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L'incroyable mutation du lac Peigneur

28 decembre 2012 Paru dans le N°357 à la page 104 ( mots)
Rédigé par : Alain MAUDUIT

Les sondages profonds réservent parfois quelques surprises' Ils peuvent, dans certains cas, entraîner de gros désordres, notamment quand ils recoupent une formation salifère et des niveaux géologiques de charges différentes. En Louisiane, une simple erreur a ainsi transformé en quelques jours un lac d'eau douce peu profond en un gigantesque lac d'eau salée, transformant du même coup durablement l'ensemble des écosystèmes environnants.

Nous sommes en Louisiane, le 20 novembre 1980. Près de la ville de Delcambre, à environ 120 km à l’ouest de La Nouvelle-Orléans, se trouve le lac Peigneur, un lac d’eau douce relativement peu profond d'une surface de 480 hectares.

Les pêcheurs connaissent bien ce petit plan d’eau tranquille qui relie le canal Delcambre, creusé pour évacuer le trop-plein des eaux du lac Peigneur, à la baie Vermilion, dans le golfe du Mexique. À Delcambre, sur les rives nord-est du lac, la Diamond Crystal Salt Company exploite depuis plusieurs décennies la mine souterraine de Jefferson Island, une mine de sel dont certaines galeries se situent pour partie sous le lac Peigneur. Une ressource importante pour la ville et ses habitants qui vit depuis longtemps pour et par la mine.

En ce 20 novembre donc, à 300 mètres des berges, sur une barge, une douzaine de salariés de la compagnie pétrolière Texaco s'affairent depuis le petit matin. Il s'agit d’exécuter un sondage de rou-

tine dans le cadre d'une opération de prospection pétrolière. Le temps est clair et calme, l’affaire ne doit pas durer plus de quelques jours. Le forage à réaliser n’est d’ailleurs pas très compliqué : la profondeur du lac n’excède pas 3 mètres sous la barge et le sol s'avère franc. Alors que le trépan commence à s’enfoncer dans la roche mère située sous les eaux du lac, les hommes de la Texaco sont très loin de s'imaginer qu’ils sont en train de provoquer une catastrophe gigantesque qui va marquer la région pour longtemps.

Une catastrophe gigantesque qui va marquer la région pour longtemps

Le trépan n’a perforé la roche que sur quelques mètres au moment où il commence à se cabrer. Rapidement, la barge de forage se met à tanguer sans que les ouvriers ne parviennent ni à libérer le trépan, ni à stopper les vibrations incontrôlées qu'il provoque. Les secousses prennent une ampleur telle que la barge, dont la stabilité même est menacée, doit être abandonnée en catastrophe. Rapidement, les hommes évacuent le site à l’aide d’un puissant hors-bord et donnent l'alerte, sans que l’on comprenne réellement ce qui est en train de se passer.

[Photo : Au centre du lac, des courants circulaires prenant la forme d'un gigantesque vortex se forment peu à peu à la manière d'un lavabo qui se vide. On comprend rapidement que le trépan a perforé le fond du lac jusqu’à atteindre l'une des galeries de la mine dans laquelle il est en train de se vider.]

Pourtant, au centre du lac, des courants circulaires prenant peu à peu la forme d'un gigantesque vortex se forment à la manière d’un lavabo qui se vide. On finit par comprendre que le trépan a perforé le socle du lac jusqu’à atteindre l'une des galeries de la mine dans laquelle il est en train de se vider. Et le mouvement s'amplifie rapidement. Le dôme de sel perforé par le trépan se dissout progressivement sous l'action de l'eau, agrandissant d’autant la taille du trou dans lequel le lac Peigneur se vide à grand fracas. Les galeries de la mine sont rapidement noyées sous les eaux tumultueuses du lac sans heureusement faire de victime, les 50 mineurs qui travaillaient à 1 500 mètres de profondeur ayant pu être évacués juste à temps.

