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Les nouveaux enjeux liés à la prise en compte récente de la pollution du sous-sol.

30 mars 2001 Paru dans le N°240 à la page 49 ( mots)
Rédigé par : Christian HUGLO, Dominique MARTIN et Patrick EBERENTZ

Le rapport de 1999 du programme des Nations Unies sur l'Environnement GEO-2000 conclut : «Une société de consommation envahissante ne connaissant que le gaspillage venant s'ajouter à un chiffre de population en constante augmentation menace de détruire les ressources sur lesquelles se fonde la vie des hommes. En même temps, la société s'est engagée dans une lutte contre la montre pour inverser ces tendances et instaurer des pratiques acceptables qui pourrons assurer le bien-être des générations à venir? Dans certains domaines, de nouveaux problèmes apparaissent pour aggraver une situation déjà difficile? On pouvait, autrefois, tabler sur le long terme pour lancer de grandes initiatives concernant la politique de l'Environnement. Aujourd'hui, il est grand temps d'opérer une transition rationnelle et bien se préparer à un système acceptable. Dans certains cas, il est déjà trop tard».

Le rapport de 1999 du programme des Nations Unies sur l’Environnement GEO-2000 conclut : « Une société de consommation envahissante ne connaissant que le gaspillage venant s’ajouter à un chiffre de population en constante augmentation menace de détruire les ressources sur lesquelles se fonde la vie des hommes. En même temps, la société s’est engagée dans une lutte contre la montre pour inverser ces tendances et instaurer des pratiques acceptables qui pourront assurer le bien-être des générations à venir... Dans certains domaines, de nouveaux problèmes apparaissent pour aggraver une situation déjà difficile... On pouvait, autrefois, tabler sur le long terme pour lancer de grandes initiatives concernant la politique. »

[Photo : L'intégration progressive des sites pollués dans notre société se traduit par une évolution de la réglementation, de la législation et, dans certains cas, de l’action volontaire des acteurs concernés pour répondre, notamment, à une nouvelle exigence du marché]

de l’Environnement. Aujourd’hui, il est grand temps d’opérer une transition rationnelle et bien se préparer à un système acceptable. Dans certains cas, il est déjà trop tard.

Cette conclusion nous semble d'une grande pertinence et surtout d’une grande actualité. À la lumière de celle-ci, il nous est apparu intéressant d’examiner, pour la France, les nouvelles pratiques (« transition rationnelle ») et les enjeux correspondant à la prise en compte de l’état du sous-sol, dans les secteurs de l'économie et de l'aménagement. Nous nous sommes limités à la pollution ponctuelle qui affecte localement le sous-sol des sites. Pour celle-ci, des actions correctives sont toujours possibles. Nous avons choisi de ne pas traiter ici la pollution diffuse, dont la résorption des effets n’est pas souvent envisageable. Pour cette dernière, rappelons que seules des actions de réduction du flux d’émission à la source sont généralement possibles. En conséquence, les enjeux et les pratiques environnementales se rapportant à celle-ci constituent un autre sujet.

Au préalable, il nous paraît essentiel de rappeler, rapidement, les fondements sur lesquels repose la prise en compte graduelle et récente de l’état du sous-sol.

Les fondements

Le développement des sociétés s’accompagne, de la part des individus qui les composent, d'une demande toujours croissante d’hygiène et de sécurité. La récente prise de conscience du coût sanitaire lié aux risques créés par la pollution du sol et du sous-sol est en train de modifier en profondeur et de façon fondamentale les rapports qu’entretient notre société avec le milieu dont elle est l’hôte. Plusieurs facteurs, qui interagissent, ont fortement concouru au développement de ces nouveaux comportements d'ordre sociologique :

* le recours plus fréquent à la toxicologie qui permet, dans le domaine de la pollution du sous-sol, de mieux prendre conscience des enjeux sanitaires et des risques liés à la présence des polluants ;

* la médiatisation des grands accidents de pollution ponctuels et des pollutions diffuses à l’échelle de la planète qui sensibilise les citoyens et incite le législateur à reprendre sa copie ;

