Les effluents dont la teneur en NNH4 + est supérieure à 1 g/l sont difficiles à épurer par voie biologique à cause de la concentration en ammonium. Ils exigent des temps de séjour importants pour assurer nitrification et dénitrification, par conséquent des volumes correspondants de réacteurs et donc des coûts de construction et d'exploitation élevés. À ces inconvénients s'ajoute le traitement des boues activées en excès (ou des boues de lavage dans le cas de biofiltres) résultant des nitrification et dénitrification biologiques. La précipitation de l'ammoniaque sous forme de cristal de Phosphate Ammoniaco Magnésien (P.A.M.), appelé Struvite, résout la plupart de ces problèmes. Ce procédé connaît actuellement un développement important et général dans le monde après avoir été oublié pendant plus de cent ans. Le but de cet article est de rappeler les expériences oubliées relatives aux procédés de précipitation de l'ammonium et les circonstances de leurs inventions.
La précipitation de l’ammoniaque sous forme de cristal de Phosphate Ammoniaco Magnésien (P.A.M.), appelé Struvite, résout la plupart de ces problèmes. Ce procédé connaît actuellement un développement important et général dans le monde après avoir été oublié pendant plus de cent ans. Le but de cet article est de rappeler les expériences oubliées relatives aux procédés de précipitation de l’ammonium et les circonstances de leurs inventions.
Dans certaines conditions, les ions NH₄⁺, PO₄³⁻, Mg²⁺ précipitent sous forme d’un cristal de phosphate ammoniaco-magnésien (P.A.M.) (figure 1).
La réaction s’écrit :
NH₄⁺ + PO₄³⁻ + Mg²⁺ → PO₄MgNH₄·6H₂O
Les proportions de réactifs sont les suivantes :
- • 1 kg de N demande 7 kg de PO₄ et 2,9 kg de MgO (oxyde de magnésium)
Conditions et caractéristiques :
- • la réaction a lieu à un pH > 8 ;
- • la densité du cristal est de 1,7 g/cm³ ;
- • cette réaction a lieu naturellement dans les liquides concentrés en NH₄⁺ au-delà de 1 g/L en présence des phosphates et magnésium PO₄³⁻ et Mg²⁺. La réaction se fait aux concentrations inférieures à 1 g/L.
Ces cristaux de Struvite sont bien connus par les incrustations des conduites de sortie des boues des digesteurs de station d’épuration, les dépôts dans les anciennes fosses d’aisance, les concrétions dans les urinoirs mal entretenus.
- * Les réactifs de phosphate PO₄³⁻ et de magnésium Mg²⁺ réagissent stœchiométriquement avec les ions NH₄⁺. En général dans les effluents à traiter, ils sont moins concentrés que l’ion NH₄⁺ et pour cette raison, il convient de les complémenter jusqu’à la stœchiométrie. Leur coût n’est pas négligeable mais est, en principe, récupéré par la
* La condition pH > 8 a pour effet gênant de former, avec les sels de magnésium \(\text{Mg}^{2+}\), un hydroxyde \(\text{Mg(OH)}_2\), gélatineux qui précipite et qui est ainsi détourné en partie de la réaction de formation du cristal de Struvite.
* Le cristal de Struvite grossit et décante rapidement. Il est facilement utilisable en agriculture car peu soluble dans l'eau et ses sels sont assimilables par les racines des plantes. Le cristal ne contient pas d’éléments toxiques.
Une histoire parisiennedu procédé d'éliminationde l'azote par formationde Struvite
La réaction chimique de la formation de Struvite est connue depuis assez longtemps; elle a servi au début de la chimie analytique à identifier et doser \(\text{PO}_4^{3-}\). Son utilisation industrielle commence vers 1860 dans les circonstances suivantes :
Paris au milieu du XIXᵉ siècle, comme les autres villes d’Europe, collecte ses matières fécales et urines dans des fosses étanches (fosses d’aisance) situées dans les cours des immeubles. Des vidangeurs les évacuent dans des dépotoirs appelés voiries où ces matières sèchent et fournissent un engrais très apprécié connu sous le nom de “poudrette”.
