Les graisses et les résidus graisseux sont très difficiles à traiter. Les procédés physiques et physico-chimiques ne suffisent pas à supprimer la pollution même s'ils restent indispensables. Les procédés biologiques basés sur l'hydrolyse seule transforment la pollution sans la réduire. Mais la solution pourrait bien venir des biotechnologies avec l'arrivée de nouveaux procédés supprimant la totalité des lipides en produisant moins de boues ou encore en transformant les lipides en énergie.
Les activités liées à l’industrie alimentaire et à la restauration génèrent des déchets et des graisses d'origine végétale et animale issus des ateliers de transformation des aliments et de découpe de la viande. Chaque année plus de 2,5 millions de tonnes de déchets gras sont ainsi rejetés dont 242 000 tonnes d'huiles usagées, le reste représentant des déchets de parage, des résidus de matières grasses entrant dans la composition des produits, ou encore les résidus gras des bacs à graisse(1).
Ces graisses sont issues d’une collecte externe auprès des restaurants, des collectivités, des industriels ou d'autres stations d’épuration. Recueillies sur leur site de production, elles sont la plupart du temps dépotées à la station d’épuration. Elles sont ensuite traitées avec les graisses extraites de l’effluent dans le cadre des unités de dégraissage mises en place en
(1) Chiffre IFEN 2004. Ce chiffre représente 85 % des mises sur le marché.
Tête de station pour le prétraitement des eaux brutes. Ce piégeage des graisses particulaires, voire flottables, est indispensable pour limiter les désordres entraînés par une concentration trop importante de lipides dans les différentes étapes du traitement, à savoir présence de boules graisseuses, diminution des transferts d’oxygène, flottants, apparition de bactéries filamenteuses...
Les résidus graisseux recueillis à cette étape ont jusqu'à ces dernières années été mis en décharge. Mais aujourd'hui, considérés comme des déchets non ultimes en raison de leur possible recyclage et de leur faible siccité, le flou persiste en ce qui concerne leur destination. La tendance est donc de les soumettre à un traitement biologique aérobie sur site pour réduire le volume de ces résidus. La valorisation agricole après compostage en association avec des supports ligneux carbonés est aussi envisageable. Et, pour les sites devant gérer une quantité importante de déchets gras, la valorisation énergétique peut aussi aujourd’hui être analysée avec la plus grande attention.
Cependant, ce piégeage physique des graisses particulaires n’est pas efficace pour éliminer les lipides présents en fines gouttelettes dans l’effluent qui représentent pourtant la majorité de la pollution graisseuse. Jusqu’à présent, cette pollution était attaquée, après un tamisage grossier des particules, par un prétraitement physique et/ou physico-chimique par flottation complété par un traitement biologique.
Le prétraitement : indispensable
Après un tamisage grossier des particules réalisé par dégrillage ou par centrifugation, les effluents traversent un dégraisseur. Cet équipement sépare les graisses du reste de l’effluent par flottation. Ces dernières s’accumulent en surface sous la forme d’une boue, évacuée par raclage. De nombreux process de flottation sont disponibles sur le marché. Ainsi par exemple, Aeroflott® conçu par R&O Dépollution est un équipement mobile qui s'intègre au niveau du prétraitement des effluents contenant des graisses. Après relevage et tamisage, les eaux brutes sont amenées dans la cuve cylindro-conique du dégraisseur dynamique aéré. Celle-ci est équipée en son centre d'une turbine qui produit de fines bulles mettant en flottation les particules de graisses qui sont collectées par un racleur. Serinol, Hydranet, Purostar, Europelec, Biotrade ou encore KWI proposent également des équipements capables d’assurer un prétraitement à performances constantes quelles que soient les conditions de fonctionnement.
L’abattoir Fipso a retenu le procédé Enotai
En Aquitaine l'établissement Fipso abat plus de 520 000 porcs par an. Il s'est doté en 2008 d’une unité Enotai pour éliminer les graisses produites par sa station d’épuration.
Les effluents collectés sont transférés vers la station via un poste de relevage pour être ensuite dégrillés et dégraissés par un aéro flottateur avant de subir un traitement biologique dans un bassin aéré et agité suivi d'un clarificateur. Les boues grasses générées par l'aéro flottateur sont stockées dans un bac à graisse. Elles étaient jusqu’alors périodiquement enlevées par un prestataire pour destruction ou épandage. Cet enlèvement représentant un coût important et tendant à augmenter, le choix a été fait d'installer sur le site une unité d’élimination des boues grasses.