* l’évolution effrénée de la recherche des responsabilités sur les plans judiciaire, pénal et administratif à l'instar de la société américaine (exemple : pollueur = payeur) ;

* les pratiques avancées importées par les industriels anglo-saxons lors, par exemple, des acquisitions, des cessions, des fusions de sites industriels ;

* le développement des techniques analytiques qui permet la recherche des molécules en nombre de plus en plus important à des limites inférieures de dosabilité de plus en plus faibles ;

* l'utilisation de l’outil informatique qui permet de dépasser le simple constat statique des diagnostics de pollution par l'établissement de simulations permettant dès à présent de prédire de façon de plus en plus fiable les risques futurs générés par des sites pollués.

Les nouvelles pressions

On peut dire, aujourd'hui, que l'intégration progressive des sites pollués dans notre société se traduit par une évolution de la réglementation, de la législation et, dans certains cas, de l’action volontaire des acteurs concernés pour répondre, notamment, à une nouvelle exigence du marché. Mais, corrélativement à l’évolution de la législation et de la réglementation, on assiste surtout, à notre sens, à un comportement nouveau des acteurs du marché et de l’administration qui portent à l’état du sous-sol une attention beaucoup plus rigoureuse que par le passé.

[Photo : On assiste également à un comportement nouveau des acteurs du marché et de l'administration qui portent à l’état du sous-sol une attention beaucoup plus rigoureuse que par le passé]
[Photo : La forte montée en puissance des exigences des investisseurs relatives à l'état du sous-sol dans le cadre d’opérations immobilières et dans celui du marché industriel]

investisseurs anglo-saxons renforce de façon positive, dans notre pays, cette évolution bénéfique.

La pression réglementaire et législative

Elle s'exerce essentiellement dans le cadre de l’application de la législation sur les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) et de la Politique Nationale sur les Sites Potentiellement Pollués du ministère de l'Environnement. Au niveau des ICPE, le sous-sol est, actuellement, beaucoup plus souvent pris en compte qu'il y a une dizaine d’années. On le constate, entre autres, dans la qualité croissante du contenu des études d’impact. Quant à la politique nationale sur les sols pollués, elle est relativement récente puisque le coup d’envoi n’a été donné qu’en 1993 par la Circulaire Barnier. Son application, définie notamment par les circulaires Lepage (avril 1996) et Voynet (décembre 1999), monte en puissance. Bien entendu, d’autres lois s’appliquent, indirectement, aux sols pollués, comme par exemple les lois sur les déchets, l'eau, etc.

La pression réglementaire et législative s’exerce également lors de la création, de la cessation d'activité ou de la vente des sites industriels, en cas de pollution accidentelle ou à l'occasion de la découverte de pollutions pouvant générer un risque non acceptable. Elle est également appliquée dans le cadre de l'inventaire national des sites et des sols potentiellement pollués : les exploitants des sites répertoriés dans la base de données BASOL (3 000 sites) doivent réaliser un diagnostic de leur sous-sol. Elle s’exercera sans doute dans le futur sur les 300 000 sites d’anciennes activités industrielles et de services répertoriés dans la banque BASIAS. Par ailleurs, elle peut être activée à l’initiative du Préfet en cas de découverte, même après fermeture du site, d'informations nouvelles faisant état de risques inconnus dans le passé.

Enfin, la pression réglementaire et législative s’exprime par l’imposition de servitudes destinées à maîtriser les risques, surveiller leur évolution et informer les utilisateurs futurs du site, le voisinage et le public. Pour ce faire, il a été constitué un ensemble de contraintes définies notamment dans le Code de l'Environnement et de l'Urbanisme, dont l'application vis-à-vis des sols pollués est en développement. Citons par exemple les Servitudes d’Utilité Publique (SUP — articles L 7-1 à 7-5 du code de l’environnement) et les Projets d'Intérêt Général (PIG — article 121-13 du code de l'urbanisme).