Les épidémies de choléra de 1833, 1845 et 1854 ont imposé l’idée aux hygiénistes de l’époque, très tournés vers la science chimique (la bactériologie n’était pas née), que la maladie était due aux conditions environnementales déplorables des villes, aux “miasmes”, c’est-à-dire aux émanations chimiques toxiques des fosses d’aisance qui empoisonnaient la ville. La solution, d’après eux, était la suppression des fosses d’aisance, des foyers malsains et, de façon plus générale, l’abolition de la misère sociale. Rappelons ici que les fosses d’aisance sont des fosses d’accumulation des excréments et urines, pratiquement sans eau de rinçage des toilettes ou très peu pour la simple et décisive raison que l’eau courante n’existe pas encore dans les étages des immeubles. Dans ces conditions la concentration en \(\text{NH}_4^+\) dans les liquides des fosses est très élevée, supérieure à 4 g/l de \(\text{NH}_4^+\).
La réforme urbaniste du préfet Georges Haussmann apporte un élément de la solution.
Il détruisait les taudis médiévaux du centre de Paris, créait de vastes avenues aérées et des égouts visitables tout en apportant de l’eau potable. Les nouveaux égouts déversaient leurs eaux usées en Seine en aval de Paris, à Clichy.
Mais l’égout haussmannien n’est pas le tout-à-l’égout que nous connaissons aujourd’hui. Matières fécales et urines sont déversées dans chaque immeuble dans un appareil diviseur, c’est-à-dire, un tonneau contenant un tamis qui intercepte les matières solides et laisse passer les liquides, urine et eau, à l’égout. Les vidangeurs passent toutes les semaines pour vider les tonneaux (les “tinettes”). Le contenu part alors dans les dépotoirs à “poudrette”. Les urines avec les eaux de rinçage des toilettes sont évacuées à l’égout.
Conséquences de l’approvisionnement en eau potable dans les étages des immeubles, l’eau de rinçage des toilettes est utilisée et le siphon hydraulique dans la cuvette des toilettes connaît un succès immédiat dans les immeubles neufs car élimine sans complication mécanique les odeurs fécales. Il découle de ceci que les eaux d’égout sont beaucoup moins concentrées en \(\text{NH}_4^+\) que les eaux de vidange des fosses d’aisance. Toutefois les fosses d’aisance n’ont pas disparu tout d’un coup. Elles sont restées là où les constructions d’égouts n’existaient pas ce que d’ailleurs la loi reconnaissait. En sorte que fosses d’aisance et appareils diviseurs ont existé ensemble, simultanément avec disparition régulière des fosses d’aisance dans la ville à mesure que le réseau d’égout avançait.
Le déversement direct à l’égout ne sera obligatoire qu’en 1894 à Paris avec la loi dite du “tout-à-l’égout” qui oblige par ailleurs à épurer les eaux usées dans des stations d’épuration par champs d’épandage et qui interdit à la fois l’usage intra-muros des tinettes et des fosses d’aisance.
De nombreux dispositifs diviseurs, certains géniaux, ont été inventés à l’époque de Haussmann.
On trouve parmi eux les premiers brevets d’invention relatifs à la rétention de l’ammonium sous forme de P.A.M. phosphate ammoniaco-magnésien (Struvite), leur nombre augmentera jusqu’à la fin du XIXᵉ siècle.
Ces inventions ont souvent fait l’objet d’expériences plus ou moins décisives comme le montrent les additions aux brevets principaux.
Mais aucune de ces inventions n’a donné lieu à exploitations industrielles de longue durée. Les raisons de l’insuccès de ces techniques de formation de PAM à Paris et ailleurs sont probablement :
1. disparition du gisement de matières de vidange à Paris à cause du développement du réseau d’égout et suppression des fosses d’aisance et donc disparition d’un fluide important en volume contenant la concentration en ammonium nécessaire à la réaction chimique de la Struvite (PAM).
2. progrès de l’épuration biologique des eaux usées par champs d’épandage qui excluait de fait les procédés d’épuration physico-chimique. L’épuration par irrigation sur cultures agricoles prétendait faire un bon usage de l’azote en fertilisant les champs et contestait à la Struvite l’exclusivité de son intérêt agricole.
Le premier brevet mentionnant la formation de PAM est dû à Lucien Blanchard et Théodore Château (brevet n° 56 468 du 29 novembre 1862) qui consiste à recueillir dans une tinette filtrante l’azote de l’urine sur un matériau absorbant (tourbe) au moyen de réactifs adéquats disposés en
couches successives dans la tinette : d'abord une couche de tourbe imprégnée de phosphate acide ou d'acide phosphorique, puis une couche de sulfate de magnésium ou de magnésie.
