L'élimination des boues d'épuration représente aujourd'hui un véritable défi pour toutes les collectivités, qu'elles soient petites ou grandes. Produites sous forme liquide, les boues doivent impérativement être concentrées de manière à réduire les coûts de transport vers les sites de valorisation finale. Pour cela, les collectivités disposent d'un grand nombre de procédés traditionnels : il s'agit généralement d'équipements électromécaniques, dont l'efficacité est reconnue unanimement par l'ensemble de la profession. Cependant, de nouveaux procédés plus rustiques et plus écologiques émergent, depuis quelques années, notamment sur le marché français de l'épuration. Cet article décrit notamment deux de ces procédés écologiques: les systèmes plantés et le séchage solaire.
L’épuration des eaux résiduaires urbaines se traduit par une production de boues en excès qu’il convient d’évacuer périodiquement. Ces boues sont issues de différents processus, concernant :
• les effluents bruts : dans ce cas, il s’agit d’une simple récupération par sédimentation naturelle des matières en suspension décantables (décantation primaire) ;
• les effluents conditionnés à l’aide de réactifs chimiques : les matières particulaires et colloïdales sont précipitées après coagulation avec un sel de fer ou d’aluminium, suivi d’une décantation (traitements physico-chimiques) ;
• les effluents traités biologiquement : dans ce cas, une partie de la pollution organique est assimilée par des bactéries cultivées qui se multiplient pour former une biomasse active qu’il convient de limiter, par soutirage régulier, afin d’optimiser les performances des traitements (activation, clarification secondaire, filtration, …).
Le problème des boues
La quantité de boues produites par une station d’épuration dépend de multiples paramètres : qualité de l’effluent, type du réseau d’assainissement, taux de raccordement, apport ou non de matières exogènes, utilisation ou non de réactifs chimiques, mode de déphosphatation biologique ou physico-chimique, …
Tableau 1 : Siccités requises en entrée des filières de valorisation
Valorisation agricole |
- Boues liquides : 8 à 10 % |
- Boues déshydratées : 15 à 40 % |
- Boues séchées : > 60 % |
Compostage : 16 à 20 % |
Incinération : > 60 % |
Co-incinération : 21 % |
Mise en décharge |
- 3 à 6 % (si dispositif d’injection) |
- 30 à 35 % |
Siccités attendues en sortie du dispositif
- 2,5 – 5 % pour des boues biologiques
- 10 – 15 % pour des boues primaires
- 5 – 12 % (avec conditionnement chimique)
- 4 % environ
- 1 à 10 % + réduction de près de 45 % du bilan massique par liquéfaction de la matière
- 15 – 20 % (avec conditionnement chimique)
- 20 – 25 % (avec conditionnement chimique)
- 30 – 45 % (avec conditionnement chimique)
- Dépendent des conditions météorologiques et des pratiques d’exploitation.
- 60 – 92 %
* Mettre à noter que la flottation, la digestion, la déshydratation sur filtre-presse, ainsi que le séchage thermique ne sont généralement pas adaptés pour les petites collectivités, car trop coûteux en investissement et en exploitation.
les ratios de production de boues suivants : 30 à 50 g MS.EH⁻¹ j⁻¹ dans le cas d'une boue activée libre, et 65 à 75 g MS.EH⁻¹ j⁻¹ dans le cas d'un lit bactérien.
Avant de concevoir la filière de traitement des boues, il est important de savoir d’où vient le substrat (boues primaires, secondaires ou physico-chimiques, …) et où va le produit final (épandage, compostage, incinération, …). En effet, la provenance des boues renseigne sur leur qualité et leur aptitude à certains traitements, et leur destination permet de savoir jusqu’où pousser le traitement.
En France, les boues d’origine urbaine sont généralement valorisées comme amendements pour les terres agricoles, à condition que celles-ci soient jugées épandables (conformité chimique, sanitaire et microbiologique, absence de métaux lourds, surface agricole suffisante et proximité des champs récepteurs). Si tel n’est pas le cas, les boues doivent alors être évacuées vers une filière alternative : incinération, co-incinération avec les ordures ménagères ou mise en décharge contrôlée, car les traitements de dépollution des boues visant à améliorer leur qualité sont inexistants, ou tout du moins, économiquement non envisageables. Bien que l’épandage des boues soit aujourd’hui controversé du fait d'une méfiance grandissante de la part des agriculteurs et des consommateurs, cette filière ne peut être totalement remise en cause dans la mesure où elle constitue le seul exutoire possible pour les petites collectivités qui ne disposent pas de moyens, ni d’infrastructures suffisantes pour envisager une solution définitivement alternative.