La pression du marché

Elle est de plus en plus vive. Il est indéniable de constater la forte montée en puissance des exigences des investisseurs relatives à l’état du sous-sol dans le cadre d’opérations immobilières et dans celui du marché industriel. De même, l'intérêt du public lors des enquêtes publiques, par l'importance qu’il accorde à la qualité pérenne du sous-sol, renforce la pression à laquelle sont de plus en plus soumis les industriels.

Plus encore, la mondialisation, la mise en réseau progressive des sociétés, la structuration du marché international et les exigences des détenteurs de capitaux constituent des faits de société qui commencent à imposer, en particulier aux grandes sociétés, des garanties de pérennité, en s’appuyant sur des exigences de performance financières, sociales et environnementales, de qualité, d’éthique, et en conséquence de protection de l'environnement (application de la notion de développement durable). L'intégration du sous-sol constitue, bien entendu, une composante nouvelle, essentielle dans le développement de ces nouvelles exigences qui se traduisent, notamment, par la nécessité pour les industriels et les aménageurs de se soumettre aux procédures de certification telles que l'ISO 14001. Rappelons à ce sujet que le processus d’identification des aspects environnementaux significatifs (AES) — c’est-à-dire, au sens de la norme, les activités élémentaires maîtrisables génératrices d’impacts — doit prendre en compte le facteur « contamination du sol », réelle ou potentielle, au même titre que les émissions atmosphériques ou la gestion des déchets, par exemple. Par contre, si les aspects environnementaux liés à la qualité ne sont pas classés dans le domaine significatif, seule la réactualisation régulière du choix des AES permettra d’intégrer le sous-sol au plan d’amélioration des performances environnementales. En outre, il est clair que, dans la mise en place de systèmes de management environnemental, la prise en compte de la qualité du sous-sol dépasse largement le cadre du territoire français par l'adhésion de plus de 180 pays à l’ISO (Organisation internationale de normalisation), elle-même étant une fédération mondiale d’organismes nationaux de normalisation.

Par ailleurs, dans le domaine des travaux publics, la sensibilité des promoteurs pour l’examen prévisionnel de la qualité du sous-sol des terrains à aménager est également en train de se développer en raison des incertitudes, des surcoûts et des dérapages en termes de délais qui peuvent résulter de la découverte de terres polluées au cours de travaux de terrassement.

C'est ainsi que, non seulement la profession du bâtiment et des travaux publics a adopté les normes internationales d’assurance de la qualité, mais elle réalise maintenant certains de ses chantiers sous « haute qualité environnementale » (référentiel HQE) qui intègre l’état du sous-sol.

Les principales manifestations

La mise en jeu des pressions réglementaire, juridique et des acteurs du marché se manifeste essentiellement dans les secteurs

industriel et de l'immobilier.

Selon nos observations, les domaines dans lesquels l'intégration de la qualité du sous-sol est en fort développement sont les suivants :

  • • L’application directe de la réglementation par les DRIRE dans le cadre des ICPE et de l'application de la Politique Nationale des Sols Pollués. Citons, par exemple, l'application de l'article L 514-20 (ICPE) qui définit les conditions de vente d’une installation soumise à autorisation, qui nécessite maintenant la réalisation d’un diagnostic du sous-sol. Cette pièce, très rarement prise en compte il y a une dizaine d’années, constitue actuellement une pièce essentielle jointe aux documents de transaction.
  • • La pression réglementaire est fortement prolongée par la pression financière lors des cessions/ventes, fusions, acquisitions industrielles qui nécessitent une connaissance de plus en plus complète et précise de la valeur des sociétés. À ce niveau, force est de constater que « l'économie rejoint l'environnement » (ou l'inverse). Il est en effet devenu de plus en plus fréquent de procéder à l’estimation financière du coût de mise en conformité réglementaire du sous-sol pour l'établissement des transactions citées ci-dessus. Il n'est d’ailleurs pas rare que, pour l’estimation de la valeur foncière d’un site, ce soit le coût de la dépollution totale du site concerné qui nécessite d’être établi pour être intégré dans les négociations de transaction.
  • • La réaffectation d’anciens sites sur lesquels ont été pratiquées des activités polluantes pour des aménagements urbains constitue un scénario contemporain très fréquent. Il se déroule dans le cadre de la « construction de la ville sur la ville ». En particulier, les friches industrielles, les anciennes carrières et décharges constituent souvent dans les grandes agglomérations des terrains bien situés, sur lesquels s’exerce une forte pression foncière. Ils sont souvent le point de mire des communes, syndicats pour qu’y soient réalisés de grands projets d'urbanisme, de ZAC ou d'activités sociales. L'état du sous-sol constitue souvent un handicap encore peu anticipé par les aménageurs. La prise en compte tardive du sous-sol contribue à différer et à complexifier les projets. Dans le plus grand nombre de cas, seules des études de risques et l'étude d'aménagement adaptés à l'état du sous-sol seront de nature à rendre compatible la réalisation des projets.