Les cristaux recueillis sur tourbe sont évacués lors de la vidange de la tinette.
On note que le procédé est explicite en ce qui concerne la réaction de PAM mais ne mentionne pas les rendements ni la question de la transformation de l'urée en NH₃.
Tessié du Motay, dans le brevet n° 87.787 du 9 novembre 1869, revendique la précipitation du PAM dans les matières de vidange par apport de phosphate de calcium acide ou neutre en présence de sel de magnésie.
Le contexte économique de ces deux inventions est le marché explosif des systèmes diviseurs dans les nouveaux immeubles parisiens. Les auteurs, en proposant une valorisation agronomique des refus des fosses et des tinettes, réalisaient un réel progrès technique.
L'année de la puanteur et les recherches sur le PAM
L'année 1880, connue sous le nom évocateur d'“année de la puanteur”, a été une année de sécheresse et de chaleur exceptionnelles provoquant une série de catastrophes écologiques :
- mortalités de poissons dans la Seine,
- mauvaises odeurs permanentes dues aux émanations ammoniacales des fosses et des égouts,
- plaintes innombrables,
- manque d'eau potable,
- des épidémies.
C'est pendant cet été-là que le célèbre tableau « Le déjeuner des canotiers » du peintre Auguste Renoir a été peint (dans le restaurant Fournaise, précisément sur les bords de Seine dans un des sites les plus frappés par la pollution). Ce tableau, qui est aujourd'hui au musée de la Collection Phillips à Philadelphie et qui est le symbole de la joie de vivre au bord de l'eau, évoque pourtant pour les initiés la catastrophe écologique de 1880.
Les autorités parisiennes prirent immédiatement des mesures dont une était un appel aux inventeurs pour proposer des solutions concrètes d'amélioration de la situation.
On craignait
Parmi les inventions, certaines concernent le PAM. Louis Rivière, dans son brevet n° 140.647 du 17 janvier 1881, propose une précipitation de l'ammonium des matières de vidange au dépotoir après transport, sous forme de PAM au moyen d'un réactif qu'il appelle phosphate tricalcique bimagnésien qui a, entre autres, la charge de neutraliser le CO₂ de l'effluent et qui donc tend à le rendre basique. Le mélange des réactifs est opéré par bullage d'air.
Observant que l'acide phosphorique a plus de valeur que l'azote ammoniacal du PAM, il revendique la régénération des réactifs du PAM par emploi d'acide sulfurique, l'ammonium passant sous forme de sulfate d'ammonium dans une solution concentrée.
La matière organique de l'effluent est floculée au tannin ou au chlorure ferrique.
Jean-Jacques Théophile Schloesing, le célèbre agrochimiste, par le brevet principal n° 140.925 du 2 février 1881, cherche à précipiter l'ammonium pour empêcher les émanations ammoniacales malodorantes et pour le récupérer sous forme d'engrais. L'originalité du procédé Schloesing est la préparation d'un réactif magnésien peu cher et pratique d'emploi, applicable dans des fosses ou de grands bassins.
Le réactif est la magnésie Mg(OH)₂ sous forme pulvérulente. L'ion phosphate est apporté sous forme d'acide phosphorique. La magnésie calcinée, réactif abondant et peu cher, dérivée de la dolomite (carbonate de calcium et de magnésium), est enrichie en magnésium par substitution de l'ion calcium par l'ion magnésium au cours d'un contact avec des eaux mères de salines, eaux contenant des concentrations en magnésium de l'ordre de 100 g/l.
Pour fabriquer l'hydroxyde de magnésium Mg(OH)₂ granulé, Schloesing propose trois méthodes :
- Sur de la chaux éteinte ou de la magnésie calcinée et éteinte en fragments grossiers, on fait circuler une solution magnésienne d'eau mère de saline (100 g/l de Mg²⁺). On obtient des fragments de Mg(OH)₂ compacts par substitution de Mg²⁺ à Ca²⁺, qui peuvent être lavés et séchés.
- Autre méthode : on tamise une pâte ferme de chaux à travers un crible au-dessus d'un bac contenant la solution magnésienne d'eau mère de saline. On produit des vermicelles qui tombent dans la solution magnésienne, s'incrustent de Mg²⁺ par substitution et deviennent consistants et facilement séchables.