In fine, quelle que soit la filière d’élimination retenue, il doit être envisagé un traitement préalable des boues afin que leur siccité et leur texture soient compatibles avec les dispositifs de valorisation (tableau 1).
Quel type de traitement adopter en fonction de la filière de valorisation ?
Actuellement, les collectivités disposent d'un grand nombre de procédés traditionnels, qui permettent de concentrer et/ou stocker les boues à différents niveaux de performance (tableau 2).
Bien que l’essentiel de l’offre dans le domaine du traitement des boues concerne aujourd’hui les procédés traditionnels, on observe depuis une quinzaine d’années un engouement des concepteurs pour des techniques innovantes, plus écologiques, mais aussi plus économiques en exploitation car économes en énergie et en réactifs. Sans être exhaustif, il peut être cité notamment :
- * les lits plantés de roseaux ;
- * le séchage solaire ;
- * le procédé mycélien (oxydation des matières organiques de la boue, sous forme de gaz et d'eau, par des champignons) ;
- * le lombricompostage (transformation de la boue en humus par des vers de terre).
Pour les deux premiers procédés, on dispose désormais de plusieurs références significatives et d’un recul suffisant pour apprécier pleinement leurs performances et pour préciser leurs limites. Les systèmes plantés (ou lits à macrophytes) séduisent par leur aspect paysager ; quant au séchage solaire, il fait appel à une énergie renouvelable inépuisable et gratuite. On compte aujourd’hui environ 150 installations de type macrophytes et une vingtaine de serres pour le séchage solaire.
Les deux autres procédés, bien qu'intéressants, sont encore trop expérimentaux et ne feront l'objet que d’un bref descriptif.
Les lits à macrophytes
La conception des lits à macrophytes se rapproche de celle des lits de séchage mais en se caractérisant par la présence de végétaux, plantés à la surface des couches filtrantes. Aussi basique que cette pratique puisse paraître, elle présente l’avantage :
- * d’améliorer l’évacuation des eaux interstitielles contenues dans les boues liquides, et donc de diminuer l’emprise au sol nécessaire ;
- * d’affranchir les performances des conditions climatiques. En effet, le couvert végétal protège les couches de boues liquides contre le gel, susceptible de bloquer le séchage des boues. En outre, les eaux de pluie sont absorbées par les végétaux et plus facilement évacuées vers la couche drainante grâce aux rhizomes des roseaux (tiges souterraines vivaces émettant des racines et des tiges aériennes), limitant de ce fait la remontée capillaire.
Les systèmes plantés séduisent de plus en plus les petites collectivités (500 à 15 000 EH) car ils permettent, non seulement de réduire le volume des boues, mais également de les stocker durant plusieurs années consécutives, et ce, dans un contexte végétalisé, qui s'intègre particulièrement bien à un environnement rural (figure 1).
Ce procédé de traitement des boues consiste en un ensemble de lits drainés, remplis de matériaux filtrants à la surface desquels sont plantés des roseaux (figure 2).
La plantation de roseaux permet de créer un important réseau souterrain de rhizomes et de racines, le long desquels s’écoulent les eaux interstitielles, qui sont ensuite collectées à la base des lits. Maintenue en aérobie grâce à des cheminées d’aération, l'eau collectée n'est pas septique et peut être renvoyée en tête de station, sans risque de dégrader les performances épuratoires du traitement biologique (foisonnement des boues activées notamment).
Dimensionnement et géométrie
La surface totale des lits est dimensionnée, à charge nominale, sur la base de 50 à 100 kg MS·m⁻²·an⁻¹. De forme rectangulaire, les dimensions unitaires des lits doivent être compatibles avec la largeur des godets cureurs, et permettre une alimentation en boues sur toute la longueur des lits.
La pratique française table aujourd’hui sur une autonomie de 5 à 6 ans environ, à charge nominale, au terme de laquelle on observe une hauteur de boues de l'ordre de 1 m. Il est à noter que la hauteur totale des lits doit être suffisante pour recevoir un volume de boues liquides supplémentaire du fait de la mise en chômage de l’un des lits pour maintenance, entretien des végétaux, vidange…, et ce, même lorsque tous les lits sont pleins.
Alimentation
Afin de favoriser la répartition des boues à la surface des lits et éviter tout risque de colmatage des conduites d’alimentation, les boues en excès sont prélevées au niveau du bassin d’aération, à une concentration proche de 5 g·l⁻¹.
L’évaporation et l’égouttage des boues sont favorisés par une alimentation discontinue des lits : chacun des lits est alimenté sur une période d’une semaine, à raison de plusieurs apports quotidiens, puis est mis au repos pendant deux à trois semaines. Les séquences d'extraction peuvent être automatisées pour permettre un prélèvement de boues fraîches et homogènes, pendant le cycle de brassage-aération.