L'installation a été conçue sur mesure par Akaeno en fonction de la qualité des graisses produites. Il s’agit alors de traiter les résidus du bac à graisse considérés comme des boues grasses car contenant une forte teneur en MES. Lors de son installation l’unité Enotai a été précédée, pour une dégradation optimum, par un traitement complémentaire visant à homogénéiser et à séparer les boues (MES) des graisses. Ces dernières sont alors placées dans le bioréacteur pour être transformées en « eau traitée », recyclée en tête de station. Entièrement automatisée et livrée avec une télégestion Enosery, le fonctionnement du procédé est suivi à distance par Akaeno qui assiste aussi Fipso par cette voie sur le plan de la maintenance préventive.
Cette installation, qui permet de s’affranchir de la gestion des boues grasses, a un retour d’investissement sur trois ans.
Ils sont fiables et faciles à exploiter.
Le procédé physico-chimique Lipoval, développé par le CREED (Centre de recherche et d’essai pour l'environnement et le déchet) et Ecopur, sépare l’effluent en trois phases : solide, aqueuse et grasse. L’opération est réalisée par chauffage et coagulation. La qualité de la phase grasse autorise sa transformation en biocombustible.
Autre technique développée par Azur Industries, le procédé Veg X 200 met en œuvre une décantation à froid puis à chaud, suivies par plusieurs filtrations pour séparer les lipides de l'effluent.
Si certains procédés autorisent, par la qualité des produits recueillis, une valorisation des lipides, la boue flottée produite est dans la plupart des cas stockée dans un bac puis enlevée pour destruction par un prestataire extérieur. La gestion de cette boue est un poste dont le coût n’est pas négligeable. De plus, un stockage mal maîtrisé des boues grasses entraîne des nuisances olfactives pouvant être importantes pour l'environnement, conduisant à un triptyque performance/coût/environnement qui n’est pas toujours celui auquel un responsable de site industriel pourrait s'attendre.
De plus, les performances des dégraisseurs sont très variables et dépendent de nombreux facteurs, comme la concentration d'entrée, le type de graisse, le degré d’hydrolyse des acides gras, la conception de l’ouvrage… Dans la plupart des cas, leur rendement épuratoire est inférieur à 70 %.
Ces procédés ne suffisent donc pas à eux seuls à mettre le producteur de graisses en conformité avec la réglementation et les normes de rejets imposées. D’où la mise en place d’un traitement complémentaire permettant de résoudre le problème des lipides restant dans la phase aqueuse sous une forme de gouttelettes d’huile dispersées. Celles-ci sont entourées de matières facilitant l’émulsion : protéines, phospholipides, détergents, amidon et ses dérivés. Cette matière grasse émulsionnée présente une surface de contact avec l’eau plus élevée que la matière grasse non émulsionnée, ce qui rend le substrat plus accessible aux micro-organismes. D’où l’idée de faire détruire les graisses par un traitement biologique aérobie après hydrolyse, ce qui permet d’obtenir des graisses facilement assimilables.
Un traitement biologique
L'idée n'est pas nouvelle puisque des entreprises comme OTV (avec Biolix), Lyonnaise des Eaux (Biomaster), Saur (Lipocycle), Veolia Water STI avec Agira™, Proserpol ou Bio Environnement proposent ces procédés depuis la fin des années 90.
Il s’agit là de faire subir aux graisses une hydrolyse biologique de façon à couper les liaisons ester pour former des acides gras et des alcools permettant ainsi de traiter l’effluent par les procédés biologiques classiques du traitement des eaux. « Le procédé est à dimensionner pour obtenir des performances d’abattement des graisses cohérentes à la fois avec les besoins de traitement final dans la filière eau et avec les performances usuelles constatées » peut-on lire dans un rapport du Cemagref (Document FNDAE n° 24 remis à jour en 2004). Le problème est que si l'on abaisse le taux de MEH (Matière extractible à l’hexane) représentatif du taux de graisses présent dans l'effluent, les acides gras et la DCO sont toujours présents. Cette transformation physique du produit facilite seulement son assimilation dans la filière eau pour finaliser le traitement dans les meilleures conditions techniques et économiques.
Le traitement par hydrolyse biologique ne permettant pas aux industriels de s’affranchir seuls de la pollution grasse pour répondre aux contraintes réglementaires, il est donc mal adapté aux traitements des déchets gras en entreprise. Pour répondre à ces besoins, des sociétés comme Akaeno, BioNRJ, Carbofil, Eurobio SA, S3d, ont développé des procédés biotechnologiques permettant de détruire rapidement les molécules graisseuses (Akaeno) ou transformant la graisse en matière énergétique.
Biodégrader la graisse
Créée en 2005, cette jeune entreprise exploite deux procédés brevetés, Enolys et Enotai, qui apportent chacun une solution au traitement des graisses en milieu industriel.
