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Les performances des installations de méthanisation

30 avril 2012 Paru dans le N°351 à la page 86 ( mots)
Rédigé par : Hélène-fruteau-de LACLOS

La méthanisation est une technologie en développement dans les pays européens, notamment pour produire de l'énergie renouvelable à partir des effluents d'élevage en mélange avec des déchets organiques à l'échelle locale ou territoriale. Cependant, si on regarde les aspects techniques on s'aperçoit de nombreux progrès restent à faire. Les règles de dimensionnement des digesteurs sont éminemment variables, avec une nette tendance au surdimensionnement. Les aspects technologiques ont été peu optimisés depuis les années 80 et les moyens de contrôle de la digestion sont souvent encore quasi-inexistants. La production d'énergie est très difficile à prédire avec une précision raisonnable pour un bilan financier. Ceci s'explique en partie par une méconnaissance des processus mis en jeu, et par une mauvaise communication des acteurs en présence.

Depuis quelques années, on assiste à un développement de la méthanisation en France, plutôt jusqu’alors en retard sur ses voisins européens, grâce notamment à une revalorisation en 2006 puis en 2011 des tarifs de rachat de l’électricité produite à partir du biogaz. Toutefois, on est encore loin d'un développement maximal qui placerait la méthanisation en pole position dans le peloton des énergies renouvelables. Cela amène à se poser la question : quels sont les verrous qui subsistent encore ? L'équilibre économique est, bien sûr, fondamental pour le développement de la filière, ainsi qu'une réglementation appropriée. Des tarifs de rachat plus intéressants, ainsi que la prise en compte des spécificités de la méthanisation sur le plan réglementaire, sont parmi les actions nécessaires. Cependant, si on se penche sur les performances techniques, au sens large, des installations, on s'aperçoit que de gros progrès restent également à faire. La méthanisation est plutôt considérée aujourd’hui comme une technologie extensive, avec des ouvrages largement surdimensionnés et des moyens de suivi et de contrôle très limités, voire inexistants. Les investissements en gros œuvre sont élevés, le fonctionnement des digesteurs pas optimisé. On se propose ici de faire un état des lieux en France sur ces différents aspects, basé d'une part sur les observations de terrain et d'autre part sur l'état de l'art, afin d'identifier les points d’amélioration.

Le dimensionnement des digesteurs

Une revue des installations de méthanisation agricoles réalisée à la demande de l'ADEME dès 2002 avait montré que les installations agricoles, principalement situées en Allemagne, affichaient des

Temps de séjour (jours) dans le DG principal

Figure 1 : Estimation du temps de séjour de quelques installations agricoles en France.

Temps de séjour généralement supérieurs à 50 jours (1), compte non tenu du stockage où une récupération de biogaz pouvait être réalisée. Les installations allemandes et autrichiennes réalisant aujourd'hui de la co-digestion à base de cultures énergétiques ont souvent des temps de séjour de plus 100 jours (2). Cette tendance se confirme avec les récentes installations agricoles en France : le volume des digesteurs est élevé par rapport aux quantités de déchets traités, correspondant à des temps de séjour pouvant atteindre plus de 100 jours. La figure 1 illustre quelques exemples de dimensionnement d’installations agricoles récentes en France (3, 4, 5, 6, 7, 8, 9). Le temps de séjour est estimé en considérant un volume utile de 90 % du volume total, prenant en compte le digesteur principal seulement. Presque toutes ces installations comprennent de plus un post-digesteur, non chauffé mais brassé et avec récupération de biogaz. La quantité d’intrants annuelle est la valeur prévisionnelle (en supposant une masse volumique de 1). On observe des temps de séjour de 33 à 160 jours. La présence d’un post-digesteur pour le stockage du digestat devrait permettre, de plus, d’optimiser les temps de séjour dans le digesteur principal. Pourquoi de tels écarts ?

Certaines publications montrent que le fonctionnement des digesteurs alimentés en co-digestion à base d’effluents d’élevage peut être tout à fait satisfaisant avec des temps de séjour de 30 jours ou moins. Cependant, on observe souvent des résultats contradictoires (10, 11, 12).

Le temps de séjour, qui représente l’inverse du débit global d’alimentation du réacteur (en m³ alimentation/m³ digesteur.jour), n’est qu’un des paramètres importants pour le dimensionnement. Il faut y associer les caractéristiques de l’alimentation : concentration en MSV, et finalement pouvoir intrinsèque de production de méthane. Ces paramètres sont implicitement pris en compte dans le calcul de la puissance du groupe électrogène, qui dépend directement du débit de méthane attendu. On peut alors exprimer le ratio kW/m³ digesteur, qui représente le débit de méthane attendu (en kWh) par m³ de digesteur (le facteur rendement électrique peut être considéré comme une constante). Ce ratio prend donc finalement en compte la charge organique (kg MSV/m³ digesteur.jour) et la productivité spécifique en méthane de cette charge (m³ CH₄/kg MSV).