Minéralisation des boues
Le retour d’expérience sur ce procédé montre que les boues évacuées sont généralement minéralisées à hauteur de 15 à 30 %, la minéralisation étant d’autant plus forte que la station est en sous-charge. Ce phénomène s’explique par la présence de micro-organismes aérobies, qui profitent du craquelage des couches de boues, lorsque celles-ci s’assèchent, pour recevoir l’oxygène nécessaire à leur activité et à leur prolifération au niveau des racines. La minéralisation étant un processus lent, on retrouve les boues les plus minéralisées au fond des lits.
Vidange
La vidange des lits est effectuée lorsque la hauteur de revanche ne représente plus qu'une vingtaine de centimètres. Celle-ci est généralement programmée au printemps ou en été, de manière à favoriser le phénomène d’évapotranspiration et à augmenter de facto la siccité finale des boues. Pour ce faire, le lit à curer est mis en repos pendant une durée variable de quelques semaines à plusieurs mois ; le volume de boues qui lui était destiné est alors réparti sur les lits restés en service.
Afin de faciliter la repousse des roseaux après une vidange, quelques précautions
s’imposent. Il faut notamment :
- curer les lits de manière à ne pas déstabiliser leurs couches filtrantes ou drainantes ;
- conserver une couche de boues avec rhizomes et racines, sur une hauteur d’environ trente centimètres, et ne pas arracher les roseaux avec leurs rhizomes en favorisant une coupe franche pour réamorcer rapidement le développement de nouvelles tiges aériennes ;
- ne pas alimenter immédiatement les lits curés afin de ne pas écraser les nouvelles tiges, ce qui compromettrait la repousse des roseaux.
Performances
L’expérience montre que la siccité des boues au moment de leur curage avoisine les 15-18 %, valeurs bien inférieures aux 25-30 % annoncées par les concepteurs, il y a quelques années.
Le séchage solaire
Technique empruntée aux industriels céréaliers, le séchage solaire est désormais appliqué au séchage des boues urbaines pour des capacités de stations allant de quelques milliers à plus de 200 000 EH.
Ce procédé consiste en un ensemble de serres qui, en piégeant le rayonnement solaire, permettent d’augmenter la température ambiante et d’évaporer l'eau interstitielle contenue dans les boues. En hiver, lorsque l'ensoleillement est faible, les serres permettent alors de stocker les boues à l'abri des événements climatiques (pluie et froid), préjudiciables à leur séchage. Plusieurs systèmes ont été développés pour permettre d’améliorer le taux d’évaporation.
Ces dispositifs concernent essentiellement :
- la ventilation forcée de la serre à un débit élevé (taux de renouvellement de 10 V.V⁻¹.h⁻¹ minimum) afin de favoriser le transfert de l’eau interstitielle dans l’atmosphère et d’évacuer l'air humide et vicié vers une unité de désodorisation ;
- le retournement automatisé des andains de boues, qui doit permettre un brassage régulier et uniforme pour renouveler les surfaces d’évaporation, et une aération de la couche de boues afin de limiter les réactions de fermentation anaérobie, sources d'importantes nuisances olfactives ;
- le chauffage de l'air ambiant ou du radier en vue de réduire les surfaces de séchage à mettre en œuvre. Ce type de dispositif n'est généralement proposé que pour les très grandes installations, qui ont la possibilité de recycler les énergies issues d'autres procédés épuratoires comme sources de chauffage.
Ce procédé réussit à convaincre bon nombre de collectivités grâce à ses très bonnes performances, comparables à celles du séchage thermique poussé (siccité finale comprise entre 60 et 70 %), et ce à un moindre coût en investissement, mais aussi grâce aux faibles coûts de fonctionnement qu'il engendre. Ce procédé n’est cependant pas sans contraintes : le chargement et l’étalement des boues requièrent un état pâteux, nécessitant une étape préalable de déshydratation.
Dimensionnement et géométrie
La surface utile de séchage est calculée sur la base de la capacité d’évaporation des boues, paramètre dépendant essentiellement de la saison et de la localisation géographique. En valeur guide, il peut être retenu une capacité évaporatoire de l’ordre d’une tonne par mètre carré de serres, impartie au séchage.
La largeur des casiers en béton correspond généralement à la largeur standard des serres, comprise entre 9 et 10 m. Les boues sont stockées sur de faibles hauteurs, quelques dizaines de centimètres, compatibles avec la taille des retourneurs. La hauteur des casiers n’excède ainsi pas 1 m.
En fonction de la destination finale des boues, il peut être envisagé un stockage par « lots » permettant d’assurer leur traçabilité et d’éliminer les éventuels lots non conformes sans remettre en cause la totalité de la production de boues. Dans tous les cas, la conception des casiers doit permettre l’entrée et la circulation aisée d’un chargeur-cureur.