Traitement aérobie des graisses : un procédé qui a fait ses preuves
Fuchs, qui dispose de plus de 35 ans d’expérience dans le domaine du traitement aérobie des boues, des graisses et des lisiers, a développé l’aérateur Centrox, commercialisé par Isma. Avec le process Isma/Fuchs, la graisse est fortement dégradée en CO₂ et en eau avec production de chaleur. Il est utilisé pour le traitement des boues, des graisses et des lisiers et trouve également des applications en bassins tampons dans le domaine de l’agro-alimentaire. En fonction du produit traité, l’aération combinée à un brassage génère de la mousse. L’aérateur industriel Centrox maîtrise l’épaisseur de cette mousse en évitant tout débordement extérieur.
Centrox, en plus d’une aération efficace, dirige l’hélice en rotation pour brasser l’effluent de façon énergique. L’apport d’air est réalisé grâce au phénomène « Vortex » produit par l’hélice en mouvement. Elle provoque un déplacement concentrique des eaux de surface qui, en complément de la dépression créée dans l’entonnoir, assure le déversement de la mousse dans ce dernier. Il n’y a donc ni aérosol, ni odeur. En stations d’épuration communales, le process Isma/Fuchs ne nécessite ni produit chimique ni culture de bactéries.
« La responsabilité de l’industriel étant aujourd’hui engagée jusqu’à la destruction du déchet, nous nous intéressons à l’ensemble du problème présent sur le site. Les solutions que nous avons mises au point ne produisent pas de boues et dégradent en moins de 24 heures et à plus de 90 % les déchets gras in situ dans des conditions économiques avantageuses », commente Didier Caire, directeur commercial chez Akaeno. Les deux techniques sont opérationnelles depuis 2006. Elles s’attaquent au traitement des boues grasses en complément d’un séparateur avec le procédé Enotai et au pré-traitement des effluents avec rejet sécurisé vers le réseau avec Enolys. Ces deux solutions éliminent les polluants sans générer de boues. Il n’y a donc plus de transfert et de séparation des boues grasses.
Chaque procédé est mis au point à partir d’un échantillon à traiter. Celui-ci est analysé dans les laboratoires de l’entreprise afin de le caractériser. L’ensemble des caractères physico-chimiques et biologiques est recherché et les résultats d’analyse sont comparés à une base de données, ce qui permet de retenir le meilleur micro-organisme parmi les 500 souches sélectionnées par le laboratoire de recherche et développement de l’entreprise. Ce travail en amont facilite l’étude du comportement social des bactéries afin d’en sélectionner les meilleures. Les bioactivités mises en présence d’oxygène transforment rapidement, et sans produire de déchets secondaires, les graisses en eau et dioxyde de carbone par des réactions d’hydrolyse et de β-oxydation. Ces procédés peuvent venir en complément d’une installation existante.
Le fonctionnement du procédé Enolys est le suivant. Les eaux résiduaires, ou eaux brutes, sont relevées par une pompe. Dégrillées par un tamis rotatif, elles s’écoulent ensuite par effet de gravité dans la cuve d’homogénéisation pour amortir les variations de charge hydraulique et de pollution de l’effluent. Son contenu est brassé par un agitateur. Entre la cuve d’homogénéisation et le bioréacteur, le transfert des effluents est assuré par la pompe. Un recyclage du bioréacteur vers l’homogénéisateur optimise le traitement. Dans le bioréacteur, les bactéries dégradent les graisses grâce à l’injection d’air. L’effluent est évacué par gravité vers l’affineur puis vers le réseau d’assainissement. Les pompes renvoient en tête de la filière.
Un traitement biologique des graisses à la source pour les petites et moyennes structures
La plupart des petites et moyennes entreprises (restauration, traiteurs, abattoirs, fromageries et transformateurs artisanaux, …) qui sont tenues de mettre en place un système de traitement de leurs effluents gras avant rejet au réseau collectif optent pour la solution, simple et économique du bac à graisse.
Dans ce schéma, les graisses sont donc collectées dans un séparateur à graisses qui doit être vidangé régulièrement. Ce système présente un certain nombre de désavantages :
- - les graisses doivent être pompées, transportées en camion pour être finalement biodégradées ou détruites dans un centre spécialisé… Ce qui, en plus de représenter un coût souvent important, présente un bilan carbone déplorable !
- - la vidange est, faute d’attention et de par son coût élevé, rarement faite aussi souvent que nécessaire… les graisses saturent alors le séparateur, qui ne joue plus son rôle correctement.