Il semble intéressant, pour des installations dont la vocation principale est la production d’énergie, d’exprimer ce rapport entre le volume du digesteur et la puissance électrique du cogénérateur. Il est reporté, pour les exemples précédents, sur la figure 2. Plus ce ratio est élevé et plus on peut produire de méthane pour un même volume de digesteur (prévisionnel). On constate des ratios allant de 0,04 à 0,14 kW/m³ digesteur. On observe donc de grandes disparités, non justifiées par des différences d’alimentation.

Les exemples précédents illustrent la grande disparité entre les règles de dimensionnement appliquées pour les digesteurs, et montrent que de nombreux progrès restent à faire quant au dimensionnement des digesteurs. De surcroît, on peut se poser la question suivante : pour être fiable, une méthanisation doit-elle obligatoirement être surdimensionnée ?

La production de biogaz et la caractérisation des intrants

Dans les installations de co-digestion à base « agricole », la recette énergétique représente la principale recette de l’installation, et généralement la motivation première du projet. La viabilité économique du projet est donc dépendante de la production de biogaz. La prédiction de la production de biogaz est donc un point essentiel de l’étude préalable à la construction d'une installation de méthanisation.

[Photo : Exemple de digesteur à la ferme, enterré « tank in tank », volume global digesteur et post-digesteur 3200 m³.]
[Photo : Production d’énergie attendue (kW el) par m³ de digesteur (hypothèse de dimensionnement).]

Prédire la production de biogaz revient finalement à caractériser les intrants du digesteur, tant en quantité qu’en qualité. Deux problèmes se posent concrètement au réalisateur des études.

Le premier est la difficulté de réaliser un échantillonnage représentatif, dû à l’hétérogénéité dans le temps et l’espace de la plupart des gisements. Les masses en jeu pour la plupart des analyses sont de quelques g, voire mg. Les gisements à caractériser sont de quelques tonnes. Des normes existent, mais ne sont pas forcément adaptées à tous les produits et sont dans tous les cas très lourdes (et coûteuses) à mettre en œuvre. Finalement, sur le terrain, on a généralement recours à des méthodes de prélèvements simplifiées au cas par cas. Par ailleurs, bien qu'il soit impossible la plupart du temps de réaliser un prélèvement pour analyse représentatif, il est souvent réalisé une seule mesure pour caractériser des lots de plusieurs tonnes ou dizaines de tonnes, pour des raisons évidentes de budget. L'erreur résultante est évidemment importante.

Le deuxième problème est le choix de la méthode de caractérisation. La plupart des auteurs s'accordent aujourd’hui à dire que le test biologique dénommé Biochemical Methane Potential (BMP) est le meilleur moyen de prédire la production de méthane avec une bonne précision. Cependant, ce test n'est pas normalisé et il n'existe pas de laboratoire agréé.

La figure 4 illustre les différences de résultats obtenus par 17 laboratoires en Europe pour un même échantillon de départ homogène. On peut voir des variations allant du simple au double.

Finalement, les variations cumulées pour la caractérisation des intrants peuvent amener à des différences très importantes, par exemple du simple au quadruple pour des fumiers issus d’une même exploitation.

Sachant que la production d’énergie représente, pour les installations qui ne perçoivent pas de redevance de traitement, jusqu’à 95 % des recettes annuelles : comment monter un compte d’exploitation prévisionnel à partir de résultats présentant une telle incertitude ?

Là encore, un réel effort doit être fait pour minimiser ces incertitudes, notamment dans la standardisation des méthodes d’échantillonnage et de mesures.

Le contrôle et les performancesdes installations

La méthanisation se veut une technologie « mature industriellement », mais force est de constater que peu d’innovations technologiques ont été apportées aux procédés industriels ces 10 dernières années (à l'exception des procédés destinés aux effluents industriels à charge essentiellement soluble).

Les dispositifs de mélange des digesteurs par exemple, essentiels pour la digestion des sous-produits organiques solides, ont été peu optimisés : on commence seulement à voir apparaître des modèles permettant de prédire le comportement des matières à l'intérieur des digesteurs.

Les moyens de contrôle des digesteurs agricoles, industriels, ou urbains sont très souvent limités voire inexistants. Les mesures en ligne sur le volume de biogaz et sa composition sont rares. Les mesures hors ligne (comme les analyses de composition des intrants ou les indicateurs biologiques dans le digesteur) prennent du temps et nécessitent du matériel spécifique avec un petit local laboratoire et de fait, sont encore plus rares.

Dans la pratique, l'idée généralement répandue est que les mesures ne servent qu’à renchérir les coûts. Quant aux moyens de contrôles, ils sont perçus par les exploitants comme des obstacles plutôt qu'une aide au bon fonctionnement de l’installation. Pourquoi cette réticence ?

La première raison est sans doute le peu de connaissances que l'on possède finalement des processus mis en jeu dans les digesteurs. Ils sont souvent assimilés à des réactions chimiques sans intégrer la dimension biologique, avec notamment tous les phénomènes dynamiques d’adaptation des écosystèmes. L'interprétation des mesures se fait souvent sur une base empirique et demande l'intervention de spécialistes. Les contrôles ne permettent pas de garantir l'absence de problème.

