits compte tenu du poids de pollution qu’ils représentent. La politique de double incitation financière (redevance pollution, aides à la dépollution) conduite par l’Agence de l’eau ainsi que les campagnes de sensibilisation à l’initiative de l’interprofession ont permis d’aller, en Champagne, vers une récupération quasi totale des bourbes et des lies.
[Encart : Le champagne en chiffres
- 3 cépages : Chardonnay (cépage blanc), Pinot Noir et Meunier (cépages noirs)
- 3 départements : la Marne (70 % des surfaces), l’Aube (21 %) et l’Aisne (9 %) et quelques hectares en Seine-et-Marne et en Haute-Marne
- 30 000 ha d’aire d’appellation en production
- 2,1 millions d’hectolitres de moût d’appellation Champagne produit en 1995 (ce qui équivaut à 280 millions de bouteilles !)
- 15 500 vignerons possédant 90 % du vignoble
- 1 900 centres de pressurage]
Un certain nombre d’aménagements internes doivent, en outre, être réalisés dans le but de réduire les volumes d’effluents à traiter : séparation des réseaux, économie d’eau.
L’épandage agricole
À l’issue du programme d’expérimentation initié en 1981, il est apparu que l’épandage agricole était, compte tenu d’un contexte local favorable, la solution la plus adaptée pour le traitement des eaux de lavage d’origine vinicole.
Le choix de cette filière suppose la mise en place dans chaque établissement d’un stockage de sécurité étanche pour faire face à des conditions climatiques défavorables, pendant lesquelles l’épandage est impossible.
La capacité de ce stockage dépendra des volumes d’effluents concernés, du type de dispositif d’épandage mis en œuvre (épandage par canon d’aspersion ou tonne à lisier), des périodes d’épandage et des caractéristiques agropédologiques et d’éloignement des parcelles agricoles concernées. Il faut noter que les effluents vinicoles ne présentent pas ou peu d’intérêts sur le plan agronomique, mais leur épandage en agriculture permet un recyclage de la matière organique qu’ils contiennent (figure 3).
À ce jour, près de 170 centres de pressurage champenois ont choisi ce mode de traitement. Chaque année, ils épandent 40 000 m³ d’effluents sur des terrains agricoles adaptés et pour la plupart validés par une étude de périmètre d’épandage, avec une dose moyenne de 100 à 400 m³ d’effluents par hectare (figure 4).
Lorsque l’épandage ne peut être mis en œuvre (absence de terrains agricoles aptes à l’épandage, impossibilité de mettre en place un stockage), d’autres solutions existent.
[Photo : Figure 4 : épandage des effluents vinicoles par tonne à lisier]
Le stockage-aéré
Le traitement par stockage aéré en est une. Il repose sur une mise en œuvre rustique du traitement biologique aérobie (figure 5). Toutes les phases du traitement se déroulent, par bâchée, dans un stockage unique équipé d’un dispositif d’aération (hydroéjecteur, turbine). Pendant une phase d’aération intensive qui s’étale sur 3 à 6 semaines, plus de 95 % de la matière organique est dégradée sous l’action de micro-organismes. Puis, au cours d’une phase de décantation qui dure une ou deux semaines, les boues résultant du traitement biologique sédimentent en fond de stockage. L’effluent épuré peut être pompé et rejeté à petit débit dans le réseau d’assainissement ou le milieu naturel. Les boues formées, qui représentent de faibles volumes (2-4 % du volume des effluents traités), font en général l’objet d’un épandage agricole. Une dizaine d’établissements champenois ont déjà adopté cette technique rustique et facile à mettre en œuvre.
[Photo : Figure 5 : schéma de principe de stockage-aéré (pompes avec hydroéjecteur)]
Le traitement associé aux effluents domestiques
Les problèmes de pollution rencontrés en période de vendanges (multiplication par dix, voire par trente de la pollution à traiter) ont incité plus d’une quinzaine de communes viticoles à mettre en place des dispositifs d’épuration capables de traiter simultanément les effluents vinicoles et domestiques.
Ces dispositifs comprennent généralement un réseau de collecte séparatif eaux usées/eaux pluviales, un ou plusieurs bassins de stockage étanches de grande capacité (plusieurs milliers de m³) et une station d’épuration biologique raisonnablement surdimensionnée.
Les effluents vinicoles et domestiques de la période des vendanges, riches en matières organiques, sont stockés dans les bassins avant d’être envoyés, en différé, à petit débit, pendant plusieurs mois (un à six mois), sur la station d’épuration (principe de l’étalement des rejets).
L’action « oeno 2000 »
Aujourd’hui, les professionnels champenois ont clairement pris conscience des problèmes de pollution liés à leur activité. Ils ont su prendre une part active dans la lutte contre la pollution. Dans le but de continuer sur cette lancée, l’agence a décidé de participer financièrement à un programme d’étude pluriannuel « Oeno 2000 en Champagne » dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par le CIVC. À partir d’un bilan eau et pollution pour chacune des étapes de l’élaboration du vin de Champagne, cette étude vise à rechercher et développer des mesures internes et des procédés de traitement conduisant à une oenologie propre.
Longtemps région « pionnière » dans le domaine du traitement des rejets vinicoles, notamment par rapport aux régions méditerranéennes, la Champagne ne doit pourtant pas s’endormir sur ses lauriers. Il reste encore à faire…
[Photo : Opération de lavage d’un pressoir]