Novaluz propose de mettre en place un système d’aération directement dans le bac existant et de le transformer ainsi simplement et à coût réduit en un mini bioréacteur aérobie. L’idée est :
- - d’abattre suffisamment les rejets (DCO, DBO, MES…) pour pouvoir rentrer dans le cadre d’une convention de rejets avec la collectivité,
- - de limiter les odeurs en supprimant, par une aération correctement dimensionnée, le phénomène de fermentation anaérobie qu’on rencontre dans un bac « classique »,
- - de permettre à l’entreprise de s’affranchir des coûteuses vidanges tout en étant en règle (jusqu’à 60 % d’économie par rapport au coût des vidanges).
Le concept en soi n’est pas nouveau et de nombreuses sociétés s’y sont déjà essayées, avec plus ou moins de succès. Les temps de séjour offerts par ce système sont en effet courts (de l’ordre de 24 h), ce qui ne laisse pas le temps aux micro-organismes naturellement présents dans les effluents de se développer. Pour Novaluz, l’efficacité du traitement est donc forcément liée à l’adjonction supplémentaire de micro-organismes spécifiquement sélectionnés et capables d’agir rapidement une fois en contact avec l’effluent à traiter.
Et c’est là que réside l’originalité de l’approche de Novaluz : la société a en effet développé des bio-additifs brevetés associant des micro-organismes soigneusement sélectionnés pour leur capacité à dégrader les graisses et fortement concentrés (10⁸ ufc/g) à de la luzerne déshydratée.
Pourquoi la luzerne ? Elle a une double fonction : cette plante possède la particularité de ne nécessiter aucun engrais azoté de par sa capacité à fixer l’azote de l’air ; elle est donc naturellement riche en protéines et autres nutriments qui serviront à la croissance des micro-organismes, explique Marie Bellenger, responsable Développement chez Novaluz. D’autre part, la fixation des bactéries sur les fibres de luzerne accroît leur capacité à produire des enzymes : on observe ainsi 20 % de rendement épuratoire en plus en utilisant les bactéries fixées sur la luzerne par rapport à la même quantité de bactéries liquides.
Les bactéries (non pathogènes) des produits Novaluz, doublement boostées, vont attaquer les graisses, pas seulement en les liquéfiant mais en les dégradant. Ce système permet d’atteindre un rendement épuratoire pouvant aller jusqu’à 70 %. Les effluents ainsi pré-traités et respectant les normes des conventions de rejets rejoignent ainsi en version « allégée » le réseau collectif, jusqu’à la station d’épuration. Une stratégie gagnant-gagnant, donc, à la fois pour les industriels et pour les exploitants de réseaux et stations aval, par une meilleure gestion des rejets à la source…
gras pour en extraire la graisse pure. Celle-ci étant ensuite transformée en biocarburant.
Le procédé Valorfat commercialisé par S3d fait l'objet d'un brevet déposé par l'École des Mines de Nantes. Il consiste à produire simultanément de l’électricité et de la chaleur à partir des graisses d'origine animale ou végétale sans production de produit résiduel. Les graisses sont transformées en biocarburant par dilution dans l’éthanol et incorporation de micro-gouttelettes d'eau dans la phase grasse. Ce carburant alimente un moteur Diesel dont le travail est converti en électricité par une génératrice tandis que des échangeurs de chaleur permettent la production d’eau chaude. Le procédé Valorfat peut être dimensionné pour traiter un volume annuel de graisse compris entre 50 et 10 000 tonnes, souligne-t-on chez S3d. Le retour d’investissement de l’équipement est réalisé entre 2 et 6 ans suivant la quantité de graisse à traiter.
La méthanisation : un autre procédé de valorisation des graisses
Ce procédé naturel de fermentation bactérienne en l'absence d’oxygène stabilise non seulement la matière organique, mais produit également du biogaz composé pour deux tiers de méthane et un tiers de gaz carbonique. C’est la solution retenue par la société Fertigaz (marque Bio-Nrj) qui construit actuellement son premier site de méthanisation dans l’Oise, exploité par sa filiale Ferti-Nrj, lequel va traiter des graisses en mélange avec d'autres matières organiques. Les graisses ont un potentiel énergétique élevé puisqu’il est possible d’atteindre une production de 850 m³ de biogaz par mètre cube de graisse traitée. Contrairement aux autres procédés de traitement consommateurs d’énergie, la méthanisation produit beaucoup plus d’énergie qu'elle n’en consomme. L’avantage de ce traitement, hormis la valorisation énergétique du biogaz par cogénération, est qu’il s’applique à des effluents de concentration variée.
De son côté, Proserpol construit actuellement en Russie, dans une grande laiterie, un digesteur anaérobie (méthaniseur) de boues graisseuses. Cette installation vient en remplacement d'un traitement aérobie mal adapté à cette problématique. Pour une capacité journalière de 80 m³ de boues graisseuses digérées, l'installation générera du biogaz correspondant à 30 000 kWh PCI qui seront valorisés sur site.