Conclusion

Un bilan des actions administratives et des réformes à apporter dans le domaine du droit des sols pollués a été dressé par l'inspecteur des Finances et un ingénieur des Mines. L'un d’entre eux, Monsieur Pierre Lubek, a demandé dans une revue spécialisée que l'administration clarifie bien les responsabilités (voir Bulletin du droit de l'environnement industriel — numéro spécial 2000 — pp. 12 et suiv.).

C'est qu’en effet l'administration, qui s’est seulement préoccupée du problème depuis quelques dizaines d’années, utilise – et on la comprend d'une certaine façon – toutes les armes juridiques dont elle dispose dans des textes qui n'ont pas toujours été conçus à cette fin.

On utilise généralement l'arme des sanctions administratives de la loi du 19 juillet 1976 pour les installations classées pour la protection de l'environnement, considérant que tout site qui a accueilli une activité industrielle tombe sous le coup de cette loi, que cette activité ait été autorisée ou non. Son action s’étend également aux responsables anciens ou potentiels, banquiers, assureurs et propriétaires fonciers.

Jusqu’à présent, le Conseil d’État a refusé d’assimiler le détenteur d'un site pollué à l’exploitant industriel, mais le Ministère a sorti de ses cartons un projet de décret qui viserait à assimiler le détenteur innocent à ce dernier. On peut d’ailleurs poser la question du fondement juridique d’une telle réforme.

Mais c'est surtout dans le cadre des transactions immobilières, les fusions et les acquisitions que se relève un très grand souci des négociateurs, des vendeurs ou acheteurs face aux problèmes de pollution qu’ils rencontrent.

Des opérations entières d’aménagement ont été paralysées par des découvertes de pollutions souvent extrêmement anciennes et délicates à traiter et, de ce fait, la question s'est aussi posée de savoir, pour les collectivités publiques, jusqu’à quel point elles devaient supporter des charges d’activités anciennes qu’elles avaient, certes, accueillies sur le territoire mais dont elles n'avaient retiré, en définitive, qu'un bénéfice temporaire largement inférieur au coût de la dépollution.

Enfin, des conventions d’acquisition ont récemment été remises en cause par des tribunaux lorsque l’importance du passif environnemental était découvert. Plusieurs Cours d’Appel – celle de Versailles, celle de Colmar – ont ainsi annulé des transactions à propos desquelles l'information sur la pollution n’avait pas été donnée.

Ainsi, le contentieux administratif et le contentieux civil ont-ils connu une véritable explosion au cours de ces dix dernières années, sans que l'on soit arrivé encore à une sécurité juridique puisqu’en définitive il faudrait probablement une loi pour y voir plus clair.

Pour l'instant, à la différence du droit américain, le droit français ne reconnaît pas la responsabilité des maisons mères pour leurs filiales ni la responsabilité des actionnaires. La situation la plus délicate est celle créée par la disparition de la dernière entreprise qui a exploité le site.

Normalement, des mécanismes financiers devraient pouvoir être mis en place, mais le ministère de l'Environnement manque cruellement de crédits, ce qui est dénoncé régulièrement par les syndicats professionnels des entreprises de dépollution.

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