Une deuxième raison est la communica-

[Photo : Répartition des recettes en moyenne sur 61 dossiers (réalisations ou projets) en France en 2009.]
[Publicité : ENVIRO-CONSULT]
[Photo : Production spécifique en méthane obtenue par différents laboratoires en Europe pour un même échantillon de haricot Mungo.]

l’initiation encore limitée entre les acteurs de la recherche et ceux de l'application. Les progrès réalisés par les premiers concernent plutôt l’acquisition de connaissances au plan des processus biologiques, alors que les seconds sont surtout sensibilisés aux aspects électromécaniques et d'ingénierie de procédés. Peu d’études sont par exemple réalisées dans le domaine de l’interaction entre les phénomènes mécaniques et rhéologiques et les processus biologiques.

D’un autre côté, le surdimensionnement des digesteurs autorisant une exploitation non optimisée, peu d’efforts sont consentis sur cet aspect. Finalement, le contrôle du procédé est souvent laissé à l’initiative de l'exploitant. Les performances d'une installation sont quant à elles difficiles à apprécier. Il faut d’abord définir comment exprimer ces performances. Pour l’exploitant ou le porteur de projet, les paramètres principaux sont économiques : gagne-t-il ou perd-il de l’argent ?

Mais l’optimisation de la technologie passe par l’analyse des performances techniques : degré d’expression du potentiel méthanogène des intrants, paramètres de fonctionnement du digesteur, stabilité des processus biologiques notamment. Ces performances sont rarement connues, faute des mesures et des analyses adéquates.

Conclusion

Si le développement de la méthanisation passe certainement par une revalorisation des tarifs de rachat de l’énergie renouvelable produite et une simplification de la réglementation, des avancées technologiques sont également à prendre en compte pour l’optimisation de la filière.

Le surdimensionnement des digesteurs et le peu de moyens de contrôle au niveau de l’exploitation sont peut-être à reconsidérer dans l’optique d’une optimisation de l’investissement relativement aux performances.

La prédiction de la production de biogaz, paramètre essentiel du bilan économique de la digestion, devrait être fiabilisée. Dans cette optique, une harmonisation des procédures serait un « plus ».

Une meilleure communication entre les acteurs de la recherche, les bureaux d’étude, les constructeurs d’installations et les exploitants est sans doute un des points essentiels.

[Encart : texte : Références bibliographiques 1 Réalisation d’un référentiel technico-économique des unités de méthanisation de produits organiques agricoles et non agricoles à petite échelle en Europe, Étude EREP pour l’ADEME, 2004. 2 Biogas from Energy Crop Digestion, Braun R., Weiland P. and Wellinger A., publication IEA Bioenergy Task 37. 3 Installation de méthanisation du GAEC Oudet, fiche technique EDEN. 4 L’installation de Migneville, fiche de présentation Agricométhane. 5 Visite à l’installation de La Salle. 6 Fiche de présentation GAEC Beets. 7 Présentation de l’unité de méthanisation d’A. Guillaume, Entraid’ Nov 2009. 8 Dossier de presse inauguration de l’installation de Guerquenay, www.aile.asso.fr. 9 Dossier de presse inauguration de l’installation de Methavo, www.aile.asso.fr. 10 Impact of the addition of maize on the anaerobic digestion of cattle slurry, Cornell M. et al., Vth International Symposium on Anaerobic Digestion of Solid Waste and Energy Crop, Hammamet-TU, 2008. 11 Performance figures of agricultural biogas plants for co-digestion of energy crops, N. Effenberger, Vth International Symposium on Anaerobic Digestion of Solid Waste and Energy Crop, Hammamet-TU, 2008. 12 Biogas production from mono-digestion of maize silage long-term process stability and requirements, Lebuhn M., et al., Vth International Symposium on Anaerobic Digestion of Solid Waste and Energy Crop, Hammamet-TU, 2008. 13 Experiences with continuous high rate thermophilic digestion of energy crops, Mattheeuws B. et al., 12th World Congress on Anaerobic digestion, Guadalajara-ME, 2010. 14 Expertise de la rentabilité des projets de méthanisation rurale, rapport SOLAGRO-EREP-PSPC-SOGREAH-PERIG, Février 2010. 15 Évaluation de la composition des déchets en vue de leur traitement par méthanisation, Buffière P. et al., L’Eau, l’Industrie, les Nuisances, n° 336, 2010. 16 Biochemical Methane Potential (BMP) of solid organic substrates : evaluation of anaerobic biodegradability using data from an international inter-laboratory study, Raposo F. et al., J Chem Technol Biotechnol, 2011. 17 Suivi expérimental de l’installation du GAEC du Bois Joly, rapport ADEME 2010. 18 Hydrodynamic characteristics of the biogas plant digester using tracer tests and CFD method, Kamarad L. et al., 12th World Congress on Anaerobic digestion, Guadalajara-ME, 2010. 19 Reducing the energy consumption of the stirring devices in biogas digesters by applied numerical simulations, Pöhn S. et al., VIth International Symposium on Anaerobic Digestion and Energy Crop, Vienna-AT, 2011.]
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