- Autre méthode : on étend une couche peu épaisse de Ca(OH)₂ pulvérulent sur un radier ; on l'arrose de solution magnésienne en gouttelettes. Les particules de Ca(OH)₂ sont durcies par le magnésium et peuvent être séchées à l'air.
Dans le brevet n° 151.144 du 18 septembre 1882, Louis Daudenart revendique un procédé d'enrichissement des phosphates et de fabrication des engrais phosphatés et ammoniacaux. L'idée est d'enrichir la phosphorite (un minerai de phosphate de calcium) par contact avec de l'eau de mer (qui contient du magnésium) en vue d'une utilisation pour la formation de P.A.M.
Le 4 juin 1886 (brevet n° 176.564) Georgi présente un procédé pour la préparation de phosphate acide de magnésium, sur place, dans les usines à gaz ou dans les dépotoirs à matières de vidange.
Il consiste à traiter le minerai de phosphate de calcium à l'acide sulfurique et à mélanger la phase liquide avec du sulfate de magnésium. Une évaporation partielle élimine les insolubles (SO₄Ca), le pH est élevé en saturant l'acide phosphorique en excès par du carbonate de calcium. L'application de la solution de réactif sur les eaux chargées en ammonium précipite le PAM, engrais excellent, d'après Georgi, contre deux ravageurs des vignes de son temps, l’Oïdium et le Phylloxéra. Hélouis et Guérin-Desjardin (brevet n° 211 413 du 16 février 1892), proposent un procédé servant à recueillir l'ammonium dissous dans de grandes masses d'eau, par formation de PAM. Le réactif utilisé est un phosphate de magnésium soluble.
De Graef (brevet n° 220 886 du 13 avril 1892) propose un procédé enrichissant la matière fécale par formation de PAM. Le phosphate de calcium insoluble est transformé en phosphate acide de calcium soluble qui est mélangé aux matières fécales ou matières de vidange. Un apport de sulfate de magnésium précipite le PAM.
Retour d'expérience
Que peut-on tirer de ces expériences plus que centenaires ?
- Le principe de la précipitation de l'ammoniaque sous forme de cristal valorisable en agriculture reste toujours valable. Ce procédé chimique demande peu de volume de réacteur.
- Les techniques consistant à utiliser la magnésie calcinée comme source de Mg²⁺, réactif très peu cher, peuvent être aujourd'hui parfaitement réactivées.
- L'emploi des eaux mères de salines pour fournir l’ion Mg²⁺ est, lui aussi, possible à proximité des sites adaptés (mines de sel).
- La fabrication d'un phosphate de magnésium en tant que seul réactif est justifiée par la facilité d'application qu'il présente mais il faudra un pH voisin de 8,5 nécessitant un réactif basique ou toute autre technique élevant le pH, par exemple le bullage d'air dans une boue digérée réalisant un strippage du CO₂.
- Réaction dans une cuve brassée avec ou sans matière organique.
- Réaction au cours de filtration de l'effluent sur un corps absorbant imprégné de réactifs.
Quelques domaines actuels d'application
Tout effluent dont la concentration en NH₄⁺ est supérieure à 1 g/l :
- Lisiers d'élevage
- Boues digérées de stations d'épuration
- Lixiviats de décharges
- Effluents de traitements thermiques (par exemple Porteous)
- Un procédé tendant à limiter la concentration de l'azote dans les eaux usées, actuellement en cours d'expérimentation, consiste à séparer urine et matière fécale dans des cuvettes de toilettes spécialement aménagées. L'urine recueillie est traitée par la Struvite et le liquide surnageant, considérablement appauvri en azote, est envoyé en station d'épuration.
En conclusion
Le procédé de formation de P.A.M. (Struvite) est né en 1862 pour résoudre le problème de la concentration élevée en NH₄⁺ des matières de vidange de la Ville de Paris. Il a suscité de nombreux brevets qui toutefois n'ont jamais eu d'applications industrielles importantes parce que le gisement de matières de vidange a disparu suite à la construction des égouts.
La technique a été oubliée et c'est relativement récemment, depuis que les législateurs limitent les rejets d'azote, que ces techniques oubliées retrouvent une nouvelle naissance.
Si ces anciens brevets bouleversent beaucoup de revendications de brevets d'invention modernes sur le sujet, par contre ils stimulent les tentatives techniques actuelles grâce à une lecture critique contemporaine de leurs problématiques.