Mais une heure à peine après l’accident, c’est à un véritable maelstrom que les habitants de Delcambre assistent médusés. Le vortex qui n’a cessé de gagner en intensité finit par avaler la plateforme pétrolière, pas moins de 11 barges, un remorqueur, une maison, cinq serres et plus de 25 hectares de forêts environnants ! Sous la pression de poches d'air comprimées par l'inondation, des geysers de 120 mètres de haut jaillissent des puits de la mine. L'effondrement successif des galeries provoque des mini-tremblements de terre et les maisons de bois, sur la rive, se mettent à pencher avant de glisser vers le lac. Les eaux du lac et tout ce qui flotte en surface sont drainés vers la gueule béante du vortex qui s’agrandit de plus en plus. Le phénomène est si puissant que le cours du canal relié au lac, le canal Delcambre, est inversé et aspiré à son tour ! Ce phénomène inédit a pour effet de créer une cascade gigantesque, haute de 45 mètres à l’endroit où le canal se déverse dans le lac.

Sept heures plus tard, le lac Peigneur et tout ce qui l’entourait a entièrement disparu. En son centre, une gigantesque zone d'effondrement finit d’absorber ce qu’il restait encore debout.

[Photo : Le vortex qui ne cesse de gagner en intensité finit par avaler la plateforme pétrolière, pas moins de 11 barges, un remorqueur, une maison, cinq serres et plus de 25 hectares de forêts environnants !]
[Photo : Derniers témoins d’un passé révolu, les ultimes restes de la mine souterraine de Jefferson Island veillent aujourd'hui encore sur les eaux du lac Peigneur.]

qui subsiste des eaux du canal désormais quasi asséché.

Les habitants, stupéfiés par la soudaineté et l’ampleur du phénomène auquel ils viennent d’assister, croient la catastrophe terminée. C’est sans compter les lourdes conséquences écologiques de ce désastre qui vont se révéler au fil du temps.

De lourdes conséquences écologiques

Le fait que la catastrophe n’ait fait aucune victime fut à l’origine du soulagement général qui s’empara des habitants les jours suivants. L’enquête révéla qu’à la suite d’une erreur de géo-localisation, les ouvriers de la Texaco avaient foré directement au centre du dôme de sel qui se trouvait en dessous du lac et qui était exploité par la mine voisine.

120 mètres plus à l’ouest, et l’on aurait évité de percer la galerie de la mine… L’enquête confirma que l’irruption brutale de l’eau a ensuite littéralement dissout le sel et noyé la plupart des galeries de la mine avant qu’un cratère d’effondrement ne se crée au centre de l’ancien lac.

Au plan juridique, la responsabilité de la Texaco fut établie et celle-ci fut condamnée à verser près de 32 millions de dollars de préjudices divers à la Diamond Crystal Salt Company qui dut cesser définitivement ses activités sur le site.

Mais les conséquences écologiques de la catastrophe ne donnèrent lieu, elles, à aucune compensation.

Elles furent pourtant considérables.

Du fait de différence de niveau qui s’était créé suite à l’effondrement du plancher du lac, le cours du canal Delcambre fut inversé remplissant le lac des eaux du golfe du Mexique, c’est-à-dire d’eau salée et non plus d’eau douce. De plus, le cratère d’effondrement, peu à peu empli d’eau de mer, fit passer la profondeur du lac à près de 80 mètres !

En l’espace de quelques jours à peine, le lac Peigneur, un lac d’eau douce de 3 mètres de profondeur, devint un lac d’eau salée profond de près de 80 mètres, entraînant ainsi un bouleversement total de la faune, de la flore et des écosystèmes environnants…

Peu à peu, le lac Peigneur dut se refaire une santé… Les mouettes changèrent de proies tandis que les silures et les carpes durent céder la place, dans les eaux désormais salées du lac, aux poissons et crustacés venus de la mer. Mais les petits voiliers et surfeurs, indifférents aux profonds changements qui affectèrent si soudainement le site, revinrent rapidement, assurant au lac Peigneur un nouvel avenir…

[Photo : Peu à peu, le lac Peigneur dut se refaire une santé… Les mouettes changèrent de proies tandis que les silures et les carpes cédèrent la place, dans les eaux désormais salées du lac, aux poissons venus de la mer.]
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