Alimentation
Les serres sont alimentées en boues pâteuses à l'aide :
- soit d'un chargeur mécanique automatisé : dans ce cas, les boues sont introduites à une extrémité de la serre et nécessitent d’être étalées et poussées vers l'autre extrémité ;
- soit d'une pompe gaveuse : les boues sont déposées à intervalles réguliers sur toute la longueur de la serre. Dans ce cas, et compte tenu de la viscosité des boues entrantes, il est couramment utilisé un dispositif de lubrification, consistant en une injection de polymère dans le collecteur de distribution, pour faciliter l’écoulement des boues, et ce sur toute la longueur de distribution.
Ventilation et désodorisation
Afin de réduire les consommations électriques, les ventilateurs peuvent être proposés à vitesse variable et/ou asservis à divers capteurs de mesure différentielle de l'humidité et de la température, à l’intérieur et à l'extérieur de la serre.
Le confinement de la serre permet en outre de canaliser les flux d’air vicié vers une unité de désodorisation. Afin de conserver le caractère rustique et écologique du procédé solaire, il est ordinairement proposé une désodorisation par biofiltration.
Retournement et fermentation des boues
Le retournement des andains de boues est
Réalisé quotidiennement, voire même plusieurs fois par jour en hiver lorsque l’évaporation naturelle est réduite. L’aération, induite par le brassage des boues, engendre une fermentation aérobie ; cette réaction étant exothermique, il peut alors être envisagé une hygiénisation des boues dès lors que les conditions de température sont atteintes (55 °C minimum pendant six jours).
Les retourneurs sont les pièces maîtresses du procédé par séchage solaire : chaque concepteur dispose d’ailleurs d’un brevet et/ou d’une marque déposée, protégeant son dispositif de brassage. Que ce soit un rouleau-couloir ou un robot scarificateur multidirectionnel, le retourneur est conçu pour fonctionner sans surveillance du personnel, sur programmation de l'automate de la station.
Performances
En période hivernale, le faible ensoleillement associé aux basses températures et un fort taux d’humidité ne favorisent pas l’évaporation des boues ; le séchage devient effectif au retour des périodes d’ensoleillement favorables, permettant ainsi d’atteindre des siccités finales supérieures à 50-60 %, et pouvant même atteindre 85 % en cas d’ensoleillement exceptionnel pour les régions les plus méridionales.
Autres procédés écologiques
Procédé mycélien
Développé très récemment, ce concept original permet une réduction du volume de boues, non pas par évaporation de l’eau interstitielle, mais par oxydation de la matière organique grâce à des champignons. Les souches mycéliennes utilisées ne sont pas pathogènes. Elles sont sélectionnées en fonction des espèces déjà présentes dans les boues à traiter, puis mises en culture dans un réacteur biologique avant d’être mélangées aux boues, en milieu aéré.
Les performances annoncées sont une réduction de la masse de boues de l’ordre de 30 à 40 %, après une incubation d’une quinzaine de jours. En cours d’expérimentation au sein de plusieurs stations d’épuration françaises de capacité très variable (20 000 à 215 000 EH), les performances de ce procédé demandent à être confirmées.
Lombricompostage
Ce procédé repose sur la transformation des matières organiques de la boue en humus par des vers de terre. Encore au stade expérimental, ce procédé est peu décrit dans la littérature tant pour ses performances de réduction du volume de boues, que pour le devenir du compost.
Comparaison des filières
Les procédés écologiques décrits ci-dessus (systèmes plantés et séchage solaire notamment) présentent tous deux l’avantage de réduire significativement le volume de boues, tout en assurant leur stockage sur une longue durée. Moins onéreux en investissement que les procédés traditionnels (déshydratation mécanique pour les systèmes plantés, et séchage thermique pour le séchage solaire), les procédés écologiques se révèlent, en outre, économes en énergie et en personnel d’exploitation. Les principaux avantages et inconvénients de ces deux procédés sont récapitulés dans le tableau 3.
Conclusion
Les collectivités disposent aujourd’hui d’une variété grandissante de procédés pour traiter leurs boues : elles peuvent, en effet, compter sur le développement de techniques innovantes, plus respectueuses de l’environnement et aux performances prometteuses. Plus rustiques, ces procédés écologiques se révèlent également moins onéreux en investissement et en exploitation, ce qui a de quoi largement séduire les élus !
À noter que cette tendance pour les procédés écologiques se vérifie également pour le traitement des effluents des petites stations d’épuration : systèmes plantés, lombrifiltration (épuration par les vers de terre), etc.