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Le traitement enzymatique des graisses dans les stations d'épuration

30 juillet 1990 Paru dans le N°138 à la page 63 ( mots)
Rédigé par : Christian TSCHOCKE

Parce qu'elles se dégradent lentement et aussi parce qu'elles se figent facilement à faible température, les graisses sont indésirables dans les réseaux amenant les eaux usées aux stations d'épuration. C'est la raison pour laquelle les techniciens ont prévu des ouvrages de protection tels les bacs à graisse à la sortie des collectivités et les dégraisseurs en tête des stations d'épuration. L'efficacité de ces ouvrages pose néanmoins une question qui revêt chaque jour une importance nouvelle : « que faire des graisses ? »

[Photo : La station-pilote.]

L'incinération, malgré un bon PCI, est problématique en raison de la distribution restreinte des usines de traitement sur le territoire national. De son côté, la valorisation reste peu utilisée, d'autant plus que les graisses entraînent souvent des produits plus ou moins toxiques. L'évacuation sauvage en pleine nature est prohibée au profit des décharges contrôlées qui ont pour mission de gérer les déchets en contrepartie d'une juste rémunération. La transformation par les lombrics en biomasse riche en protéines reste pour l'instant une flatteuse conception intellectuelle mais les aléas du procédé ne sont pas encore tous bien cernés.

Afin de résoudre les problèmes d'évacuation, en limitant l'inflation du coût du traitement des graisses, nos laboratoires ont développé un procédé de dégradation biologique des graisses urbaines et industrielles.

Chimiquement, les graisses urbaines sont un mélange d'esters acides gras et de glycérol, dont les trois fonctions « alcool » peuvent, suivant leur degré d'estérification, produire des mono, des di ou des triacylglycérols.

Les effluents urbains sont particulièrement riches en triglycérides, dont la formule générale se présente comme suit :

CH₂ — O — COR₁  
CH — O — COR₂  
CH₂ — O — COR₃
[Photo : Fig. 1.]

Les radicaux R₁, R₂, R₃, qui peuvent être identiques ou différents, sont des résidus d'acides gras dont la chaîne plus ou moins longue peut comporter plus ou moins d'insaturations éthyléniques. En fait, plus le degré de saturation des acides gras est élevé plus ceux-ci ont tendance à figer à température ambiante.

Nos chercheurs spécialistes des biotechnologies ont pensé que l'action de lipases produites par des bactéries de plusieurs espèces, constituant des enzymes capables de rompre par hydrolyse la liaison C-O, devrait permettre l'obtention d'un glycérol (CH₂OH-CHOH-

[Photo : Fig. 2: Amélioration de la dégradation des matières grasses obtenue au cours de l'expérimentation.]

CH2OH) et de trois acides gras libres (R1-COOH, R2-COOH et R3-COOH).

Du fait de l'hydrolyse des triglycérides, les nouvelles molécules obtenues deviennent un substrat assimilable par la biomasse des stations d'épuration en entrant dans le cycle de Krebs suivant le schéma simplifié porté sur la figure 1.

Nous devons ainsi obtenir théoriquement en fin de chaîne pour cent unités de triglycérides :

• 10 unités de biomasse,

• 15 unités de métabolites intermédiaires de dégradation,

• 75 unités de métabolites finaux (H2O + CO2).

Après avoir sélectionné les bactéries pour la spécificité de leur appareil enzymatique, et le médium de fixation déterminé, il suffisait de trouver un site pour effectuer des essais en grandeur réelle pendant une période suffisamment longue pour être significative.

La première manipulation a eu lieu au printemps 1989 dans l'Aveyron sur le site de Luc-la-Primaube, petite ville des environs de Rodez, avec le concours du SATESE du département.

Les bactéries fixées sur un médium mis au point par nos soins ont été introduites dans le dégraisseur. Nous avons ensuite mesuré la fréquence des vidanges du silo récepteur et nous l'avons comparée à la fréquence d'enlèvement des graisses avant le traitement.

Alors que la station produisait environ un m³ de graisse par mois, après addition de bactéries, seulement 350 litres furent évacués pendant une période similaire (ce qui donnait un rendement de 65 %).

Supposant que la phase aqueuse récupérée en même temps que les graisses était encore riche en lipases actives, nous avons cherché à la recycler en tête de station de façon à dynamiser l'hydrolyse enzymatique des graisses. Le rendement est alors passé à 83 %, alors que l'on divisait par six la fréquence de vidange des graisses…

Par l'addition d'un émulsionneur mécanique agissant sur les résidus obtenus après hydrolyse des triglycérides, le rendement a même atteint 90 % sur la station de Luchon, en diminuant par dix la fréquence des vidanges du silo de stockage des graisses (figure 2).

Cette expérience menée en collaboration avec les services techniques de la ville de Luchon et du SATESE s'est déroulée pendant l'hiver 1990, au pied des Pyrénées, pendant une période particulièrement froide, ce qui tend à prouver que si la température est un des facteurs limitant les réactions enzymatiques, une bonne application sur le terrain du couple bactério-médium permet un excellent traitement sans perte d'efficacité.

À la suite de ces expérimentations, une série d'essais de confirmation a été menée sur une dizaine de stations d'épuration. Les nombreux enseignements obtenus sur le terrain ont permis d'appliquer le traitement sur une gamme d'ouvrages s'étageant de 1 500 à 300 000 EqH, et depuis le début de l'année cette méthode de traitement des matières grasses est diffusée dans toute l'Europe.

* Grâce au concours de la société OTTB.

[Publicité : EAUW/AEUE]
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